Pourquoi les manifestations de janvier et février 1934, dont celle du 6 février, n’ont pas débouché sur ce changement de régime, pour lequel l’Action française s’était toujours battue ? Maurice Pujo, après avoir conduit toute la campagne de l’Action Française sur l’affaire Stavisky et dirigé l’action des Camelots du Roi, en a donné l’explication en termes simples * : sans une Action Française suffisamment forte et reconnue tant sur le plan de la pensée politique que de la conduite de l’action proprement dite, l’union des patriotes est stérile. Et la leçon vaut pour aujourd’hui.
À force de le répéter, les gens du Front populaire ont fini par croire que le Six Février était le résultat d’une terrible conjuration tramée de toutes pièces par d’affreux « fascistes » contre les institutions républicaines.
Rien ne correspond moins à la réalité. Le 6 Février a été, à son origine, le sursaut national le plus spontané, le plus pur d’arrière-pensées. Il a été la révolte de l’honnêteté et de l’honneur français contre un scandale qui était une des hontes naturelles et cachées du régime : le pillage de l’épargne sans défense avec la complicité des gouvernants qui en ont la garde.
Sans doute, ce scandale a été mis en lumière, développé, « exploité », si l’on veut, par des patriotes conscients qui étaient les hommes de l’Action française. Là-dessus, M. Bonnevay, président de la Commission du Six Février, ne s’est pas trompé lorsqu’il nous a désignés comme les responsables de la mobilisation de l’opinion et de la rue.
C’est nous qui avons publié les deux fameuses lettres Dalimier qui avaient été, aux mains de Stavisky, les instruments de l’escroquerie. C’est nous qui, par nos premières manifestations, avons chassé du ministère ce Dalimier qui se cramponnait. C’est nous qui, pendant trois semaines, encadrant tous les patriotes accourus à nos appels, avons fait à dix reprises le siège du Palais-Bourbon. C’est nous qui, par cette pression sur le gouvernement et les parlementaires, avons arraché chaque progrès de l’enquête, empêché chaque tentative d’étouffement. C’est nous aussi qui avons publié la preuve de la corruption d’un autre ministre, Raynaldi, et c’est nous qui, en rassemblant des dizaines de milliers de patriotes, le 27 janvier, au centre de Paris, avons chassé le ministère Chautemps qui cherchait à se maintenir […]
Tenter le coup ?
Dira-t-on que nous envisagions le renversement du régime ? Eh ! nous ne cessons jamais de l’envisager ! Nous avons, dès nos débuts, proclamé que nous formions une conspiration permanente pour la destruction de la République, cause organique de nos maux, et pour la restauration de la monarchie, qui seule pourra les guérir.
Mais, en menant la chasse aux prévaricateurs complices de Stavisky, nous n’avions pas visé, de façon préconçue, cet heureux événement. Il y avait des services immédiats à rendre à la France ; nous les lui rendions. Si, au terme de cette crise, la restauration de la Monarchie pouvait être tentée, nous n’en manquerions certes pas l’occasion. C’est seulement un fait qu’il n’y a pas eu d’occasion parce que les conditions nécessaires ne se sont pas trouvées réunies.
C’est ce que nous devons répondre à ceux qui, nous faisant le reproche inverse de celui de M. Bonnevay, estiment que nous aurions dû « tenter le coup ». Il y avait sans doute – ce qui est important – un malaise incontestable qui, au-delà des hommes au pouvoir, était de nature à faire incriminer le régime. Il y avait même, à quelque degré, dans l’esprit public, un certain état d’acceptation éventuelle d’un changement. Il y avait aussi l’inorganisation relative et le sommeil des éléments actifs chez l’adversaire socialiste et communiste. Mais ces conditions favorables, en quelque sorte négatives, ne pouvaient suppléer à l’absence de conditions positives indispensables pour avoir raison de cette chose solide par elle-même qu’est l’armature d’un régime resté maître de son administration, de sa police et de son armée. Et il faut un simplisme bien naïf pour s’imaginer qu’en dehors des jours de grande catastrophe où les assises de l’État sont ébranlées, comme au lendemain de Sedan, le succès peut dépendre d’un barrage rompu…
Pourquoi Monk n’a pas marché
Ce qui a manqué au Six Février pour aboutir à quelque chose de plus substantiel que des résultats « moraux », c’est – disons-le tout net – l’intervention de ce personnage que Charles Maurras a pris dans l’Histoire pour l’élever à la hauteur d’un type et d’une fonction, l’intervention de Monk. Un Monk civil ou militaire qui, du sein du pays légal, étant en mesure de donner des ordres à la troupe ou à la police, eût tendu la main à la révolte du pays réel et favorisé son effort. Un Monk assez puissant non seulement pour ouvrir les barrages de police, aussi pour assurer immédiatement le fonctionnement des services publics et parer à la grève générale du lendemain.
La question de ce qu’on a appelé à tort l’échec du Six Février se ramène à celle-ci : pourquoi Monk n’a-t-il pas marché ?
Répondra-t-on qu’il n’a pas marché parce qu’aucun Monk n’existait ? Il est certain que personne ne s’était désigné pour ce rôle. Mais c’est essentiellement un domaine où le besoin et la fonction créent l’organe. Il y aurait eu un Monk et même plusieurs si les circonstances avaient été telles qu’elles pussent lui donner confiance.
Certains s’imaginent qu’ils décideront Monk par la seule vertu de leurs bonnes relations avec lui et dans quelques conciliabules de salon. Singulière chimère ! Monk éprouve très vivement le sentiment de sa responsabilité. Ce n’est qu’à bon escient qu’il acceptera les risques à courir pour lui-même et pour le pays et il a besoin de voir clairement les suites de son entreprise. Devant apporter une force matérielle qui est tout de même composée d’hommes, il a besoin de pouvoir compter, pour le soutenir, sur une force morale assez puissante. Il ne réclame pas de civils armés – c’est là l’erreur de la Cagoule – qui doubleraient inutilement et gêneraient plutôt les soldats, mais il veut trouver autour de lui, lorsqu’il descendra dans la rue, une « opinion » claire, forte et unie.
