Le roi Philippe 1er
Michel Fromentoux, membre du Comité directeur de l’Action Française continue son travail pour permettre de mieux comprendre la formation de la France. Après Henris I er voici l’histoire du roi Philippe I er. Bonne lecture…
À quinze ans, Philippe 1er était en état de s’emparer personnellement du pouvoir. Roi depuis six ans, il avait été bien formé par son oncle Baudouin, comte de Flandre, lequel lui laissait un royaume relativement calme et une administration en ordre. En plus, Philippe était respecté et très aimé de tous, surtout des humbles ; la jeunesse féodale rêvait d’entreprises audacieuses, les foires et les marchés étaient en pleine floraison.
Partout se fondaient des églises, des abbayes, des monastères… Les routes s’emplissaient de longs pèlerinages. L’Église, sous l’autorité du pape Léon IX avait entrepris dès le milieu du XIe siècle une vaste réforme en vue de s’affranchir du pouvoir temporel, la primauté du pape était de mieux en mieux reconnue, et les moines, notamment les bénédictins de Cluny, avaient une influence croissante tant par l’exemple de leurs vertus que par leur prédication : ils étaient en train de préparer l’essor de la Chrétienté fondée sur l’amour de Dieu, sur l’esprit de pénitence et sur la charité. On assistait à une renaissance intellectuelle et artistique : apparaissaient déjà les grandes légendes épiques, tandis que s’épanouissait en Anjou en Bourgogne, en Aquitaine, dans la vallée du Rhône, l’art roman, l’une des plus harmonieuses réalisations du génie français.
Le royaume était encore loin de son unité, mais la personne du roi, image du père, justicier suprême, vicaire de Dieu, était considérée comme indispensable tant par les petits qui trouvaient en lui une protection contre les puissants que par les Grands eux-mêmes qui voyaient en lui le sommet de la pyramide féodale. On sentait comme une aspiration, encore bien confuse, à une unité politique, tandis que se concrétisait l’unité spirituelle : le rayonnement des moines de Cluny dépassait de beaucoup le cadre du royaume, la culture chrétienne se répandait sur toute l’Europe, et, avec elle, pour reprendre une expression chère à Charles Maurras « un langage commun pour les communications supérieures des hommes ».
Pour que cette Europe se développât au plus grand profit de la civilisation, il fallait qu’elle fût en paix. C’est pourquoi avaient un grand rôle à jouer désormais les Capétiens, eux qui surent toujours limiter leurs ambitions au seul possible et étaient naturellement amenés à combattre, au dedans comme au dehors, toutes les démesures…
Naissance du monstre anglo-normand
Le plus bouillant des jeunes féodaux était alors Guillaume de Normandie, que l’on appelait encore le Bâtard. L’Angleterre n’allait pas tarder à tomber entre ses mains comme un fruit mûr. En 1 066, mourut le roi Édouard le Confesseur, lequel, n’ayant pas d’enfant, avait promis la succession à Guillaume. Un certain Harold, de la puissante famille des Godwin, osa se mettre en travers et se proclama roi. Guillaume eut vite fait de se venger : il se ménagea l’alliance du pape Alexandre II, de l’empereur germanique, du roi de Danemark et débarqua le 29 septembre 1066 dans le Sussex, sous un soleil radieux. Le 14 octobre il remporta la victoire de Hasting, et, dès le jour de Noël, il fut couronné roi d’Angleterre à Westminster !
Pour le jeune roi Philippe 1er, la situation ne s’annonçait pas de tout repos : Guillaume le Bâtard était devenu Guillaume le Conquérant ; il restait, bien sûr, son vassal, mais il s’était élevé plus haut que lui ! Les rapports entre les deux hommes ne seraient guère faciles…
Pour Philippe 1er, la ligne était tracée : il fallait tout entreprendre pour affaiblir l’autorité de Guillaume en Normandie, et, dès que possible, travailler à détacher la Normandie de l’Angleterre. Aussi attrapait-il toutes les occasions d’intervenir dans les affaires normandes et de soutenir les seigneurs de cette province qui n’aimaient pas Guillaume. En 1 073, il encouragea le comte d’Anjou, Foulque le Réchin, qui disputait le Maine à Guillaume. En 1 076, il s’allia au duc d’Aquitaine pour contraindre Guillaume à lever le siège de Dol. Ce fut un succès, puisqu’il en profita pour reprendre le Vexin (qu’Henri 1er avait dû naguère céder au père de Guillaume).
