Analysant le traité qui mit fin à la Première Guerre mondiale, Jacques Bainville fait une observation fondamentale. Si le traité de Versailles ‒ explique-t-il dans Les Conséquences politiques de la paix ‒ est un « mauvais traité », il l’est pour une raison essentielle, qui le met à part des conditions normales de la diplomatie. En contradiction avec les traités proprement politiques qu’avaient été ceux dits de Westphalie en 1648, et celui de Vienne en 1815, qui assurèrent de longues périodes de paix à l’Europe, le traité de 1919 est un traité « moral », premier exemple d’un genre devenu le plus commun de nos jours.

Et en quoi consiste cette nouveauté dont il est porteur ? « Remarquable par son imprévoyance », ‒ écrit notre historien ‒ ce traité ne tient aucun compte de la nature des choses, c’est-à-dire des grandes lois de l’équilibre des États. Désormais, l’équilibre qui s’établit, plus exactement qui vise à s’établir, c’est « l’équilibre irréel au lieu de l’équilibre réel » ; à des « lois physiques » sont opposées des « nuées » ; et ce sont de telles « nuées » qui animèrent en France les illusions pacifistes d’un Aristide Briand et conduisirent au déclenchement de la guerre suivante.

Il suffit de mettre en parallèle l’analyse serrée faite par Bainville des dispositions territoriales stupides édictées par le traité de Versailles, avec le pathos du discours de Nouvel An prononcé à l’Élysée en janvier 1927 par le nonce de Pie XI, pour comprendre à quel point on est alors sorti de la politique, à quel point lui a été substituée l’idéologie, et jusqu’où on s’est alors condamné à l’impuissance.

Quel enseignement pour notre temps d’absolu néant diplomatique, comme s’il fallait justifier une fois de plus, et par tous les chemins imaginables, la loi invariable énoncée par Maurras dès Kiel et Tanger ! C’est ainsi que, derrière le sous-titre La République française devant l’Europe, sont frappées les dures sentences de « l’inertie et (de) l’instabilité de la démocratie », de sa prétendue diplomatie comme « aventure d’un romantisme échevelé » et, radicalement, « escompteuse d’irréel ». Pesons bien ces derniers mots !

Perpétuellement insurgé contre la réalité, toujours tendu dans sa résistance aux contraintes qu’un minimum de souci d’efficacité devrait imposer à l’action politique, l’homme moderne se rue dans un volontarisme obsessionnel, par lequel il prétend toujours faire plier le réel à ses caprices idéologiques. Hubris, certes ! le seul péché irrémissible selon nos maîtres grecs. Mais à considérer aujourd’hui les prétentions à la diplomatie de la République macronarde, avec son ignorance de l’Histoire, sa méconnaissance de la géographie, tant physique qu’humaine, sa parfaite indifférence à ces grandes lois de l’équilibre des États, et d’ailleurs, son encyclopédique inculture, on pense plutôt à l’esprit d’une cour de récréation d’école primaire, où règne le pathos le plus puéril, dans lequel il n’y a que des gentils et des méchants : on dirait qu’on serait les gentils ! On joue les gentils contre les méchants, et c’est la crise de nerfs à la moindre entorse à la règle arbitraire qu’on s’est fixée ; au sommet de son caprice, on pleure et on trépigne de rage si quelque chose ne se passe pas comme on le veut. Règne du faire-semblant, le semblant de l’action, étant bien pire en politique que l’inaction, et dont il n’y a quel enfant qui puisse se satisfaire. « Où l’action conviendrait s’étale la phrase ». Mais la Cité n’est pas une cour de récréation.

Nous l’avons déjà fait observer ailleurs : « Malheur à la ville dont le prince est un enfant », mais malheur plus grand encore si c’est une puberté contrariée qui conduit les œuvres de ce triste prince !

Maurras, qui voyait juste et loin, ajoutait alors que « personne n’a le droit d’exposer la patrie pour un conte bleu », que sous prétexte de diplomatie, « la France républicaine (…) demeurera condamnée à des manœuvres gauches, énervantes et plus que dangereuses pour l’intégrité du pays et l’indépendance des habitants », et il concluait que « le démembrement est au bout » ; pour terminer sans ambiguïté, il annonçait que le régime républicain conduit inévitablement à « la disparition de la France ».

C’est ainsi que, sous nos yeux, un siècle et demi après Kiel et Tanger, le cahier des charges du régime républicain arrive à son terme, et l’action de l’actuel gouvernement le met si cruellement en pleine lumière qu’il n’y a guère qu’un mot en trois lettres pour qualifier aujourd’hui celui qui ne le remarque pas. Notre cahier des charges à nous est au contraire celui de la Renaissance !

Philippe Champion 

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