Politique d’abord

TOUT CE QUI EST NATIONAL EST NÔTRE !

Par Michel FROMENTOUX

membre du Comité Directeur de l’Action Française et président d’honneur de l’Institut d’Action Française

Politique d’abord” ne signifie pas -comme voudraient nous le faire croire les démocrates-chrétiens, la prééminence de la politique sur toute chose, mais sa nécessaire antériorité dans la pratique. De même qu’il est nécessaire d’être nourri et logé pour s’adonner librement aux plaisirs de l’esprit, la patrie doit être suffisamment prospère et ordonnée pour qu’y fleurisse et qu’y vive la civilisation. “ Quand nous disons ‘politique d’abord’, nous disons la politique la première, la première dans l’ordre du temps, nullement dans l’ordre de la dignité ” (Maurras, Mes idées politiques).
Pour l’Action Française, la prise du pouvoir politique précédera donc la résolution des problèmes, qu’ils soient d’ordre sociaux, moraux… ou identitaires. Notre action est d’abord politique et cette originalité est la force de l’Action française par rapport à des mouvements dont l’action est restreinte à un aspect particulier de la crise que connait la France.
Michel FROMENTOUX, met ici l’accent sur ce point essentiel de notre doctrine en soulignant que le principe “ politique d’abord ” ne s’oppose pas à la primauté du spirituel.

Politique d’abord ! Maurras disait obstinément « Politique d’abord ! ». Il n’en fallut pas plus pour que ses adversaires, surtout démocrates chrétiens, l’accusassent de vouloir mettre la politique au-dessus de tout, même de la religion… Or, notre maître avait le bon sens avec lui, quand il écrivait dans L’Action Française du 16 février 1923 : « Quand nous disons « politique d’abord », nous disons : la politique la première dans l’ordre du temps, nullement dans l’ordre de la dignité. Autant dire que la route doit être prise d’abord que d’arriver à son point terminus ; la flèche et l’arc seront saisis avant que de toucher la cible ; le moyen d’action précédera le centre de destination. Mais n’est-ce pas le bon sens même ? » Il disait aussi que, dans un attelage, les bœufs passent avant la charrue, bien qu’ils soient moins dignes que le contenu de la charrue.

Primauté et priorité

Maurras illustrait sa pensée du sublime exemple de sainte Jeanne d’Arc, laquelle montra très bien que la belle devise « Dieu Premier servi ! », de l’ordre des primautés s’accorde parfaitement avec notre « Politique d’abord ! » de l’ordre des priorités. Qu’on me permette ici quelques rappels historiques.
Plaçons-nous au lendemain du 8 mai 1429, où, contre toute attente, la jeune fille de dix-neuf ans venait de reprendre aux Anglais Orléans, la dernière poche de résistance que ceux-ci se flattaient déjà de réduire définitivement. Belle victoire pour une France plongée depuis de longues décennies dans les désordres politiques, intellectuels, moraux et religieux !
L’incapacité du roi Charles VI hébété, à gouverner avait tout simplement rendu la situation républicaine et tous les individualismes s’étaient déchaînés à commencer par ceux des propres parents du roi, frères et neveux de Charles V. Un parti bourguignon s’était créé autour des ducs de Bourgogne (Philippe le Hardi, son fils Jean Sans Peur, puis le fils de celui-ci, Philippe le Bon) qui, unis à l’opulente Maison de Flandre, reprenaient le vieux rêve affairiste et anti-capétien de reconstituer avec l’aide de l’Angleterre une espèce de Lotharingie reliant les puissances commerciales du nord européen, d’Allemagne et d’Italie. Contre le parti bourguignon, un parti Armagnac s’était formé autour du comte d’Armagnac, beau-père du délicieux poète Charles d’Orléans, prisonnier des Anglais depuis Azincourt (1415) et orphelin de son père le duc d’Orléans (frère de Charles VI), assassiné par le cousin bourguignon Jean Sans Peur en 1407… Tout cela sous l’œil amusé du roi anglais qui rêvait de ne faire de la France qu’une bouchée – ce qu’il crut tout à fait possible quand, en 1421, la reine Isabeau de Bavière, totalement dépassée par les événements, eut signé le honteux traité de Troyes acceptant que le roi anglais devînt roi de France.
Un an après, Charles VI était mort, suivi de peu dans la tombe par Henri V « roi d’Angleterre et de France » (sic). Le jeune et gentil dauphin, Charles de France, fils de Charles VI, voyait son royaume lui échapper, livré aux grands félons, à l’Université, au haut clergé, tous ralliés à l’Occupant qui dévastait les campagnes et maltraitait le petit peuple. Charles n’était plus guère respecté en dehors de la région de Bourges où il résidait chichement avec son épouse Marie d’Anjou, dînant de deux petits poulets sans chair et de la queue d’un maigre mouton. Il se croyait abandonné de tous et point du tout sûr même d’être le fils de son père ! Tout semblait humainement perdu, tandis qu’à Montereau ses partisans, les Armagnacs, venaient de commettre, le 10 septembre 1419, l’insigne bavure d’occire le duc de Bourgogne, Jean Sans Peur. Tandis qu’à Paris le duc de Bedford venait de s’emparer du pouvoir au nom de son neveu Henri VI, « roi de France et d’Angleterre », âgé d’un an. Que l’Angleterre fût alors un royaume dont le prince était un enfant, cela ne prouvait-il pas que Dieu voulait laisser des chances à la France, alors qu’il semblait que c’en était fini du royaume capétien.

