Dans le cadre des Jeux Olympiques de Paris 2024 il paraît intéressant de se replonger dans l’origine de cet événement sportif en suivant Maurras qui a réalisé un reportage important en avril 1896. Cette année-là ont eu lieu les premiers Jeux Olympiques modernes, restaurés à l’instigation d’un aristocrate libéral et admirateur de l’éducation anglaise, Pierre de Coubertin (avec qui Maurras eut l’occasion d’échanger courtoisement des points de vue de plus en plus opposés).

Jeune journaliste –il était alors âgé de vingt-huit ans-Maurras fut en effet envoyé en Grèce par Gustave Janicot,directeur du quotidien La Gazette de France pour couvrir les Jeux. Dans une série d’articles envoyés à son journal il décrit son voyage, sa découverte de la Grèce, puis les réflexions que lui inspirent les Jeux . Sur le fond, l’aspect sportif, prétexte du voyage, a été finalement éclipsé par  la découverte de la  Grèce et par quelques réflexions sur la confrontation des peuples. 

Cet ensemble de lettres a été publié au fur et à mesure de leur réception dans le quotidien de Janicot, en 1896.  L’ensemble a été complété dès 1896, dans la Gazette, par une étude sur la ville moderne d’Athènes. Par la suite,Maurras, s’aidant notamment de son journal de voyage, a repris et retravaillé ses Lettres pour en faire une partie d’d’Anthinéa, ouvrage paru en 1901 où il revient longuement sur son voyage en Grèce, et en particulier sa découverte d’Athènes, avant de parler de la Toscane et de la Provence(et enfin une simple annexe). Ainsi, dans la version définitive, la cinquième lettre a–t elle été prolongée par une défense de la royauté grecque contre les attirances républicaines, et la sixième par des considérations sur l’Ecole française d’Athènes.

En 2004, les éditions Garnier-Flammarion ont eu la bonne idée de rééditer ces Lettres des Jeux Olympiques comme un ouvrage indépendant. Le travail de l’auteur de la réédition, Monsieur Axel Tisserand, est en tous pointsremarquable. Outre les lettres elles-mêmes, dans leur forme définitive de 1901, éclairées par des introductions substantielles et des notes savantes, il a également réédité ces documents dans leur forme initiale, plus spontanée, que nous avons principalement utilisée. Ce volume, petit par la taille, est un modèle  de méthode et peut-être considéré comme définitif. Dans ces conditions, le présent article a pour seule ambition de permettre au lecteur de découvrir l’oeuvre et si possible d’inciter à la lire.  

Il y a eu six lettres adressées depuis le bateau et la Grèce Nous les résumerons rapidement. 

Dans la première lettre Maurras parle de son voyage etde la croisière en mer qu’il savoure. Il compare le bateau à un « couvent laïque et flottant »,  parce qu’il oblige à être « tout entier à soi-même. » Trait caractéristique de sa pensée, il rejette l’indéfini. Pour lui, qui rêvait d’être marin avant la survenance de sa surdité pendant l’adolescence,  la mer n’est pas une matière informe. Il souligne par exemple que « rien n’est plus fini que la mer. La séparation d’un ciel pâle d’avec cette mer plus foncée donne… la pensée de la plus exacte des figures géométriques qui est, sans doute, le cercle. » Chez Maurras, en effet, ce trait est essentiel. Il n’aime pas l’indétermination et la confusion. aussi bien en littérature qu’en politique.

Maurras ne dissimule pas son bonheur d’effectuer ce voyage : « Passées les bouches de Bonifacio, nous sommes entrés pleinement dans le cœur du monde classique, patrimoine du genre humain. » La première lettre retrace la vision des Lipari, où il s’intéresse davantage à l’île Panariaqu’au volcan Stromboli, puis, Homère en main, la traversée, au sud de l’Italie, de la dangereuse « mer Ionienne. » Au matin suivant, le journaliste constate que le navire a quasiment fait le tour du Péloponnèse pendant la nuit ;

La deuxième lettre annonce le retour à terre avec l’arrivée au Pirée et l’approche de la merveille, l’Acropole d’Athènes et son Parthénon, dont il fait le tour sans encore oser y entrer. C’est aussi un premier contact avec les Jeux. Maurras fait connaissance avec le Stade et voit s’opposer des athlètes grecs et allemands il signale aussi l’affluence dans la ville et dit qu’à  ce moment Athènes ressemble assez bien à Capharnaüm. 

La troisième lettre présente le Stade moderne inachevé, censé reproduire le stade antique et pouvant contenirquatre-vingt mille spectateurs lors des épreuves. Maurras parle du roi de Grèce et de sa famille et escompte que cesprinces, souvent d’origine germanique, seront vite hellénisés. Il termine par une note plaisante en regrettant pour des raisons d’esthétique l’abondance des chapeaux noirs chez les spectateurs.