Et cela n’existait pas au Six Février. Si les manifestants étaient unis par le sentiment patriotique et le mépris de la pourriture politicienne, ils n’avaient pas d’idée commune sur le régime qui conviendrait à la France pour la faire vivre « dans l’honneur et la propreté ». De plus, les rivalités de groupes et les compétitions des chefs empêchaient même que, séparés dans la doctrine, ils pussent s’unir dans l’action.
Depuis le début de l’affaire Stavisky jusqu’au 27 janvier où notre manifestation des grands boulevards renversa le ministère Chautemps, il y avait eu, dans l’action, une direction unique : celle de l’Action française. C’est à ses mobilisations que l’on répondait ; c’est à ses consignes que l’on obéissait. (On lui obéit même le jour où, en raison de la pluie et pour épargner un service plus pénible à la police, nous renonçâmes à la manifestation) Mais, à partir du 27 janvier, devant les résultats politiques obtenus et ceux qui s’annonçaient, les ambitions s’éveillèrent, et les groupements nationaux préparèrent jalousement, chacun de son côté, leur participation à une action dont ils comptaient se réserver le bénéfice. Cette agitation et cette division ne firent que croître, après la démission de M. Chiappe, préfet de police, survenue le 3 février.
Aucune entente
La Commission d’enquête a cherché un complot du Six Février. Mais il n’y avait pas un complot pour la bonne raison qu’il y en avait cinq ou six qui s’excluaient, se contrariaient et se cachaient les uns des autres. Il y en avait dans tous les coins et sur les canapés de tous les salons. On peut se rendre compte qu’il n’y avait aucune entente entre les groupes divers en examinant les rendez-vous qu’ils avaient donné pour la soirée historique, et les dispositions qu’ils avaient prises, sans parler des manœuvres qu’ils firent et dont à peu près aucune n’était d’ailleurs préméditée.
Si, par impossible, les patriotes l’avaient emporté dans de telles conditions, s’ils avaient chassé le gouvernement et le parlement, le désaccord entre eux n’aurait pas manqué d’apparaître presque aussitôt et les gauches vaincues n’auraient pas tardé à reprendre le pouvoir.
C’est à quoi le Monk inconnu, le Monk en puissance, devait songer. C’est pourquoi il s’est abstenu d’une intervention qui aurait été stérile. C’est pourquoi la journée du Six Février n’a pas donné de plus grands résultats.
Le jury du Prix Hugues Capet, présidé par le prince Charles-Philippe d’Orléans, s’est rassemblé le 9 janvier pour délibérer sur le lauréat 2024 du Prix Hugues Capet.
Après une longue séance de délibération empreinte de débats passionnés et d’analyses approfondies, le Jury s’est prononcé : Sully, Bâtisseur de la France moderne de Laurent Avezou, aux éditions TALLANDIER a été couronné PRIX HUGUES CAPET 2024.
Cet ouvrage est une inspiration pour le présent. Il retrace avec une rigueur remarquable et un style captivant la vie et l’œuvre de Maximilien de Béthune, duc de Sully, principal ministre et proche du roi Henri IV. Laurent Avezou y explore le rôle déterminant de ce visionnaire dans la modernisation de la France, en mettant en lumière ses réformes économiques, son sens aigu de l’administration et son engagement pour la paix et la prospérité du royaume. Ce livre est une œuvre magistrale qui conjugue profondeur historique, finesse d’analyse et plaisir de lecture. A la fois accessible et rigoureux, il offre un éclairage indispensable sur un homme dont l’héritage continue de résonner dans les fondements de l’État français.
UN SULLY POUR RÉINVENTER LA FRANCE D’AUJOURD’HUI
Sully est plus que jamais d’actualité : il symbolise la capacité d’une nation à se réinventer après des crises, en s’appuyant sur des valeurs solides et un projet collectif ambitieux.
Serviteur visionnaire du Royaume, Sully a fondé son action politique sur la stabilité, la prospérité et la réconciliation nationale, des principes qui résonnent puissamment face aux défis et divisions de la France contemporaine.
La « méthode Sully », alliant rigueur budgétaire, planification à long terme et priorité à l’unité nationale, reste une source d’inspiration. Sully a su rebâtir une France en ruine grâce à une politique stable de réduction de la dette nationale, de réforme fiscale en profondeur et de promotion de l’industrie.
Cette reconstruction de la France rappelle qu’un avenir prospère repose sur des choix audacieux et structurants.
Sa célèbre devise, « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », pourrait aujourd’hui être revisitée pour promouvoir des politiques modernes, durables et inclusives, essentielles à l’unité et à la prospérité nationale.
LE LAURÉAT
Spécialiste de l’histoire moderne et des grandes figures qui ont façonné la France, Laurent Avezou s’est imposé comme l’un des historiens les plus talentueux de sa génération. Passionné par l’étude des gouvernances éclairées et des stratégies politiques, il consacre ses recherches aux grands serviteurs de l’État et aux bâtisseurs d’institutions.
Docteur en histoire, Laurent Avezou est enseignant et conférencier, reconnu pour sa capacité à rendre l’histoire accessible à un large public. Il contribue régulièrement à des revues spécialisées et collabore à des émissions consacrées au patrimoine historique et culturel français.
Laurent Avezou incarne une génération d’historiens soucieux de faire vivre les leçons du passé dans les débats contemporains. Sa victoire au Prix Hugues Capet souligne l’importance de ses travaux pour mieux comprendre les racines de l’État moderne et l’héritage capétien. Une distinction prestigieuse qui consacre une œuvre vouée à l’excellence et à la transmission des savoirs.
LE PRIX HUGUES CAPET
Le prix littéraire Hugues Capet a été créé il y a 30 ans par Madame la Comtesse de Paris et Jacques-Henri Auclair. En 2024, après dix ans d’absence et pour fêter son trentième anniversaire, le Prince Charles-Philippe et la Princesse Naomi d’Orléans ravivent le prestigieux Prix Hugues Capet et en prennent la Présidence pour lui donner un nouveau souffle et de nouvelles ambitions, en collaboration avec les Archives nationales.
