L'assemblée nationale garante de la souveraineté populaire ?

Dans les articles précédents, nous avons interrogé Tocqueville et Platon au sujet de la démocratie. Nous posons à présent la même question à Bonald : qu’est-ce que la démocratie ? On ne peut résumer dans un court article la pensée de Bonald sur le sujet. Il faudrait parler du divorce, « véritable démocratie domestique »1 ; mais pour l’heure nous nous intéresserons seulement à la théorie de la souveraineté populaire.

La souveraineté du peuple a-t-elle une réalité historique ?

Dans l’esprit de bon nombre de nos contemporains, la démocratie est non seulement le meilleur des gouvernements, mais même le seul qui ait le droit d’exister. Ce préjugé s’enracine dans la théorie de la souveraineté populaire : si le peuple est le véritable souverain, le seul gouvernement légitime est celui dans lequel la souveraineté du peuple est reconnue et peut effectivement s’exercer. Pourtant, la théorie de la souveraineté populaire ne résiste pas à un examen sérieux. Quel que soit le sens qu’on lui donne, cette souveraineté paraît être une chimère à laquelle aucune réalité historique ne correspond.

Admettons un instant que le peuple soit l’autorité suprême. Sur qui cette autorité s’exercerait-elle ? Là où il y a un souverain, il doit y avoir des sujets ; mais « où seraient les sujets quand le peuple est souverain ? »2

Qu’est-ce que la souveraineté populaire selon Rousseau ?

Les amateurs de la souveraineté populaire répondront peut-être que le peuple est souverain dans ce sens qu’il a le droit de faire les lois. C’est la définition de Rousseau qui, avec son goût habituel pour l’exagération, va jusqu’à soutenir que seules les lois faites par le peuple méritent le nom de lois : « toute loi, que le peuple en personne n’a point ratifiée est nulle. Ce n’est point une loi. »3

Mais là encore, on ne trouve dans l’histoire aucun exemple d’une telle chose, qui est tout simplement impossible : car « il se trouve que nulle part le peuple n’a fait des lois, qu’il est même impossible qu’un peuple fasse des lois, et qu’il n’a jamais fait, et qu’il ne peut jamais faire autre chose qu’adopter des lois faites par un homme appelé pour cette raison législateur. »4

La raison de cette impossibilité, c’est qu’une loi est une parole : elle ne peut être que l’œuvre d’une personne, et non pas d’une multitude. On peut, comme le fait Rousseau, personnifier le peuple ; mais ce n’est jamais qu’une figure de style.

Peut-on parler de peuple souverain en démocratie représentative ?

On pourra prétendre encore que la souveraineté appartient au peuple « dans ce sens que le peuple en délègue l’exercice, en nommant ceux qui en remplissent les diverses fonctions ». Mais c’est là encore une chose dont on ne trouve aucun exemple dans l’histoire, pour la même raison que précédemment : « il se trouve que le peuple ne nomme personne, et ne peut même nommer qui que ce soit ; mais qu’un nombre convenu d’individus, qu’on est convenu d’appeler peuple, nomment individuellement qui bon leur semble, en observant certaines formes publiques ou secrètes dont on est également convenu. » 5

Le peuple, qui n’est pas une personne mais une multitude de personnes, ne peut nommer qui que ce soit. L’élection par le peuple est donc une fiction. Bref, quel que soit le sens qu’on lui donne, la souveraineté populaire est une théorie à laquelle aucune réalité historique ne peut jamais correspondre. « Donc cette proposition générale ou abstraite : La souveraineté réside dans le peuple, n’a jamais reçu et ne peut recevoir aucune application ; donc c’est une erreur. »6

Jules Putois

  1. Louis de Bonald, Du Divorce, chapitre premier. ↩︎
  2. Louis de Bonald, Théorie du pouvoir politique et religieux, préface. Joseph de Maistre a fait la même réflexion au début de son Étude sur la souveraineté : « Le peuple est souverain, dit-on ; et de qui ? — De lui-même apparemment. Le peuple est donc sujet. » ↩︎
  3. Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, livre III, chap. 15. Pour être juste, remarquons que Rousseau n’attribue pas au peuple le pouvoir de faire la loi, mais seulement celui de la ratifier. ↩︎
  4. Louis de Bonald, Théorie du pouvoir politique et religieux, préface. ↩︎
  5. Ibid ↩︎
  6. Ibid ↩︎
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