Après la constitutionnalisation de la « liberté d’avorter », à une encablure d’une loi sur la fin de vie dont la discussion devrait commencer en juin, centrée sur le suicide assisté et prévoyant pour les cas où celui-ci est impossible « l’exception d’euthanasie ». Sur le plan de la gravité et de la symbolique des initiatives réussies ou qui risquent de prospérer sous Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs, cette présidence d’un homme qui a fait le choix de ne pas procréer aura été l’une des plus transgressives de l’histoire de France. Mise en œuvre par lui et ceux qui l’entourent, elle est un assaut multiforme contre la vie, la famille, la lignée, les liens constitutifs d’une société ordonnée au bien commun. Le gendre idéal, le Jupiter lisse qui a le soutien des gens conformistes, bien installés et convenables (sans compter ceux qui se souviennent de lui comme de leur sauveur face à la menace mortelle du covid) est en train de détruire, morceau par morceau, ce qui nous reste de civilisation. Il nous a précipités dans la Révolution par excellence, celle qui fait table rase de tout, y compris de l’homme lui-même et de ce qui fait son humanité.  

On nous dit – dans le domaine de la bioéthique, bien sûr, pas celui des paysans, des droits des parents ou de la liberté d’éducation, pour n’évoquer que ceux-là – que l’heure est à l’autonomie absolue de la personne, à la prise en compte de tous les droits et au respect de chacun dans sa liberté de vivre et de procréer. Mais le vrai message que susurre ce discours en apparence bienveillant tient en cinq mots : « Vous serez comme des dieux. » Avec lui, c’est à chaque homme, à chaque femme, et à toutes leurs déclinaisons intermédiaires et changeantes qu’appartient le droit de dire « son » bien, « son » mal, pourvu qu’il aille contre leur acception traditionnelle. Le bien commun, quant à lui, est remplacé par l’ego, ou la somme des ego, et la politique est priée de les servir, même dans ce qu’ils ont de plus conflictuel. Avec un bonus pour le droit du plus fort, par le fait même. 

Pour prendre la mesure de ce grand bouleversement qui s’apprête aujourd’hui à franchir de nouvelles étapes fondamentales, il faut souligner le rôle joué par la science, la technique, la machine. Ce faisant on comprendra qu’il ne s’agit en effet que d’une étape : l’avènement de l’intelligence artificielle, de l’homme augmenté et des robots de plus en plus humanoïdes prolongeront – si nous les laissons faire – et aggraveront l’exercice de la haine contre notre nature. Cette nature est niée, nous ne vaudrions pas plus que les autres espèces sur notre planète divinisée… Alors que nous sommes corps et âme créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, appelés à jouir avec lui d’une joie éternelle et à cette fin, soumis à ce que l’on pourrait appeler le mode d’emploi divin qui affirme, à travers la morale, les conditions de notre bonheur. 

Revenons à la science. Le ministère de la Santé définit la bioéthique comme un « ensemble de recherches, de discours et de pratiques, généralement pluridisciplinaires, ayant pour objet de clarifier ou de résoudre des questions à portée éthique suscitées par l’avancement et l’application des technosciences biomédicales ». 

Tout ce qui renverse aujourd’hui l’ordre établi a été rendu possible par la médicalisation de la procréation (ou son évitement) et la démédicalisation de ce qui était naguère, dans la plupart des cultures du monde, considéré comme un désordre psychiatrique

D’un côté, le succès (on ne parle guère des inconvénients) de la contraception mécanique ou hormonale sous toutes ses formes, la sécurisation de l’avortement (pour la mère, s’entend), chirurgical ou chimique, l’accès aux gamètes et aux embryons humains, que l’on peut modifier, étudier et détruire, trier, fabriquer, implanter où l’on veut et peut-être un jour dupliquer sans même avoir recours à autre chose qu’à l’ADN de l’intéressé, fait progresser la maîtrise de la fertilité et l’artificialisation de la procréation.

De l’autre, la relative « propreté » de l’élimination du souffrant ou du gêneur en fin de vie ou fatigué de vivre : antalgiques, sédation, poison mortel vous ont aujourd’hui un petit air de médecine compatissante. Fabriquer la vie ou précipiter dans la mort relève aujourd’hui de la technique de laboratoire assistée par le discours politico-médiatique. C’est le progrès ! 

Et nous en sommes là justement : à l’idée que toutes ces innovations prométhéennes doivent être accessibles à tous, moyennant quelques interdits de façade, plus ou moins pérennes. 

