Il y a une ressemblance frappante entre la monnaie et le langage, l’une et l’autre sont constitués de signes. Les signes sont là pour se substituer à un objet, une personne, une idée ou un phénomène absents, ils sont là pour autre chose, en remplacement de, mais surtout en représentation de. Le signe figure l’absent. Ce sont des signes émis destinés à l’échange.

Le signe figure, il est donc image de, à la ressemblance de, mais ne partage pas la nature de ce qu’il figure. Pourtant, le signe ne se contente pas de substituer, il veut dire quelque chose, il est une volonté. Il répond à la question : qu’est-ce ça veut dire? Et la réponse est simple, il veut dire ce qu’il remplace, il désigne autre chose que lui-même. En ce sens, il est bijectif, chaque signe, pour valoir quelque chose, pour remplacer utilement ce qu’il désigne, doit correspondre à une réalité et une seule. Chaque chose à son signe et chaque signe ne désigne qu’une chose.

Mais le signe ne se confond pas avec la chose, le mot n’est pas le réel – sauf à être nominaliste – et c’est là que le bât blesse. 

En effet, la monnaie comme le langage souffrent de maux propres aux signes et à toutes représentations, agissant pour la chose mais n’étant pas elle, ils risquent tous deux l’écueil de se multiplier, leur nature même étant la reproductibilité puisqu’ils sont là pour être à la place de, pour éviter, précisément, de mobiliser la chose qu’ils évoquent et substituent.

La tentation est grande alors, manquant de la chose elle-même, de vouloir pallier son déficit ou son absence par sa surreprésentation. L’artifice peut bien fonctionner un temps mais, à terme, la supercherie sera dévoilée : le signe ne remplace pas la chose in fine.

Mais la surabondance de signes les dévalue mécaniquement, je ne peux prétendre être à la place de partout et en même temps sauf à falsifier ma propre qualité d’émissaire. 

La conséquence est identique pour les deux, l’inflation de signes monétaires, d’argent, et de signes langagiers, de mots, de paroles, conduit à leur dévaluation.

L’inflation monétaire n’est autre que l’enflure de la masse d’argent qui ne correspond plus à la richesse, c’est la fameuse planche à billet ; faute d’or réel, imprimons des billets, mais le billet n’est pas de l’argent, il n’en est que le représentant.

De la même manière, les mots, utilisés à l’excès,sans contrepartie réelle, c’est-à-dire sansréalisation de la promesse qu’ils sous-tendent ne veulent littéralement plus rien dire, ils ne disent plus rien. Alors, on se paie de mots. Nous le constatons tous les jours dans le domaine politico-médiatique qui ne veut plus rien dire, où les mots creux succèdent aux analyses fades, répétées. Les slogans perdent tout sens exactement comme nous répétons un même mot longtemps et que nous ne savons plus ce que nous disons.

Or, la dévaluation est cette perte de valeur, et cette valeur est essentiellement conventionnelle et constitue le fondement de la vie sociale puisque celle-ci consiste principalement en l’échange de signes.

La perte de valeur entraîne une crispation puisque l’ensemble social ne tient plus naturellement par l’échange de signes recevables. Cette crispation se traduit par un forçage de l’acceptabilité des signes par trafic des prix ou des mots – prix forcés, slogans, politiquement correct par exemple. Ce forçage nécessite un appareil, un ensemble de gens intéressées au maintien du système qui les rémunère avec les signes dévalués mais dont ils contraignent l’acceptabilité de la valeur qui, en soi, n’est plus recevable.

C’est la corruption généralisée qui aboutit, in fine, à la rupture du pacte social après sa ruine.

La question se pose alors : qui émet cette fausse monnaie et cette fausse parole qui détruit la cité et pourquoi?

                                                       Jean Revillon

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