L’Action Française : Marion Sigaut, vous êtes une des toutes premières adhérentes d’Amitié et Action Française. Vous avez participé à une grande partie de nos colloques, vous êtes spécialiste du XVIIIe siècle et avez publié quantité d’ouvrages sur la crise de l’Ancien régime. Où en êtes-vous de vos travaux ?
Depuis la publication de mon dernier livre, De L’amour et du crime : du sexe et des enfants en 2020 chez Sigest, je n’ai pas cessé mes recherches sur ce qui devait devenir Le Pain du peuple, un récit de ce qui fit sombrer la France catholique dans la barbarie libérale révolutionnaire. A chaque conférence à laquelle j’ai été conviée (ça n’arrête pas…), j’en profitais pour ajouter quelque chose à mes précédents travaux, jusqu’à être en possession d’un nombre impressionnant de données à présent classée et ordonnées. Il ne me reste plus qu’à rédiger.
Or je ne cesse d’être interrompue dans la réalisation de ce projet par quantité de sollicitations diverses.
Il y a bien sûr mon engagement en faveur de la protection des enfants contre la sexualisation et la pédophilie. Je suis sur ce chantier depuis près de trente ans, depuis que j’ai découvert avec horreur le sens du mot « pédophilie » et sa réalité dans notre environnement. Je me suis lancée avec passion dans l’analyse de toutes les données disponibles sur le sujet, et à chaque sollicitation je lâche tout pour m’y coller. Ça a donné des conférences un peu partout, mais ça repousse d’autant la rédaction du Pain du peuple.
Récemment j’ai également été sollicitée pour aller regarder ce que fut le procès de Gilles de Rais, la figure la plus atroce de pédocriminel de notre Histoire. Pour une simple vidéo en direct, il m’a fallu lire une thèse, deux ou trois livres, quantité d’articles, visionner des vidéos. On n’imagine pas la somme de travail qui se trouve derrière chacune de mes interventions. Ça repousse d’autant la conclusion de mes précédents travaux et la pile de ce que j’ai à faire s’épaissit de jour en jour.
Il y a quelque temps, je suis tombée sur une vidéo qu’on m’avait conseillée et qui annonçait avec fracas la fin prochaine du Nouvel Ordre mondial. Ce travail découpé en plusieurs épisodes assez longs, faisait un rappel historique des différents mouvements qui avaient porté, à travers les siècles, ce qui allait aboutir au monde d’aujourd’hui. J’ai froncé les sourcils à différentes reprises sur certaines allégations, mais comme je ne disposais pas des connaissances et des sources nécessaires pour vérifier, j’ai laissé couler.
Mais quand je suis tombée sur un épisode totalement délirant sur les jésuites, j’ai bondi. Trop, c’est trop. Il se trouve que j’avais, justement, accès aux références et aux sources nécessaires pour démonter ce discours totalement cinglé. J’ai tout lâché pour répondre.
Ça m’a pris des mois. J’ai fouillé dans mes notes, trouvé des références que je ne connaissais pas encore, lu encore quantité d’ouvrages et remonté à la source d’affirmations totalement inventées et diffamatoires dans des proportions ahurissantes. Quand il s’agit des jésuites, il semble que tout soit permis, aucune diffamation ne fait peur, aucune calomnie ne leur est épargnée.
Ça a donné une conférence, puis une deuxième, et enfin un projet de livre dont le plan est pratiquement prêt. Et de deux ! Par où commencer ?
Et à chaque fois que je me mets à l’ordinateur pour m’atteler à l’un ou l’autre de ces projets, une nouvelle demande de conférence m’interrompt et je lâche tout.
Sur la pression très amicale de gens en qui j’ai confiance, j’ai décidé de me lancer, dans l’écriture d’un troisième sujet, en fait celui qui est à l’origine de tout mon engagement et des deux précédents : celui de la défense des enfants.