À une époque où l’identité culturelle et la transmission du patrimoine sont au cœur des débats sociétaux, le Prix Hugues Capet offre une plateforme précieuse pour célébrer et préserver la richesse de notre héritage historique, jouant ainsi un rôle essentiel dans le contexte actuel. En valorisant des œuvres littéraires qui éclairent le passé tout en nourrissant la réflexion sur le présent, il contribue à renforcer le lien entre les générations et à stimuler un dialogue autour de l’histoire nationale. Aujourd’hui plus que jamais, face aux défis de la mondialisation et des bouleversements identitaires, le Prix Hugues Capet s’affirme comme un gardien de la mémoire collective, rappelant que l’avenir se construit en s’appuyant sur les leçons du passé.
Ces lignes sont parmi les dernières écrites par le grand historien d’Action Française Jacques Bainville, de l’Académie Française.
Louis XIV avait de l’intelligence et du caractère. Louis XV avait de l’intelligence et manquait de caractère. Louis XVI, avec toutes les vertus, avait une intelligence médiocre et il était indolent. On ne peut pas s’étonner que, malgré les meilleures intentions du monde, il ait perdu la monarchie.
Un hasard malheureux fit encore qu’il avait perdu son père, si bien qu’à Louis XV déjà vieilli succéda un jeune homme de vingt ans, très confit en dévotion, à qui l’on avait surtout appris que le grand-père menait une vie scandaleuse. On imagine bien que les filles du défunt roi avaient Madame du Barry en horreur. Elles avaient endoctriné leur neveu qui ne se contenta pas d’exiler la favorite mais qui se mit à défaire systématiquement tout ce que son prédécesseur avait fait.
Un de ses premiers actes fut de rappeler les Parlements orgueilleux qui tenaient tête à la couronne. Comprit-il très bien ce qu’il faisait ? c’est douteux. Il obéit surtout aux influences qui s’exercèrent sur lui. Mais, dès ses débuts, il s’enfonçait dans une contradiction insoluble et destinée à devenir mortelle. En effet il appelait au ministère un réformateur qui s’appelait Turgot, et les Parlements, défenseurs des droits acquis, s’opposaient à toutes les réformes. Pour réformer le royaume et supprimer les abus, il eût fallu que le roi agît par voie d’autorité. Il avait, d’emblée, entamé la sienne en rétablissant celle de ces magistrats qui s’étaient arrogé le pouvoir de repousser les lois qiu étaient contraires à leurs idées ou à leurs intérêts, bien que la puissance législative fût censée appartenir au souverain.
Combattu et paralysé par les Parlements, ne pouvant faire aboutir ses projets, Turgot dut se retirer. Entre son ministre et les magistrats, le malheureux Louis XVI avait dû choisir et ne pouvant plus revenir sur le mal qu’il s’était fait, ce fut le ministre qu’il sacrifia. Par une contradiction non moins absurde le public lui en fit le reproche, tandis qu’il applaudissait ces parlementaires privilégiés et défenseurs des privilèges qui parlaient un langage insolent et factieux et se présentaient comme les défenseurs de la liberté.
Dès lors Louis XVI s’épuisa dans la vaine recherche d’une amélioration impossible. Il y perdit peu à peu sa popularité. A la fin, impuissant devant les parlementaires unis à la noblesse et au clergé, il se résolut à sauter le grand pas et à convoquer les États Généraux, espérant trouver dans le Tiers État l’appui qui lui était refusé ailleurs.
C’est pourquoi il voulut que la représentation du Tiers État fût doublée. Mais le troisième ordre, ayant autant de députés que les deux premiers, demanda et devait demander à voter par tête. De plus le roi, pour faire entendre la voix de la bourgeoisie, avait invité tous ceux qui avaient des idées à les exposer librement. Ce fut une pluie d’écrits de toutes sortes parmi lesquels figura la célèbre brochure de Sieyès : « Qu’est-ce que le Tiers État ? Rien. Que doit-il être ? Tout. ».
Louis XVI avait semé le vent. Il récolta la tempête et de plus, faisant ce qu’il avait déjà fait avec Turgot et avec le Parlement, au lieu de suivre la voie qu’il avait lui-même tracée, il vint se mettre en travers. Lorsque les députés du Tiers, forts de leur nombre et de l’autorité qu’il leur avait donné, voulurent transformer les États Généraux en assemblée, il prétendit de son côté maintenir la distinction des trois ordres, conformément aux traditions, aux usages et à l’ancienne constitution du royaume. C’est ainsi que de ses propres mains, Louis XVI fit la Révolution. Pouvait-elle être évitée ? Nous répondrons « Oui, certainement ».
La France avait besoin de réformes. Il fallait y procéder d’autorité et brisant les coalitions d’intérêt qui s’y opposaient. C’est ce que les rois de France avaient toujours fait, ce qu’avait fait encore Richelieu puis Louis XIV. Sans cela la monarchie n’eût pas duré aussi longtemps. Pour être un roi réformateur, il fallait être un roi autoritaire.
N’était-ce pas ce que la France attendait ? Le XVIIIe siècle, dans la personne du plus illustre de ses interprètes c’est à dire Voltaire, avait exalté des souverains qui étaient de purs despotes, comme Frédéric II et Catherine, mais qui imposaient le progrès par le despotisme.
Au fond les Français, en 1789, n’aspiraient pas à la liberté mais à l’égalité, qui en est d’ailleurs exactement le contraire. C’est si vrai que, dix ans plus tard, dix ans seulement, la dictature de Bonaparte était acclamée. Il était vraiment inutile pour en venir là, de mettre la France sens dessus dessous et de faire couler des torrents de sang. Avec des intentions excellentes, l’infortuné Louis XVI avait fait un mal immense. Il l’a expié si durement qu’on ne peut pas avoir la dureté de lui en vouloir. Mais il serait faux de voir en lui une victime de la fatalité.
Supposons un roi qui eût continué la politique commencée par Louis XV dans les derniers jours de son règne. On fût arrivé, sans bouleverser le pays et sans tout détruire, à un état des choses fort semblable à celui que créa le premier consul, lequel, du reste, rétablit et restaura une partie de ce qui avait été détruit dans l’anarchie révolutionnaire.