La politique de sainte Jeanne d’Arc

Ce fut alors que Jeanne était venue de Domrémy au printemps 1429 persuader le gentil dauphin que seule une intervention du Ciel pouvait sortir la France du gouffre où elle s’enfonçait. Mais, après la libération d’Orléans, Jeanne refusa curieusement de courir chasser les Anglais outre-Manche… C’est là qu’apparaît le sens de la politique de sainte Jeanne d’arc : le but était religieux mais les moyens étaient politiques : la France existait par son roi légitime ; il fallait d’abord que celui-ci régnât.
Jeanne aurait pu changer le régime, des républiques nés de l’anarchie médiévale pullulaient le long de la mer du Nord et des mers d’Italie, mais leur spectacle d’instabilité et de l’ôte-toi de là que je m’y mette, ne lui disait rien qui valût. Sans doute, de bonnes âmes lui soufflèrent-elles des discours du genre : pourquoi s’obstiner à rétablir le roi légitime ? Il suffirait de demander des processions, des pèlerinages et des messes par tout le royaume, de transformer ainsi ce peuple en un peuple d’anges et d’archanges pour que tout le monde s’entendît et que l’on n’eût plus besoin de se battre. Ce discours démocrate-chrétien avant l’heure, elle l’entendit peut-être de quelques bouches amies de l’ennemi. Mais de quel poids pesait-il à côté de ses Voix ?
Jeanne ne croyait pas à la restauration spontanée de l’ordre. « Rien ne se fait dans la cité des hommes, dit Maurras, sans une règle d’ordre étendue à toutes les fonctions. Il en est de plus hautes que la fonction politique, mais, dans la suite du temps, elle est la première. Politique d’abord, enseigne la pratique de Jeanne d’Arc. Dans un pays sujet au déchirement des partis, le gouvernement de l’Un a la vertu de mettre fin aux divisions et compétitions du gouvernement de plusieurs. C’est par l’Un qu’il faut commencer. Roi d’abord ! Le sacre de Reims ».

Le Roi d’abord !

L’indomptable paysanne sut vaincre les hésitations du roi et de ses conseillers poltrons : le 17 juillet 1429, dans la cathédrale de Reims que les habitants avaient ornée en hâte, Charles VII fut sacré et la foule lui fit un triomphe : « Noël, Noël ! », le rétablissement de la légitimité confirmait le pacte de Clovis avec le Ciel. Comme aimait à le dire Marie-Madeleine Martin, « Reims est le signe avec lequel personne n’osera entrer en lutte, l’Oint du Seigneur sera bientôt Charles VII le Victorieux ».
Car le roi que rétablissait Jeanne serait un roi qui régnerait et gouvernerait et qui reconnaîtrait comme son devoir capital, celui de servir la religion catholique, source des plus grands bienfaits pour son royaume. Aux antipodes des monarchies modernes, qui, si elles ont la chance d’être débarrassées de la stérile compétition pour le pouvoir, sont organisées de façon que celui qui règne soit le seul à ne pas avoir le droit d’émettre un avis personnel, en matière morale notamment !…

Une action contre-révolutionnaire

Le sacre marquait magnifiquement que l’autorité humaine est une délégation divine et une participation à l’autorité même de Dieu : Charles accepta de ne recevoir sa couronne que de Dieu seul, son pouvoir ne viendrait pas du peuple, ni d’une quelconque société de pensée, mais de Dieu seul, origine de tout pouvoir. C’est en ce sens que l’on peut saluer Jeanne comme une sainte contre-révolutionnaire.
À une époque déjà troublée par la Révolution dans l’État (Paris venait de connaître des journées révolutionnaires) et aussi dans l’Église (on proclamait la primauté des conciles sur le pouvoir pontifical), elle vint redresser les esprits afin d’y remettre de l’ordre et de rétablir les autorités légitimes. Elle ne se laissa pas embarrasser par les légalités du moment, ni par les partis, ni par les chiffons de papier que sont les mauvais traités, ni par les gens raisonnables ou qui se croyaient tels.
Ces miasmes d’une situation décadente et révolutionnaire, elle les avait évacués de son horizon, elle n’avait pas « dialogué ». Envisageant l’action politique comme la forme la plus éminente de la charité, elle était allée droit au but : le rétablissement d’un ordre au sommet, condition de l’ordre dans tous les autres domaines ; ce faisant elle avait œuvré pour la France, mais aussi pour un ordre international fondé sur la justice entre les nations (les Anglais chez eux, les Français chez eux) et sur leur complémentarité, qui exclut aussi bien l’érection d’une nation en impérialisme que l’abandon à l’idéologie matérialiste cosmopolite.

Orléans, aujourd’hui, c’est nous !

Ce langage était trop incompréhensible pour des hommes s’accommodant de la Révolution et trouvant dans cette espèce de gouvernance anglo-européiste issue du traité de Troyes, préfiguration du traité de Maëstricht au XXe siècle, leur intérêt, comme les puissances d’argent, ou leur confort intellectuel, comme les évêques style Cauchon qui y voyaient un moyen de justifier leurs insubordinations. Ils infligèrent à Jeanne une passion qui fut semblable à celle de Notre Seigneur Jésus-Christ, mais son sacrifice ne fut pas un échec. Pour tous ceux qui sont aujourd’hui fiers d’être catholiques et français, elle reste un exemple à suivre dans la débâcle actuelle : nous nous trouvons actuellement dans la situation d’Orléans en mai 1429. Nous résistons sur le dernier bastion. Sommes-nous prêts pour l’ultime sacrifice ?