Avec Les Monstres, Dino Risi donnait en 1963, aux excentricités significatives de la société des trente glorieuses vert-blanc-rouge, le visage burlesque de Vittorio Gassmann et Ugo Tognazzi. En 1977, il accentua le trait, aidé de Scola, Monicelli, Ornella Muti et Alberto Sordi dans Les nouveaux monstres. Il creusait ainsi, à l’italienne, l’étymologie du mot monstre : sous le rire, l’excessif, le laid, le caricatural, le maladif, le grimaçant, l’inquiétant, l’anormal, est un signe, qui nous renseigne sur une vérité, en nous et au-dessus de nous. C’est ce que rappellent aussi nos faits divers, c’est pourquoi ils retiennent tant l’attention. On s’est écharpé et l’on continue de le faire autour de Pierre Palmade. Tuer un bébé dans le ventre de sa mère alors qu’on est saoul, sous drogue, et à la recherche de nouvelle drogue pour continuer une orgie homosexuelle dont la drogue est un élément déterminant, n’est pas défendable, le coupable en convient. Cela dit, que nous montre cette monstruosité ? Rien, ou presque : une société complètement noyée sous sa médiocrité et sa lâcheté. Car tout cela était toléré sous divers noms, liberté individuelle, plaisir, progrès, tant qu’il n’y avait pas mort d’homme. Ce fut même activement promu dans les années soixante-dix par une foule d’individus et d’associations qui se sont refait depuis une virginité morale.

Comme le café et le saucisson en temps de disette, ce qui touche au sexe occupe beaucoup de place dans les cerveaux des êtres humains de l’ère post-moderne. Les féministes et les LGBTQIA+ le savent et s’en servent, en particulier depuis 2017, l’affaire Weinstein et Metoo. Tout ce qui fait le buzz est bon pour monter à l’assaut du patriarcat et du mâle blanc, réputés responsables de tout ce qui va mal en la matière. Gérard Depardieu et l’abbé Pierre en ont fait les frais. Cela participe d’un spectacle de casse-boîtes où l’on doit dégommer un maximum d’idoles, qu’elles figurent des saints politiques ou des héros de cinéma. Beaucoup plus intéressant et révélateur de notre monstruosité est le procès des viols de Mazan.

De la première des victimes présumées (il n’est pas établi que ses fille, belle fille et petit-fils soient restés indemnes), Gisèle Pélicot, il n’y a rien d’autre à faire qu’à la plaindre, en déplorant qu’elle ait refusé le huis-clos, amenant ainsi, pour un illusoire bénéfice politique, un surcroît de malheur sur sa famille. Le bénéfice politique espéré est le suivant : informer vraiment le public, lui mettre sous les yeux, lui faire toucher du doigt, en somme lui faire ressentir et comprendre vraiment, en quoi les faits sont monstrueux et significatifs. Cette intention en soi n’est pas mauvaise, même si elle suppose des révélations et des images souvent répugnantes, sans exclure un certain voyeurisme. Mais là où cela devient vraiment moche et contre-productif, c’est quand la victime et les associations qui la soutiennent se trompent (volontairement) d’analyse et transforment le procès des viols de Mazan en le contraire de ce qu’il est.

Premier contre-sens, le procès de l’ancien mari Dominique Pélicot et des 51 individus qui sont venus l’aider pendant dix ans à déshonorer son épouse serait celui de “Monsieur tout le monde”. Cela a été écrit et répété, et veut dire que le monstre post-moderne a changé de face : ce n’est ni Jack l’éventreur ni l’immigré qui rafle par dizaines les jeunes Allemandes la nuit de la Saint-Sylvestre. Le nouveau monstre, ce serait vous et moi, l’époux, le père, le frère, le fils. Eh bien, c’est un premier mensonge, et grave, et fondateur. 23 des 51 accusés ont été condamnés par la justice, et il suffit de consulter la fiche Wikipédia du sieur Pélicot pour constater que ce n’est pas Monsieur tout le monde. On juge ici des malades et des repris de justice, nullement représentatifs du Français moyen.

Le deuxième contre-sens est lié au premier. Si l’on prétendait faire le procès de Monsieur tout le monde, c’est pour mieux faire dans la foulée celui du “patriarcat” et de la “culture du viol” pour laquelle notre société aurait censément toutes les faiblesses. La défense de Dominique Pélicot se résume d’ailleurs à dire que tous ses co-accusés savaient qu’ils allaient perpétrer un viol, afin de dégager sa propre responsabilité (il a eu le culot d’évaluer le partage des torts, comme si on lui demandait quelque chose, à 60 %- 40 %) d’une part, et de l’autre de satisfaire ceux qui instrumentalisent l’affaire, afin d’en tirer quelque indulgence. Or, bien que le président ait mené les débats comme s’il ne fallait pas élucider les faits, on voit bien, au détour d’un interrogatoire que c’est une fausse piste. Le dossier « ma fille à poil », les vidéos des belles-filles nues, la proposition de “jouer au docteur” avec un petit-fils, les photos et vidéos osées de Gisèle réveillée, tout cela montre un pervers sans frontières et suggère tout autre chose que le patriarcat ou la culture du viol : un dérèglement général où le “narratif du film porno” et les « soirées libertines » semblent le plus important. Disons les choses simplement : le procès des viols de Mazan est en fait le procès de la chienlit d’après 68, enfant banal et atroce du péché et de la sottise. Voilà ce que montrent de notre société nos nouveaux monstres, Dominique Pélicot et ses « invités ».

Martin Peltier

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