Les mégots dans le sable m’ont toujours dégoûté, c’est presque aussi pénible que ces gens qui emmènent au matin leur chien faire ses besoins là où les enfants feront un peu plus tard leurs châteaux. J’en ai pourtant tiré jadis un bon profit, cinq centimes de franc pour deux filtres, au prix du sucre d’orge, c’était une manne. Mais il est maintenant interdit de fumer sur la plage, ainsi l’ont décidé les petits enfants de 68. Ils en paraissent fiers et satisfaits. Une avancée, disent-ils. Plus surprenant, les Français d’ordinaire ronchons ne regimbent pas. Il semble devenu bien, reçu et légitime d’interdire. Pourquoi ? Parce que c’est mal de fumer.

Admettons. Mais ce n’est quand même pas mal au même point que tuer, violer, voler, ou voter pour l’extrême droite. Il y a des tas de choses qui sont un peu mal et qu’on n’interdit pas sur la plage : casser les oreilles des voisins avec des sons divers, parler comme un charretier, manger des saletés, laisser des papiers gras, et tant d’autres… Pourquoi ce consensus, pourquoi cette ardente obligation reconnue par tous de ne pas fumer sur la plage ? Quelle est la leçon de cette morale ? Elle est double, je crois. Fumer à la plage lèse à la fois le sentiment général et la raison.

Nous sommes convertis, au Nord et à l’Ouest, au devoir supérieur de nous sauver en sauvant la planète, ainsi nous le disent, impératifs et catégoriques, la Santé et l’Environnement. La plage est le lieu du retour à la nature et sa pureté, le contact avec ce grand tout primordial qu’est la mer, nous ne devons pas plus la souiller que nous ne devons souiller ou laisser souiller nos propres poumons. Ce serait une incivilité XXL. Au moins là, au moins une fois par an, quitte à se gaver de bulots mayonnaise pour compenser, soyons irréprochables. Ainsi apaiserons-nous notre fragile sensibilité et pourrons-nous rôtir heureux.

Mais il y a plus important encore : le respect de la raison supérieure qui régit désormais l’humanité. Même si nous n’éprouvions pas dans notre chair qu’il est mal de fumer à la plage, même si l’instinct ou l’intuition ne nous le suggérait pas, nous le saurions sûrement parce que la Science nous le dit. Elle a établi que les tabagismes actif et passif sont des nuisances pour la santé publique, et que la combustion des cigarettes et leurs déchets polluent. Il n’y a plus besoin de commandements, de code ni d’Églises pour dire le bien et le mal : la Science souveraine les détermine. Le consensus scientifique est la voie, la source et la voix de notre morale. Il est notre vie, il suffit de le suivre en toute occasion, à tout moment. De l’intime à la politique, il nous guide tout et tous, en tout. C’est très reposant.

Mme Figueres, patronne de la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques) et comme telle principale artisan des Accords de Paris sur le climat en 2015, l’a très bien expliqué. Au sommet de Doha, en 2012, elle définissait le « processus global du changement climatique » comme « une transformation complète de la structure économique mondiale ». Puis elle précisait : « Nous influençons les gouvernements, le secteur privé et la société civile pour réaliser la plus grande transformation jamais entreprise. La Révolution industrielle transforma également le monde, mais elle n’était pas guidée selon une perspective centralisée. Il s’agit ici d’une transformation centralisée parce que les gouvernements ont décidé d’écouter la science. »

Comme les maîtres de la révolution arc-en-ciel : écoutons la science, ne fumons pas à la plage, et dormons sur nos deux oreilles.

Martin Peltier 

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