Finalement, Louis XVIII, qui était fort intelligent, prit la France telle que Napoléon l’avait laissée. Pour en venir là, il était bien inutile d’avoir fait couper la tête d’un roi, d’une reine et d’une quantité de braves gens sans compter tous ceux que vingt ans de guerre avaient tués.
Peu de personnages de l’histoire de France ont suscité autant de passions que Marie-Antoinette, dont la vie, commencée dans les palais viennois, s’est tragiquement achevée dans la boue fangeuse du Paris révolutionnaire.
Princesse jugée tout à la fois frivole et manipulatrice par ses détracteurs, martyre injustement décriée aux yeux de ses partisans, elle est même devenue une sorte d’« icône universelle », une femme libérée et incomprise, à mi-chemin entre Sissi et Antigone. Un temps adulée par ses sujets avant d’être l’objet de toutes les avanies, elle semble surtout avoir été un pur produit de son milieu, une jeune ingénue imprudente, certainement coquette, et sans grande intelligence politique. Mais quels qu’aient pu être ses défauts ou ses faiblesses, tous s’accordent aujourd’hui à reconnaître qu’ils ne pesaient pas lourds dans la balance, comparés à ses malheurs et à son courage dans l’adversité.
L’archiduchesse Marie-Antoinette est le quinzième enfant de Marie-Thérèse d’Autriche et de François Ier. Tandis que sa mère, femme de tête à l’apogée de sa gloire, mène une active politique matrimoniale pour assurer à son abondante progéniture une place de choix dans les capitales européennes, la petite « Antonia » est élevée dans la simplicité des cours allemandes, entre les châteaux de la Hofburg et de Schönbrunn. En 1764, des pourparlers sont engagés avec Choiseul, le ministre de Louis XV, pour la marier au dauphin, afin de sceller la fameuse alliance franco-autrichienne de 1756. Une fois la chose assurée, l’impératrice se soucie alors davantage de l’instruction négligée de sa fille, « née pour obéir et devant apprendre en temps voulu à le faire».
Car si Marie-Antoinette excelle dans les usages auliques comme la musique et la danse, elle ne maîtrise pas le français, peine à se concentrer et sa conversation est décousue. L’abbé Vermond, envoyé par Louis XV pour parfaire ses connaissances, ne peut que constater qu’« un peu de paresse et beaucoup de légèreté m’ont rendue son instruction difficile ». Même son frère Joseph, en dépit de l’affection qu’il lui porte, ne voit en elle qu’une « tête à vent » et sa mère doit se rendre à l’évidence : « Son âge demande de l’indulgence ».
« Née pour obéir et devant apprendre en temps voulu à le faire»
Marie-Antoinette n’a en effet que 14 ans lorsqu’elle arrive en France au printemps 1770. Elle ne peut s’en remettre qu’à son mentor, l’ambassadeur d’Autriche, le comte Mercy d’Argenteau, qui rend compte à Vienne des moindres détails de son quotidien. Malgré la profonde méfiance qu’inspire le rapprochement franco-autrichien, elle charme immédiatement tous ceux qui la rencontrent. Dans une cour vieillissante, on célèbre sa jeunesse, sa fraîcheur et surtout la grâce légendaire de sa démarche et de son port de tête. Même les Parisiens acclament la dauphine, à laquelle tout semble sourire.
Pourtant, passés les premiers étourdissements, les rigueurs du cérémonial de Versailles lui pèsent. Son lever donne lieu à un nombre incalculable de gestes codifiés et hiérarchisés, mettant à mal la pudeur de celle que l’on fera plus tard passer pour une horrible Messaline. Son coucher est ausculté à travers l’Europe entière. Tous en effet s’interrogent en effet sur la non-consommation, sept années durant, de cette union entre un trop jeune dauphin, le futur Louis XVI, assurément maladroit et inhibé, fuyant une épouse qui cherchait tout autant que lui à se dérober à ce qui est vécu comme une corvée. Il faut attendre la venue « incognito », en 1777, du frère de Marie-Antoinette, Joseph, chargé de sermonner les jeunes époux, pour que la situation évolue. Dès l’année suivante naissait Madame Royale. Elle allait devenir l’aînée des quatre enfants à l’éducation desquels, chose nouvelle, Marie-Antoinette voudra activement participer en leur inculquant les idéaux rousseauistes tels que la simplicité et la spontanéité.
Reine à 19 ans, face à la vieille cour de Versailles…
L’étiquette contraignante de la cour lui déplaît également et elle ne manque pas de le manifester. Elle refuse longtemps d’adresser la parole à la favorite de Louis XV, la Du Barry, et dédaigne d’illustres figures, s’attirant l’inimitié de la vieille cour. Reine à 19 ans, elle continue de privilégier ses désirs personnels aux dépens des contraintes qu’impose son rôle public. Aux représentations officielles, elle préfère les escapades à Paris, pour aller à l’opéra, les promenades nocturnes dans les jardins de Versailles pour assister au lever du soleil, et surtout le Trianon, que lui a offert le roi. À partir de 1774, c’est là son domaine, dont l’étiquette est bannie : « J’y vis en particulière ». Elle y reçoit ceux pour lesquels elle éprouve une folle amitié, car la mode est à l’épanchement des cœurs et à une certaine sensiblerie préromantique. Bénéficient ainsi de l’exclusivité de ses faveurs la princesse de Lamballe, surintendante de la Maison de la Reine, et surtout la duchesse de Polignac, qui sera nommée gouvernante des enfants de France, au détriment d’autres dames de haut rang de la cour. Des hommes sont aussi conviés dans cette petite société, parmi lesquels le séduisant aristocrate suédois Fersen auquel on a prêté une liaison avec la reine.
Le secret entretenu autour de ces réunions au Trianon ne manque pas de donner naissance à une série de critiques venimeuses de la part de ceux qui n’y sont pas admis. On y imagine une reine volage à la sensualité débridée, des relations incestueuses avec Artois, le frère du roi, mais aussi un goût pervers pour les femmes : autant de rumeurs donnant matière aux libellistes qui s’attaquent de plus en plus à Marie-Antoinette. Mais les pamphlets glissent sur le jeune reine qui, insouciante, se contente de jouer à la bergère ou de s’investir dans la décoration pastorale de son domaine.