Voilà des années que je sillonne la France et au-delà pour alerter sur l’horreur de la sexualisation des enfants et de la pédophilie, il est temps de mettre tout ça noir sur blanc et de sortir un livre.
Ça y est, je m’y suis enfin mise. Tant pis, provisoirement, pour le Pain du peuple et les jésuites, je retourne à mon premier sujet. J’y parlerai d’Histoire (je suis la seule à avoir remonté le fil des réseaux pédocriminels de l’Ancien régime jusqu’à nos jours) mais aussi de l’ahurissante infiltration de tous les recoins de notre société par le renversement des valeurs. J’essaye de faire un livre grand public clair, sourcé, documenté, qui démonte l’horreur de ce processus planétaire dont le but est la destruction de l’humanité.
Excusez du peu.
Je m’y inspire grandement des travaux magnifiques de la magnifique Judith Reisman qui, paradoxalement, est très méconnue en France. Bien que ses trois principaux ouvrages soient accessibles en français :
- Depuis 2016 pour Kinsey, la face obscure de la révolution sexuelle, Saint-Denis, éd. Kontre Kulture,
- 2017 pour La subversion sexuelle née des rapports Kinsey, Paris, Saint-Rémi,
- enfin 2020 pour la mise en ligne de son dernier travail sur La troïka diabolique Kinsey, Rockefeller et CIA .
Ce sont des livres savants très denses que peu de gens ont lus et qu’il convient de vulgariser, au sens noble du terme.
Je m’attelle donc à promouvoir sa pensée, son parcours et son combat, moi qui ai eu le privilège non seulement de la connaître mais d’avoir son amitié. Judith fut une des plus belles rencontres de ma vie, sa mort en 2021 m’a plongée dans un chagrin incommensurable. J’ai enquêté sur elle, sa famille, son parcours, ses aïeux, son œuvre. Je vous prépare une synthèse de ce qu’elle a apporté au monde. Elle fut de la race des géants.
L’Action Française : Parallèlement et de manière complémentaire à vos travaux historiques (La Marche rouge), vous n’avez jamais cessé de dénoncer la pédocriminalité. Parlez-nous de vos combats !
C’est parce que j’avais découvert la réalité pédocriminelle autour de chez moi dans l’Yonne, que je me suis lancée dans la recherche historique. Il m’a semblé, d’une part, que ceux que je dénoncerais ne viendraient pas me chercher noise (je plaisante, mais le sujet est particulièrement sensible et dangereux) mais également que l’aspect historique des choses était indispensable pour venir à bout du phénomène présent.
Il ne m’a pas échappé que la source de toutes ces horreurs semblait être, de façon récurrente, les services sociaux (et non l’Église comme on le répète bêtement, voilà bien longtemps que le phénomène y est à la marge). Mais d’où viennent ces services sociaux ? Qui les a créés ? Depuis quand sont-ils toxiques ? La Révolution a-t-elle changé quelque chose ?
En étudiant la façon dont la pauvreté a servi de prétexte à un gigantesque trafic d’enfants sous l’Ancien régime, j’ai compris que les choses continuaient de la même manière sous d’autres formes. A l’heure actuelle, des parents en difficulté se voient retirer leurs enfants sous des prétextes odieux, et jamais l’authentique bien-être de ces derniers n’est pris en compte. C’est une horreur. La famille, ce nid protecteur dans lequel le petit d’homme est en sécurité pour grandir, est mise à mal par des organisations transnationales qui sapent l’autorité parentale, traumatisent les enfants par une sexualisation criminelle, les dressent contre leurs parents. Aujourd’hui, les viols par tournantes se font dans les cours d’école maternelle, des enfants violent des enfants. Il paraît qu’il ne faut ni s’en étonner ni s’en formaliser. C’est monstrueux.
Il y a une source à cela. C’est à cette source que je m’efforce de remonter pour dénoncer, dénoncer et aider à trouver les moyens de résister.
L’Action Française : Pouvez-vous nous parler de Judith Reisman ?
