
20000 pèlerins s’apprêtent à marcher sur les chemins de Beauce à l’occasion du traditionnel pèlerinage organisé par Notre-Dame de Chrétienté. Le thème de cette année « Pour qu’Il règne » est celui du Christ-Roi.
L’Action Française, injustement condamnée (1926-1939) par ceux qui ont confondu politique et morale revient sur cette doctrine du Christ-Roi, à travers une série d’articles de feu Gérard Bedel. Nous commencerons par un survol de la vie du cardinal Pie. Nous verrons à quoi s’oppose l’idée de règne social du Christ-Roi et ce que ce règne n’est pas. Nous exposerons enfin ce qu’est le règne du Christ-Roi d’après le cardinal Pie *
Le cardinal Pie

Né à Pontgouin, dans le diocèse de Chartes, en 1815 dans un milieu très humble, fils du cordonnier du village, Edouard Pie fut remarqué dès son enfance pour son intelligence et sa piété par des prêtres qui lui permirent de poursuivre des études alors qu’il perdait son père à l’âge de 6 ans.
L’évêque chargea sa mère de distribuer les aumônes de l’évêché : « Ainsi en était-il sous le toit épiscopal de Naziance ». Mais Nonna, la mère de saint Grégoire était de famille aisée ; veuve, Madame Pie fit des ménages et des lessives pour nourrir les siens.
Maurice de Sully fils d’un bûcheron de Sully-sur-Loiredont la femme fabriquait des balais, deviendra évêque de Paris et entreprit de remplacer l’ancienne cathédrale Saint-Etienne, vétuste et devenue trop petite, par un nouveau sanctuaire consacré à Notre-Dame. C’était au XIIe siècle. Louis VII demanda à Mgr de Sully de baptiser son fils qui deviendra le roi Philippe Auguste.
Rejetons donc l’idée d’un épiscopat réservé autrefois à certaines classes sociales.
Après le petit séminaire, la philosophie au séminaire d’Issy et la théologie à Saint Sulpice.
Il sera ordonné dans la cathédrale de Chartes le 25 mai 1639.
Vicaire, il est chargé des pauvres, mais aussi des riches sur la recommandation de l’abbé Lecomte, curé de la cathédrale, son père spirituel. Pourquoi exclure les riches ? L’abbé Pie est à l’aise dans tous les milieux.
Dès 1840 son évêque le charge des sermons de carême et son talent éclate en 1844 dans un panégyrique de Jeanne d’Arc à Orléans.
Au matin du 16 mars 1841 un bénédictin de passage demande à dire sa messe dans la cathédrale de Chartres et l’abbé Pie reconnait bientôt Dom Guéranger qui a fait paraître l’année précédente le premier volume des Institutions liturgiques. Les deux hommes nouent immédiatement des liens d’amitié car ils sont tous deux animés du même désir de restauration de la liturgie romaine malmenée en France depuis le XVIIIe siècle par le gallicanisme janséniste qui introduisit un véritable désordre liturgique dans les diocèses. Rien à voir avec les rites anciens et traditionnels comme le rite lyonnais, l’ambrosien, le mozarabe, le cartusien, le dominicain. Dom Guéranger et Mgr Pie se soutinrent mutuellement jusqu’à la mort du grand bénédictin en 1875. Il avait restauré en France en 1837, avec l’approbation de Grégoire XVI l’ordre bénédictin supprimé par la Révolution. Sa cause de béatification a été introduite en 2005 par l’évêque du Mans.
L’abbé Pie fut ultramontain dès le séminaire sous l’influence de l’abbé Lecomte, grand lecteur de Joseph de Maistre.
Il devint vicaire général du diocèse en janvier 1845 à moins de 30 ans.
Il fallait donc que son évêque l’estimât particulièrement parce que Mgr Clausel de Montals, personnage haut en couleur, qui avait été l’aumônier de Madame la Dauphine, duchesse d’Angoulême, avant d’être nommé évêque de Chartres, était gallican. Gallican modéré, à la mode de l’Ancienne France du concordat de Bologne de 1516 (François Ier et Léon X). On vivait alors sous le concordat de 1801, avec les articles organiques imposés par Bonaparte et qui accordaient à l’État une surveillance des diocèses et des paroisses. Louis XVIII voulait restaurer le concordat de François 1er mais l’opposition fut trop forte.
