L’homme poursuit deux bonheurs : le premier, naturel, procède de sa condition de créature rationnelle insérée dans la Cité ; il est ordonné au Bien commun temporel, sans lequel aucune perfection personnelle n’est possible. 

Le second, surnaturel, surgit de la Grâce et culmine dans la participation à la vie divine, où Dieu Lui-même se donne comme fin ultime.

Saint Thomas d’Aquin souligne que le bonheur naturel requiert des vertus humaines, soutenues par des institutions justes, afin que chacun participe au Bien commun général, non comme à une somme d’avantages privés, mais comme à une plénitude qui transcende toute individualité. 

Charles De Koninck, dans De la primauté du bien commun, qui fut sa réponse aux personnalistes communautaires, rappelle que l’homme ne peut atteindre sa propre perfection qu’à travers l’appartenance à cet ordre supérieur. 

Loin d’écraser la personne, le Bien commun l’élève et la dispose à accueillir des dons plus éminents. L’homme, marqué d’un désir infini, se découvre en son cœur une immensité que les seuls biens créés ne sauraient satisfaire. Ici s’ouvre alors l’ordre de la Grâce, celui de la participation à la vie trinitaire, gratuite et suréminente.

La béatitude surnaturelle ne nie ni ne détruit la nature, cependant. Elle l’assume et la surélève.

Ainsi, comme l’écrivait Simone Weil, « tout ce qui s’enracine dans l’ordre naturel prépare à la grâce » mais nul effort humain ne saurait franchir de lui-même ce seuil. Ce franchissement n’est possible que par le pur don gratuit de Dieu, quoi qu’en pensent les surnaturalistes de tous poils, à commencer par les glorioles de la revue Thomiste.

La différence entre ces deux bonheurs n’est pas une rivalité mais une hiérarchie de dignité. Le bonheur naturel, enraciné dans la justice et le Bien commun, demeure nécessaire et constitue une condition dispositive de la béatitude. Cependant, seul le bonheur surnaturel, don de Dieu, répond au désir de voir et d’aimer l’Absolu.

De Koninck souligne ici la continuité profonde entre ces deux destinations de l’homme : la Cité bien ordonnée dispose l’homme à recevoir le Royaume céleste. Comme le dit poétiquement Paul Valéry, « ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau » : nos réalités les plus terrestres seront transfigurées.

Mais d’ici là de grâce ! Politique d’abord !

Non pas « d’abord » au sens d’une primauté de dignité, mais de priorité !

Cette distinction est la mère de toutes les batailles et le socle doctrinal de tout compromis en vue de la construction du Parti des Politiques, pour bâtir l’arche franco-catholique, tâche que Maurras nous légua en forme de testament.

Sébastien Kerrero (Monsieur K)