Jean-Pax Méfret ? Présent !

Jean-Pax Méfret ? Présent !

Jean-Pax Méfret ? Présent !“On ne connaissait pas ça, nous, le verglas. Ni la neige, d’ailleurs. En fait, on ne connaissait pas le froid. Le vrai froid. Celui qui te gèle les os, t’engourdit les mains, te brille les oreilles, te fait claquer les dents. À Alger, en dessous de dix degrés, on mettait un manteau. Ici, à Rouen, en ce mois de décembre 1962, il fait moins quinze !”

Nous savons à l’Action Française que les erreurs de l’intelligence sont les pires de toutes. Soixante ans après les terribles événements d’Algérie, trop de compatriotes ont oublié ce qui s’est passé, le sang qui a coulé, les larmes versées, les familles détruites ! Mais aussi les mensonges, les trahisons, les erreurs politiques… Un pays qui fut divisé, une guerre civile subsistante dans la droite ligne des événements qui affaiblissent la France depuis 1944 et notre pseudo-victoire. Ni oubli, ni pardon.

Quand nous pensons que les patriotes, pour ne prendre qu’un exemple, se réclament aujourd’hui du gaullisme ! Quelle amnésie ou quelle veulerie face à l’histoire des événements d’Algérie ! Relisons notre regretté Gérard Bedel : « De Gaulle obéissait, d’une manière plus ou moins consciente, aux puissances d’argent, en particulier aux États-Unis, hostiles par principe et par intérêt aux empires coloniaux. Ajoutons qu’il n’aimait pas les Français d’Algérie qui avaient été fidèles à l’amiral Darlan et au général Giraud et n’apprécièrent jamais l’homme de Londres. De Gaulle avait aussi besoin d’avoir les mains libres pour la grande politique européenne et mondiale qu’il méditait et qui n’apporta à la France que des réussites verbales » (Gérard Bedel, Le gaullisme. Maladie sénile de la droite).

Et que dire de tous ces Français qui se trouvèrent exilés et sans rien après la chute de l’Algérie aux mains des terroristes ! C’est une de ces voix qui s’exprime dans ce nouveau livre de Jean-Pax Méfret : Jean-Pax Méfret, Sur l’autre rive… en 1962, Pygmalion, 2025.

« Dans une France peu concernée par le dramatique exode d’un million de Français d’Algérie, un adolescent pied-noir, aguerri par des années de violence, se fraye un chemin dans un univers souvent hostile. Il vient d’avoir dix-huit ans. Il sort de prison politique et porte sa douleur en bandoulière. C’est le temps du rejet, des centres d’accueil improvisés, des repas de la soupe populaire, des poches vides, des fripes trop grandes et des regards blessants. Jean-Pax Méfret relate son itinéraire, balisé d’humiliations, de rancunes et d’illusions perdues, qui constituaient, à l’époque, le quotidien du monde parallèle de ces immigrés malgré eux ».

Un magnifique témoignage de ce qu’ont dû vivre ces pauvres pieds-noirs, la tragédie des rapatriés d’Algérie française, héros de la fidélité, et ce mépris des métropolitains à leur arrivée en 1962. Quelle gloire d’un côté, quelle bassesse de l’autre ! Repensons aux déclarations abjectes du “Parrain de Marseille” qui ne voulait pas les recevoir et qui ont lentement conduit la cité phocéenne à être désormais colonisée par ceux-là même qui les avaient chassés, ne leur laissant le choix qu’entre la valise et le cercueil.

Le témoignage résonnera dans bien des mémoires et bien des cœurs français et permettra aussi une nouvelle mise en perspective des questions d’actualité ! Un livre à mettre entre les mains de toutes les jeunes générations !

                                                                            Guillaume Staub 

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Doctrine : La démocratie religieuse de Charles Maurras

Doctrine : La démocratie religieuse de Charles Maurras

Voici un enseignement de Maurras capital et d’actualité à l’heure où un nouveau pontificat affronte les questions que pose à l’Église la crise actuelle des intelligences. Dès le début du XXᵉ siècle, Charles Maurras, pourtant « catholique du porche », mais dont l’âme restait déchirée de ne pas encore comprendre que le catholicisme est le vrai, savait en tout cas qu’il était le bien pour sa patrie comme pour toute la civilisation. Aussi s’étonnait-il, et plus encore souffrait-il, de voir la démocratie – ce principe de rébellion contre tout ordre naturel et surnaturel – professée par des intellectuels catholiques allant jusqu’à voir en elle l’avenir du christianisme et à exalter les droits de la conscience individuelle. Cette démocratie religieuse lui apparut tout de suite comme la transcription politique d’une erreur religieuse.

S’abstenant d’empiéter dans le domaine religieux, il résolut de dénoncer ce péché de l’intelligence dont les conséquences pour la cité politique pouvaient être désastreuses. D’où les trois livres écrits entre 1906 et 1913 et qu’il devait rassembler en 1921 sous le titre La Démocratie religieuse. Le premier, Le dilemme de Marc Sangnier (1906), le deuxième, La politique religieuse (1912), et le troisième L’Action française et la religion catholique (1913), montrent que le devoir des Français conscients de leur formation est de défendre l’Église contre la République, car celle-ci ne peut que répandre les idées et les comportements les plus hostiles au catholicisme traditionnel. Plus d’un siècle plus tard, nous mesurons la justesse des prévisions de Maurras : un moment contenu grâce à saint Pie X, le venin s’est infiltré dans l’Église à la faveur de la « condamnation » de l’Action française en 1926, puis des débats suscités dans les années 1960 autour du concile Vatican II.

L’ÉGLISE DE L’ORDRE

Nous nous en tiendrons ici à l’introduction du premier livre, car, magnifique hommage « À l’Église romaine, à l’Église de l’Ordre », elle reflète toute l’admiration de Maurras pour l’Église, non seulement parce que celle-ci est utile à l’ordre dans la cité, mais, surtout, parce qu’étant l’Ordre même, elle est la force qui ordonne, qui oblige à une discipline des puissances de la raison et du cœur et qui apporte à l’intelligence des certitudes.

