Avec le rituel solennel, intervenu le 8 mars dernier, du scellement dans sa loi fondamentale du droit à l’avortement, la République achève en France son cycle sanglant. Non pas que de nouvelles lois ou même de nouvelles « constitutionnalisations » ne puissent venir encore pour l’ensanglanter davantage ‒ et d’ailleurs, d’autres lois criminelles sont imminentes‒ mais il y a là un acte symbolique qui n’a pas besoin d’être dépassé.

 Car nous ne sommes pas qu’en présence de la fébrilité morbide d’un pouvoir toujours prodigue de sang français ; et il n’est pas suffisant d’invoquer le mythe implacable de notre Racine :

« Quelque crime toujours précède les grands crimes ;

Quiconque a pu franchir les bornes légitimes

Peut violer enfin les droits les plus sacrés ».

 Non ! l’acte républicain odieusement sanguinaire du 8 mars a une dimension fondatrice qui le rattache à l’événement historique par lequel s’ouvre le cycle de sang du « régime abject » qui s’est imposé à la France : le « meurtre du roi prêtre », selon l’expression d’Albert Camus, intervenu le 21 janvier 1793. « C’est un répugnant scandale ‒écrit-il‒ d’avoir présenté, comme un grand moment de notre histoire, l’assassinat public d’un homme faible et bon. Cet échafaud ne marque pas un sommet, il s’en faut. (…) Il symbolise la désacralisation de cette histoire et la désincarnation du Dieu Chrétien. (…) Ce n’est pas Capet qui meurt mais Louis de droit divin, et avec lui, d’une certaine manière, la Chrétienté temporelle ».

 Et ici, on pense invinciblement à René Girard, pour qui, histoire et légende confondues, toute culture ne peut s’établir que sur le vieux rite humain sacrificiel fondateur : originellement, le sacrifice sanglant destiné à se rendre les dieux favorables, ou, s’il s’agit du Dieu unique, le sacrifice suprême de l’innocent suprême, qui peut seul désarmer le courroux divin.

 Mais là ? Si Louis XVI est innocent, comme le Christ dont il est le représentant au temporel, combien innocentes aussi sont les millions de victimes que la République a décidé d’immoler sur l’autel de son culte propitiatoire inversé ; un sacrifice sanglant, certes, mais qui s’accomplit cette fois par la transgression des lois de la nature, lois divines par essence. Aussi est-ce bien à la mort voulue de cette « Chrétienté temporelle », avec toutes ses valeurs dont la monarchie française était l’image ici-bas, qu’il faut se référer pour lier entre eux les deux actes profanateurs de 1793 et de 2024.

 La consécration sacrilège de l’avortement comme l’une des « valeur de la République », joue un rôle identique à celui de l’exécution du roi, et témoigne tragiquement que la France est bien entrée dans une autre culture, que les Français sont devenus les sectateurs d’une autre religion ; le choix de la mort de l’homme le plus innocent qui soit, offert en sacrifice au nouveau dieu, comme expression suprême de ce qu’ils osent appeler la liberté de l’homme.

            Combien Maurras a raison de voir dans la démocratie le régime même de la démesure, cet hubris effrayant, le péché mortel et irrémissible selon l’antique sagesse humaine, dont le déferlement de liesse populaire à l’annonce de la canonisation du crime est une manifestation. Car si c’est l’homme qui est le maître de la vie et de la mort, comme c’est lui maintenant qui décide du bien et du mal, si ce n’est plus à la nature, c’est-à-dire aux lois de la création divine, maîtresse de vie et organisatrice de l’ordre, que la Cité se confie humblement, alors, tous les excès, toute les folies, tous les délires peuvent s’attribuer les privilèges de la sagesse. Age de chaos, et âge de tyrannie perversement compensatrice, comme on les voit s’installer sous nos yeux ! Mais en même temps âge d’espérance car la vie, serait-ce celle de l’éternité bienheureuse, est inéluctablement victorieuse de la mort.

Philippe Champion 

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