Politique étrangère : Munich, Poutine, Hitler, Trump, Daladier et les autres

Politique étrangère : Munich, Poutine, Hitler, Trump, Daladier et les autres

Trump et Poutine ont relu leurs classiques. A Munich, pour les accords de paix de 1938, Adolf Hitler, assisté de Mussolini médiateur, avait invité les puissances qui comptaient, la France de Daladier et la Grande Bretagne de Chamberlain, pas Staline, ni Benès, le président de la Tchécoslovaquie qu’il s’agissait de démembrer pour faire la paix. De même aujourd’hui, l’Europe est-elle écartée comme naguère l’URSS, et l’Ukraine tenue en lisière comme naguère la Tchécoslovaquie. Telle est toujours la loi des plus forts.Nous autres Européens sommes un peu dépités, mais nous devons manger notre humiliation, c’est le brouet des plus faibles.

Épuisés par la seconde guerre mondiale, nous avons accepté la tutelle des USA qui nous ont colonisés en échange de la prospérité du plan Marshall et de leur protection : ils ont trouvé en l’Europe des vassaux et un marché où épandre leur trop-plein de biens. Il semble qu’aujourd’hui, Trump juge l’OTAN trop cher et le déficit commercial des États-Unis face à l’Union européenne insupportable.

Je ne suis pas sûr qu’il sache vraiment bien compter : il minimise par exemple et le surcroît d’influence que l’Europe lui offre, et les économies d’échelle que permet à l’industrie du divertissement américaine le marché captif européen, et les économies en soldats que l’armée française donne aux USA depuis 70 ans en Afrique, et enfin le pompage permanent de matière grise toute formée européenne par l’Amérique. On peut donc dire sans crainte d’erreur que Washington vampirise et asservit l’Europe tout en la méprisant.

C’est pourquoi certains ont peint Vladimir Poutine sous les traits d’un chevalier blanc avec qui aurait été possible une alliance eurasiatique pour la défense de la civilisation chrétienne et blanche : dans cet ordre d’idées, quelques propos de bon sens de sa part sur les folies de l’arc-en-ciel ont séduit les plus crédules.

Mais il a ses propres préoccupations en tête. Sans doute la croissance de liens commerciaux et industriels entre l’Europe et la Russie était-elle possible et souhaitable, mais la faillite des accords de Minsk qui prétendaient régler la question ukrainienne en 2015 en a marqué les limites. Hollande et Merkel, qui s’en étaient portés garants, ont depuis avoué qu’ils n’y voyaient qu’un expédient pour gagner du temps et armer Kiev : or c’est pourtant Merkel qui avait poussé le gazoduc Nord Stream et le remplacement du nucléaire par le gaz russe. Bel exemple d’inconscience et de schizophrénie. Bel exemple de forfanterie : avec Biden, ont-ils vraiment pensé imposer à Moscou la présence d’un adversaire membre de l’OTAN aussi près du territoire russe que Cuba l’était de la Floride ?

Bel exemple d’amnésie enfin : la Russie, impériale, soviétique ou post-moderne, louche vers l’ouest depuis Pierre premier, elle a tendance à s’étendre dans les pays baltes, en Finlande, en Pologne, en Ukraine, en Roumanie, et l’on ne saurait en vouloir à ses voisins d’être inquiets.Inutile de pleurer sur le lait répandu. Ce qu’obtiendra Kiev demain sera beaucoup moins bien que les accords de Minsk, après trois ans de guerre, des centaines de milliers de morts, des destructions énormes. Humiliée, vaincue, exsangue, l’Ukraine devra céder en plus de la Crimée et d’oblasts à l’est convoités par les séparatistes d’autres terres qu’elle tenait, Marioupol, etc., toute la mer d’Azov.

Pire, en échange d’une garantie plus ou moins bonne, elle devra céder des biens de valeur aux Américains. Elle aura été dépecée et dépouillée par les USA et la Russie, comme jadis la Pologne par la Prusse, la Russie et l’Autriche, et, plus récemment, après Munich, la Tchécoslovaquie par l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie, et un peu plus tard encore, comme la Pologne entre l’Allemagne et l’URSS. L’Ukraine n’aura gagné qu’une chose dans cette guerre, c’est la confirmation, par son patriotisme de 2022, que malgré ce que croient les amateurs d’histoire toute faite, elle est depuis longtemps distincte de la Russie, même si Kiev fut jadis le berceau de la Rouss.