Citons : « Tout ce que pense l’homme reçoit, du jugement et du sentiment de l’Église, place proportionnelle au degré d’importance, d’utilité ou de bonté […] Rien au monde n’est comparable à ce corps de principes si généraux, de coutumes si souples, soumis à la même pensée, et tel enfin que ceux qui consentirent à l’admettre n’ont jamais pu se plaindre sérieusement d’avoir erré par ignorance et faute de savoir au juste ce qu’ils devaient. La conscience humaine, dont le plus grand malheur est peut-être l’incertitude, salue ici le temple des définitions du devoir. »

De tels bienfaits ont à jamais marqué un peuple. « Quiconque se prévaut de l’origine catholique en a gardé un corps ondoyé et trempé d’habitudes profondes qui sont symbolisées par l’action de l’encens, du sel ou du chrême sacrés mais qui déterminent des influences et des modifications radicales. De là est née cette sensibilité catholique, la plus étendue et la plus vibrante du monde moderne, parce qu’elle provient de l’idée d’un ordre imposé à tout. »

Un exemple : la prédication de l’amour. Aux antipodes de la « fraternité » révolutionnaire, l’Église a « préservé la philanthropie de ses propres vertiges et défendu l’amour contre la logique de son excès. » D’où ces « nobles freins » qui n’altèrent pas le sentiment, mais font que, de ce que « Dieu est Amour », l’on ne puisse pas déduire que « tout amour est Dieu » !

Il en est de même de l’individualisme : « En rappelant le membre à la notion du corps, la partie à l’idée et à l’observance du tout, les avis de l’Église éloignèrent l’individu de l’autel qu’un fol amour-propre lui proposait tout bas de s’édifier à lui-même […] La meilleure amie de chaque homme, la bienfaitrice commune du genre humain sans cesse inclinée sur les âmes pour les cultiver, les polir et les perfectionner, pouvait leur interdire de se choisir pour centre. » On est bien loin des Droits de l’Homme !

Quant aux droits des humbles, la charité et le réalisme catholiques ne les érigent pas en révolte. Leur sort est lié à celui des grands. « S’il y a des puissants féroces, [l’Église] les adoucit pour que le bien de la puissance qui est en eux donne tous ses fruits ; s’ils sont bons, elle fortifie leur autorité en l’utilisant pour ses vues, loin d’en relâcher la précieuse consistance. » C’est ainsi qu’elle a civilisé les Francs…

JE SUIS ROMAIN

Tant de qualités que l’Église tient de la sagesse avec laquelle elle a intégré les leçons de Rome. Et c’est alors la page sublime où Maurras dit son amour pour la Rome des consuls, des bâtisseurs, des empereurs et des papes : « Je suis Romain dès que j’abonde en mon être historique, intellectuel et moral. Je suis Romain parce que si je ne l’étais pas je n’aurais plus rien de français […] Je suis Romain par tout le positif de mon être […] Par ce trésor dont elle a reçu d’Athènes et transmis le dépôt à notre Paris, Rome signifie sans conteste la civilisation et l’humanité. Je suis Romain, je suis humain : deux propositions identiques. »

Bien sûr, toute immixtion de la démocratie dans ce corps si achevé de doctrine et de pratiques ne peut que l’altérer et en diminuer les possibilités de bienfaisance. Quand le croyant n’est pas catholique ou cesse de l’être pleinement, il « dissimule dans les replis inaccessibles du for intérieur un monde obscur et vague de pensées ou de volontés que la moindre ébullition, morale ou immorale, peut lui présenter aisément comme la voix, l’inspiration et l’opération de Dieu même. » Chacun peut alors se prétendre en ligne directe avec Dieu, avant de se mettre tout simplement à Sa place. Alors la société s’émiette, car « il faut définir les lois de la conscience pour poser la question des rapports de l’homme et de la société. » Là est bien le drame de la France quand l’épiscopat adopte un profil bas face à la République, mère porteuse du désastre que nous subissons.

Michel Fromentoux

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PIERRE GAXOTTE ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 

PIERRE GAXOTTE ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 

Voici un livre indispensable pour libérer à tout jamais les esprits bourrés par « l’école de la République». Plus possible de voir dans la « glorieuse » Révolution dite française l’irrésistible mouvement de révolte d’un peuple opprimé et de croire que les massacres de 1793 n’ont été que des bavures dans un élan sublime et spontané… Les faits sont connus, les textes abondent, les témoignages s’imposent.

Pierre Gaxotte les a méticuleusement étudiés: dès la première édition de sa Révolution française en 1928, l’ouvrage fut salué par Léon Daudet comme un « livre-bombe », et la critique historique de l’événement de 1789 s’en trouva transformée, mais l’auteur, sans cesse à l’affût des progrès de la recherche, a retravaillé son texte, et c’est un livre amplement remanié et richement argumenté qui parut sous le même titre en 1962 chez Fayard dans la collection des Grandes Études historiques. Depuis lors, si la science historique s’est encore enrichie, elle n’a nullement contredit les conclusions de Pierre Gaxotte.

SITUATION DIFFICILE NON INSOLUBLE

À lui tout seul déjà, le premier chapitre, tableau à la fois précis et très vivant des institutions monarchiques, envoie dans les poubelles de l’Histoire toutes les idées reçues. D’abord il faut bien savoir que « ce n’est pas dans un pays épuisé, mais dans un pays florissant et en plein essor qu’éclata la Révolution ». Le pays le plus peuplé d’Europe respirait à pleins poumons au rythme de ces républiques aristocratiques ou populaires que constituaient les provinces, les villes, les métiers, et que fédérait, tout en respectant leurs usages, la personne du Roi. Existaient aussi depuis Louis XV les grands services publics « que Napoléon n’aura qu’à relever pour faire figure de créateur »…

Toutefois Gaxotte n’idéalise pas l’Ancien Régime: certaines parties de l’édifice menaçaient ruine, d’autres, devenues pesantes, étaient ressenties comme inutiles et vexatoires, tels les droits féodaux. Et surtout, si le pays était riche, l’État, lui, était pauvre; la misère existait, quoique moins qu’ailleurs en Europe, mais le plus grave résidait dans un système fiscal devenu aberrant dont beaucoup avaient des raisons de se plaindre et que les privilégiés n’entendaient pas laisser réformer. Tel était le grand problème qui se posait à la monarchie; il n’était nullement insoluble.

