Comme l’a écrit Jean-Marie Mayeur, peu de mots sont chargés de plus de passion et d’ambiguïté que celui de « Laïcité » dans la France d’aujourd’hui, puisque le même terme est employé à propos de tout et de n’importe quoi. Certains en font une garantie de la liberté de conscience, d’autres une idéologie, certains même, comme le laïcard Vincent Peillon, une véritable religion destinée à remplacer toutes les autres. Bref, on assiste à une véritable cacophonie.
De quand la laïcité date-t-elle ?
Il en va de même au plan historique. La plupart de ceux qui parlent de la laïcité fixent son origine à la révolution française, d’autres à la Renaissance comme si celle-ci était née au seuil de l’histoire moderne. On en étonnerait plus d’un si on leur disait que la laïcité est née avec Aristote, qu’elle a reçue ses lettres de noblesse avec le Christ et que ce concept a ensuite évolué à travers les âges comme nous essaierons de le montrer dans des articles dont le premier sera consacré à l’Antiquité païenne et chrétienne.
Pas d’État laïc pendant l’antiquité, mais confusion entre temporel et spirituel
Dans l’Antiquité, le religieux et le profane étaient confondus. Le pouvoir était divinisé. La preuve en est fournie par les empereurs à Rome qui étaient tout à la fois des chefs d’Etat, des chefs de guerre et des chefs religieux étaient divinisés après leur mort. Chaque cité avait sa ou ses divinités protectrices et ceux qui les dirigeaient, étaient en même temps que des hommes d’Etat, des prêtres dont l’une des tâches essentielles était précisément d’offrir des sacrifices aux dieux afin de se les rendre favorables.
Parmi ces dieux, les plus importants étaient ceux qui avaient présidé à la fondation de la cité car toute cité était réputée d’origine divine et ceux qui avaient écrit leurs lois fondamentales, que ce soient Solon, Lycurgue ou Moïse, étaient censés n’avoir été que des intermédiaires entre les dieux ou Yahvé et les hommes. Les lois elles-mêmes étaient sacrées. Les juges étaient donc des prêtres. Sans loi, en effet, toute vie collective est impossible. Le droit et la politique sont donc liés.
Aristote : premier penseur distinguant pouvoir politique et religieux
Le premier à donner une définition à la laïcité et à séparer le pouvoir et le droit de la religion fut Aristote lorsqu’il écrivit que l’homme est par nature un animal social. Autrement dit, que la fondation et la vie des cités n’avaient rien de divin, qu’il s’agissait là, de phénomènes naturels. De même, ce fut le premier à vouloir introduire de la laïcité dans la loi. En effet, pour lui, le droit n’avait rien de sacré. Il était l’art qui consistait à répartir les biens en fonction des besoins et des responsabilités de chacun dans la cité ou à fixer le montant des réparations des préjudices causés par une partie à une autre. Mais ces idées, aussi justes soient elles, restaient confinées à un petit cercle de philosophes.
Jésus Christ : à l’origine de la laïcisation du monde ?
C’est le Christ qui a bouleversé toute l’histoire : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », c’est-à-dire que si les corps sont à César, les âmes sont à Dieu. C’était là une véritable révolution, révolution compliquée encore par ce qu’il a dit à Pilate qui l’interrogeait : « tu l’as dit, je suis roi mais mon royaume n’est pas de se monde », alors que toute autorité vient de lui. On comprend que Ponce Pilate n’ait rien saisi face à toutes ces contradictions apparentes.
De même en matière de droit, le Christ parle souvent de justice mais il s’agit de la justice divine pour l’opposer à la justice humaine qu’il ne condamne pas pour autant. En effet, à un homme qui lui demandait d’obliger son frère à partager un héritage, le Christ répondit : « Ô homme, qui m’a établi pour vous juger ou pour faire vos partages ? ». Autrement dit, tout cela ressort de la loi et de la justice humaine dont Dieu ne se mêle pas directement. L’homme est libre mais cette liberté va de pair avec sa responsabilité.
Le Christ a donc été au fondement de la laïcité en séparant bien ce qui relève de l’homme et ce qui relève de Dieu. Les martyrs sont morts pour obéir à cette dualité du pouvoir : totalement soumis à l’empereur sur le plan politique, ils lui refusaient tout culte. Ils furent à l’origine de cette saine laïcité qui a été au fondement de notre civilisation, en dépit des multiples avatars que ce concept a connu à travers l’histoire ainsi que nous le verrons par la suite.
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Philippe Prévost