Entretien avec Jean-Marie Cuny et Sylvain Durain à propos du livre Le Lorrain Barrès.

Le lorrain Barrès, couverture du livre
Le lorrain Barrès, Jean Marie Cuny, Nancy, Editions du Verbe Haut, 2023

AF : Messieurs, d’abord merci d’accorder cet entretien à l’Action Française à l’occasion des 100 ans de la mort de Maurice Barrès. Pourriez-vous, tout d’abord, nous dire comment vous en êtes venus à la connaissance de ce « Prince de la jeunesse » ? Qu’est-il pour vous ?

Jean-Marie Cuny : Barrès est né à Charmes (Vosges) le 17 août 1862. Il est mort le 4 décembre 1923 à l’âge de 61 ans après une vie dense et active. Je me suis intéressé à Barrès à travers la lecture de quelques-unes de ses œuvres.

« Prince de la Jeunesse » en son temps, Barrès n’est pas resté méconnu à notre époque, mais la jeunesse actuelle a trouvé d’autres modèles. Son nom est donné à de nombreuses villes de France. Il est pour moi l’auteur de 18 romans. Ses écrits politiques regroupent également 35 titres et ses cahiers forment 11 volumes… Il y a donc de quoi méditer sur ces pages. Ce Lorrain a œuvré d’importance pour l’identité forte du pays. De plus, il est à l’origine de la Fête Nationale de la France (1920) qui est plus souhaitable que le 14 juillet, bien sûr !

Sylvain Durain : Je suis venu assez tard à Maurice Barrès. D’abord intéressé par Jacques Bainville par le truchement de Pierre Hillard, je me suis plongé dans son œuvre si riche et prophétique. La réédition des Conséquences politiques de la paix aux Editions du Verbe Haut avec une préface de Pierre Hillard va dans ce sens. Barrès m’est venu par son côté Lorrain et plus particulièrement nancéien. En effet, j’ai travaillé en tant que maître d’internat dans le lycée dans lequel Barrès a poursuivi une partie de ses études et dont il parle dans les Déracinés. Puis sont venus ses autres livres.

Le Lorrain Barrès : les attaches régionales du nationaliste

AF : Vous venez d’éditer aux éditions du Verbe Haut un livre consacré à notre auteur, Le Lorrain Barrès, écrit par monsieur Jean-Marie Cuny, spécialiste de l’histoire lorraine. Une telle étude manquait-elle pour mieux appréhender Maurice Barrès ? S’est-on trop focalisé sur son nationalisme et trop peu sur son régionalisme ?

Jean-Marie Cuny : Barrès revendiquait volontiers et sans cesse son identité lorraine, même si ses œuvres nombreuses comportent seulement trois ouvrages concernant la Lorraine : Colette Baudoche (1909) histoire d’une jeune fille de Metz durant l’annexion au Reich ; Le 2 novembre en Lorraine, ouvrage évoquant la terre et les morts ; La Vallée de la Moselle qui contient de belles pages descriptives tout au long du parcours de la rivière qui prend sa source au col de Bussang, dans les Vosges et la Colline Inspirée, roman qui a connu (et connaît toujours) un très grand succès (1914).Mais l’œuvre littéraire de Barrès est essentiellement nationale.

Sylvain Durain : L’aspect régionaliste, comme le rappelle très bien Jean-Marie, a été trop délaissé au profit de son nationalisme si particulier. J’ai découvert, en grand partie grâce à Monsieur Cuny, son attachement viscéral et profond à sa région de naissance. C’est en se cherchant qu’il a retrouvé ses racines et c’est à partir de cet enracinement qu’il est devenu l’homme que l’on connaît.

AF : En quoi Maurice Barrès est-il Lorrain ? Est-ce une identité qu’il reconstruira a posteriori de son évolution, ou vécut-il toujours de cette réalité ?

Jean-Marie Cuny : Maurice Barrès est Lorrain de naissance, dont le berceau natal est à Charmes dans les Vosges. Mais c’est surtout dans son environnement parisien, politique et littéraire, qu’il a pris conscience de son identité lorraine.

Sylvain Durain : Selon moi, Barrès est Lorrain de naissance, certes, mais il est Lorrain car il a arpenté les routes, les chemins, les villages, il a senti et appréhendé l’âme lorraine que peu connaisse. Jean-Marie l’évoque très bien dans son livre. Que serait être lorrain mais ne rien connaître de sa région ? N’en avoir aucun souvenir ni aucune réminiscence ? Ce serait l’identité mondialiste, celle du « je suis chez moi partout ». Ce n’est pas la conception de Barrès.

Barrès, un auteur vraiment germanophobe ?

AF : Nous connaissons bien la germanophobie de Barrès. Comment réussit-il à la concilier avec les héritages germaniques qui parcourent tout de même de larges parties de la Lorraine ?

Jean-Marie Cuny : La germanophobie de Barrès est surtout une protestation vigoureuse contre l’annexion au Reich allemand de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, en 1871. La Lorraine n’a jamais été germanophone. Il y a certes sur son territoire une frontière linguistique avec d’un côté de cette ligne le patois lorrain roman et de l’autre le francique lorrain qui est un héritage de la langue de Charlemagne.