Très habilement, Philippe commençait à s’intéresser beaucoup au fils aîné de Guillaume, Robert Courte-Heuse. C’était un imbécile et un viveur, qui ne ferait pas très sérieux sur le trône d’Angleterre : cela, son père le savait ; et il lui avait déjà promis de le dédommager en lui donnant… la Normandie ! Or Robert Courte-Heuse (ce surnom lui venait de ce qu’il était trop court de cuisses) était un garçon capricieux, qui voulait tout et tout de suite. Tant mieux pour le roi de France, qui accueillit Robert et accomplit avec lui des actions de harcèlement sur la frontière du duché normand.
En 1 087, nouvelle guerre. Guillaume s’était mis en tête de reprendre le Vexin et pour ce faire il alla jusqu’à incendier Mantes. Puis il mourut à Rouen, abandonné de tous, après avoir partagé ses biens comme le souhaitait le roi de France : l’Angleterre à son fils cadet Guillaume le Roux, la Normandie à l’aîné, Robert Courte-Heuse, plus quelques terres et un peu d’argent au troisième fils, Henri Beauclerc. Angleterre et Normandie ne formaient plus un bloc : Philippe 1er allait-il pouvoir enfin souffler un peu ?
Cela aurait été compter sans la sottise de Robert Courte-Heuse… Cette tête folle dilapidait ses biens et se laissait dépouiller par ses maîtresses et par des intrigants au point qu’un jour il lui manquait même, disait-on, ses braies et ses chaussures et qu’il ne put se rendre décemment à l’office religieux… Son frère Guillaume le Roux, roi d’Angleterre, ne rêvait, quant à lui, que de réunir à son profit tout l’héritage paternel. Aussi, dès 1 091, il se jeta sur le duché de Normandie bien mal défendu par Robert et s’y tailla une bonne portion, prenant les villes d’Eu, Aumale, Gournay et quelques autres. Philippe, qui, en 1 066, n’était guère content de voir la Normandie conquérir l’Angleterre, l’était encore moins en voyant l’Angleterre conquérir la Normandie !
Or, soudain, les deux fils du Conquérant se réconcilièrent. Ils avaient entendu l’appel du pape à aller délivrer le tombeau de Notre-Seigneur des mains des Turcs Seldjoukides. C’était la Croisade. Philippe était tranquille pour quelques années…
La première Croisade
C’était un magnifique élan de foi qui se manifestait alors dans tout l’Occident ; il était urgent d’unir les forces de la Chrétienté. Le 15 août, le pape Urbain II, devant une immensité de pèlerins, dressait un tableau de la situation. Quelques mois plus tard, en novembre 1 095, au concile de Clermont, il lança un appel pathétique : que ceux qui gaspillaient leurs forces en querelles inutiles, que ceux qui n’avaient pas la conscience tranquille, que ceux qui se s’étaient comportés en brigands se rachetassent en devenant les « hérauts du Christ ! Ils y gagneraient le Ciel et sauveraient l’honneur de l’Occident ! A l’instant même, un grand nombre de seigneurs firent le vœu de partir, l’évêque du Puy reçut du pape la mission de diriger les opérations, des envoyés de Raymond de Saint Gilles, comte de Toulouse, vinrent dire que tout était déjà prêt, des messages partaient dans toutes les directions diffuser l’exhortation pontificale. On assistait à des scènes bouleversantes.
