La déclaration, en son article 1, proclame : « Les hommes naissent libres et égaux. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Pour donner un sens cohérent à cet article, force nous est de faire violence au vocabulaire, car s’il est quelque chose qui différencie, c’est bien la naissance, qui fait les grands et les petits, les riches et les pauvres et, au sein de chacune de ces catégories, selon l’hérédité ou la combinaison génétique, les forts et les faibles, les surdoués comme les moins doués.
Parler d’égalité dans la naissance, c’est effacer la filiation, pour ne faire acception que de la génération, comme si nous étions davantage les fils de notre temps que les fils de nos pères, chaque nouvelle génération se voulant composée, non d’héritiers, mais de contemporains, en charge de refaire le monde sur la table rase du passé. La naissance ainsi récusée, c’est tradition, transmission, mémoire vive, qui sont emportées, puisque nous n’avons de raisons d’exister que le fait d’être nés en même temps. Ainsi a-t-on pu parler de “génération 68” ou encore de “génération Mitterrand”. Or une génération ne crée pas des frères, elle est constituée d’individus juxtaposés qui n’en finissent pas de chercher à déterminer ce qui pourrait les rassembler, le lien mécanique qui pourrait tenir ensemble tous ces orphelins. Dès lors, d’entrée de jeu, la fraternité est vide de substance, car on ne saurait être frères sans se réclamer d’un même père, le père naturel pour la famille, le père du peuple, c’est-à-dire le roi pour la nation, le Père des cieux pour l’humanité.
De quelle “fraternité” pouvait se recommander la République, elle qui niait le Père des cieux, mettait à mort le père du peuple et ébranlait l’autorité du père de famille ? On conçoit qu’elle se soit acharnée à détruire ces fraternités ouvrières qu’étaient les corporations et les compagnonnages, ces fraternités pieuses, enseignantes ou caritatives, qu’étaient les ordres religieux. La loi du 13 février 1790, abolissant les vœux religieux, et la loi Chapelier du 14 juin 1791, abolissant les corporations, tuaient cette fraternité que la République, proclamée l’année suivante, devait ériger en idole, c’est-à-dire en dieu mort.
Professeur Pierre Magnard