Sylvain Durain : Barrès est très clair à ce sujet, la Lorraine est devenue française, bon gré mal gré, et il faut l’accepter. Je ne suis même pas certain qu’il fût véritablement germanophobe. Comme Bainville, il a compris qui était l’ennemi de l’époque et il le respectait au point de le combattre vigoureusement. Barrès rappelle à plusieurs reprises la trahison des ducs qui nous ont conduit vers la France. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, comme les massacres commis par Richelieu contre la Lorraine et les lorrains, avec potentiellement des dizaines de milliers de morts dans le but défranciser la région. Ma formule, pour sortir de ces impasses, est simple : Nous sommes pour une Lorraine libre dans une France libre. Imaginer une indépendance serait totalement ridicule et jouerait, in fine, le jeu du mondialisme.

Le lorrain Barrès, photographie.
Le lorrain Barrès

Quelles sont les œuvres de Maurice Barrès qui traitent de la Lorraine ?

AF : Quelles sont, parmi ses œuvres, celles qui traitent de sa région natale ?

Jean-Marie Cuny : Barrès est un littéraire. Il n’a pas publié d’ouvrages historiques. Bien sûr, il est fortement question de la Lorraine dans la Colline Inspirée (1914). Dans la Vallée de la Moselle, il relate sa randonnée à bicyclette tout au long de la rivière depuis la source. Enfin Le 2 novembre en Lorraine évoque la terre et les morts dans des pages superbes.

Sylvain Durain : Rien à rajouter à la réponse de Jean-Marie Cuny, si ce n’est que le livre Le Lorrain Barrès permet justement de sortir de ce dont nous parlions. Être enraciné dans sa région pour ensuite se projeter vers la France.

Sainte Jeanne d’Arc : une source d’inspiration originaire de Lorraine

AF: Sainte Jeanne d’Arc tient une place prépondérante dans l’univers barrésien. En quoi, pour lui, incarnait-elle un idéal ?

Jean-Marie Cuny : Jeanne d’Arc, tient une place importante dans l’œuvre et la réflexion de Barrès. Il a longtemps médité sur les lieux où vécut la bonne Lorraine durant son enfance. Barrès a parcouru en tous sens le pays de Domremy, Bermont et son ermitage, Vaucouleurs. Je pense que Maurice Barrès cherchait un thème fort afin de réaliser un roman, mais finalement, il a trouvé l’inspiration sur le haut-lieu de Sion-Vaudémont.

Sylvain Durain : Saint Jeanne d’Arc me semble être un idéal pour Maurice Barrès, peut-être même une quête spirituelle qu’il n’aura jamais atteint mais qui l’a accompagné tout au long de sa vie. Après ses passages douteux dans les univers martinistes et ésotériques par le truchement de Stanilsas de Guaïta, peut-être cherchait-il une « figura christi » à suivre. Nous ne le saurons jamais vraiment car Barrès a politisé son idéal en donnant à la France sa deuxième fête nationale. Pour cela il mérite un immense respect.

Quel est l’héritage du lorrain Barrès dans sa région natale ?

AF : Quelle place tient encore Maurice Barrès en Lorraine ? Peut-il encore être honoré ? Est-il oublié ?

Jean-Marie Cuny : Le nom de Maurice Barrès est maintenu sur les plaques de rues de nombreuses villes de France et de Lorraine, bien sûr. Est-il encore lu ? C’est difficile à juger. Peu de ses œuvres sont rééditées mais son dernier livre La Colline Inspirée est un ouvrage toujours lu et relu aujourd’hui. Quant à la maison de Barrès à Charmes, construite par son grand-père, elle a été léguée à madame Paul Bazin, secrétaire de Philippe Barrès. Cette dame a cédé le fonds Barrès à la Bibliothèque nationale de France, en 1978. Cette demeure aurait mérité d’appartenir au patrimoine national. Hélas, tout a été dispersé.

Sylvain Durain : Maurice Barrès est totalement oublié en France et donc en Lorraine. Avec ce livre de Jean-Marie Cuny, nous tentons de faire revivre le sentiment de fierté d’être Lorrain porté par ce grand homme. Un petit livre jeunesse est également prévu pour la Saint-Nicolas, dont le but est d’introduire les plus jeunes à son œuvre.

AF : Nous vous remercions d’avoir répondu à nos questions et nous invitons nos lecteurs à se procurer au plus vite ce beau livre qui nous permettra de mieux honorer sa mémoire ! Qui vive ? Nos morts !

Sylvain Durain : Un grand merci à vous, les amoureux de la Lorraine peuvent s’abonner à La Nouvelle Revue Lorraine, fondée il y a presque 50 ans par Jean-Marie Cuny. Le livre Le Lorrain Barrèsdédicacé spécialement pour vos lecteurs, est disponible à l’achat sur le site des Éditions du verbe haut, avec un petit mot à nous adresser. Bonne lecture et vive la Lorraine !

Cuny Jean-Marie, Le Lorrain Barrès, Nancy, Editions du Verbe Haut, 2023.

Entretien réalisé par Guillaume Staub

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