En août 1845, le vicaire général de trente ans, en complète possession de ses moyens intellectuels et oratoires, est remarqué par la presse lors de la bénédiction du viaduc de Maintenon, près de Chartres. On est dans les débuts du chemin de fer et l’abbé Pie met en garde contre les séductions dangereuses du progrès matériel : « La prospérité matérielle d’un peuple ne fournit pas à elle seule les conditions de sa gloire. Et faut-il refuser toute sagesse à ceux qui craignent que le même moteur qui accélère les communications commerciales ne donne des ailes à la corruption, et que la facilité du déplacement et du transport n’enfante ce mal inquiet dont parle l’Écriture, ne finisse par altérer l’esprit de cité, dissoudre les liens de famille et de patrie, en dehors desquels il ne reste plus que l’humeur nomade et vagabonde, et l’indifférence cosmopolite des peuples barbares ?… »
Tout le cosmopolitisme économique, moral, social et politique que nous connaissons aujourd’hui se trouve ici annoncé !
L’abbé Pie est chargé par son évêque en 1848 d’un mémoire sur l’Immaculée Conception ; c’est une demande de Pie IX à plusieurs évêques.
Proposé pour l’évêché de Poitiers, il est sacré à Chartres le 25 novembre1849.
Dans la cathédrale, à partir d’un mot de saint Hilaire, episcopus sum ego, il explique ce qu’est un évêque, pour les prêtres, pour les fidèles.
Mgr Pie data du jour de son sacre la Lettre pastorale qu’il adressa au diocèse de Poitiers. Il y exposait le grand thème de ses prédications : « Toute solution humaine est désormais impossible ; il ne reste à notre société qu’une alternative : se soumettre à Dieu ou périr. Rien ne sera fait tant que Dieu ne sera pas replacé au-dessus de toutes les institutions … La question qui s’agite et qui agite le monde n’est pas de l’homme à l’homme, elle est de l’homme à Dieu… Et si nous devions apporter avec nous un mot d’ordre, ce serait celui-ci : « Instaurare omnia in Christo, restaurer, recommencer toutes choses en Jésus-Christ ». Saint Pie X reprendra cette devise.
Le préfet de la Vienne se tourna vers le clergé : « Messieurs, vous avez un maître. »
Mgr Pie allait se consacrer à son diocèse, à la lutte contre les erreurs du temps, rationalisme et naturalisme, et à la défense des droits de l’Église.
Il accomplit plusieurs visites complètes de son diocèse, fit construire des églises, apporta tous ses soins aux paroisses situées dans des milieux protestants, et s’occupa de ce qu’on appelle La Petite Église : 8000 personnes à l’époque dans les Deux-Sèvres, aux environs de Bressuire. Il ne restait que 2 vieux prêtres dont l’un à Toulouse (il envoyait des anneaux bénis pour les mariages, invalides). Le plus romain des évêques français avait un schisme dans son diocèse ! En 1851, il publie une lettre pastorale pleine de doctrine et de délicate charité ; il obtiendra peu à peu des retours à l’unité romaine.
La Faculté de théologie du diocèse de Poitiers mettra le thomisme à l’honneur bien avant les recommandations de Léon XIII.
En 1856, le diocèse de Poitiers adopte la liturgie romaine.Cette année-là, l’évêque accomplit son 1er voyage à Rome : « Vous vous nommez comme le pape, comment serait-il possible que vous ne fussiez pas papiste ? » dit Pie IX à Mgr Pie.

A partir de 1853 l’évêque de Poitiers subit l’hostilité du parti libéral.
Le15 mars 1859 l’évêque de Poitiers fut reçu par Napoléon III. L’audience dura une heure. L’évêque reprocha à l’Empereur en termes prudents sa nouvelle politique italienne défavorable aux Etats pontificaux, il demanda le rétablissement de la société chrétienne. L’empereur fit remarquer qu’il avait peut-être fait plus pour l’Eglise que la Restauration ; l’évêque acquiesça mais ajouta : « …ni la Restauration ni vous n’avez fait pour Dieu ce qu’il fallait faire, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez relevé son trône… Notre droit public établit bien que la religion catholique est celle de la majorité des Français ; mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale protection. N’est-ce pas proclamer que la Constitution protège pareillement la vérité et l’erreur ? »
L’empereur dit que le rétablissement d’une société catholique n’était pas alors possible. « Sire, quand de grands politiques comme Votre Majesté m’objectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’incliner, parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis un évêque, et, comme évêque, je leur réponds : Le moment n’est pas venu pour J C de régner : eh bien ! alors, le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer ». Admirons la tranquille audace de l’évêque de Poitiers qui met en garde le chef de l’Etat.
