Le règne du Christ Roi est lié au mystère de Jésus dans son acception totale.

« Jésus est pour la terre quelque chose de plus que le Dieu du Ciel ; Jésus c’est Dieu dans son œuvre, c’est Dieu avec nous, c’est Dieu chez nous, c’est le Dieu de l’humanité, le Dieu de la nation, le Dieu du foyer domestique, le Dieu de notre première communion, le Dieu de notre cœur. » (3einstruction synodale)

Plus qu’une politique, la doctrine du cardinal Pie représente une théologie de la politique : « Nous appartiendrons toujours au parti de Dieu ; nous emploierons tous nos efforts, nous consacrerons toute notre vie à la cause divine. Si nous devions apporter un mot d’ordre, ce serait celui-ci : Instaurare omnia in Christo ». 1ère lettre pastorale. St Pie X, Mgr Lefebvre reprendront la formule.

L’État respecta les droits de l’Église sur les individus et sur les sociétés jusqu’à la rupture de la Révolution. L’idée de Règne social se trouve dans la suite de la pensée catholique, chez saint Ambroise, chez saint Augustin, chez saint Thomas. Tout le monde connaît l’Encyclique Quanta cura et le Syllabus. Il faut ajouter Immortale Dei de Léon XIII sur Église/État, Ubi arcano de Pie XI, « la paix du Christ dans le règne du Christ » et Quas primas qui instaura la fête du Christ Roi.

Le mérite du cardinal Pie fut de proclamer cette doctrine au moment même où elle était pratiquement rejetée partout. Il semble être le premier à utiliser l’expression Christ-Roi, empruntée à l’Office du Saint Sacrement Christum regemadoremus dominantem gentibus. Gentibus, pas hominibus, c’est-à-dire les hommes en société, en nations et non pas seulement considérés comme des individus. Le Christ est Roi par droit de nature et par droit de conquête.

Il reviendra à plusieurs reprises sur sa doctrine du Christ Roi, par exemple dans le Panégyrique de saint Louis en 1847 (il est alors vicaire général) à la demande de l’évêque de Blois : il montre le règne de Dieu dans la guerre comme dans la paix: « Ainsi ce n’est plus Louis qui règne ; c’est Jésus-Christ qui règne par Louis : Christus regnatvincitimperat » 

Dans le même esprit le cardinal Mercier dira pendant le carême de 1918 : « Le principal crime que le monde expie c’est l’apostasie officielle des États »]

Vers un ordre social chrétien

Le cardinal Pie favorise l’enseignement et fera beaucoup pour les classes laborieuses, surtout pour la formation des jeunes filles car il connait la place de la mère dans la société : « C’est le chef-d’œuvre de Dieu. Cette femme peut, par d’autres côtés, être une femme vulgaire ; en tant qu’elle est mère, elle a presque toujours une grandeur, une abnégation, une distinction d’esprit et de cœur qui captivent mon admiration et la transportent. » Il avait établi à Poitiers l’Association des mères chrétiennes 

Mais les œuvres de charité, la défense de la famille et du repos dominical ne sauraient suffire pour édifier une société chrétienne : il faut un ordre social chrétien. « Si l’Église ne refait pas une autorité, une société parmi nous, nous avons devant nos yeux les horreurs de la dissolution et les transes prochaines de l’agonie. » (Instruction pastorale sur l’importance religieuse et sociale des conciles, 1850). La Royauté chrétienne sera le couronnement de l’ordre social. Les journées révolutionnaires de 1848 avaient fait réfléchir l’abbé Pie sur la question sociale. Il consacra à la propriété les sermons du premier et du quatrième dimanche de carême 1849. La première prédication porta sur le droit de propriété, la seconde sur les devoirs qui sont attachés à ce droit, devoirs envers les autorités qui se trouvent au-dessus de la propriété, Dieu, l’Église, l’État ; devoirs aussi envers ceux qui dépendent d’elle, les serviteurs, les ouvriers, les employés. Le respect de l’ordre chrétien peut seul protéger la société « car, sachez-le bien, mon Frère, le droit de l’insurrection contre l’autorité contient implicitement le droit de l’insurrection contre la propriété… Et nous vivons en France dans le pays des conséquences ! »