Seulement voilà: « une crise intellectuelle et morale » avait atteint « L’âme française jusqu’en ses profondeurs». Là est le vrai drame du XVIIIe siècle: non « dans la guerre, ni dans les journées de la Révolution, mais dans la dissolution et le retournement des idées. Émeutes et massacres n’en seront que la traduction éclatante et sanglante. Quand ils auront lieu, le mal sera depuis longtemps accompli. »

CRISE DE L’AUTORITÉ

Gaxotte expose alors la « doctrine » révolutionnaire dont Fénelon, en inspirant aux rois le dégoût de leur propre pouvoir, avait été le précurseur (« Le roi de Fénelon est condamné au Ciel et à la guillotine, après avoir, la main sur la conscience, fait le malheur de ses sujets et conduit son peuple à la défaite et à l’anarchie. ») Ce fut ensuite la prédication individualiste des « Philosophes » insinuant le doute sur toutes les traditions, propageant la naturalisme et l’athéisme, se gargarisant d’abstractions et de formules déclamatoires, exaltant la vertu telle qu’elle devrait parler en chaque homme dépouillé de l’acquis de la civilisation et revenu au merveilleux « état de nature »… Il fallait en somme « régénérer » le citoyen, au besoin l’y contraindre, car alors « sa mauvaise volonté est un crime contre la Vertu ». Outre le fait que ces apprentis-sorciers justifiaient dès 1750 la Terreur de 1793-94, Gaxotte, à la suite de Taine, montre que ces « beaux esprits » étaient organisés: loges, sociétés littéraires, acadé-mies, plus tard les clubs, fabriquaient sans cesse des initiés inventant la dynamique de groupe et « faisant » l’opinion.

Ainsi bien vite, les détenteurs de l’autorité, et jusqu’au roi lui-même, se mirent à douter de l’utilité du commandement et, dès lors, la crise financière de l’État devint, à la veille de la Révolution, insoluble. Une réforme s’imposait; on préféra l’aventure d’une révolution… Le mélange de prétentions archaïques chez les privilégiés et d’inepties philosophiques chez les intellectuels ne pouvait que devenir explosif. Dure réalité qui éclata dès l’ouverture des fameux Etats généraux où les représentants du peuple – des phraseurs, des idéologues, des hommes de salon, des avocats sans cause, des curés athées – élus hors des réalités vivantes, s’érigeant bientôt en représentants de la nation face au roi qui en avait toujours été la tête, mirent en moins de six semaines tout l’édifice financier par terre. Ils avaient bien d’autres soucis…

L’ENCHAINEMENT DES CONSÉQUENCES

Les chapitres suivants, impeccablement charpentés, toujours précis, jamais rébarbatifs, ne font que révéler de 1789 à 1799 l’inexorable enchaînement des conséquences du dévergondage intellectuel et moral.

De l’émeute en quelque sorte légitimée par le roi lui-même qui par bonté se lia les mains en saluant le Paris révolté trois jours après le 14 juillet, aux déclamations sentimentales et larmoyantes des orateurs de la Constituante qui allaient devenir des bêtes assoiffées de sang sous la Convention…, Pierre Gaxotte, au rythme des Journées où s’enterraient les illusions, montre que la terreur et ses atrocités ont été, non seulement en 1793, mais dès juillet 1789, le développement implacable des idéologies désincarnées ayant toute liberté pour fondre sur le peuple démoralisé, dès lors que son protecteur naturel, le Roi, était ligoté, paralysé, avant d’être immolé sur l’autel du « peuple souverain »; « Sur le grand peuple qui se tait, règne le petit peuple qui parle, les Jacobins. »

On peut lire et relire ces pages sans jamais se lasser; nous les recommandons tout spécialement aux étudiants. Elles sont un modèle de clarté, de concision, parfois d’ironie mordante, car l’auteur ne craint pas de tremper sa plume dans l’encre de Voltaire (pour le style seulement, bien sûr…).

Quand, à la fin du cataclysme, survint le 18 brumaire, début de la dictature napoléonienne visant à concilier le besoin (enfin revenu) d’autorité et l’idéologie démocratique, ce fut, dit Gaxotte, un « expédient de théoriciens aux abois ». C’est, hélas, sur cet expédient que la France vit depuis plus de deux siècles, titubante et jamais satisfaite, faute d’avoir eu le courage de chasser définitivement les idéologies mortelles et de revenir à son Roi.

                                                                     Michel Fromentoux  

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Le règne du Christ-Roi (3/3)

Le règne du Christ-Roi (3/3)

Le règne du Christ Roi est lié au mystère de Jésus dans son acception totale.

« Jésus est pour la terre quelque chose de plus que le Dieu du Ciel ; Jésus c’est Dieu dans son œuvre, c’est Dieu avec nous, c’est Dieu chez nous, c’est le Dieu de l’humanité, le Dieu de la nation, le Dieu du foyer domestique, le Dieu de notre première communion, le Dieu de notre cœur. » (3einstruction synodale)

Plus qu’une politique, la doctrine du cardinal Pie représente une théologie de la politique : « Nous appartiendrons toujours au parti de Dieu ; nous emploierons tous nos efforts, nous consacrerons toute notre vie à la cause divine. Si nous devions apporter un mot d’ordre, ce serait celui-ci : Instaurare omnia in Christo ». 1ère lettre pastorale. St Pie X, Mgr Lefebvre reprendront la formule.

L’État respecta les droits de l’Église sur les individus et sur les sociétés jusqu’à la rupture de la Révolution. L’idée de Règne social se trouve dans la suite de la pensée catholique, chez saint Ambroise, chez saint Augustin, chez saint Thomas. Tout le monde connaît l’Encyclique Quanta cura et le Syllabus. Il faut ajouter Immortale Dei de Léon XIII sur Église/État, Ubi arcano de Pie XI, « la paix du Christ dans le règne du Christ » et Quas primas qui instaura la fête du Christ Roi.