Ma rencontre avec elle a été un tournant dans ma vie. Je sentais confusément que ma propre histoire devait avoir quelque chose à voir avec la révolution sexuelle qui m’est tombée sur la tête quand j’avais dix-huit ans. J’avais pris l’habitude de dire que j’avais sombré en mai 68, ce qui est vrai. Mais ça n’expliquait pas tout. Autour de moi, certains ont résisté, je n’ai pas su. En un tournemain, je suis devenue un jour une autre que ce que j’avais été jusqu’à cet instant T.
Je regardais un jour un film intitulé Kinsey’s paedophiles de l’Anglais Tim Tate, qui démonte avec beaucoup de précision ce que fut le phénomène Kinsey, et comment les mensonges de ce maniaque ont influencé le monde.
Je ne sais plus exactement comment ça s’est déclenché, mais je me souviens d’avoir vu, sur la vidéo, les regards affolés et terrifiés de jeunes enfants à qui on montrait des scènes sexuellement explicites qui les remplissaient d’horreur. Derrière eux, des adultes se repaissaient de plaisir de leur affolement, j’ai soudain tout lâché. J’ai eu l’impression que toute ma vie défilait sous ce nouveau prisme : j’avais abandonné, à 18 ans, les valeurs de mon enfance sous la pression d’une entreprise mondiale savamment orchestrée, organisée et relayée par des maniaques. Ma volonté n’avait rien eu à y voir. Je m’étais fait avoir, manipuler, tromper, et le regard prédateur et carnassier de Kinsey et ses sbires venait de réveiller des souvenirs enfouis. J’ai commencé à avoir le souffle court, à haleter, à geindre, à pleurer. J’ai lentement glissé de mon siège et je me suis retrouvée sur le sol à crier, à me tenir le plexus et à battre des pieds.
Ça a dû durer quelques minutes, pas plus.
Mais je venais de toucher quelque chose d’essentiel : moi aussi. Moi aussi j’ai été abusée. Par qui, quand, c’est ce que je ne dirai pas ici.
La suite de la vidéo fut déterminante : sur un plateau télé, une petite femme élégante faisait face à un aréopage de Messieurs qui semblaient se moquer d’elle. Elle défendait la morale, ils défendaient la liberté. C’était une réac, ils étaient le progrès. Sans se démonter, la petite dame a brandi le poing en leur direction. Et en pesant chaque mot qu’elle répéta plusieurs fois, elle leur dit que Kinsey avait utilisé des techniques orales et manuelles sur des centaines d’enfants pour leur déclencher des orgasmes.
Elle était fascinante. Son regard direct, son énergie, sa force, la bonté qui émanait d’elle, tout était magnifique dans cette sortie qui lui valut sarcasmes et sourires entendus. Judith ! Je venais de découvrir Judith Reisman.
Dès cet instant j’ai tout fait pour la rejoindre. Je lui ai écrit, nous avons correspondu, nous nous sommes rencontrées et tombées dans les bras l’une de l’autre. Nous nous sommes retrouvées en Croatie, elle est venue chez moi, je l’ai retrouvée au Québec. Dès que la relation s’est établie entre nous elle n’a cessé de s’approfondir. Je l’ai fait traduire et éditer chez Soral, puis les Éditions de Saint-Rémy ont pris le relais et j’ai préfacé ces deux ouvrages. Enfin j’ai réuni un pool de traducteurs bénévoles pour mettre à la disposition des francophones son ultime travail. Cela faisait quarante ans qu’elle se battait sans que l’édition française juge opportun de la relayer. Comme si le monde de la sexologie avait pu ignorer ses sorties tonitruantes et son combat émaillé de menaces et de campagnes diffamatoires.
Judith est morte en 2021, j’ai relu récemment son ultime message d’amitié et de confiance qui date de l’avant-veille du jour où elle s’est effondrée sur sa table de travail. Elle avait 85 ans. Ma Judith.
L’Action Française : Vous avez toujours défendu la dignité humaine, vous qui connaissez bien le sujet, que vous inspire la situation actuelle en terre sainte ?