Il y aura au XIXe siècle un mouvement social catholique illustré par des hommes comme Armand de Melun, Le Play, La Tour du Pin, Albert de Mun. Citons deux livres : La Croix, les lys et la peine des hommes, de Xavier Vallat et La Tour du Pin en son temps d’Antoine Murat.

Nous citerons pour finir un texte sur l’aumône qui est absolument prophétique car certains passages semblent se rapporter aux tares de la société où nous vivons. Les idées chrétiennes détournées par un monde sans Dieu, perverties par lui, mènent au totalitarisme anarchique de l’État-providence. 

On admirera la rigueur du raisonnement : 

« La fin de tous les gouvernements de la terre, a dit Bossuet, c’est de rendre la vie commode et les peuples heureux. A plus forte raison, sont-ils tenus de contribuer à la subsistance des citoyens moins aisés par les moyens légitimes qui sont à leur disposition. Mais ce serait nous tromper grossièrement nous-mêmes, de croire que nous avons accompli le précepte évangélique de l’aumône quand une ordonnance administrative a prélevé sur les fonds de l’Etat, ou sur les ressources particulières d’une province ou d’une ville, une somme quelconque à répartir entre les pauvres pour leur rendre plus accessibles les aliments de première nécessité. Outre l’insuffisance bien démontrée de semblables secours, il est un point de la plus haute gravité qu’il importe de ne jamais perdre de vue ; c’est que la substitution absolue de l’aumône publique à l’aumône individuelle serait la destruction complète du christianisme, et l’atteinte la plus considérable au principe de la propriété. Le christianisme n’existe pas sans la charité ; et la distinction fondamentale entre la charité et la justice, c’est que la dette de justice est celle qui peut être exigée ou par le recours aux lois, ou par le recours à la force, selon les circonstances, tandis que la dette de la charité ne peut être commandée par aucun tribunal que par celui de Dieu et de la conscience. Or, si l’assistance à donner aux pauvres devient une des charges du fisc, dès lors l’assistance ne procède plus de la charité, mais de la justice, puisque la contribution fiscale est une dette rigoureuse des citoyens. Et l’histoire nous apprend, à cet égard qu’un des plus grands malheur qui puisse fondre sur une nation, c’est que la charité y perde son véritable caractère, et qu’une cruelle nécessité, résultant de l’affaiblissement de la foi religieuse et de la rareté de l’aumône volontaire, la dénature et la transforme en un impôt forcé. Car, dès lors tout le plan providentiel  de Dieu est renversé. L’aumône n’étant plus libre, ne procédant plus d’un mouvement du cœur, perd à peu près entièrement son mérite devant Dieu, et ne devient plus pour le riche le canal de la grâce divine et l’instrument le plus assuré de son salut. Mais l’aumône ainsi faite cesse aussi d’être méritoire aux yeux de ceux qui la reçoivent. Bientôt ils murmureront les mots de droit à l’assistance, de droit au travail. Le lien d’amour qui rattachait le pauvre au riche étant rompu, tout sentiment de reconnaissance disparaît. La pauvreté devient une sorte de fonction publique, moins rétribuée que les autres, mais qui attend fièrement l’échéance de son traitement… » 

Première instruction pastorale sur l’urgente nécessité de l’aumône dans les temps de détresse publique, carême 1854. 

Albert de Mun était reconnaissant aux Instructions synodales du Cardinal Pie qui, avec la lettre du Comte de Chambord aux ouvriers (20 avril 1865) l’avaient rendu sensible aux questions sociales dans la perspective d’un ordre social chrétien.

                                    Gérard Bedel

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