La séparation entre l'Eglise et l'Etat est un grand principe de la laïcité

Suite au précédent article concernant la laïcité.

L’obstination des premiers chrétiens triompha avec l’édit de Milan en 313 qui posa le principe de la séparation des Églises et de l’État et de la reconnaissance de tous les cultes. Principes que Constantin respecta scrupuleusement, puisque parmi ceux qui l’entouraient, on trouvait aussi bien des chrétiens que des gens restés fidèles aux anciennes religions.

L’empereur à la rescousse de l’Église face aux hérésies

Mais, à peine libre, l’Église fut déchirée par des hérésies dont la plus célèbre et la plus redoutable fut l’arianisme : Jésus était-il un homme, était-il Dieu ou était-il vrai Homme et vrai Dieu ? Arius prétendait que le Christ n’était pas l’égal du Père.

Les évêques sollicitèrent l’arbitrage de Constantin qui, par souci politique d’éviter les divisions dans son empire, convoqua en 325 le Concile de Nicée dont il assura la présidence. Ce concile reconnut que le Fils était l’égal du Père, qu’il était tout à la fois vrai Dieu et vrai Homme.

Les premiers conseils œcuméniques mettent en doute la séparation entre Église et État

En 381, l’empereur Théodose Ier convoqua à Constantinople un autre concile œcuménique afin de proclamer que l’Esprit-Saint était la troisième personne de la Sainte Trinité. En 435, à Ephèse, Théodose II fit reconnaître que Marie était bien la mère de Dieu contrairement à ce qu’affirmait Nestorius, patriarche de Constantinople.

Les sept premiers conciles œcuméniques furent convoqués par les empereurs ce qui aboutit à une confusion totale entre le politique et le religieux, confusion aggravée du fait que certaines empereurs sentant l’empire ébranlé appelèrent l’Église à leur secours. Honorius nomma les évêques « défenseurs de la cité » ce qui aggrava la confusion entre le spirituel et le temporel en donnant à ces derniers un rôle politique qu’ils n’auraient pas dû avoir.

Saint Augustin : le temporel doit s’incliner devant le spirituel

Saint Augustin dont la pensée domina tout le Haut Moyen Âge, au moins en Occident, embrouilla encore plus les choses puisque dans son œuvre majeure, La cité de Dieu, il reconnaît, certes, que les deux pouvoirs sont indépendants mais que l’un, la cité de Dieu représentait le bien et l’autre, la cité des hommes, le mal. La première était donc supérieure à la seconde.

Cet enseignement fut repris par Gélase, pape de 492 à 496, lorsqu’il écrivit à l’empereur Athanase Ier : « Il y a deux principes, Empereur Auguste, par qui ce monde est régi au premier chef : l’autorité sacrée des pontifes et la puissance royale, et des deux c’est la charges des prêtres qui est la plus lourde, car devant le tribunal de Dieu ils rendront compte même pour les rois des hommes ». Il s’ensuivait donc logiquement que le pouvoir temporel devait s’incliner devant le pouvoir spirituel.

Grégoire le Grand, Isidore de Séville, Jonas d’Orléans et Hincmar s’inspirèrent, eux aussi, de cette théologie politique issue des idées de saint Augustin. On pourrait donc penser que le Haut Moyen-âge a connu un véritable « augustinisme politique » selon la formule désormais célèbre de Mrg Arquillère. La séparation entre l’Église et l’État était vraiment hors de propos à cette époque.

Le religieux au service du pouvoir politique durant le Haut Moyen Âge

La réalité est en fait plus complexe. La victoire de Justinien sur les barbares en Afrique en 533-534 entraîna la soumission des papes aux décisions des empereurs d’Orient. Depuis 535, les papes devaient soumettre leur élection à l’approbation des empereurs et les prélats étaient choisis par les rois.

Certes, le pape Zacharie déposa Childéric, dernier mérovingien au profit de Pépin le Bref en 751 tandis qu’en l’an 800, Léon III couronnait empereur Charlemagne. Mais il ne faut pas oublier que dans le même temps Charles Martel et Pépin le Bref s’emparaient des biens de l’Église pour les distribuer à leurs fidèles. Charlemagne qui se faisait certes lire les œuvres de saint Augustin durant ses repas. Mais, encouragé par Alcuin, il exigeait de ses prélats les mêmes services d’arme et de cour que pour ses autres vassaux. Il réglementait l’administration des diocèses et des monastères, et présidait les synodes. Il réunit un concile à Aix-la-Chapelle et trancha lui-même la question du «  filioque ».

Le Saint-Empire : un système sans séparation entre Église et politique ?

En Allemagne, Othon Ier, fondateur du Saint-Empire romain germanique, utilisa plus tard les évêques comme cadres de son administration naissante. En favorisant le mariage des prêtres, et même des évêques, la féodalité tenait les clercs « par la terre et par la chair ». Il s’en fallut de peu que l’empereur ne concentra entre ses mains les deux pouvoirs.

Dans ce système ignorant totalement la séparation du spirituel et du temporel, les deux pouvoirs étaient étroitement mêlés, parler de laïcité relevait de la plaisanterie. Mais avec l’élection de Grégoire VII en 1073 les choses changèrent brusquement…

(à suivre…)

Article précédent : La laïcité en question

Philippe Prévost

N'hésitez pas à partager nos articles !