Ce n’est pas par hasard que la PMA – la procréation médicalement assistée – a été étendue à toutes les femmes, qu’elles soient célibataires ou en couple de même sexe, sous le premier quinquennat Macron. Il a paru ces jours-ci dans Le Monde un long entretien avec une psychologue, Alix Franceschi-Léger, où elle parle de ses couples qui ont « l’impression de se transformer en machine » en confiant leur désir d’enfant au médecin, et en assumant toute la lourdeur de cette procédure qui est très loin d’aboutir à chaque fois. Mais cette lourdeur, si parlante, qui en dit tant sur l’aspect anti-naturel de ce forçage des corps de l’homme et surtout de la femme, est gommée du débat public. Un enfant sur trente est aujourd’hui conçu de cette manière, dans l’éprouvette du technicien : père et mère sont en voie de devenir des catégories vouées à la confusion, on ne sait plus qui est qui, qui est quoi, la légitimité de la descendance est devenue une blague. Amoyen et à long terme, c’est le chaos qui s’annonce, soutenu par des lois de filiation profondément révolutionnées, elles aussi sous Macron. 

Alors que la France connaît un déficit de naissances historique, le président a annoncé le « réarmement démographique », avec un « grand plan de lutte contre l’infertilité ». PMA étendue, congélations d’ovocytes en feront-elles partie ? C’est la tendance mondiale, de la Russie aux Etats-Unis ; la Chine rendue exsangue par sa politique de l’enfant unique subventionne depuis peu la fécondation in vitro. A force de jouer aux apprentis sorciers les Etats prennent la main… 

La PMA a aujourd’hui un visage à la tête de l’État : celui de Gabriel Attal, Premier ministre qui a brandi son homosexualité comme un symbole lors de son premier discours de politique générale et qui a lui-même révélé il y a trois ans être né d’une fécondation in vitro. Attal s’est aussi montré favorable à la GPA, la « gestation pour autrui » qui est en réalité une location d’utérus. Il s’est dit « pas contre une GPA éthique » lors d’un entretien en 2019. Comme si c’était possible. Comme s’il pouvait être « éthique »de fabriquer des embryons, d’en choisir un ou plusieurs selon leur bonne santé, de les implanter chez une mère pour être portés pendant neuf mois et de lui arracher le fruit de ses entrailles à la naissance. Logiquement, c’est la prochaine étape législative. Y arriverons-nous ? Sinon aujourd’hui, du moins avant la fin du deuxième quinquennat Macron ? 

Le débat sur la constitutionnalisation de l’« interruption volontaire de grossesse » risque fort d’avoir pour conséquence d’éliminer les espoirs ou plutôt les illusions de ceux qui pensent possible le maintien de quelques barrières dans le domaine. Quasiment comme un seul homme, les députés ont décidé par 493 voix contre 30, et 23 abstentions, d’inscrire la liberté d’avorter dans la « carte d’identité » de la République. Et même parmi les opposants si peu nombreux, personne n’a affirmé le droit de vivre de l’enfant conçu en tant qu’être humain unique et irremplaçable, membre à part entière de notre espèce : ils ont plutôt souligné que l’accès à l’avortement n’était de toute façon pas menacé.

Autrement dit, et quoi qu’ils en pensent dans leur for intérieur, chez les élus du RN à ceux des Insoumis en passant par toutes les couleurs de l’hémicycle, le débat de fond n’existe plus et n’a même plus le droit d’exister dans la sphère politique. Ils n’entendent pas ramer à contre-courant du sens de l’histoire qu’on leur impose et auquel la plupart a de toute façon adhéré. Ils ont accepté les transgressions les unes après les autres, et le discours des droits a fait le reste. Il suffira de l’activer une nouvelle fois pour aller plus loin encore. 

En réalité, ils sont tous soumis, aveuglément soumis au mensonge bioéthique. Celle-ci se prétend éthique mais a depuis sa création rejeté les principes les plus simples de la morale et de la réalité humaine et familiale, conditions la véritable paix sociale qui est tranquillité de l’ordre. 

Sous Macron, cette emprise nihiliste s’est appesantie comme jamais. On peut la refuser au plan individuel, construire sa vie et sa famille en contournant le néant, mais si la France doit rester ce qu’elle est, on ne peut nier que le combat est aussi politique, et condition de survie.

 

Jeanne Smits

 

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