En plus des anecdotes scandaleuses qui courent à son sujet, on reproche à « Madame Déficit » ses dépenses, supposées être responsables de la faillite de l’État. Elles étaient certes considérables, comme celles des autres membres de la famille royale d’ailleurs. Marie-Antoinette a ainsi beaucoup perdu au jeu qui a été quelques temps l’une de ses marottes. Sa garde-robe extravagante, son goût excessif pour les coiffures les plus extraordinaires ont assurément fait la richesse de la couturière Rose Bertin et de son coiffeur Léonard qui avaient leurs entrées dans ses appartements. Lorsqu’elle adoptera des tenues plus simples, on l’accusera, non plus de ruiner les dames françaises voulant l’imiter, mais de mettre à mal les soyeux de Lyon !
Il en va de même pour les bijoux. Louis XVI a dû quelquefois régler les dettes de son épouse qui les achetaient de façon compulsive, avant de réduire ces dépenses. Mais il est trop tard lorsqu’éclate, en 1785, l’Affaire du Collier qui lui fait enfin prendre conscience de son impopularité. En dépit de son innocence dans cette escroquerie montée par une mystérieuse comtesse de Lamotte, elle est totalement décrédibilisée aux yeux de l’opinion par l’acquittement, prononcé au parlement de Paris, des principaux protagonistes de cette histoire rocambolesque.
Bouc-émissaire facile de toutes les faiblesses de la monarchie
On lui reproche également son influence sur le roi, en lui attribuant en matière de politique bien plus qu’elle n’en a fait. Elle a certes voulu le renvoi du duc d’Aiguillon en 1774, mais il était déjà condamné à quitter la cour à la mort de Louis XV. Elle a également poussé Loménie de Brienne aux plus hautes charges. Mais elle n’a jamais par exemple obtenu le retour de Choiseul. Bien incapable d’imposer ses « vetos » au roi qui ne s’est jamais laissé manœuvrer, elle a en réalité mené une activité fébrile, sans grande cohérence.
Il en est de même dans le domaine des affaires étrangères, où son influence semble avoir été nulle. Sa mère, qui l’enjoignait à « rester une bonne Allemande », puis son frère, qui l’accablait de demandes incessantes, auraient souhaité en faire un agent au service des Habsbourg sur l’échiquier européen. Mais ce fut en vain. Ainsi quand Joseph intervient en Bavière, à la mort de son électeur, sans héritier, ou quand il veut forcer le monopole sur les bouches de l’Escaut, Louis XVI ne soutient pas l’expansionnisme de son beau-frère.
Faire de Marie-Antoinette le bouc émissaire responsable de toutes les faiblesses et de tous les échecs de la monarchie ne suffit pas à calmer la fermentation politique qui agite le royaume. L’incapacité du pouvoir à réformer la fiscalité entraîne bientôt la convocation des États Généraux, durant lesquels la reine, qui a déjà perdu une fille, ne peut même pas assister aux funérailles du dauphin. Insultée jusque dans Versailles par les poissardes, il lui faut, en octobre 1789, accepter de s’installer avec les siens aux Tuileries.
De là, elle assiste, impuissante, à l’enchaînement des événements révolutionnaires. À l’émigration des nobles et, depuis l’étranger, aux conspirations qui menacent la propre sécurité de la famille royale. À la constitution civile du clergé et à la division religieuse du pays, avec le retour du spectre de la guerre civile… Les rumeurs enfin qui lui font craindre d’être enfermée dans un couvent.
Un regain d’énergie dans l’adversité
Contrairement à Louis XVI, qui paraît souvent désemparé et irrésolu, la reine trouve néanmoins un regain d’énergie dans l’adversité. Elle semble ainsi être à l’origine de la fuite à Varennes qui, mal conduite, est un dramatique échec. Tandis que le comte de Provence réussit à gagner la Belgique, le couple royal est ramené à Paris sous les huées. Événement capital qui ouvre un abîme définitif entre la royauté et un peuple révolté.
En septembre 1791, la constitution que Louis XVI doit accepter est aux yeux de la reine « monstrueuse », un véritable « tissu d’absurdités ». Elle ne conçoit qu’un retour à l’ordre antérieur, jouant une sorte de double jeu. Elle se rapproche du député Barnave, visiblement fasciné, qui cherche à la convaincre du bien-fondé de la monarchie constitutionnelle. Mais, dans le même temps, elle double sa correspondance de suppliques aux puissances étrangères, défendant l’idée dangereuse d’une démonstration militaire – et non pas d’une invasion qui conduirait à l’amputation du royaume – pour effrayer les Français.
La déclaration de guerre à l’Autriche, en avril 1792, conduit à une nouvelle dégradation de sa situation. Lorsque, le 20 juin, les Tuileries sont envahies une première fois, elle craint pour ses enfants. Quelques semaines plus tard, la publication du « manifeste de Brunswick » qu’elle appelait tant de ses vœux, précipite les événements : en menaçant de représailles ceux qui s’attaqueraient à la famille royale, ce texte stupide lance les sans-culottes à l’assaut du palais et sonne le glas de la monarchie.
Après avoir trouvé refuge à l’Assemblée, c’est depuis sa prison de la tour du Temple que le couple royal assiste à sa déchéance et à la proclamation de la république. Au moins aura-t-il ainsi été à l’abri du délire sanguinaire des massacres de septembre, durant lesquels la princesse de Lamballe est sauvagement tuée pour avoir refusé de jurer la haine du roi et de la reine. La foule vient alors montrer sa tête, plantée sur une pique, sous les fenêtres de Marie-Antoinette.
Combien d’épées pour la sauver ?
Le nouveau régime ne met pas un terme aux épreuves qui devaient avoir raison de Louis Capet, comme on l’appellerait désormais, et de sa femme. La découverte de l’« armoire de fer » et de la correspondance – bien anodine – du souverain avec des hommes comme Mirabeau et La Fayette, permet de façon opportune de faire juger le roi. Séparé des siens durant tout le temps du procès, il ne revoit sa femme et ses enfants que brièvement la veille de son exécution, le 21 janvier 1793. Sa mort laissa longtemps Marie-Antoinette, de surcroît malade, dans un état de totale prostration.
