Affiche du film de Ridley Scott sur Napoléon

La sortie du Napoléon de Ridley Scott avait ravivé les discussions sur l’empereur. Sur le bilan strictement technique et cinématographique, les avis se rejoignent majoritairement pour dire leur déception devant un film qui, malgré une matière historique gigantesque et des moyens financiers eux-mêmes généreux, ne parvient à créer ni le souffle épique ni le développement scénaristique que l’on attendait. Au mieux peut-on se consoler en admirant, pendant quelques minutes, de belles scènes de bataille, quelques beaux décors et des costumes d’époque plutôt réussis. Mais c’est un bilan assez maigre.

Le film a aussi déçu tout le monde sur l’aspect historique : les passionnés de l’empereur estiment qu’il a été présenté de façon caricaturale et dépréciative, pendant que ses détracteurs regrettent qu’un film à gros budget, bon ou mauvais, ne serve pas à faire le procès à charge d’un personnage historique critiqué aujourd’hui, par les animateurs dans l’air du temps, surtout parce qu’il a rétabli l’esclavage et régné comme un despote. Il n’existe pas en effet, dans l’espace intellectuel français « grand public », une critique de Napoléon qui ne soit pas de gauche ; au contraire le clivage se contente de prétendre que Napoléon ne peut être aimé que pour de mauvaises raisons par la droite et critiqué pour de bonnes raisons par la gauche. Tel homme de droite qui voudrait proposer un avis négatif sur le personnage n’aurait nulle part où se loger dans le petit cirque pseudo intellectuel de notre époque.

Pourtant une telle critique a existé. Du côté de l’Action française, Léon Daudet a publié en 1939 Deux idoles sanguinaires, la Révolution et son fils Bonaparte dans lequel il expose les relations filiales entre l’horrible Révolution et ce fils qui, ayant germé dans un tel ventre, ne pouvait lui-même que continuer la mauvaise œuvre commencée par sa génitrice. Mais ce livre, s’il est plaisant à lire grâce à la plume toujours affûtée de Daudet, n’est pas ce que la droite nationaliste a proposé de plus convaincant pour s’approcher de l’empereur : dix ans plus tôt, Charles Maurras a publié un petit texte autrement plus dosé en explosif intellectuel : Napoléon, avec la France ou contre la France ?

Ici, au lieu de simplement reprocher à Napoléon d’avoir fait la guerre (ce que Maurras lui reproche aussi mais avec des arguments à la fois politiques, humains, géostratégiques et historiques) et d’être à l’origine d’un bilan humain terrifiant, le maître de l’Action française dénonce aussi les effets délétères du Code Napoléon dans l’organisation anthropologique de la France, critique des choix d’alliances et des décisions diplomatiques catastrophiques en ceci qu’ils ont semé le poison d’où naîtra ensuite, par ricochets, beaucoup des grands conflits militaires que la France, bien après le passage sur la terre de Napoléon, devra longtemps affronter. Là où Maurras se différencie d’une critique qui ne serait qu’un bilan comptable des morts des guerres napoléoniennes, c’est en ceci qu’il va chercher jusque dans l’œuvre institutionnelle et juridique de l’empereur des raisons de l’accuser avoir fait du tort à la France. Un travail intellectuel de cette envergure n’existe plus aujourd’hui, le débat sur Napoléon ayant été, nous le disions plus haut, pris en otage par des gens qui, eux-mêmes pris en otage par la droite, se sentent obligés de le défendre contre des gens qui, pris en otage par la gauche, reprochent à Napoléon de n’avoir pas créé Sos-racisme et l’international LGBT de son vivant.

Que l’un des grands parmi les grands dans l’offre intellectuelle de droite, Charles Maurras, soit au nombre des adversaires de Napoléon surprendra sans doute nos contemporains. Si ce n’était que pour cela, si ce n’était que pour son côté étonnant, le livre de Maurras mériterait d’être lu. Heureusement, il est beaucoup plus que cela. Pour l’avoir fait lire à de nombreux admirateurs de Napoléon dont certains étaient même des adorateurs, je puis confirmer que Charles Maurras, par la redoutable efficacité de sa démonstration intellectuelle et argumentaire, a livré un texte d’une hauteur, d’une précision et d’une puissance rarement atteintes par un auteur, surtout — et c’est là aussi que réside l’exploit — en seulement quelques dizaines de pages, d’ailleurs écrites dans un français d’une beauté cristalline.

Jonathan Sturel

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