Le mérite du cardinal Pie fut de proclamer cette doctrine au moment même où elle était pratiquement rejetée partout. Il semble être le premier à utiliser l’expression Christ-Roi, empruntée à l’Office du Saint Sacrement Christum regemadoremus dominantem gentibus. Gentibus, pas hominibus, c’est-à-dire les hommes en société, en nations et non pas seulement considérés comme des individus. Le Christ est Roi par droit de nature et par droit de conquête.

Il reviendra à plusieurs reprises sur sa doctrine du Christ Roi, par exemple dans le Panégyrique de saint Louis en 1847 (il est alors vicaire général) à la demande de l’évêque de Blois : il montre le règne de Dieu dans la guerre comme dans la paix: « Ainsi ce n’est plus Louis qui règne ; c’est Jésus-Christ qui règne par Louis : Christus regnatvincitimperat » 

Dans le même esprit le cardinal Mercier dira pendant le carême de 1918 : « Le principal crime que le monde expie c’est l’apostasie officielle des États »]

Vers un ordre social chrétien

Le cardinal Pie favorise l’enseignement et fera beaucoup pour les classes laborieuses, surtout pour la formation des jeunes filles car il connait la place de la mère dans la société : « C’est le chef-d’œuvre de Dieu. Cette femme peut, par d’autres côtés, être une femme vulgaire ; en tant qu’elle est mère, elle a presque toujours une grandeur, une abnégation, une distinction d’esprit et de cœur qui captivent mon admiration et la transportent. » Il avait établi à Poitiers l’Association des mères chrétiennes 

Mais les œuvres de charité, la défense de la famille et du repos dominical ne sauraient suffire pour édifier une société chrétienne : il faut un ordre social chrétien. « Si l’Église ne refait pas une autorité, une société parmi nous, nous avons devant nos yeux les horreurs de la dissolution et les transes prochaines de l’agonie. » (Instruction pastorale sur l’importance religieuse et sociale des conciles, 1850). La Royauté chrétienne sera le couronnement de l’ordre social. Les journées révolutionnaires de 1848 avaient fait réfléchir l’abbé Pie sur la question sociale. Il consacra à la propriété les sermons du premier et du quatrième dimanche de carême 1849. La première prédication porta sur le droit de propriété, la seconde sur les devoirs qui sont attachés à ce droit, devoirs envers les autorités qui se trouvent au-dessus de la propriété, Dieu, l’Église, l’État ; devoirs aussi envers ceux qui dépendent d’elle, les serviteurs, les ouvriers, les employés. Le respect de l’ordre chrétien peut seul protéger la société « car, sachez-le bien, mon Frère, le droit de l’insurrection contre l’autorité contient implicitement le droit de l’insurrection contre la propriété… Et nous vivons en France dans le pays des conséquences ! »

Il y aura au XIXe siècle un mouvement social catholique illustré par des hommes comme Armand de Melun, Le Play, La Tour du Pin, Albert de Mun. Citons deux livres : La Croix, les lys et la peine des hommes, de Xavier Vallat et La Tour du Pin en son temps d’Antoine Murat.

Nous citerons pour finir un texte sur l’aumône qui est absolument prophétique car certains passages semblent se rapporter aux tares de la société où nous vivons. Les idées chrétiennes détournées par un monde sans Dieu, perverties par lui, mènent au totalitarisme anarchique de l’État-providence. 

On admirera la rigueur du raisonnement : 

« La fin de tous les gouvernements de la terre, a dit Bossuet, c’est de rendre la vie commode et les peuples heureux. A plus forte raison, sont-ils tenus de contribuer à la subsistance des citoyens moins aisés par les moyens légitimes qui sont à leur disposition. Mais ce serait nous tromper grossièrement nous-mêmes, de croire que nous avons accompli le précepte évangélique de l’aumône quand une ordonnance administrative a prélevé sur les fonds de l’Etat, ou sur les ressources particulières d’une province ou d’une ville, une somme quelconque à répartir entre les pauvres pour leur rendre plus accessibles les aliments de première nécessité. Outre l’insuffisance bien démontrée de semblables secours, il est un point de la plus haute gravité qu’il importe de ne jamais perdre de vue ; c’est que la substitution absolue de l’aumône publique à l’aumône individuelle serait la destruction complète du christianisme, et l’atteinte la plus considérable au principe de la propriété. Le christianisme n’existe pas sans la charité ; et la distinction fondamentale entre la charité et la justice, c’est que la dette de justice est celle qui peut être exigée ou par le recours aux lois, ou par le recours à la force, selon les circonstances, tandis que la dette de la charité ne peut être commandée par aucun tribunal que par celui de Dieu et de la conscience. Or, si l’assistance à donner aux pauvres devient une des charges du fisc, dès lors l’assistance ne procède plus de la charité, mais de la justice, puisque la contribution fiscale est une dette rigoureuse des citoyens. Et l’histoire nous apprend, à cet égard qu’un des plus grands malheur qui puisse fondre sur une nation, c’est que la charité y perde son véritable caractère, et qu’une cruelle nécessité, résultant de l’affaiblissement de la foi religieuse et de la rareté de l’aumône volontaire, la dénature et la transforme en un impôt forcé. Car, dès lors tout le plan providentiel  de Dieu est renversé. L’aumône n’étant plus libre, ne procédant plus d’un mouvement du cœur, perd à peu près entièrement son mérite devant Dieu, et ne devient plus pour le riche le canal de la grâce divine et l’instrument le plus assuré de son salut. Mais l’aumône ainsi faite cesse aussi d’être méritoire aux yeux de ceux qui la reçoivent. Bientôt ils murmureront les mots de droit à l’assistance, de droit au travail. Le lien d’amour qui rattachait le pauvre au riche étant rompu, tout sentiment de reconnaissance disparaît. La pauvreté devient une sorte de fonction publique, moins rétribuée que les autres, mais qui attend fièrement l’échéance de son traitement… » 

Première instruction pastorale sur l’urgente nécessité de l’aumône dans les temps de détresse publique, carême 1854. 

Albert de Mun était reconnaissant aux Instructions synodales du Cardinal Pie qui, avec la lettre du Comte de Chambord aux ouvriers (20 avril 1865) l’avaient rendu sensible aux questions sociales dans la perspective d’un ordre social chrétien.