Dans la rhétorique des propagandes qui se sont croisées au début de la guerre en Ukraine, il est frappant de constater qu’Hitler était des deux côtés. Pour Kiev, il prenait le visage Poutine, son nationalisme expansionniste et sa volonté de reprendre par la force des régions dont l’identité n’était pas respectée. Pour Moscou, il s’agissait de « dénazifier » l’Ukraine de son régime d’extrême droite animé par des « bandéristes » (référence au nationaliste ukrainien Bandéra, ce qui a d’autant plus surpris que Zelenski est juif et que les élites ukrainiennes anti-russes comptent beaucoup de juifs). Donc, les deux côtés prétendaient combattre le mal absolu sous la forme du nazisme. Poutine n’a jamais lâché ce thème puisqu’il s’appuie encore sur le mythe stalinien de « Grande guerre patriotique », il continue la guerre sainte contre les méchants nazis qui prétendent démembrer la Sainte Union soviétique. C’est d’autant plus rigolo qu’il occupe la position d’Adolf Hitler en 1938, il s’emploie à soustraire les Oblasts de l’Est, russophones et culturellement russes, au gouvernement de Kiev auxquelles elles se trouvent soumises par le droit international, de même que le Reich prétendait soustraire la région des Sudètes, d’ethnie et de civilisation allemandes, au gouvernement de Prague auxquelles elles se trouvaient soumises par le droit international, en l’espèce le traité de Saint Germain.

On notera hélas que le premier Munich fut d’un point de vue diplomatique supérieur à l’actuel, et qu’Hitler, Bénès et Daladier s’y montrèrent plus efficaces que Poutine, Trump et nos hommes d’État d’aujourd’hui. En effet, Benès n’a pas mené une guerre de provocation pendant plusieurs années contre les Sudètes, Hitler n’y a pas répondu par une opération spéciale à la fois foireuse et horriblement sanglante, tout s’est passé en deux jours de négociations qui ont rectifié les frontières selon le tracé souhaité par le plus fort et accepté par les garants de l’ordre du monde, ce qui sera aussi le cas en 2025. Ainsi, beaucoup moins de morts, de souffrance et de misère. Ainsi pourrait-on estimer que Poutine, c’est Hitler en pire, Trump, Daladier et Chamberlain en pire, mais ce serait encore croire au spectacle qu’on nous joue. Car les appétits de la Russie ne sont ici que secondaires, et c’est pourquoi les protagonistes de cette guerre ignoble n’ont pas hésité une seconde à faire mourir beaucoup de monde et à beaucoup casser. Car leur objectif principal est atteint. La guerre a brisé le développement des échanges économiques entre l’Europe occidentale et la Russie qui auraient pu, leur profitant à toutes deux, réduire leur dépendance aux États-Unis. De ce point de vue, Biden a parfaitement piégé et Poutine et les Européens, le pire rôle étant tenu par l’Angleterre. En outre, l’Union européenne était en voie d’implosion en 2022, son versant oriental ne supportant plus les ukases arc-en-ciel de Bruxelles : l’épouvantail russe a rejeté tout le monde, sauf un peu la Hongrie, dans les bras de la Commission. De même Emmanuel  Macron déclarait-il l’OTAN « cliniquement morte » : elle est, de fait, ranimée, pire, aux frais des Européens. Et, en excluant ceux-ci des négociations de paix, Trump les solidarise dans l’humiliation et la colère, ils parlent maintenant de hausser leurs budgets militaires et de fonder une Défense commune, ce qu’ils avaient toujours refusé. Ils serrent les rangs, Macron s’agite, on desserre les contraintes budgétaires : bref, on fait ce que qu’il faut pour faire de l’Europe, un sous ensemble continental fédéral. Exclus des négociations, ce sont des Européens qui iront garantir en Ukraine la paix signée sans eux, ou du moins pensée sans eux. 

En somme, la guerre de Biden le mondialiste et la paix de Trump le prétendu nationaliste mènent toutes les deux au même mouvement de mondialisme arc-en-ciel. Mouvement que la guerre aura accéléré de deux autres manières synergiques et complémentaires : en ranimant la peur de la guerre d’une part, et en gaspillant énormément d’argent, de façon à accroître l’endettement des nations, donc leur interdépendance. Chapeau, les artistes !

Martin Peltier

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