Réédition d'Autour de Jeanne d'Arc

Il faut s’imaginer l’état des forces morales de la nation en 1917 pour mesurer l’importance que peuvent avoir l’œuvre et la démarche d’un écrivain soucieux de leur porter secours. À cette date, en pleine guerre, chaque foyer français est privé d’un frère, d’un mari, d’un fils, tous mobilisés pour l’immense combat qui se joue pour la défense de la patrie. Nous connaissons la souffrance des Poilus, la rigueur de leur engagement, la dureté de leur quotidien et l’effroyable tension qui s’abat et dégrade leur énergie. Nous savons par exemple que beaucoup de ceux qui reviendront des tranchées n’en reviendront pas indemnes psychologiquement. Côté Poilus, c’est entendu : tout était terrible. Ce que l’on pense moins souvent à honorer de nos souvenirs, c’est la cruauté de l’épreuve imposée par la guerre aux épouses, aux parents, aux enfants restés dans les foyers. Ils vivaient dans la peur quotidienne de recevoir un jour le courrier qui leur annoncerait la mort du cher parent.

En 1917, Maurice Barrès convoque Jeanne d’Arc au chevet de la France

Alors les jeunes filles, les épouses, les familles, pour mieux s’associer à leur manière au combat mené là-bas par les hommes, avaient également besoin qu’on leur donne les nourritures morales et spirituelles indispensables pour soutenir une pareille épreuve. L’écrivain Maurice Barrès, très sensible aux puissances profondes, soucieux à la fois du sort des Poilus sur le front et de celui des épouses, a jugé nécessaire de convoquer, pour les renforcer tous d’un même mouvement, la figure précieuse, grandiose, historique, nationale et religieuse de Jeanne d’Arc. Il organise alors des rassemblements, des dépôts de gerbes, des discours, il aide à structurer les forces autour de Jeanne qui, cinq siècles plus tôt, a fait la démonstration que la France, dès qu’elle est défendue par l’ardeur de ses enfants, se sort forcément des situations qui paraissent insurmontables. Dans la presse, il multiplie les articles ; à la Chambre, il travaille à l’instauration d’une journée en souvenir de Jeanne d’Arc. Plusieurs fois, il se rend devant la statue de l’héroïne, entouré des jeunes filles de Paris, pour redire aux cœurs tristes qu’il ne faut pas l’être et pour prendre chez la grande Lorraine de l’énergie exemplaire pour la faire germer sur le sol déprimé d’une nation en guerre.

Une nation unie autour de ses héros

Dans Autour de Jeanne d’Arc, publié en 1917, il explique sa démarche, rappelle qu’une nation ne peut survivre que si elle rappelle à ses contemporains le souvenir grandiose de leurs ancêtres pour qu’ils s’en inspirent et reproduisent, à leur mesure, leurs exploits. Sans cet effort, le sol qui a besoin de la sueur des braves pour se cultiver sans cesse s’assèche et prend le risque de périr. Mais cet effort indispensable, l’écrivain le sait, ne peut être mené qu’à la condition d’être « énergisé » par des modèles, par des maîtres. En cette manière, Jeanne d’Arc apparaît comme la figure incontournable et incontestable. Le livre fournit aux lecteurs les méditations patriotiques de Maurice Barrès, écrivain à la fois intellectuel et sensible dont la plume, je le rappelle chaque fois, savait dire avec émotion des choses intelligentes et des choses intelligentes avec sensibilité. L’action de Barrès en 1917 a porté ses fruits en son temps ; et comme il a eu l’excellente idée de la consigner dans un livre, ce même livre aujourd’hui disponible peut également avoir un effet mobilisateur, réconfortant et inspirant pour le lecteur de 2023. Aux Français désolés de voir leur pays dans un état aussi déplorable, l’exemple de Jeanne d’Arc et la plume mobilisatrice de Maurice Barrès rappellent que ce n’est pas la première fois dans son histoire que la France prend des coups et qu’à chaque fois elle s’est relevée. Souvent, il ne faut pour amorcer ce relèvement qu’un homme, qu’une jeune femme, qu’un exemple, qu’une étincelle… !

Autour de Jeanne d’Arc : réédition de trois ouvrages majeurs de Barrès

L’ouvrage Autour de Jeanne d’Arc et autres textes réédité désormais agrège également deux autres écrits importants du grand écrivain, Les traits éternels de la France et La terre & les morts. Dans le premier texte, il prononce à leur sujet l’éloge que les officiers français et les soldats méritent qu’on leur adresse. Héritiers de traditions plusieurs fois centenaires, cœurs vaillants au feu, dignes représentants de la race des combattants, les officiers français, descendants de Bayard, largement sacrifiés pendant la Grande guerre, formaient alors une élite, presque une aristocratie du cœur et de l’attitude. Barrès leur rend un hommage d’autant plus mérité qu’ils paieront cher leur contribution à l’effort de guerre.

Enfin, La terre & les morts. Le 10 mars 1899, Maurice Barrès devait donner une conférence à La ligue de la patrie française sur le thème de l’enracinement, du patriotisme et du lien particulier qui unit les êtres à leurs ancêtres, lien qui les constitue en qualité de peuple. La conférence ne sera finalement pas donnée mais le texte a heureusement été conservé et il est intégré dans Autour de Jeanne d’Arc et autres textes, concentré barrésien pur jus que je m’honore de rééditer à La délégation des siècles.

Jonathan Sturel

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