                                    Gérard Bedel

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A quoi s’oppose l’idée de règne social de Notre Seigneur et ce que ce règne n’est pas (2/3)

A quoi s’oppose l’idée de règne social de Notre Seigneur et ce que ce règne n’est pas (2/3)

L’idée de règne social de Notre-Seigneur s’oppose au naturalisme et au libéralisme dont Mgr Pie suit le développement historique dans son Instruction synodale du 17 juillet 1871. Il voit ce développement dans les variations doctrinales du protestantisme. « les pères (je cite) avaient nié que Dieu fût dans l’Église ; les fils nièrent à leur tour que Dieu fût dans l’Écriture ». Puis, au XVIIIe s, on nia que Dieu fût en JC avant d’affirmer au XIXe que Dieu n’est nulle part. Mgr Pie a beaucoup utilisé l’Histoire des variations des Églises protestantes de Bossuet, 1688.

Fils de l’hérésie, le naturalisme est pire que l’hérésie. C’est un monstre qui donne naissance à trois autres monstres : le panthéisme, l’athéisme et le matérialisme. Le socialisme sera une de ses conséquences ultérieures, et même, affirme Mgr Pie, « le naturalisme conduit à la négation des bases même de la nature raisonnable, à la négation de toute règle du juste et de l’injuste, par suite au renversement de tous les fondements de la société. » N’en sommes-nous pas là avec une négation de la nature humaine qui rejette le plus élémentaire bon sens ?

Docteur de l’autorité divine, Mgr Pie dénonce aussi le libéralisme, erreur politique comme le naturalisme est une erreur philosophique.

La thèse libérale :

  • Un seul pouvoir dans la société, l’État
  • L’État ne doit rien à l’Église, sinon la liberté
  • L’État n’a pas l’obligation d’être chrétien.

On distinguera plusieurs degrés dans le libéralisme :

  • Libéralisme radical : l’État est purement laïque
  • Libéralisme mitigé, celui que Montalembert expose au Congrès de Malines en 1863

Montalembert veut un régime parlementaire, la liberté de la presse, la liberté d’expression, le libéralisme économique.

Les catholiques doivent accepter franchement une évolution inévitable

La protection de l’État nuit à l’Église : « L’Église libre dans la société libre » proclame-t-il. Mais nous avons déjà vu cela avec Veuillot.

Les peuples, civilisés par l’Église, sont désormais adultes et ont droit à l’émancipation.

Ces thèses furent condamnées par les quatre dernières propositions du Syllabus.

Le raisonnement du libéral est parfaitement rendu dans une lettre du jeune abbé Pie : « Que voulez-vous ?, il avait du bon ce loup ! Ses confrères les loups en disent du bien, il mérite des ménagements ; certain renard même, à qui il fait confidence de toutes ses pensées, assure qu’il a un bon fond. Pourquoi cet agneau a-t-il été le provoquer ? Il n’a eu que ce qu’il cherchait, et il mérite encore qu’on lui donne des leçons. – Ainsi est-il prouvé que le mangeur d’agneaux est le plus doux des loups, et que l’agneau mangé est le plus imprudent des agneaux. C’est ainsi qu’on écrit l’histoire, me dit souvent M. le curé. De graves auteurs ne vont-ils pas disant sérieusement que saint Thomas de Cantorbéry était passablement altier ; que Luther a été mal pris, et que c’est la faute des papes s’il a fini par jeter le masque ? Que mille agneaux soient mangés, c’est tout au plus malheureux ; mais qu’un seul pauvre loup soit égratigné, vous verrez comme il deviendra tout de suite intéressant, même pour les honnêtes gens ! » 

L’essentiel du libéralisme est analysé dans ces lignes de l’abbé Pie inspirées par son maître l’abbé Lecomte, c’est-à-dire l’inversion des valeurs : le criminel est la victime, l’erreur est justifiée par l’intransigeance de la vérité qui devient elle-même l’erreur ! Il en va de même de la sensibilité romantique : Le dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, roman de 1829, étale les angoisses de celui qui doit connaître la guillotine, mais il ignore le meurtre qui a conduit ce malheureux au pied de l’échafaud. Le Romantisme est le frère de la Révolution.

Les catholiques libéraux sont les complices du naturalisme :

« L’Allemagne a voulu faire de la théologie une philosophie transcendante. La France a prétendu contrôler la foi par la science. La religion, pour un trop grand nombre, n’a plus guère été qu’un sentiment, la foi un instinct, la charité un enthousiasme, la prière une pieuse rêverie…On a systématiquement écarté, supprimé, aboli la question divine, prétendant supprimer par là ce qui divise les hommes, et rejetant ainsi de l’édifice la pierre fondamentale, sous prétexte qu’elle est une pierre d’achoppement et de contradiction.

Bref, là où la rupture n’a pas été consommée avec le christianisme, le sens orthodoxe des dogmes catholiques a été dénaturé, l’intégrité et la pureté de la foi a été mise en péril. » Instruction synodale de juillet 1871.

Dans sa 3e instruction synodale sur les erreurs du temps présent (1862-1863), Mgr Pie montre que si le naturalisme doit être totalement rejeté, il existe cependant, selon la doctrine catholique, une nature humaine, et que notre nature raisonnable est importante. Je cite : « Même après qu’elle a subi un dommage et reçu une blessure par la perte de l’intégrité dont elle avait été surnaturellement douée, la nature humaine quoiqu’elle ne puisse pas se suffire à elle-même pour l’accomplissement de ses devoirs même naturels, conserve néanmoins des attributs très élevés…. Le docteur qui a le plus d’autorité dans les questions de la grâce, saint Augustin, a été aussi le pus zélé défenseur de la nature. « Loin de nous, dit-il, la pensée que Dieu puisse haïr en nous ce en quoi il nous a faits plus excellents que les autres êtres vivants ! Loin de nous de décréter le divorce entre la raison et la foi, d’autant que nous ne pourrions même pas croire si nous n’étions pas doués d’âmes raisonnables ! »

On peut, en effet, tomber dans un travers diamétralement opposé au naturalisme mais fort dangereux lui aussi pour la foi catholique, la négation des vertus naturelles. Ce sera, au XVIesiècle, l’erreur de Baïus, professeur à Louvain, précurseur du jansénisme, qui affirmait que toutes les actions accomplies sans la grâce sont peccamineuses

Dans la 1ère instruction synodale [de 1855], l’évêque de Poitiers avait rappelé que la vertu philosophique possède une beauté morale, mais que les lumières naturelles ne peuvent conduire l’homme à ses fins dernières.

