Philippe II dit Auguste (1165-1223) fut le septième roi de France de la dynastie des Capétiens directs. Fils du roi Louis VII (1120-1180) et de sa troisième épouse Adèle de Champagne (1140-1206), il reste l’un des monarques les plus admirés et des plus étudiés de notre Histoire, non pour ses aventures conjugales assez turbulentes, mais parce qu’il agrandit considérablement le pré carré de ses pères et parce qu’il donna à la France une administration remarquable. Réduit à l’Île-de-France au début de son règne, le territoire dont il hérita, prit, sous son impulsion, une ampleur saisissante, grâce à une politique fort habile et de nombreuses conquêtes militaires.

Dernier des Capétiens à avoir été sacré du vivant de son père, roi à quinze ans, Philippe II Auguste passa la plus grande partie de son règne à lutter, par la ruse et malgré une grande fragilité nerveuse, contre les Plantagenêt, lesquels régnaient sur l’Angleterre et sur une trop grande partie de nos provinces françaises : le comté d’Anjou, le comté du Maine, le duché de Normandie, le comté de Bretagne, le comté de Poitou et le duché d’Aquitaine. Le vieux roi d’Angleterre Henri II (1133-1189) avait raflé tout cela en épousant l’épouse répudiée de Louis VII, Aliénor d’Aquitaine (1122-1204). Puis, leurs fils, Henri Court Mantel (1155-1183), Richard Cœur de Lion (1157-1199), Jean Sans Terre (1166-1216), se querellant sans cesse entre eux, facilitèrent, tout en la compliquant, la tâche à Philippe-Auguste qui savait que, pour éviter l’écrasement de l’hexagone, il fallait tenir les Plantagenêt divisés… Il avait, dès son premier mariage, avec Isabelle de Hainaut, acquis en dot, l’Artois, Arras et Saint-Omer. Il lui restait à conquérir tout le reste du royaume de son père. 

Il commença, en 1173, par soutenir la révolte encouragée par leur mère, de Richard Cœur de Lion et de ses frères : Henri II le Jeune, Geoffroy et Jean Sans Terre, contre leur père, puis, après la mort de celui-ci, les intrigues de Jean Sans Terre contre Richard. Participant à la troisième croisade contre le sultan Saladin (1137-1193) avec Richard, Philippe, après la prise de Saint-Jean d’Acre, tomba malade de la suète. Il fut tout le temps en désaccord avec Richard, cet ami très équivoque, qu’il abandonna pour rentrer sans se presser en France et pour, profitant peut-être de son absence, lui reprendre ses possessions de ce côté-ci de la Manche. Il fut servi par Jean Sans Terre qui ratait tout ce qu’il entreprenait et trahit effrontément Richard, son frère aîné.

Philippe-Auguste, premier monarque d’Europe

C’est ainsi, par la ruse et la manipulation, que Philippe parvint à récupérer la Champagne, la Bretagne et l’Auvergne, et à y asseoir son pouvoir. Mais, en 1214, le royaume de France était gravement menacé, car Jean sans Terre, nouveau roi d’Angleterre, avait décidé de s’en emparer. Il avait réussi, dans sa  terrible vengeance, à monter, contre Philippe Auguste, une vaste coalition avec Renaud de Dammartin (1165-1227), comte de Boulogne, Guillaume Iercomte de Hollande, le fils cadet du roi du Portugal, Ferrand (1188-1233), comte de Flandre, Henri Ier duc de Brabant, Henri III, duc de Limbourg, Thiébaud 1er, duc de Lorraine, et surtout l’empereur Othon IV (1175-1218), fils de Mathilde d’Angleterre, donc neveu de Jean Sans Terre.

Pour Philippe-Auguste, dont les adversaires projetaient de partager tout l’héritage, il s’agissait de défendre le sort de la France. Après la messe célébrée le matin du 27 juillet, dans l’église de Bouvines, on dit qu’il aurait placé sa couronne sur l’autel en déclarant qu’elle restait offerte au plus digne d’engager la bataille. Se présentant devant ses guerriers il aurait dit : « Seigneurs, je ne suis qu’un homme, mais roi de France est cet homme. » Le mot d’ordre de ses adversaires était de courir sus à sa personne et de le frapper à mort. En fait, il allait être renversé de son cheval et sauvé de peu.

Cette journée où il fut contraint de mener bataille un dimanche par ses adversaires impies, le roi la voulut celle de tous les Français. Chevaliers, paysans à cheval, milices communales que, depuis longtemps, il encourageait et armait, tous ceux qui devaient construire ensemble la France dans  la paix étaient là. Pourquoi le roi courut-il, ce jour-là, tant de risques personnels ?  Comme l’écrivait le duc de Lévis-Mirepoix, « il fallait que sa poitrine parût physiquement le rempart de la France et que la dynastie partageât entièrement le risque du pays. Pour la première fois chez nous, tous ceux qui combattaient et tous ceux des villes et des campagnes qui attendaient des nouvelles communiaient dans la pensée du chef. »

Tandis qu’Othon, vaincu, abandonnait ses ornements impériaux et, bientôt, son empire sous un déguisement, que Renaud, comte de Boulogne, et Ferrand, comte de Flandre (« Ferrand bien enferré… »), étaient ramenés à Paris enchaînés, Philippe-Auguste, tête nue au soleil et au vent, parcourait la France à travers un chemin triomphal jonché d’herbes et de fleurs, bordé de visages heureux. Car c’était le 27 juillet, le temps des moissons ! Les bourgeois pour leur part, allèrent avec toute l’Université au-devant du roi et firent fête sans discontinuer durant sept jours et sept nuits… Et cette multitude de gens, d’écoliers, de prêtres !

