L’année 2020 a été très féconde en discours complotistes de toutes sortes, il faut dire que l’actualité a été très propice à l’excitation des imaginations: au premier chef le coronavirus, l’élection présidentielle américaine dont le scrutin n’aurait pas été sincère et enfin le vaccin et “big pharma” qui lui est associé.
Il va s’agir dans ce petit article de séparer le bon grain de l’ivraie. Ce qu’on appelle les “complotistes” peuvent parfois par leur grand sens critique et leur méfiance instinctive contre tous les discours officiels, contribuer à la recherche de la vérité et à la démystification de maints discours. Il ne faut donc pas mépriser la méthode analytique du complotisme que l’on pourrait appeler la philosophie du soupçon maximale. Hegel disait à raison que la vérité, c’était le tout, das Wahre ist das Ganze. Les analyses des esprits exercées qui pratiquent la philosophie exacerbée du soupçon peuvent donc être bénéfiques et profitables pour confondre les imposteurs, les menteurs et contribuer à subvertir et à ruiner un peu plus les fondements d’un Système, d’un régime et de ses suppôts que nous abominons. Par exemple quand elles démystifient des intérêts de classe prosaïques gazés dans une phraséologie populiste et nationaliste ou un judaïsme latent et mal assumé dans le messianisme laïque et matérialiste du marxisme.
Mais à voir ensuite matière à soupçon partout, on verse dans une forme de paranoïa malsaine, une vile irrationalité, pis le mensonge systématique. Cette forma mentis va même jusqu’à considérer Hitler comme l’enfant des Rothschild préposé à la tête de l’Allemagne pour mieux servir les intérêts d’Israël. Ne riez pas, c’est ce qu’un conspi’ en délire m’a dit un jour et sérieusement. Mon mot d’ordre est radical oui, mais avec la probité la plus scrupuleuse et la rationalité la plus stricte.
Avant d’appréhender un problème, il faut d’abord vérifier toutes les informations dont nous disposons et essayer d’acquérir quelques lumières générales sur le sujet. Avant de parler en expert des élections américaines par exemple, il sied de s’intéresser un peu aux institutions américaines et à l’histoire des Etats-Unis.
Le problème du complotisme est épistémologique, il prétend complètement se substituer à la science et à la causalité rigoureuse (c’est tout simplement la définition de la science et elle est ancienne, elle est d’Aristote: la science, c’est la recherche de la cause) des faits, tout en ignorant parmi ladite causalité les causes purement impersonnelles et ces dernières sont très nombreuses. Un étudiant en première année de philosophie qui lit Spinoza va tout de suite comprendre. Le maître d’Amsterdam disait qu’on inclinait à moraliser tout ce que l’on ne comprenait pas, entendre qu’il est impossible de connaître la multiplicité des causes déterminant un phénomène et c’est un tropisme de l’esprit humain de vouloir interpréter, donc moraliser, à tout prix ce qui nous échappe.
Pour prendre un exemple lié à la connaissance du deuxième genre chez Spinoza, la connaissance scientifique, un enfant peut maugréer et peut se gendarmer contre la pluie quand il veut sortir dehors pour jouer, mais avec l’âge il apprendra que la pluie est nécessaire et qu’elle appartient à l’ordre du monde, il ne jugera désormais plus la pluie comme bonne ou mauvaise. Le conspi, dans sa méthode poussée à son paroxysme, ne cherchera pas à comprendre le phénomène de la pluie, il inclinera à condamner la pluie d’emblée en essayant de lui trouver une origine mystérieuse, intelligente et malfaisante.
L’ontologie la plus élémentaire insulte donc au complotisme poussé à sa logique extrême. Comme le dit François Bousquet dans un entretien qu’il a accordé à Daoud Boughezala pour la sortie de son essai Biopolitique du coronavirus. Télétravail, famille, patrie : “Comment détester la logique abstraite du capital ou de la mondialisation [c’est à la base une logique impersonnelle, le monde de la technique chez Heidegger, il faut lire la conférence de Heidegger: Le dépassement de la métaphysique, il y a trop de jargon malheureusement]? En lui donnant les traits de Bill Gates !”.
L’erreur du complotiste est donc de rendre tous les phénomènes sociaux intelligents et personnels, il y aurait toujours un être malfaisant qui chercherait à imposer ses intérêts au détriment de l’intérêt général. C’est cette épistémologie, cette manière d’appréhender les phénomènes politiques et sociaux qu’il faut blâmer et condamner. Le complotisme ou philosophie du soupçon exacerbée nous fait en outre passer le plus souvent pour des malappris, des gens peu scrupuleux, dépourvus de capital culturel et à la moralité douteuse.
David Veysseyre