Jean-Luc Mélenchon est l’un des politiciens les plus arrivistes de la Cinquième République. Obscur rédacteur d’un journal local du Parti socialiste, il a grimpé tous les échelons de l’apparatchik modèle, non sans passer par le rocardisme, avant de se découvrir, une fois sénateur et propriétaire, des envies de tribun du peuple. Encore lui fallait-il trouver un peuple, puisque le peuple français avait depuis longtemps quitté une gauche qui, non contente de le tromper, l’avait abandonné. C’est alors qu’il se fit l’apôtre et le chantre de la nouvelle France, le petit Brésil créole à domicile. Tel est le premier des deux points sur lesquels il a raison, contre tout le camp républicain : sauf remigration massive, la France, telle que l’ont faite l’Histoire et la géographie, ses quarante rois, ses milliers d’évêques, ses peuples cousins soudés par la langue et la religion, son art de vivre, ses arts, ses armes, ses lois, n’existera bientôt plus ; elle a une durée de survie de moins d’un demi-siècle.

Sur tout le reste il a tort, gravement tort, complètement tort, tort en principe et en fait, tort jusqu’au trognon. Ses vues en politique étrangère sont sommaires quand elles ont quelque chose de juste ; elles sont plus souvent fausses et désastreuses. Sa façon de voir la société et l’économie est à la fois irréelle et démagogique ; ses propos et propositions sont dangereux. Même sa façon de diriger son parti est, à en croire ceux qui l’ont approché, catastrophique. Sans doute a-t-il acquis, à force, une certaine facilité d’orateur qui se remarque dans le désert d’aujourd’hui, mais cela ne remplace pas une idée juste ou une remarque utile : dans n’importe quel débat, il a tort.

Sauf quand il dénonce le chantage mafieux qu’exerce le système à travers les juges. Vous vous souvenez de cette séquence qui a fait le tour des réseaux sociaux, quand la police, après avoir perquisitionné chez lui, était venue perquisitionner au siège de La France insoumise. Il s’en était pris, en roulant des yeux et tordant la bouche, aux malheureux exécutants, en hurlant : « La République, c’est moi ! » Il était parfaitement ridicule, mais il avait parfaitement raison. Pas de gesticuler, ni de se poser en victime, ni d’affirmer que le procureur et les policiers violaient la loi. Mais de s’inquiéter d’un empiètement des juges sur la politique. Le parquet de Paris avait ouvert une enquête préliminaire sur les comptes de campagne de LFI et les conditions d’emploi des assistants des députés européens du parti mélenchoniste. Cette perquisition, toute légale qu’elle était, participait d’une intimidation des élus par le judiciaire. Il y a d’autres moyens d’obtenir des documents, d’une part. Et surtout, une fois qu’on admet par hypothèse l’élection au suffrage universel et le pouvoir des parlementaires, alors, dans le cas où le Parlement européen s’estime lésé par tel député ou tel parti, il peut traiter avec eux, sans faire du juge pénal français l’arbitre d’un litige privé : c’est une pression inadmissible sur l’indépendance des députés.

L’affaire vient de se répéter sous une autre forme, et, là encore, Jean-Luc Mélenchon a eu tort et raison. Une commission parlementaire vient de le convoquer le 2 décembre afin qu’il comparaisse devant elle pour s’expliquer sur les liens de LFI avec l’islamisme. Sur ces liens je n’ai aucune espèce d’information ni d’avis. Mais Manuel Bompard, le bras gauche du líder máximo français, a estimé que, cette commission ne comportant pas de membre d’extrême gauche, elle ne respecte « pas les règles » parlementaires et que « les insoumis ne doivent (donc) pas répondre à ses invitations ». Mais Jean-Luc Mélenchon, qui n’a malheureusement pas vu, dit-il, la convocation dans le fouillis de sa boîte aux lettres, propose une autre date. Il s’affirme « prêt à répondre à cette invitation bien que cette commission d’enquête ne respecte pas le règlement de l’Assemblée nationale » et bien qu’il ne soit plus député, ni responsable du mouvement, ni président du groupe parlementaire. C’est « en tant que coprésident de l’Institut La Boétie » qu’il se propose d’éclairer « la commission sur l’histoire de la pensée républicaine en matière de relations entre religion et politique ». Il a tort de penser, avec Bompard, que la commission parlementaire ne respecte pas les règles parlementaires, mais il a raison de se moquer de ses membres en affirmant son désir de profiter de l’occasion pour s’en faire une tribune gratuite et y vendre sa soupe.

Seulement, ce faisant, il annule le bon mouvement de 2018 contre l’usurpation des juges. La Chambre des députés, incapable de remplir son objet social, qui est de voter l’impôt, le budget et de produire quelques bonnes lois peu nombreuses, compense par un glissement vers le judiciaire qu’elle copie sur les États-Unis : ce sont des commissions d’enquête à tout va, pour un oui, pour un non, sur n’importe qui, chef d’entreprise ou candidat à la présidentielle. C’est la confusion totale : le législatif qui se fait juge et policier. Les robins qui veulent se faire aussi puissants que le roi, on a vu cela au XVIIIᵉ siècle, et ce fut catastrophique. Louis XV eut le bon sens de les renvoyer, son successeur le malheur de les rappeler, et ce fut la Révolution. Mélenchon a paru un moment s’opposer à leur prétention, mais c’était par simple intérêt tactique de démagogue révolutionnaire. Il aurait pu avoir exceptionnellement raison ; il a ordinairement tort.

                                                          Martin Peltier 

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