La question romaine et l’unité italienne :
La duplicité de Napoléon III vient du fait qu’il est pris entre ses promesses d’ancien carbonaro et l’alliance avec les catholiques qui l’ont aidé à prendre le pouvoir. L’attentat d’Orsini lui rappelle en1858 ce qu’il doit aux sociétés secrètes.
Nous l’avons vu avec Louis Veuillot, 1859 marqua un tournant dans la politique de l’Empire : Soutenu par la France, le royaume de Savoie entreprit de chasser l’Autriche d’Italie et de réaliser l’unité de la péninsule. Les victoires françaises de Magenta et de Solférino eurent pour conséquence l’éviction de l’Autriche de la péninsule italienne.
En 1861, pour protester contre la complicité de l’Empire avec le Piémont concernant les États pontificaux, Mgr Pie lit en chaire le mandement où il est dit : « lave tes mains, Pilate ». Tout le monde comprend qui est appelé ainsi. L’évêque est condamné par le Conseil d’État et subit un espionnage policier. On cherche à l’impressionner et à détourner de lui ses paroissiens (pression de la gendarmerie sur les maires pour interdire les rassemblements lors des déplacements de l’évêque, par exemple)
Rome lui soumet un questionnaire en 28 points ; ses réponses serviront de base à l’Encyclique et au Syllabus.
En 1865 le gouvernement impérial proclame l’interdiction de diffuser en France Quanta cura qui condamne le naturalisme et le laïcisme. Mgr Pie lit l’encyclique en chaire.
En 1868 a lieu la dernière entrevue avec l’Empereur qu’il met en garde contre l’évolution libérale de l’Empire : « Ne perdez pas de vue, Sire, que pour tout ce parti, la liberté demandée est celle de vous renverser ». Rappelons-nous la mise en garde de Louis Veuillot. Frédéric Le Play dira au même empereur dans les mêmes lieux : « Votre empire mourra de 2 choses : le suffrage universel et le principe des nationalités : l’Alsace sera allemande et le palais où je vous parle, Sire, sera détruit. » On connaît la guerre de 70 et les incendies de la Commune.
En 1869 Mgr Pie est nommé second de la Commission de la Doctrine et de la Foi au Concile où il joue un rôle de 1erplan (foi et raison, infaillibilité)
En 1871 il est au premier rang pour le vœu national au Sacré Cœur. Il refuse du siège de Tours, il refusera Lyon en 1876, l’archevêché le plus prestigieux de France.
Il use de son influence, à partir de 1872, pour faire nommer de bons évêques.
Il est proposé pour le cardinalat en1874 mais le gouvernement français refuse.
Les deuils commencent en 1875 avec la mort de Dom Guéranger. L’année suivante meurt Madame Pie, sa mère.
En 1878 meurt Pie IX dont il défend la mémoire immédiatement attaquée. Il se rend auprès de Léon XIII qui lui obtient le chapeau l’année suivante. Mgr Dupanloup était mort. La République refusait jusque-là le chapeau pour Mgr Pie parce que Rome ne voulait pas l’accorder à l’évêque d’Orléans, adversaire de l’ultramontanisme.
Le dernier voyage à Rome eut lieu en 1880. La santé décline depuis des mois : névralgies, insomnies, douleurs des jambes. Il dit de son cardinalat : « ce m’est un avertissement de me préparer à mourir ». Humilité, bonté, piété étaient ses principales qualités. Bonté même quand il faut réfuter et même sévir. Piété solide mais discrète, surtout faite de vie intérieure.
Une rupture d’anévrisme à Angoulême provoqua la mort et, selon son désir, il fut enterré à Notre Dame la Grande, à Poitiers, auprès de la statue de la Vierge Marie.
En le rappelant à l’âge de 65 ans, Dieu lui accordait la grâce de ne pas voir avec les yeux d’ici-bas Au milieu des sollicitudes (Inter Sollicitudines), encyclique publiée d’abord en français, contrairement à l’usage habituel, le 16 février 1892 par le pape Léon XIII. Cette encyclique avait été préparée par Nobilissima Gallorum Gens de 1884 et par le toast d’Alger, porté par le cardinal Lavigerie en 1890. Son objectif était d’inciter tous les catholiques de France à accepter la forme républicaine de l’État. La Tour du Pin déclara : « le pape avait ses zouaves, il aura désormais ses grognards ». Et le comte de Chambord fit remarquer avec ironie que l’Église condamnait le suicide et qu’il lui était donc impossible d’accepter…
Gérard Bedel