La vraie joie française

image1.jpeg

Bouvines avait fait du roi le premier monarque d’Europe et le véritable continuateur de Charlemagne. La joie française fut plénière, sans la moindre arrière-pensée fratricide (puisque Philippe pardonna au comte Ferrand et que les captifs de Bouvines se libérèrent en versant quelques rançons). Les hymnes de triomphe, les danses des peuples, les sons harmonieux des instruments guerriers dans les églises, les solennels ornements des églises, les rues des villes et les chemins tendus d’herbes, de tapisseries et de branches d’arbres verts : tout cela crépitait, rutilait et éblouissait !… Les habitants de Paris, le clergé, le peuple allèrent au- devant du roi.  Une joie comme nous n’avons guère d’occasions de vivre sous la république !… 

De sa retraite-prison, Ingeburge de Danemark entendit le passage de l’armée de son mari et pria pour lui ; cette sainte femme savait qu’elle avait presque gagné la partie, puisque Philippe-Auguste allait la reprendre (sans toutefois  lui donner son lit !).

Le roi Jean Sans Terre (1166-1216), qui avait voulu ouvrir un nouveau front pour prendre la France en tenailles, fut vaincu à La Roche-aux-Moines, en Maine-et-Loire, le 2 juillet 1214, quelques heures avant Bouvines, par le prince Louis, héritier du trône de France. Il ne fut nullement acclamé quand il rentra en Angleterre. Ses sujets lui imposèrent laGrande Charte, moyen pour les habitants d’Outre-Manche de se protéger de rois trop souvent  importés de l’étranger ; ce fondement des libertés anglaises, Jean n’entendait point du tout le respecter, si bien qu’une partie d’entre eux, exaspérés, offrit la couronne anglaise à Louis de France, du droit de sa femme née d’une princesse anglaise.

En effet, Louis avait épousé, le 23 mai 1 200, Blanche de Castille (1188-1252), fille d’Alphonse VIII de Castille (1155-1214) et d’Aliénor d’Angleterre (1161-1214). Elle était donc la petite-fille d’Aliénor d’Aquitaine (1122-1204), cette diablesse qui allait vivre jusqu’à quatre-vingt-deux ans, conduire elle-même Blanche à Bordeaux et se réjouir de voir une de ses petites-filles épouser le prince héritier de France. Elle souhaitait vivement une nouvelle union du sang des Plantagenêt-Aquitaine et du sang des Capétiens. C’est ainsi que saint Louis allait descendre d’Aliénor et de ses deux maris successifs, Louis VII de France et Henri II d’Angleterre

Philippe-Auguste, au soir d’une vie toute donnée à la France, était bien décidé à terminer ses jours dans la sérénité et voulut rester neutre dans cette affaire du trône anglais. Louis entra solennellement dans Londres où il fut reçu en sauveur. Mais découragé, Jean présenta à la foule son fils, Henri, de dix ans, le futur Henri III (1207-1272) d’Angleterre, et le loyalisme dynastique fut réveillé par cette faiblesse innocente. Alors, Louis retourna à son véritable royaume et renonça sagement à cette entreprise démesurée.

Un règne de quarante-trois ans

Au cours de ses quarante-trois ans de règne, avec les moyens dont il disposait au départ, et ceux dont il se dota progressivement, Philippe-Auguste jeta les bases d’un véritable État, cerna et imposa le concept d’un pouvoir central. Il suscita également, par son autorité personnelle et par la fascination qu’il exerçait, un sens national, celui d’un intérêt commun. Sous son règne, traversé pourtant par bien des tumultes, la Doulce France commença à devenir une réalité ! Tous ceux qui, parmi les Grands, changeaient de parti à leur gré et tiraient profit de leurs trahisons, comprirent, alors, que leur temps était dépassé.

Philippe  décida très tôt de faire de Paris (quarante mille habitants) la capitale de la France. Pour assurer la sécurité, il fit bâtir des murailles au Nord et au Sud percées de six portes flanquées de tourelles. L’ensemble de ce rempart affectait la forme d’un cœur, avec, à l’intérieur, la puissante forteresse du Louvre et son donjon de 31 mètres.

L’université fut l’objet de tous les soins du roi : son ordonnance de 1200 équivalait à une reconnaissance légale : elle prescrivait que, désormais, les étudiants seraient assimilés aux clercs et, comme tels, relèveraient des tribunaux ecclésiastiques ; elle offrait à la corporation des étudiants et à leurs maîtres la possibilité de s’organiser eux-mêmes, ce qui fut le signe d’une impulsion nouvelle et d’un développement extraordinaire. Ne pas oublier que le siècle de Philippe Auguste fut celui d’un brusque essor dans le domaine des sciences et des lettres. Les travaux, commencés en 1163, de la façade et des tours de Notre-Dame de Paris, s’achevaient, et les étrangers pouvaient déjà admirer en pensée cette future cathédrale, trait d’union entre terre et ciel, vaisseau de prières, qui se mirait dans la Seine.

Philippe II Auguste ne fut pas seulement un rassembleur de terres françaises, mais il fut aussi un rassembleur de tous les éléments sociaux du pays, clergé, seigneurie, paysannerie, communes, soit dans le travail quotidien, soit dans l’affirmation de la nationalité devant l’Europe. Il n’inventa pas, mais il élargit et précisa en même temps, la pensée capétienne qui n’était point, comme on l’a trop dit, délibérément hostile aux libertés féodales, mais se mesurait à elles pour les contenir dans un juste rythme, comme un mouvement d’horlogerie, les coordonner, les faire concourir à l’unité dans la variété.

Enfin, il sut garder, comme disait le duc de Lévis Mirepoix, « sans rompre son élan royal, ce qui fait l’autorité durable, la mesure dans la grandeur »!

Michel FROMENTOUX

N'hésitez pas à partager nos articles !