La quatrième lettre commence par des considérations générales qui ne manquent pas d’actualité. Malgré les remontrances de Coubertin, Maurras dit les réserves que lui inspire cette nouvelle « internationale du sport. » Il dit que là où il existait une Grèce il n’y a pas, ou il n’y a plus,d’Europe. Par ailleurs Maurras déplore que les grands bénéficiaires de ce cosmopolitisme soient les Anglo-Saxons dont la langue, se propageant à travers le vocabulaire du sport, infeste la planète. Le contact de la réalité des épreuves n’a pas modifié ces appréciations de départ, mais les a complétées. D’une part les doutes sur le cosmopolitisme ont été renforcés Se référant à Paul Bourget, Maurras affirme que « quand plusieurs races distinctes sont mises en présence, obligées à se fréquenter, bien loin de s’unir par la sympathie, elles se détestent et se combattent au fur et à mesure qu’elles croient se connaître mieux. » D’autre  part il observe que les Jeux ont l’avantage de mettre à jour la prépondérance anglo-saxonne, qui s’est jusque-là avancée masquée, ce qui devrait permettre aux peuples latins de s’en défendre.

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Maurras relate ensuite quelques épreuves. Il décrit l’ivresse joyeuse des Grecs lors de l’épreuve du marathon. Les sept premiers étaient grecs (et le huitième français). La joie populaire qui entoure le jeune vainqueur lui plaît et lui rappelle l’ambiance de Martigues ou des arènes d’Arles. Il passe rapidement sur les épreuves d’athlétisme et cite  les épreuves de lutte qui ont opposé un Grec et un Danois puis un Allemand et un Anglais. Il relève à cette occasion que le nationalisme n’est pas le monopole des plus vieux peuples et que les Américains se montrent particulièrement attachés à leur drapeau. Il conclut en disant « on le voit les patries ne sont pas encore détruites. La guerre non plus n’est pas morte. Jadis les peuples se fréquentaient par ambassadeurs…Maintenant les peuples se vont fréquenter directement, s’injurier de bouche-à-bouche La vapeur qui les a rapprochés ne fera que rendre plus facile les incidents internationaux. »  

La cinquième lettre commence par une dénégation :Maurras dit qu’on lui avait promis des déceptions et qu’il n’est pas déçu. Il annonce aussi la clôture imminente des jeux. Commençant par faire l’éloge de « notre antique Athènes, notre Athènes éternelle» il dit espérer pouvoir conduire ses lecteurs « au pied du Parthénon ou parmi les stèles dorées du Céramique. » En attendant la clôture des Jeux, il fournit quelques témoignages sur des choses vues dans les petits bourgs grecs, leur activité commerciale et maritime et leur agitation qui lui fait penser à sa Provence. Il revient sur le jeune vainqueur du marathon et sa popularité et s appesantit sur un fait divers amusant : une jeune demoiselle de la bourgeoisie athénienne avait fait vœu d’épouser le vainqueur de l’ épreuve, à condition qu’il soit grec. Au vu des candidats, elle pouvait espérer s’unir à un homme de bonne condition ; mais elle se trouve finalement confrontée à un « mauvais petit paysan. »Maurras termine son courrier en parlant de la nouvelle de la mort, en France, de Charilaüs Tricoupis, un politicien grec qui, ayant voulu développer rapidement son pays ; à crééun déficit considérable et entraîné une banqueroute. Dans la version définitive, le passage est plus développé et amène à la critique des politiciens et du régime des partis ; 

La sixième lettre est relative à la clôture des Jeux Olympiques. Après quelques considérations sur la pluie qui a causé un changement de date, sur l’attitude du roi et sur les rameaux d’olivier et les lauriers distribués par le monarque, Maurras met le vainqueur du marathon, un peu ivre de son triomphe, en garde contre l’excès, en lui rappelant le sort d’Aristide et de Socrate. Malgré tout, il lui accorde la préférence face aux « athlètes barbares, Anglais, Germains, surtout Yankees. » Enfin l’auteur se fait l’écho d’une proposition faite à l’époque de fixer les Jeux à Athènes (idée qui n’a, nous semble-t-il, pas perdu de son intérêt). Il observe enfin que cette « solennité d’origine cosmopolite » est  devenue « le champ de bataille de nos nationalités, des races et des langues» et termine en regrettant la faiblesse de la représentation française.

L’on peut trouver quelques vues politiques dans ces lettres. L’on sent poindre l’intérêt de Maurras pour le royalisme, par exemple à travers la sympathie qu’il exprime pour la royauté grecque. L’on sait que c’est en Grèce qu’il aurait conclu en faveur de la monarchie en constatant la puissance des nations qui bénéficiaient de ce régime. Mais surtout, l’ enseignement le plus net contenudans les Lettres contredit les espoirs de Pierre de Coubertin : les Jeux nouveaux révèlent et renforcent l’affirmation des nationalités concurrentes et l’affrontement des nations. Et cela est toujours vrai. En filigrane, quelques autres thèmes de la pensée maurrassienne affleurent : l’admiration pour l’Antiquité classique, l’amour de la Grèce antique et la méfiance à l’égard des Allemands, etplus encore à celui les Anglo-Saxons (la France a, à cette époque, été confrontée à l’impérialisme britannique ; l’incident de Fachoda aura lieu en 1898 et l’Entente cordiale ne sera conclue qu’en 1904). Enfin l’on relèvera que la sympathie affichée pour la Grèce moderne, nation redevenue indépendante au XIXe siècle, suffit à prouver que le nationalisme maurrassien s’accommode très bien de l’amitié pour d’autres peuples. Ce qui est rejeté, c’est le cosmopolitisme, le « mélange » qui broie les identités légitimes.

Franck Bouscau

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