Réflexion sur la violence de Georges Sorel, par Philippe Champion
L’abstention massive des dernières élections qui a vu 68 % des français se montrer indifférent à l’onction sacrée du légalisme a de quoi inquiéter le clergé de la religion démocratique et fait peser une sourde menace sur un système de gouvernement qui n’a pu durer que grâce à la soumission fidéiste au dogme, au respect tatillon du rite ; mais place désormais au doute sur la légitimité même du pouvoir issu de telles élections ! Pas étonnant que la France majoritaire, qui s’est refusée à Macron, se fraye par compensation des routes imprévues en dehors de l’institution et des limites fixées par celle-ci ! De quoi s’interroger sur l’opportunité d’une relecture ouverte des à peine plus que centenaires Réflexions sur la violence de Georges Sorel.
Bon marxiste –quoique hétérodoxe– Sorel raisonne sur la situation d’un prolétariat opprimé et exploité par une bourgeoisie oppressive et exploiteuse. Mais, constate-t-il, dans ce conflit vital, le prolétariat français s’est laissé prendre en otage par ceux qui, voyant avec effroi « des mouvements qui pourraient aboutir à ruiner les institutions dont ils vivent », enseignent « que le bulletin de vote a remplacé le fusil ». Détourné ainsi, par un légalisme stérilisant, de sa route révolutionnaire légitime, le prolétariat en est arrivé à une connivence de fait où il s’accommode des miettes concédées par ses exploiteurs.
Pour revenir à sa mission historique, il doit donc répudier l’« invasion des idées (et) des mœurs de la classe ennemie », rejeter tout compromis et entrer franchement sur la voie de la révolution ; or, à l’opposé de la mollesse dans laquelle l’entretient la caste dominante, la révolution requiert une certaine violence, simple réponse à celle que l’Etat se réserve ; soit celle qu’il fait peser par ses lois iniques, soit celle qu’il légitime sous le nom de « force », contre les rebelles, grâce à ces deux piliers du temple républicain que sont le gendarme et le percepteur. La violence sorelienne n’est pas la violence brutale à laquelle se livrent les nervis gauchistes ou immigrés pour jeter le bourgeois dans les bras de l’État ! Elle s’appelle la « grève générale prolétarienne ».
La grève, suspension par l’une des parties d’un contrat de l’exécution des clauses la concernant envers l’autre partie, coupable de détourner ledit contrat à son profit, est, pour Sorel, sur le terrain politique, l’acte que n’attend pas l’ennemi ; donc le seul d’authentique opposition, le seul acte susceptible d’une certaine efficacité : elle souligne et aggrave les conditions de la « ligne de fracture » entre les dominants et les dominés, afin de la faire passer du terrain du heurt entre les principes, toujours résolu par quelque compromis politicien, à celui des actes réels, du terrain de la rhétorique électorale à celui de la guerre. Nul besoin de l’absurde présupposé marxiste de la lutte des classes : le fait est que sur un champ de bataille, ce sont bien deux ennemis qui s’affrontent, et qui doivent le faire selon le modèle de la bataille napoléonienne, –la comparaison est de Sorel– visant sinon la destruction de l’adversaire, du moins sa soumission totale.
Paraphrasant Sorel, nous pouvons donc dire que le peuple français, objet d’une oppression matérielle et idéologique grandissante, d’une servitude administrative grandissante, se trouve jeté, malgré lui, sur un champ de bataille, et qu’il ne peut plus faire autre chose que de se tendre lui-même dans une résistance grandissante jusqu’à l’effondrement de la structure oppressive. Foin des dimanches électoraux où se complaît la couardise ! La violence sorelienne est rupture, dissidence, insoumission civique, etc., et elle doit se manifester partout où elle peut prendre le contre-pied de ce que croit maîtriser la caste.
Philippe Champion