Sauville, M. Illustrateur. La Gueuse. Impression photomécanique en couleurs. 1903. Bibliothèque historique de la Ville de Paris.

« La seconde des idées révolutionnaires, le principe d’Egalité, constitutif du régime démocratique, livra le pouvoir au plus grand nombre, aux éléments inférieurs de la nation, producteurs moins énergiques et plus voraces consommateurs, qui font le moins et mangent le plus. Découragé, s’il est entreprenant, par les tracasseries de l’Administration, représentante légale du plus grand nombre, mais, s’il est faible ou routinier, encouragé par les faveurs dont la même administration fait bénéficier sa paresse, notre Français se résigna à devenir un parasite des bureaux, de sorte que se ralentit et faillit s’éteindre une activité nationale où les individus ne sont pas aidés à devenir des personnes et les personnes étant plutôt rétrogradées jusqu’à la condition des individus en troupeaux. »

 (Charles Maurras, Romantisme et Révolution, Préface L’origine commune)

Contradiction apparente

Nous abordons le deuxième volet du désordre social, en contradiction apparente avec le premier. En effet, à première vue, liberté absolue et égalité sont des termes antinomiques. La liberté sans bornes offre aux membres de la société la loi de la jungle où le fort écrase le faible. Sous la Révolution, la loi Le Chapelier, mère du problème ouvrier en fut un exemple illustre. La destruction des corporations au nom de la Liberté livra l’ouvrier à l’arbitraire patronal.

Mais, contraires selon les règles de la logique classique, les deux éléments de la doctrine républicaine, le libéralisme et l’égalitarisme, sont complémentaires dans la mystique démocratique en cela qu’ils ressortent tous deux du même principe erroné ; l’autonomie de l’individu.

Il existe certes une égalité spécifique entre tous les hommes, mais cette égalité par essence n’empêche pas l’inégalité individuelle des conditions, l’inégalité accidentelle qui fonde les droits relatifs des membres d’une société saine et raisonnable.

Les conséquences de l’Égalité

Le pouvoir, en République, va donc être en apparence livré à la masse, et, reprenant les analyses que saint Thomas a tirées d’Aristote et de Cicéron, Maurras évoque la foule de ceux qui coûtent au corps social plus qu’ils ne lui rapportent, le grand nombre de ceux qui, poussés par les démagogues, voteront les dépenses que le petit nombre règlera. La foule gaspillera, les créateurs de richesses s’épuiseront, et la société sombrera dans l’appauvrissement.

La liberté sans frein ayant engendré l’administration, car il faut bien que l’élu tienne son électeur, cette dernière va se mettre naturellement au service de l’égalité socialisante. Le Français actif et indépendant connaîtra d’abord les freins et les brimades des bureaux mis au service de l’envie égalitaire, et bientôt le citoyen qui pouvait contribuer à la prospérité générale, qui était une personne, c’est-à-dire un être conscient et responsable, conscient de ses droits, de ses devoirs et de ses possibilités, se dégradera en simple individu, consommateur assisté de l’Etat-Providence. 

En prétendant concilier des principes frères, dangereux séparément, mortels quand ils sont associés, la démocratie désagrège la société et ravale les personnes au rang d’individus soumis.

« Les libertés, cette énonciation est un non-sens. La Liberté est. Elle a cela de commun avec Dieu, qu’elle exclut le pluriel. Elle aussi dit : sum qui sum. » le lecteur aura reconnu les accents inimitables de Victor Hugo quand il se prend pour un penseur. Leconte de Lisle a dit qu’il était bête comme l’Himalaya. C’est pourtant à l’ombre de l’inégalité reconnue, protectrice, que peuvent fleurir les libertés qui assurent l’épanouissement de la personne, sa réalisation pour le Bien commun.

Gérard Baudin

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