Bioéthique

Il est des évolutions ou des révolutions politiques, économiques, scientifiques et bioéthiques qui ne sont pas perçues par les peuples, et cela pour plusieurs raisons.

Pourquoi les évolutions sociétales et bioéthiques passent inaperçues ?

D’abord parce que la plupart des évolutions se font progressivement et non par révolution, du moins en apparence. Aussi, ces évolutions ne provoquent pas de choc, pas d’émotions, pas de réactions chez les peuples.

Souvent, les réformes, les réformes dites sociétales principalement, sont précédées d’une longue et intense campagne de propagande conçue scientifiquement de sorte que, lorsque lesdites réformes sont promulguées, elles aient déjà influencé les esprits. Par ailleurs, pour atteindre le but recherché, il est absolument indispensable que ces évolutions apparaissent comme naturelles, comme le produit du sens de l’histoire dont le mouvement, s’il peut être lent, n’en est pas moins aussi puissant et inexorable que celui d’un grand fleuve.

Enfin, d’autres évolutions, dans le domaine bioéthique, sont résolument révolutionnaires et tellement novatrices qu’elles ne sont pas prises au sérieux par les masses qui les regardent comme des abstractions, des projets inconcevables ou des « rêveries » scientifiques relevant exclusivement de la science-fiction ; de la plus spectaculaire des sciences-fictions. C’est assurément le cas des travaux des généticiens sur le clonage, les modifications génétiques et la fabrication de chimères ou de monstres.

C’est ce type d’évolution en bioéthique qui nous intéresse ici. Un type d’évolution bien trop révolutionnaire et immoral pour être conceptualisé par un esprit commun, qui peut éventuellement l’admettre comme une démarche mathématique, abstraite, mais pas comme une réalité agissant en profondeur sur le corps social.

La naissance des embryoïdes !

La prestigieuse revue Nature publiait au mois de septembre dernier une étude présentant une nouvelle « avancée » dans la fabrication in-vitro de « modèles » (sic) d’embryons humains.

L’argument présidant à ces travaux scientifiques repose sur la volonté de dévoiler de nouveaux aspects de la croissance de l’embryon humain. La question de savoir comment ces nouveaux travaux ont pu recevoir l’aval des autorités compétentes en bioéthique occidentales et chinoises mérite d’être posée. Pour l’équipe de Jacob Hanna (Weizmann Institute of Science, Rehovot, Israël), l’une des plus en pointe dans ce domaine de recherche, si ces nouveaux travaux, bien que dignes de la plus noire alchimie,s’exercent néanmoins dans un cadre parfaitement légal, c’est que les pouvoirs publics se sont affranchis « pour partie du poids éthique pesant sur l’étude de vrais embryons. »

Plongées dans « un milieu adéquat » dont la composition est maintenue secrète, ces cellules, se seraient spontanément multipliées, non pas de façon anarchique comme le fait la levure, mais, apparemment, en s’organisant pour fabriquer de l’humain !

Des progrès amoraux et contraires à la bioéthique ?

La publication de cet article dans la revue Nature montre, en tout cas, les « progrès » (ou évolutions) rapides dans la construction de « modèles d’embryons humains » que nos astucieux savants nomment également « embryoïdes » (ce qui ne manque pas d’évoquer les androïdes de la SF). Car il ne s’agit plus là d’embryons créés à partir d’un ovule et d’un spermatozoïde, mais d’une chose fabriquée à partir de cellules qui se répliquent pour donner « naissance » à des réplicants (autre terme de SF très marqué).

Ces embryoïdes sont donc capables de se développer jusqu’à des stades de plus en plus avancés de l’organogenèse, à savoir la croissance de l’embryon puis du fœtus jusqu’à la formation d’un être humain viable.

Un encadrement « bioéthique » bien poreux…

L’équipe israélienne n’est pas la seule à s’être lancée comme une forcenée dans cette étrange recherche qui pourrait bien, un jour, qui sait, déboucher sur la fabrication de Golems. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi ? Quelle morale supérieure pourrait donc l’interdire ? Plusieurs équipes françaises, petites mais dynamiques, revigorées par la permissivité du « libéralisme » macronien, sont également en pointe dans cette affaire. D’ailleurs, pour accompagner ces « percées successives et guider les équipes françaises impliquées dans ces travaux », le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, se portant normalement garante en bioéthique, a rendu public, mercredi 11 octobre 2023, un avis favorable sur ces modèles d’embryons, « dont les caractéristiques se rapprochent de plus en plus de celles de véritables embryons humains ».

Depuis le 2 août 2021, cette agence à l’éthique étiolée, limitait la culture des embryoïdes à quatorze jours et exigeait des laboratoires engagés dans cette sombre aventure qu’ils soumettent une demande d’autorisation préalable. Mais, les scientifiques français qui se doivent d’être compétitifs dans ce domaine, comme dans les autres, ont exprimé le souhait de pouvoir cultiver plus longtemps leurs « créatures ». Bingo ! L’Agence pas très éthique a dit oui, et il est d’ores et déjà prévu, très officiellement, d’autoriser la durée de cette culture jusqu’à 28 jours !

Pour justifier cette décision, le savant Jean-François Guérin argue du fait qu’il y aurait « une sorte de boîte noire entre le quatorzième jour et le début du deuxième mois de développement embryonnaire (…). Les phénomènes qui permettent la bonne formation des organes ne sont pas explorés faute de pouvoir cultiver des embryons humains pendant cette période. »

Ainsi, ce qui était tout simplement inenvisageable il y a seulement trois ans, a pourtant été réalisé fort discrètement, en l’absence préalable de tout véritable débat public. Aussi peut-on raisonnablement penser que les vingt-huit jours de culture autorisés désormais, pourraient bien passer à soixante jours dans quelque temps avant d’être repoussés, dans un avenir pas très lointain, à six mois. Plus rien ne l’interdit ! Plus rien : ni bioéthique, ni principes, ni morale, ni transcendance ! C’est donc sans surprise que Jacob Hanna – dont l’objectif affiché serait de produire des tissus à des fins de médecine régénérative – estime prématurée l’idée d’imposer une durée maximale de culture des embryoïdes. « C’est très limitant de n’aller que jusqu’à vingt-huit jours. Je pense que nous devons atteindre la fin des stades d’organogenèse à cinquante jours. Cela nous donnera infiniment plus d’informations critiques. » estime le chercheur israélien.

Or, si le verrou moral a sauté en ce domaine de recherches précis, pourquoi persisterait-il dans les autres domaines de la recherche génétique ?

« C’est un champ de recherche qui se développe à une vitesse incroyable », indiquait dernièrement au journal Le Monde, le neurobiologiste Hervé Chneiweiss qui préside le comité d’éthique de l’Inserm. Encore un savant qui salue l’« avis équilibré de l’Agence de la biomédecine qui apportera de la sécurité aux chercheurs engagés dans ces travaux, un peu comme l’a fait la loi de bioéthique sur la question des chimères. » Une loi bioéthique qui, faut-il le préciser, accorde un blanc-seing aux chercheurs pour expérimenter des chimères animales augmentées de gènes humains,mais prétend interdire les chimères humaines augmentées de gènes animaux. Pourtant, même si cette loi était maintenue en l’état (et rien ne garantit qu’elle le sera), qu’est-ce qui empêchera nos professeurs Nimbus de mélanger des cellules animales à des cellules humaines et non plus seulement des cellules humaines à des cellules animales ?

François-Xavier Rochette

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