Même les classes populaires étaient ébranlées. Elles étaient suspendues aux lèvres de Pierre L’Ermite, un moine originaire d’Amiens qui parcourait, vêtu d’une tunique de laine et d’un manteau de bure, les villes et les villages. Le zèle de ces foules était tel qu’elles voulaient se mettre en route tout de suite sans attendre le signal de l’évêque du Puy. Dès le mois d’avril, les voici en marche derrière un pauvre chevalier, Gautier-Sans-Avoir. L’arrivée de cette cohue à Constantinople fit trembler l’empereur Alexis Comnène et sa fille Anne. Personne ne viendrait en aide à ces miséreux déjà décimés par la faim. Ils tombèrent dans une embuscade le 21 octobre 1 096 et furent tous massacrés par les Turcs. Il ne resta plus que des monceaux d’ossements sur la route de Constantinople à Nicée…
Une expédition grandiose
Pendant ce temps les seigneurs préparaient soigneusement leur expédition. Les plus grands barons européens s’étaient croisés : Godefroy de Bouillon, duc de Basse-Lorraine, – un personnage légendaire -, Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, Bohémond et Tancrède de Tarente, Normands de Sicile, Robert II, comte de Flandre, fils du Frison, Étienne-Henri, comte de Blois et de Chartres, Hugues de Vermandois, frère du roi de France, Robert Courte-Heuse, duc de Normandie, de nombreux chevaliers allemands et des foules de gens de toutes conditions. Par quatre itinéraires différents, les armées se rejoignirent à Constantinople. L’empereur Alexis Comnème souhaitait rester étranger à l’affaire, ce qui est tout de même singulier car, héritier de l’empire de César et de Constantin, il aurait dû se sentir le premier intéressé par la sauvegarde de la civilisation.
Le 19 juin 1 097, les croisés réussirent à prendre Nicée, mais leur victoire fut escamotée par Comnène qui intriguait avec les Turcs. Qu’importe ! Il fallait avancer malgré la chaleur et la faim : en juin 1 098 ils supportèrent bravement l’atroce siège d’Antioche. Leurs souffrances ne furent pas vaines : le 15 juillet 1 099, après une bataille acharnée, ils étonnèrent le monde entier en prenant enfin Jérusalem ! Quelle belle manifestation d’héroïsme et de foi chrétienne ! N’oublions jamais que c’était pour un idéal spirituel que ces chevaliers avaient agi. Même si leur trop plein d’énergie se révéla parfois dans l’anarchie, l’idée du salut éternel ne les quitta jamais.
Maintenant qu’il étaient à Jérusalem, plusieurs d’entre eux, estimant avoir accompli leur vœu rentraient en France. Mais beaucoup demeurèrent, sous l’autorité de Godefroy de Bouillon, qui prit le titre d’« avoué du Saint-Sépulcre », ne voulant pas se proclamer roi, sur les lieux où Jésus-Christ porta la couronne d’épines….
Que faisait le roi ?
Le roi n’avait pas bougé et beaucoup le lui reprochèrent. Un roi de France avait sa place dans cette belle page d’Histoire.
Il voyait les choses autrement. Aurait-il été prudent de laisser sans chef, pour un temps indéterminé, et sans garantie de revenir un jour, un royaume qui commençait à peine à tenir debout ? Le principal devoir d’un roi n’était-il pas de songer à l’avenir de son royaume ? Luchaire décrit Philippe 1er comme « un prince intelligent, pratique, doué d’un sens politique difficile à contester ». Il n’empêcha personne de partir, mais lui, pendant ce temps, continuait de faire la France ; il œuvrait pour la pérennité des familles de ses sujets autant que pour le bien de la Chrétienté où la France était est un élément essentiel d’équilibre
Son sens de l’économie des forces se doublait chez lui d’une aptitude remarquable à utiliser les circonstances. Il ne lui déplaisait pas de voir les jeunes nobles dépenser là-bas leur énergie ; au moins il ne chahutaient plus ici. Et le roi pouvait travailler, avec la patience et la ruse d’un paysan à arrondir son domaine, se tenant à l’affût des successions vacantes.
Le malheur était que Philippe 1er contribuait à donner de lui-même l’idée d’un personnage sensuel, mou, indolent. Il faut bien se résoudre à dévoiler son secret : en contradiction totale avec l’élan de jeunesse qui secouait tout le pays, il s’était laissé engourdir par l’amour. Et, qui plus est, par un amour coupable ! Si Dieu le veut, nous le découvrirons la semaine prochaine.
Article paru dans le journal Rivarol
Michel FROMENTOUX