« Jésus-Christ n’est pas facultatif » affirmait-il, et qui nie cette obligation méconnaît l’état d’affaiblissement de notre nature.

Ce que le règne de Notre Seigneur n’est pas : 

On demanda à l’évêque de Poitiers d’intervenir auprès du comte de Chambord en 1873 dans l’affaire du drapeau blanc : « Je ne me mêlerai jamais directement aux questions de ce genre, me contentant d’avoir mon sentiment comme particulier et n’engageant jamais ma personne d’évêque dans la politique active ». Il refusa d’être candidat aux élections en 1848, 1870 et 1872.

Ne voyons surtout pas dans le Règne social du Christ une confusion du temporel et du spirituel.

Le monde antique, païen ou juif, opère cette confusion : théocratie juive, divinisation de la Cité ou culte impérial. Et Constantin conservera une vision païenne du pouvoir : C’est le Prince Grand Pontife qui intervient dans les affaires religieuses, ce qui explique en partie la querelle du Sacerdoce et de l’Empire au Moyen-Age.

Le Christianisme remet les choses à leur place: rendez à César ce qui appartient à César…. [(Marc, XII, 13-17; Matthieu, XXII, 21; Luc, XX, 25)]. Le Christ affirme à la fois et avec force sa royauté (« tu l’as dit, je suis Roi ») et le caractère surnaturel de son Règne (« mon Royaume n’est pas de ce monde » Jean, XVIII, 36). Satan emmène Jésus sur une montagne très élevée, lui montre les royaumes avec leur gloire : Je vous donnerai tout cela si, tombant à mes pieds, vous vous prosternez devant moi. Tout le monde connait la réponse : « retire-toi Satan car il est écrit : tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne serviras que lui seul ». Donc, au-dessus de la société naturelle et distincte d’elle, il y a une autre société, surnaturelle dans son origine et dans sa fin. Les deux sociétés sont distinctes mais non séparées car si Jésus affirme sa royauté spirituelle, le monde n’a pas droit à l’indifférence religieuse. Jean, VIII, 12 : « Je suis la lumière du monde ».

Mgr Pie distingue le temporel et le spirituel sans les séparer : « L’Eglise, il est vrai, a des bénédictions puissantes, des consécrations solennelles pour les princes chrétiens, pour les dynasties chrétiennes qui veulent gouverner chrétiennement les peuples. Mais… je le répète, il n’y a plus, depuis Jésus-Christ, de théocratie légitime sur la terre. Lors même que l’autorité temporelle est exercée par un ministre de la religion ,cette autorité n’a rien de théocratique, puis qu’elle ne s’exerce pas en vertu du caractère sacré… »

« Jésus-Christ n’a point dicté aux nations chrétiennes la forme de leurs constitutions politiques…Mais quelque forme que prennent les gouvernements humains, une condition essentielle s’impose indistinctement à eux : c’est leur subordination à la loi divine… » Lettre pastorale, 31 octobre1870. 

Ainsi l’Église n’affirme pas sa domination temporelle et rappelle même aux souverains de ne pas s’attacher personnellement à la puissance, à être les serviteurs des serviteurs…

L’État est légitime. Le cardinal Pie ne dirait pas comme Louis Veuillot avant qu’il ne se ralliât complètement à la monarchie légitime: « Nous avons notre roi depuis longtemps, le Roi Christ… tout autre roi en ce monde ne sera pour nous qu’un collecteur d’impôts… ; mais, pour autant que nous pouvons et que nous avons à choisir, Henri de Bourbon est de beaucoup le collecteur que nous préférons. »

L’évêque de Poitiers avait, pour sa part, écrit au comte de Chambord en 1851 : « Dieu m’a fait la grâce d’être de ces Français pour qui la religion de la seconde Majesté et le dévouement à la race de saint Louis occupent le 1er rang, après l’amour de son saint nom et le service de sa sainte cause. »

Oui, le pouvoir temporel est légitime dans son ordre, avec ses règles et ses droits. D’un autre côté, le Règne du Christ Roi n’est pas de la piété, de la dévotion plaquée sur n’importe quelle forme d’organisation politique et sociale. Un pieux indifférentisme politique, cela existe, représenterait une grave erreur : si les politiques ont la foi, tout va bien, quelle que soit la forme du gouvernement. En France, une assemblée d’élus dominée par 200/300 démocrates-chrétiens continuerait la décadence selon les lois internes du parlementarisme. 

Mais alors, qu’est-ce que le règne du Christ-Roi ?

Gérard Bedel

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Le règne du Christ-Roi et le cardinal Pie (1/3)

Le règne du Christ-Roi et le cardinal Pie (1/3)

20000 pèlerins s’apprêtent à marcher sur les chemins de Beauce à l’occasion du traditionnel pèlerinage organisé par Notre-Dame de Chrétienté. Le thème de cette année « Pour qu’Il règne » est celui du Christ-Roi. 

L’Action Française, injustement condamnée (1926-1939) par ceux qui ont confondu politique et morale revient sur cette doctrine du Christ-Roi, à travers une série d’articles de feu Gérard Bedel. Nous commencerons par un survol de la vie du cardinal Pie. Nous verrons à quoi s’oppose l’idée de règne social du Christ-Roi et ce que ce règne n’est pas. Nous exposerons enfin ce qu’est le règne du Christ-Roi d’après le cardinal Pie *

Le cardinal Pie 

Né à Pontgouin, dans le diocèse de Chartes, en 1815 dans un milieu très humble, fils du cordonnier du village, Edouard Pie fut remarqué dès son enfance pour son intelligence et sa piété par des prêtres qui lui permirent de poursuivre des études alors qu’il perdait son père à l’âge de 6 ans.

