A peine au seuil, passage Choiseul, j’ouvris, je lus, je dévorai. La pluie, qui tombait à torrent, me permettait de m’attarder dans la longue galerie ou, pour mieux dire, dans le pays enchanté du livre nouveau. Plus il m’était nouveau, plus il me semblait m’appartenir en propre, car j’y retrouvais tout ce que je voulais. A distance, il faut appeler cet état d’esprit : l’enthousiasme. Enthousiasme très particulier, venu d’un mélange subtil des deux termes qui nous agitaient secrètement alors : le goût de l’ironie et l’ardeur de la poésie.
Charles Maurras, Maîtres et témoins de ma vie d’esprit. A propos de Sous l’œil des barbares
L’enthousiasme fut aussi cette sensation qui nous étreignit à la parution de cette nouvelle biographie de Maurice Barrès, sous la plume d’Emmanuel Godo, aux éditions Tallandier. Son auteur ne nous est nullement inconnu puisqu’il eut le mérite, parmi bien des publications, de signer déjà de belles biographies de quelques-uns de nos plus grands auteurs : Léon Bloy. Ecrivain légendaire (2017), Huysmans et l’évangile du réel (2007) ou encore Paul Claudel. La vie au risque de la joie (2005). Ce biographe, professeur de littérature, est également un écrivain de talent, ainsi qu’un poète : sa prose s’en ressent à notre plus grand bonheur.
Celui qui cherchera dans ce livre un manuel trop scolaire, accompagnée de son aridité coutumière en sera fort contrit ! Nous sommes ici face à une belle plume dont l’élégance à elle seule mériterait que nous nous arrêtions : « L’enfance réellement vécue, ce sont d’abord des sensations, des impressions inoubliables, une sorte de paradis sensoriel, que l’être emporte pour la vie comme un viatique ou plutôt un terreau, un sol sur lequel il fera son chemin, bâtira ses édifices intérieurs, son œuvre littéraire, politique, personnelle. Des scintillements dans le jardin, le parfum des œillets et des roses, la voix mi-rassurante, mi-inquiétante des parents et des grands-parents qui appellent l’enfant, l’odeur du miel pour le goûter, la répulsion immanquablement suscitée par la ration de pomme de terre et de carottes servie les Morel, au petit collège de Charmes, le jeu d’ombres sur la muraille les jours de plein soleil (…). » (p.20).
Emmanuel Godo ne lit pas la vie de Maurice Barrès à l’ombre de ce qu’il devint, aucune perspective téléologique ne gâte cette étude ; notre auteur s’efforce plutôt de montrer comment Barrès accoucha de lui-même, comment il vint à la vie tout au long de celle-ci !
Naquit-il Lorrain ? Oui et non, car il le devint tout autant qu’il en hérita. C’est pourquoi, nous n’avons pas ici affaire à une vie de Barrès, mais aux vies de celui-ci, c’est-à-dire à ses enfances, à ses adolescences, à ses vies d’adulte. Mêmement, et c’est tout à son honneur, Emmanuel Godo parvint à redonner toute sa place aux œuvres de cet immense écrivain ! Non seulement les livres de Barrès procèdent de sa pensée, mais sa pensée est induite de ses écrits, l’un entraîne l’autre, l’un et l’autre se créent en une spirale géniale qui aboutit à une sublime œuvre !
Quel plaisir de retracer lentement et bellement la vie de celui qui sut écrire Le culte du Moi et le Roman de l’énergie nationale, quel enchantement de se replonger dans les luttes politiques qui marquèrent au fer rouge notre histoire nationale, le boulangisme, l’Affaire Dreyfus, la Grande Guerre. Maurice Barrès y joua un rôle prépondérant. N’oublions pas l’admiration qu’avait pour lui la maître de Martigues :
L’auteur de l’Appel au soldat n’était spécialiste ni de l’économie, ni du fisc, ni de l’élection, ni de la diplomatie, mais il unissait à la réflexion tranquille, à la méditation opiniâtre et ferme, un sens aigu des choses, qui l’eût illuminé de force, et que son autorité, son amitié, son influence auraient imposé. Il était, pour user de son propre langage, le plus puissant intercesseur de l’esprit national auprès de l’esprit électoral et parlementaire.
Charles Maurras, Maîtres et témoins de ma vie d’esprit
Nous ne saurions trop conseiller aux jeunes générations de se replonger dans l’œuvre de ce grand écrivain, mais qui reste encore pour beaucoup un grand inconnu. Qu’à son école, nous sachions, comme Anthime des Lourdines qui dilapida le legs de ses ancêtres, à cause des malheurs que nous provoquèrent, nous ressaisir, et accepter l’héritage que nos aïeux nous léguèrent. Que nous sachions à nouveau marcher à leur côté vers l’avenir qui ne s’écrit jamais qu’avec nos morts sur notre terre.
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