C’est une épouvante. J’ai bien connu Gaza où je me suis rendue à différentes reprises. Avec l’Israélienne Arna Mer qui m’a fait connaître son amie de jeunesse la Palestinienne Mary Khass. Puis comme simple visiteuse venue faire un reportage. Comme envoyée ensuite du CCFD, à qui j’ai fourni un film sur le système alternatif de santé. C’est là que j’ai rencontré la directrice de l’hôpital Al Ahli, récemment bombardé. Cette femme admirable était chrétienne et elle était heureuse de m’assurer que, bien que célibataire (ce qui est rare dans la société palestinienne, d’autant que c’était une très belle femme), elle savait pouvoir compter sur le soutien de toutes les factions présentes à Gaza. J’ai voulu qu’elle précise : « même le Hamas » ? Avec un bon sourire, elle m’a répondu : « j’ai dit ‘toutes’. Absolument toutes ».
Enfin je m’y suis rendue comme invitée du Dr Fathi Arafat, frère de quelqu’un et créateur du Croissant rouge palestinien.
C’est avec ce dernier que je peux assurer avoir piqué des fous-rires, Fathi était d’une drôlerie irrésistible. Les dîners chez lui, où des médecins, des infirmières, des travailleurs de santé picoraient dans des assiettes de salades savantes et de morceaux de poulet aux herbes, étaient joyeux et détendus, on riait à gorge déployée. J’ai de très beaux souvenirs de Gaza, j’en parle dans mes différents ouvrages.
Oui j’ai bien connu Gaza. J’ai sillonné ce territoire du Nord au sud, rencontré des gens magnifiques de solidarité, de résilience, de bonté et aussi de rage rentrée. Je ne me souviens pas d’avoir réussi à y mettre les pieds dans fondre en larmes à un moment où un autre.
C’est surpeuplé, fait de bric et de broc. Lors des premiers bombardements en 2014 j’ai hurlé : comment peut-on bombarder un tel lieu ? C’est forcément faire des milliers de morts. Là ça dépasse l’entendement. C’est le bout du bout de l’horreur, c’est vraiment une entreprise d’extermination. Le froid, la pluie, les gravats, faim, la soif, la peur, la mort, tous les malheurs du monde sont concentrés dans ce bout de terrain qu’on peut embrasser d’un seul regard pour peu qu’on trouve une éminence. En son temps, il y avait à Khan Younes un grand bâtiment magnifique que Fathi Arafat avait fait ériger pour y loger un hôpital, un hôtel, un théâtre, un centre pour handicapés, une maison de retraite… Une merveille que j’ai vue sortir de terre et du sommet duquel on apercevait Tel Aviv au loin…
Le centre n’existe plus et Khan Younes n’est plus qu’un champ de ruines. Mon cœur saigne, c’est insoutenable.
Je connais les Palestiniens. Ils ne partiront pas. Ils mourront sur place mais ils ne partiront pas. Ils l’ont déjà fait, ils ne recommenceront pas. La solution consistant à leur proposer de s’installer dans des villes de tentes dans le Sinaï est aberrante, et on peut le comprendre facilement ; personne au monde n’accepterait ça. Vous en voulez une preuve ? La voici : que dirait-on si on proposait aux habitants de Tel-Aviv de quitter les lieux sous 48h parce qu’on va incessamment les bombarder, et qu’on leur proposait comme solution d’aller s’installer dans le Sinaï dans des campements de tentes sous l’égide de l’ONU ? Mmmh ?
J’ai longtemps cru à la solution de deux États, et je n’y crois plus depuis belle lurette. La seule solution est celle qui avait cours avant l’arrivée des sionistes, quand les juifs, les musulmans et les chrétiens étaient tous palestiniens et vivaient en paix. Ça a marché des siècles, ça remarchera si on le veut.
Si Dieu le veut !
B’ezrat Hashem !
In sha allah !
Bonjour excellent interview de marion sigaut