Oubliée un temps par la fureur révolutionnaire, elle espère être échangée, mais c’était sans compter la profonde indifférence à son égard du nouvel empereur, son neveu François II. Les succès de la coalition formée contre la France et la trahison de Dumouriez la rappellent au bon souvenir de Robespierre et d’Hébert, qui réclame ouvertement sa tête.
Au début de l’été 1793, on lui enlève son fils de huit ans, le petit Louis XVII, avant de la transférer à la Conciergerie, antichambre du tribunal révolutionnaire. C’est là qu’elle doit supporter quelques mois plus tard une mascarade de procès. Transfigurée et les cheveux « blanchis par le malheur » (elle n’a que 38 ans), elle est mise en accusation trente heures durant. Elle conserve un calme marmoréen, du moins jusqu’à ce qu’on l’accuse d’inceste avec son fils. Elle en appelle alors de façon pathétique aux mères de France. Sa dignité impressionne l’assistance et exaspère les plus fanatiques, qui y voient, comme Le Père Duchesne, «de l’audace et de l’insolence».
Condamnée à mort, promenée deux heures durant sur une charrette, elle est guillotinée le 16 octobre par le fils du bourreau de Louis XVI, avant que son corps, la tête entre ses jambes, ne soit quelque temps abandonné dans l’herbe du cimetière de la Madeleine.
« Dans une nation de galanterie, dans une nation composée d’hommes d’honneur et de chevaliers, je croyais que 10 000 épées seraient sorties de leurs fourreaux pour la venger même d’un regard qui l’aurait menacée d’une insulte ! Mais le siècle de la chevalerie est passé », déplorait Burke dès 1790, dans ses Considérations sur la Révolution française. Trois ans plus tard, en pleine Terreur, rares sont ceux qui ont essayé de la sauver, au grand désespoir du seul chevalier qui ne l’ait jamais servie, Axel de Fersen.
Sa mort et son courage sur l’échafaud lui auront néanmoins rendu la dignité dont les pamphlets et les épreuves l’avaient privée.
Emma Demeester
Bibliographie
1755 : Naissance de l’archiduchesse Marie-Antoinette à Vienne.
1770 : Mariage avec le dauphin Louis.
1774 : A la mort, de Louis XV, elle devient reine de France.
1778 : Naissance de Madame Royale.
1785 : Affaire du Collier.
1789 : Début de la Révolution ; mort du dauphin.
20 juin 1791 : Fuite à Varennes.
Septembre 1792 : Proclamation de la république.
21 janvier 1793 : Exécution de Louis XVI.
16 octobre 1793 : Exécution de Marie-Antoinette.
Chronologie
1755 : Naissance de l’archiduchesse Marie-Antoinette à Vienne.
1770 : Mariage avec le dauphin Louis.
1774 : A la mort, de Louis XV, elle devient reine de France.
Philippe II dit Auguste (1165-1223) fut le septième roi de France de la dynastie des Capétiens directs. Fils du roi Louis VII (1120-1180) et de sa troisième épouse Adèle de Champagne (1140-1206), il reste l’un des monarques les plus admirés et des plus étudiés de notre Histoire, non pour ses aventures conjugales assez turbulentes, mais parce qu’il agrandit considérablement le pré carré de ses pères et parce qu’il donna à la France une administration remarquable. Réduit à l’Île-de-France au début de son règne, le territoire dont il hérita, prit, sous son impulsion, une ampleur saisissante, grâce à une politique fort habile et de nombreuses conquêtes militaires.
Dernier des Capétiens à avoir été sacré du vivant de son père, roi à quinze ans, Philippe II Auguste passa la plus grande partie de son règne à lutter, par la ruse et malgré une grande fragilité nerveuse, contre les Plantagenêt, lesquels régnaient sur l’Angleterre et sur une trop grande partie de nos provinces françaises : le comté d’Anjou, le comté du Maine, le duché de Normandie, le comté de Bretagne, le comté de Poitou et le duché d’Aquitaine. Le vieux roi d’Angleterre Henri II (1133-1189) avait raflé tout cela en épousant l’épouse répudiée de Louis VII, Aliénor d’Aquitaine (1122-1204). Puis, leurs fils, Henri Court Mantel (1155-1183), Richard Cœur de Lion (1157-1199), Jean Sans Terre (1166-1216), se querellant sans cesse entre eux, facilitèrent, tout en la compliquant, la tâche à Philippe-Auguste qui savait que, pour éviter l’écrasement de l’hexagone, il fallait tenir les Plantagenêt divisés… Il avait, dès son premier mariage, avec Isabelle de Hainaut, acquis en dot, l’Artois, Arras et Saint-Omer. Il lui restait à conquérir tout le reste du royaume de son père.
Il commença, en 1173, par soutenir la révolte encouragée par leur mère, de Richard Cœur de Lion et de ses frères : Henri II le Jeune, Geoffroy et Jean Sans Terre, contre leur père, puis, après la mort de celui-ci, les intrigues de Jean Sans Terre contre Richard. Participant à la troisième croisade contre le sultan Saladin (1137-1193) avec Richard, Philippe, après la prise de Saint-Jean d’Acre, tomba malade de la suète. Il fut tout le temps en désaccord avec Richard, cet ami très équivoque, qu’il abandonna pour rentrer sans se presser en France et pour, profitant peut-être de son absence, lui reprendre ses possessions de ce côté-ci de la Manche. Il fut servi par Jean Sans Terre qui ratait tout ce qu’il entreprenait et trahit effrontément Richard, son frère aîné.
Philippe-Auguste, premier monarque d’Europe
C’est ainsi, par la ruse et la manipulation, que Philippe parvint à récupérer la Champagne, la Bretagne et l’Auvergne, et à y asseoir son pouvoir. Mais, en 1214, le royaume de France était gravement menacé, car Jean sans Terre, nouveau roi d’Angleterre, avait décidé de s’en emparer. Il avait réussi, dans sa terrible vengeance, à monter, contre Philippe Auguste, une vaste coalition avec Renaud de Dammartin (1165-1227), comte de Boulogne, Guillaume Ier, comte de Hollande, le fils cadet du roi du Portugal, Ferrand (1188-1233), comte de Flandre, Henri Ier , duc de Brabant, Henri III, duc de Limbourg, Thiébaud 1er, duc de Lorraine, et surtout l’empereur Othon IV (1175-1218), fils de Mathilde d’Angleterre, donc neveu de Jean Sans Terre.