L’évêque chargea sa mère de distribuer les aumônes de l’évêché : « Ainsi en était-il sous le toit épiscopal de Naziance ». Mais Nonna, la mère de saint Grégoire était de famille aisée ; veuve, Madame Pie fit des ménages et des lessives pour nourrir les siens.

Maurice de Sully fils d’un bûcheron de Sully-sur-Loiredont la femme fabriquait des balais, deviendra évêque de Paris et entreprit de remplacer l’ancienne cathédrale Saint-Etienne, vétuste et devenue trop petite, par un nouveau sanctuaire consacré à Notre-Dame. C’était au XIIe siècle. Louis VII demanda à Mgr de Sully de baptiser son fils qui deviendra le roi Philippe Auguste.

Rejetons donc l’idée d’un épiscopat réservé autrefois à certaines classes sociales.

Après le petit séminaire, la philosophie au séminaire d’Issy et la théologie à Saint Sulpice.

Il sera ordonné dans la cathédrale de Chartes le 25 mai 1639.

Vicaire, il est chargé des pauvres, mais aussi des riches sur la recommandation de l’abbé Lecomte, curé de la cathédrale, son père spirituel. Pourquoi exclure les riches ? L’abbé Pie est à l’aise dans tous les milieux. 

Dès 1840 son évêque le charge des sermons de carême et son talent éclate en 1844 dans un panégyrique de Jeanne d’Arc à Orléans.

Au matin du 16 mars 1841 un bénédictin de passage demande à dire sa messe dans la cathédrale de Chartres et l’abbé Pie reconnait bientôt Dom Guéranger qui a fait paraître l’année précédente le premier volume des Institutions liturgiques. Les deux hommes nouent immédiatement des liens d’amitié car ils sont tous deux animés du même désir de restauration de la liturgie romaine malmenée en France depuis le XVIIIe siècle par le gallicanisme janséniste qui introduisit un véritable désordre liturgique dans les diocèses. Rien à voir avec les rites anciens et traditionnels comme le rite lyonnais, l’ambrosien, le mozarabe, le cartusien, le dominicain. Dom Guéranger et Mgr Pie se soutinrent mutuellement jusqu’à la mort du grand bénédictin en 1875. Il avait restauré en France en 1837, avec l’approbation de Grégoire XVI l’ordre bénédictin supprimé par la Révolution. Sa cause de béatification a été introduite en 2005 par l’évêque du Mans.

L’abbé Pie fut ultramontain dès le séminaire sous l’influence de l’abbé Lecomte, grand lecteur de Joseph de Maistre.

Il devint vicaire général du diocèse en janvier 1845 à moins de 30 ans.

Il fallait donc que son évêque l’estimât particulièrement parce que Mgr Clausel de Montals, personnage haut en couleur, qui avait été l’aumônier de Madame la Dauphine, duchesse d’Angoulême, avant d’être nommé évêque de Chartres, était gallican. Gallican modéré, à la mode de l’Ancienne France du concordat de Bologne de 1516 (François Ier et Léon X). On vivait alors sous le concordat de 1801, avec les articles organiques imposés par Bonaparte et qui accordaient à l’État une surveillance des diocèses et des paroisses. Louis XVIII voulait restaurer le concordat de François 1er mais l’opposition fut trop forte.

En août 1845, le vicaire général de trente ans, en complète possession de ses moyens intellectuels et oratoires, est remarqué par la presse lors de la bénédiction du viaduc de Maintenon, près de Chartres. On est dans les débuts du chemin de fer et l’abbé Pie met en garde contre les séductions dangereuses du progrès matériel : « La prospérité matérielle d’un peuple ne fournit pas à elle seule les conditions de sa gloire. Et faut-il refuser toute sagesse à ceux qui craignent que le même moteur qui accélère les communications commerciales ne donne des ailes à la corruption, et que la facilité du déplacement et du transport n’enfante ce mal inquiet dont parle l’Écriture, ne finisse par altérer l’esprit de cité, dissoudre les liens de famille et de patrie, en dehors desquels il ne reste plus que l’humeur nomade et vagabonde, et l’indifférence cosmopolite des peuples barbares ?… »

Tout le cosmopolitisme économique, moral, social et politique que nous connaissons aujourd’hui se trouve ici annoncé !

L’abbé Pie est chargé par son évêque en 1848 d’un mémoire sur l’Immaculée Conception ; c’est une demande de Pie IX à plusieurs évêques.

Proposé pour l’évêché de Poitiers, il est sacré à Chartres le 25 novembre1849.

Dans la cathédrale, à partir d’un mot de saint Hilaire, episcopus sum ego, il explique ce qu’est un évêque, pour les prêtres, pour les fidèles.

Mgr Pie data du jour de son sacre la Lettre pastorale qu’il adressa au diocèse de Poitiers. Il y exposait le grand thème de ses prédications : « Toute solution humaine est désormais impossible ; il ne reste à notre société qu’une alternative : se soumettre à Dieu ou périr. Rien ne sera fait tant que Dieu ne sera pas replacé au-dessus de toutes les institutions … La question qui s’agite et qui agite le monde n’est pas de l’homme à l’homme, elle est de l’homme à Dieu… Et si nous devions apporter avec nous un mot d’ordre, ce serait celui-ci : « Instaurare omnia in Christo, restaurer, recommencer toutes choses en Jésus-Christ ». Saint Pie X reprendra cette devise.

Le préfet de la Vienne se tourna vers le clergé : « Messieurs, vous avez un maître. »

Mgr Pie allait se consacrer à son diocèse, à la lutte contre les erreurs du temps, rationalisme et naturalisme, et à la défense des droits de l’Église.

Il accomplit plusieurs visites complètes de son diocèse, fit construire des églises, apporta tous ses soins aux paroisses situées dans des milieux protestants, et s’occupa de ce qu’on appelle La Petite Église : 8000 personnes à l’époque dans les Deux-Sèvres, aux environs de Bressuire. Il ne restait que 2 vieux prêtres dont l’un à Toulouse (il envoyait des anneaux bénis pour les mariages, invalides). Le plus romain des évêques français avait un schisme dans son diocèse ! En 1851, il publie une lettre pastorale pleine de doctrine et de délicate charité ; il obtiendra peu à peu des retours à l’unité romaine.

