Leçon d’Ukraine
Ils ont raison. Kiev a été russe. Ce n’est pas à nous qu’il faut le dire. Nous nous rappelons bien que la princesse Anne, fille de Iaroslav, épousa Henri Ier et fut l’arrière-arrière-grand-mère de Philippe Auguste. Ils ont raison, la Russie est devenue un empire multi-ethnique sous les tsars, qui s’est étendu sous leurs successeurs communistes avant de se réduire un peu dans les années quatre-vingt-dix. Ils ont raison, toujours, de relever que depuis la même époque, l’OTAN a connu un spectaculaire Drang nach Osten, et que, la crise des missiles à Cuba en 1963 l’a montré, les Etats-Unis ne tolèreraient pas de bases adverses à leurs frontières.
Ils n’ont pas tort non plus de noter que la terre qu’on nomme Ukraine est peuplée d’ethnies diverses, et que d’autres puissances que la Russie l’ont possédée et marquée. Ils n’ont pas tort, seul l’extrême-est et la Crimée sont aujourd’hui russes. Ils n’ont pas tort, les Bolcheviques ont si profondément martyrisé l’Ukraine qu’ils y ont semé une aversion pour la Russie qui aurait pu changer la face de la seconde guerre mondiale si les Allemands avaient été moins sots. Ils n’ont encore pas tort, si abusive qu’aient été la politique de l’OTAN et celle de l’Ukraine ces dernières années, elles n’approchent pas celle de l’URSS jusqu’à 1989. La Russie a sans doute un grand chef, mais la guerre qu’il mène n’est pas plus légitime qu’une autre. L’Ukraine a sans doute un clown pour président, mais elle n’est pas une nation moins légitime que, disons, le Belarus. Moscou a rapatrié ses ressortissants du Kazakhstan, il peu les rappeler aussi d’ailleurs, des endroits d’Ukraine où ils sont très minoritaires, ou des pays baltes. Ce serait un gage de bonne volonté.
Mais le plus fort a toujours raison, c’est ce que ce brave Poutine entend montrer aujourd’hui. L’Amérique a manqué le coche, elle n’a pas écrasé la puissance russe quand elle en avait les moyens : depuis, celle-ci s’est requinquée militairement et joue sa partie, et la politique outrecuidante que mène Washington lui vaut aujourd’hui ce revers.
Maintenant, l’empire multi-ethnique russe n’est pas plus réjouissant que l’empire multi-ethnique américain, et il faut rappeler qu’ils se sont ligués pour nous faire perdre, à nous Européens, nos empires, en même temps qu’ils nous enrôlaient dans leur guerre froide. Autrement dit, c’est clair, c’est évident, mais il ne faut jamais cesser de le redire : l’Europe ne s’est jamais remise de la seconde guerre mondiale. La seule chose que nous ayons fait de bien depuis, c’est la force nucléaire.
Que faire maintenant ? Pas envoyer Sarkozy, Védrine ou Tartempion causer avec le Kremlin. Mais se taire, et se rappeler que le premier devoir de tout gouvernement est la puissance. La seule justification de l’Etat est la protection qu’il offre à la nation. Saint Louis estimait que le roi devait être fort, juste et prudent. Pas mieux. Nous devons travailler en silence et sans que cela se voie, comme le grain sous la terre, à retrouver de la puissance.
La guerre actuelle a un côté pédagogique : depuis que l’armée russe est entrée en Ukraine, on redécouvre ici la vertu des frontières. Là-bas, il est légitime de défendre une frontière. Là-bas, l’envahisseur est mal vu. Prenons-en de la graine. Redevenons maîtres de nos frontières. Et travaillons à rendre possible ce qui est nécessaire : le renvoi des millions d’envahisseurs qui sont sur notre sol.
Martin Peltier