Pour Philippe-Auguste, dont les adversaires projetaient de partager tout l’héritage, il s’agissait de défendre le sort de la France. Après la messe célébrée le matin du 27 juillet, dans l’église de Bouvines, on dit qu’il aurait placé sa couronne sur l’autel en déclarant qu’elle restait offerte au plus digne d’engager la bataille. Se présentant devant ses guerriers il aurait dit : « Seigneurs, je ne suis qu’un homme, mais roi de France est cet homme. » Le mot d’ordre de ses adversaires était de courir sus à sa personne et de le frapper à mort. En fait, il allait être renversé de son cheval et sauvé de peu.
Cette journée où il fut contraint de mener bataille un dimanche par ses adversaires impies, le roi la voulut celle de tous les Français. Chevaliers, paysans à cheval, milices communales que, depuis longtemps, il encourageait et armait, tous ceux qui devaient construire ensemble la France dans la paix étaient là. Pourquoi le roi courut-il, ce jour-là, tant de risques personnels ? Comme l’écrivait le duc de Lévis-Mirepoix, « il fallait que sa poitrine parût physiquement le rempart de la France et que la dynastie partageât entièrement le risque du pays. Pour la première fois chez nous, tous ceux qui combattaient et tous ceux des villes et des campagnes qui attendaient des nouvelles communiaient dans la pensée du chef. »
Tandis qu’Othon, vaincu, abandonnait ses ornements impériaux et, bientôt, son empire sous un déguisement, que Renaud, comte de Boulogne, et Ferrand, comte de Flandre (« Ferrand bien enferré… »), étaient ramenés à Paris enchaînés, Philippe-Auguste, tête nue au soleil et au vent, parcourait la France à travers un chemin triomphal jonché d’herbes et de fleurs, bordé de visages heureux. Car c’était le 27 juillet, le temps des moissons ! Les bourgeois pour leur part, allèrent avec toute l’Université au-devant du roi et firent fête sans discontinuer durant sept jours et sept nuits… Et cette multitude de gens, d’écoliers, de prêtres !
La vraie joie française
Bouvines avait fait du roi le premier monarque d’Europe et le véritable continuateur de Charlemagne. La joie française fut plénière, sans la moindre arrière-pensée fratricide (puisque Philippe pardonna au comte Ferrand et que les captifs de Bouvines se libérèrent en versant quelques rançons). Les hymnes de triomphe, les danses des peuples, les sons harmonieux des instruments guerriers dans les églises, les solennels ornements des églises, les rues des villes et les chemins tendus d’herbes, de tapisseries et de branches d’arbres verts : tout cela crépitait, rutilait et éblouissait !… Les habitants de Paris, le clergé, le peuple allèrent au- devant du roi. Une joie comme nous n’avons guère d’occasions de vivre sous la république !…
De sa retraite-prison, Ingeburge de Danemark entendit le passage de l’armée de son mari et pria pour lui ; cette sainte femme savait qu’elle avait presque gagné la partie, puisque Philippe-Auguste allait la reprendre (sans toutefois lui donner son lit !).
Le roi Jean Sans Terre (1166-1216), qui avait voulu ouvrir un nouveau front pour prendre la France en tenailles, fut vaincu à La Roche-aux-Moines, en Maine-et-Loire, le 2 juillet 1214, quelques heures avant Bouvines, par le prince Louis, héritier du trône de France. Il ne fut nullement acclamé quand il rentra en Angleterre. Ses sujets lui imposèrent laGrande Charte, moyen pour les habitants d’Outre-Manche de se protéger de rois trop souvent importés de l’étranger ; ce fondement des libertés anglaises, Jean n’entendait point du tout le respecter, si bien qu’une partie d’entre eux, exaspérés, offrit la couronne anglaise à Louis de France, du droit de sa femme née d’une princesse anglaise.
En effet, Louis avait épousé, le 23 mai 1 200, Blanche de Castille (1188-1252), fille d’Alphonse VIII de Castille (1155-1214) et d’Aliénor d’Angleterre (1161-1214). Elle était donc la petite-fille d’Aliénor d’Aquitaine (1122-1204), cette diablesse qui allait vivre jusqu’à quatre-vingt-deux ans, conduire elle-même Blanche à Bordeaux et se réjouir de voir une de ses petites-filles épouser le prince héritier de France. Elle souhaitait vivement une nouvelle union du sang des Plantagenêt-Aquitaine et du sang des Capétiens. C’est ainsi que saint Louis allait descendre d’Aliénor et de ses deux maris successifs, Louis VII de France et Henri II d’Angleterre
Philippe-Auguste, au soir d’une vie toute donnée à la France, était bien décidé à terminer ses jours dans la sérénité et voulut rester neutre dans cette affaire du trône anglais. Louis entra solennellement dans Londres où il fut reçu en sauveur. Mais découragé, Jean présenta à la foule son fils, Henri, de dix ans, le futur Henri III (1207-1272) d’Angleterre, et le loyalisme dynastique fut réveillé par cette faiblesse innocente. Alors, Louis retourna à son véritable royaume et renonça sagement à cette entreprise démesurée.
Un règne de quarante-trois ans
Au cours de ses quarante-trois ans de règne, avec les moyens dont il disposait au départ, et ceux dont il se dota progressivement, Philippe-Auguste jeta les bases d’un véritable État, cerna et imposa le concept d’un pouvoir central. Il suscita également, par son autorité personnelle et par la fascination qu’il exerçait, un sens national, celui d’un intérêt commun. Sous son règne, traversé pourtant par bien des tumultes, la Doulce France commença à devenir une réalité ! Tous ceux qui, parmi les Grands, changeaient de parti à leur gré et tiraient profit de leurs trahisons, comprirent, alors, que leur temps était dépassé.
