Beaucoup reprochent à Emmanuel Macron son refus de débattre avec ses concurrents avant le premier tour. Ils méconnaissent ainsi et l’histoire et l’esprit de l’élection présidentielle au suffrage universel direct.
Le président sortant jouit de fait d’une sorte de légitimité, reflet abâtardi de la légitimité royale, et ne saurait sans abus être assimilé à ses concurrents, un peu comme le tenant de la coupe Davis, jadis, n’entrait en compétition que pour le challenge round.
Et puis le débat avec l’adversaire n’est pas constitutif de l’élection présidentielle, ni dans l’esprit de son fondateur, le général De Gaulle, ni dans la pratique de son premier successeur, Pompidou, pourtant moins altier. Sans doute a-t-on pris l’habitude, depuis l’élection de 1974 et l’affrontement Giscard/Mitterrand (« Vous n’avez pas le monopole du cœur ») de voir s’affronter au deuxième tour les deux premiers du premier tour : c’est qu’ils y ont acquis une légitimité et qu’on estime qu’ils portent deux projets suffisamment différents.
Mais les débats du premier tour sont une nouveauté de 2017 dont il n’a pas été démontré qu’ils fussent utiles d’une part, et qui font partie d’un caravansérail médiatique visant à donner au peuple le spectacle de la démocratie, l’illusion qu’il juge de son propre sort après avoir entendu les causes qu’on lui soumet. Comme en font aussi partie les primaires, contrefaçon de démocratie diamétralement opposée à l’intention affichée par De Gaulle de s’opposer au régime des partis et, pour le candidat, d’en appeler directement au vote populaire.
D’ailleurs, on n’a jamais su définir avec précision qui est admis à débattre et qui n’y est pas admis. Il semble que certains candidats soient plus invités que d’autres, en fonction des médias et des sondages, qui sont autant d’instruments d’influence de la ploutocratie et des sociétés de pensée faisant écran entre les candidats et les électeurs. Pour conclure, ces débats sont, du point de vue de l’observateur indépendant, extrêmement douteux. Nul n’est donc tenu de s’y soumettre. Emmanuel Macron, qui n’y a aucun intérêt, peut en toute tranquillité d’esprit s’y soustraire.
Bien sûr, il n’en va pas de même pour le deuxième tour. Les Français ont pris l’habitude du face-à-face entre les deux candidats restants, et il a un sens. Se défiler est une forfaiture signe de lâcheté. Un seul candidat l’a commise depuis cinquante ans, Jacques Chirac en 2002, contre Jean-Marie Le Pen, sous couleur de ne pas se commettre avec le fascisme. Prétexte facile et vain, d’ailleurs contraire aux engagements pris. Le soir du 21 avril 2002, Roselyne Bachelot, alors porte-parole du candidat Chirac, lançait à la télévision que le débat aurait « bien entendu » lieu, « la tradition républicaine » l’exigeant. Mais le président sortant se savait fragile. Et Roselyne faisait demi-tour le lendemain matin : « Jacques Chirac ne souhaite pas ce débat (…) Un candidat doit aussi faire ce qu’il veut ». En vain Jérôme Monod, Patrick Stéfanini et Antoine Rufenacht, directeur de campagne adjoint, pressèrent-ils leur poulain de respecter l’électeur et l’élection. En vain Rufenacht déclarait-il le 23 encore : « Le débat du deuxième tour fait partie de nos traditions démocratiques. Le chef de l’État n’a pas l’habitude de se dérober. » Chirac craignait de se faire démolir et eut le courage de fuir, sous le vertueux prétexte de lutter contre la Bête Immonde, transformant le deuxième tour de la présidentielle en Barnum antifa.
La tradition démocratique et républicaine n’engage que ceux qui en sont les victimes.
Martin Peltier