La Faculté de théologie du diocèse de Poitiers mettra le thomisme à l’honneur bien avant les recommandations de Léon XIII.

En 1856, le diocèse de Poitiers adopte la liturgie romaine.Cette année-là, l’évêque accomplit son 1er voyage à Rome : « Vous vous nommez comme le pape, comment serait-il possible que vous ne fussiez pas papiste ? » dit Pie IX à Mgr Pie.

A partir de 1853 l’évêque de Poitiers subit l’hostilité du parti libéral.

Le15 mars 1859 l’évêque de Poitiers fut reçu par Napoléon III. L’audience dura une heure. L’évêque reprocha à l’Empereur en termes prudents sa nouvelle politique italienne défavorable aux Etats pontificaux, il demanda le rétablissement de la société chrétienne. L’empereur fit remarquer qu’il avait peut-être fait plus pour l’Eglise que la Restauration ; l’évêque acquiesça mais ajouta : « …ni la Restauration ni vous n’avez fait pour Dieu ce qu’il fallait faire, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez relevé son trône… Notre droit public établit bien que la religion catholique est celle de la majorité des Français ; mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale protection. N’est-ce pas proclamer que la Constitution protège pareillement la vérité et l’erreur ? »

L’empereur dit que le rétablissement d’une société catholique n’était pas alors possible. « Sire, quand de grands politiques comme Votre Majesté m’objectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’incliner, parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis un évêque, et, comme évêque, je leur réponds : Le moment n’est pas venu pour J C de régner : eh bien ! alors, le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer ». Admirons la tranquille audace de l’évêque de Poitiers qui met en garde le chef de l’Etat.

La question romaine et l’unité italienne :

La duplicité de Napoléon III vient du fait qu’il est pris entre ses promesses d’ancien carbonaro et l’alliance avec les catholiques qui l’ont aidé à prendre le pouvoir. L’attentat d’Orsini lui rappelle en1858 ce qu’il doit aux sociétés secrètes.

Nous l’avons vu avec Louis Veuillot, 1859 marqua un tournant dans la politique de l’Empire : Soutenu par la France, le royaume de Savoie entreprit de chasser l’Autriche d’Italie et de réaliser l’unité de la péninsule. Les victoires françaises de Magenta et de Solférino eurent pour conséquence l’éviction de l’Autriche de la péninsule italienne. 

En 1861, pour protester contre la complicité de l’Empire avec le Piémont concernant les États pontificaux, Mgr Pie lit en chaire le mandement où il est dit : « lave tes mains, Pilate ». Tout le monde comprend qui est appelé ainsi. L’évêque est condamné par le Conseil d’État et subit un espionnage policier. On cherche à l’impressionner et à détourner de lui ses paroissiens (pression de la gendarmerie sur les maires pour interdire les rassemblements lors des déplacements de l’évêque, par exemple)

Rome lui soumet un questionnaire en 28 points ; ses réponses serviront de base à l’Encyclique et au Syllabus.

En 1865 le gouvernement impérial proclame l’interdiction de diffuser en France Quanta cura qui condamne le naturalisme et le laïcisme. Mgr Pie lit l’encyclique en chaire.

En 1868 a lieu la dernière entrevue avec l’Empereur qu’il met en garde contre l’évolution libérale de l’Empire : « Ne perdez pas de vue, Sire, que pour tout ce parti, la liberté demandée est celle de vous renverser ». Rappelons-nous la mise en garde de Louis Veuillot. Frédéric Le Play dira au même empereur dans les mêmes lieux : « Votre empire mourra de 2 choses : le suffrage universel et le principe des nationalités : l’Alsace sera allemande et le palais où je vous parle, Sire, sera détruit. » On connaît la guerre de 70 et les incendies de la Commune.

En 1869 Mgr Pie est nommé second de la Commission de la Doctrine et de la Foi au Concile où il joue un rôle de 1erplan (foi et raison, infaillibilité)

En 1871 il est au premier rang pour le vœu national au Sacré Cœur. Il refuse du siège de Tours, il refusera Lyon en 1876, l’archevêché le plus prestigieux de France.

Il use de son influence, à partir de 1872, pour faire nommer de bons évêques.

Il est proposé pour le cardinalat en1874 mais le gouvernement français refuse.

Les deuils commencent en 1875 avec la mort de Dom Guéranger. L’année suivante meurt Madame Pie, sa mère. 

En 1878 meurt Pie IX dont il défend la mémoire immédiatement attaquée. Il se rend auprès de Léon XIII qui lui obtient le chapeau l’année suivante. Mgr Dupanloup était mort. La République refusait jusque-là le chapeau pour Mgr Pie parce que Rome ne voulait pas l’accorder à l’évêque d’Orléans, adversaire de l’ultramontanisme.

Le dernier voyage à Rome eut lieu en 1880. La santé décline depuis des mois : névralgies, insomnies, douleurs des jambes. Il dit de son cardinalat : « ce m’est un avertissement de me préparer à mourir ». Humilité, bonté, piété étaient ses principales qualités. Bonté même quand il faut réfuter et même sévir. Piété solide mais discrète, surtout faite de vie intérieure.

Une rupture d’anévrisme à Angoulême provoqua la mort et, selon son désir, il fut enterré à Notre Dame la Grande, à Poitiers, auprès de la statue de la Vierge Marie.

En le rappelant à l’âge de 65 ans, Dieu lui accordait la grâce de ne pas voir avec les yeux d’ici-bas Au milieu des sollicitudes (Inter Sollicitudines), encyclique publiée d’abord en français, contrairement à l’usage habituel, le 16 février 1892 par le pape Léon XIII. Cette encyclique avait été préparée par Nobilissima Gallorum Gens de 1884 et par le toast d’Alger, porté par le cardinal Lavigerie en 1890. Son objectif était d’inciter tous les catholiques de France à accepter la forme républicaine de l’État. La Tour du Pin déclara : « le pape avait ses zouaves, il aura désormais ses grognards ». Et le comte de Chambord fit remarquer avec ironie que l’Église condamnait le suicide et qu’il lui était donc impossible d’accepter…

Gérard Bedel

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