Philippe décida très tôt de faire de Paris (quarante mille habitants) la capitale de la France. Pour assurer la sécurité, il fit bâtir des murailles au Nord et au Sud percées de six portes flanquées de tourelles. L’ensemble de ce rempart affectait la forme d’un cœur, avec, à l’intérieur, la puissante forteresse du Louvre et son donjon de 31 mètres.
L’université fut l’objet de tous les soins du roi : son ordonnance de 1200 équivalait à une reconnaissance légale : elle prescrivait que, désormais, les étudiants seraient assimilés aux clercs et, comme tels, relèveraient des tribunaux ecclésiastiques ; elle offrait à la corporation des étudiants et à leurs maîtres la possibilité de s’organiser eux-mêmes, ce qui fut le signe d’une impulsion nouvelle et d’un développement extraordinaire. Ne pas oublier que le siècle de Philippe Auguste fut celui d’un brusque essor dans le domaine des sciences et des lettres. Les travaux, commencés en 1163, de la façade et des tours de Notre-Dame de Paris, s’achevaient, et les étrangers pouvaient déjà admirer en pensée cette future cathédrale, trait d’union entre terre et ciel, vaisseau de prières, qui se mirait dans la Seine.
Philippe II Auguste ne fut pas seulement un rassembleur de terres françaises, mais il fut aussi un rassembleur de tous les éléments sociaux du pays, clergé, seigneurie, paysannerie, communes, soit dans le travail quotidien, soit dans l’affirmation de la nationalité devant l’Europe. Il n’inventa pas, mais il élargit et précisa en même temps, la pensée capétienne qui n’était point, comme on l’a trop dit, délibérément hostile aux libertés féodales, mais se mesurait à elles pour les contenir dans un juste rythme, comme un mouvement d’horlogerie, les coordonner, les faire concourir à l’unité dans la variété.
Enfin, il sut garder, comme disait le duc de Lévis Mirepoix, « sans rompre son élan royal, ce qui fait l’autorité durable, la mesure dans la grandeur »!
Il fut un temps où la loi, en France, n’autorisait pas le divorce. Le divorce, c’est-à-dire la prétendue dissolution du lien conjugal, fut autorisé une première fois par une loi de 1792 ; puis aboli, sous la Restauration, par la loi Bonald ; et de nouveau autorisé sous la Troisième République, par la loi Naquet.
Le livre que Bonald a écrit contre le divorce n’a rien perdu de son actualité. Combat d’arrière-garde, diront certains. Mais qu’importe ? Une loi « contraire à la nature de la société (1) » ne doit jamais être regardée comme définitive. Le livre de Bonald est un résumé et une réfutation de ce qu’on peut appeler la philosophie moderne. Car la question du divorce est « le champ de bataille où cette philosophie combat depuis si longtemps contre la raison (2)».
La philosophie moderne balance entre l’athéisme et le déisme, qui n’est qu’un « athéisme déguisé (3) », disait Bossuet. D’une manière ou d’une autre, elle ôte Dieu de l’univers : « La philosophie moderne, née en Grèce de ce peuple éternellement enfant, qui chercha toujours la sagesse hors des voies de la raison, commence par ôter Dieu de l’univers, soit qu’avec les athées elle refuse à Dieu toute volonté, en lui refusant même l’existence, soit qu’avec les déistes elle admette la volonté créatrice, et rejette l’action conservatrice ou la Providence ; et pour expliquer la société, elle ne remonte pas plus haut que l’homme : car je fais grâce au lecteur de tout ce qu’elle a imaginé pour rendre raison de l’univers physique, et même de l’homme, sans recourir à un être intelligent supérieur à l’homme et à l’univers. (4) »
Ayant ôté Dieu de l’univers, la philosophie moderne est incapable de concevoir les devoirs de l’homme ; elle ne songe qu’au bonheur de l’homme, c’est-à-dire au fond à son plaisir. Or, « la fin du mariage n’est pas le bonheur des époux, si par bonheur on entend, comme dans une idylle, le plaisir du cœur et des sens, que l’homme amoureux de l’indépendance trouve bien plutôt dans des unions sans engagement. (5) »
Le mariage est un engagement, et de cet engagement naissent des devoirs. « L’homme, la femme, les enfants sont indissolublement unis, non parce que leur cœur doit leur faire un plaisir de cette union ; car que répondre à celui d’entre eux pour qui cette union est un supplice ? Mais parce qu’une loi naturelle leur en fait un devoir, et que la raison universelle, dont elle émane, a fondé la société sur une base moins fragile que les affections de l’homme. (6)»
Bonald se dit persuadé « que le divorce, décrété en France, ferait son malheur et celui de l’Europe, parce que la France a reçu de mille circonstances natives ou acquises le pouvoir de gouverner l’Europe par sa force et par ses lumières, et par conséquent le devoir de l’édifier par ses exemples (7) ».
La question du divorce « remue à elle seule toutes les questions fondamentales de la société sur le pouvoir et sur les devoirs (8) ». L’intention de Bonald est de « faire voir que de la dissolubilité du lien conjugal ou de son indissolubilité, dépend en France et partout le sort de la famille, de la religion et de l’État (9) ».
Le divorce, « faculté cruelle qui ôte toute autorité au père, toute dignité à la mère, toute protection à l’enfant, (10) » n’est pas seulement l’affaire des époux : c’est aussi l’affaire des enfants. « L’engagement conjugal est réellement formé entre trois personnes présentes ou représentées ; car le pouvoir public, qui précède la famille et qui lui survit, représente toujours, dans la famille, la personne absente, soit l’enfant avant sa naissance, soit le père après sa mort. »
Dans le divorce, les droits de l’enfant sont piétinés. « Le père et la mère qui font divorce, sont réellement deux forts qui s’arrangent pour dépouiller un faible ; et l’État qui y consent est complice de leur brigandage. (11) » Par le divorce, la femme devient une marchandise. « Si la dissolution du lien conjugal est permise, même pour cause d’adultère, toutes les femmes qui voudront divorcer se rendront coupables d’adultère. Les femmes seront une marchandise en circulation, et l’accusation d’adultère sera la monnaie courante et le moyen convenu de tous les échanges. (12) »
Cette prédiction n’est-elle pas réalisée sous nos yeux ?
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