Politique : Petite précision sur l’essence de la tyrannie
Le propre d’une tyrannie réside dans la pratique illégale du pouvoir. Entendons-nous bien. Il n’est pas question ici de défendre les soubassements idéologiques du régime politique en place, encore moins de défendre le pays légal contre le pays réel pour parler en utilisant un vocable maurassien, mais d’apprécier objectivement l’essence de la tyrannie. Et la première chose que nous enseigne l’histoire à ce propos, est que la tyrannie peut apparaître, avec certes une inclination plus ou moins forte vers ce dérèglement en fonction de la santé du corps social, à partir de n’importe quelle forme de pouvoir, à partir de n’importe quelle espèce d’État. Empire, monarchie, totalitarisme, démocratie ou autre République. Aucune formule politique ne met assurément à l’abri le citoyen des foudres du tyran et/ ou du système se camouflant derrière quelque régime politique. Mais voilà, toute société stable repose sur un pouvoir qui doit avant tout faire appliquer « la règle du jeu », davantage que la loi même, son esprit, sa logique. Et lorsque le pouvoir en place, notamment et surtout sa police et sa justice, s’écarte fondamentalement et régulièrement de l’esprit et des principes qu’il loue et qu’il ratifie sur le papier, on peut légitimement parler de tyrannie.
Au-delà même de ce qu’imposent une constitution ou les règles admises par tous dans une société donnée, c’est l’organisation même de la société qui est, en quelque sorte, violée par le tyran (c’est-à-dire le système, l’idée qu’un homme seul puisse se déchaîner contre le peuple par mégalomanie ou caprice n’étant que niaiserie, l’excité étant immédiatement éliminé par le système comme un petit escargot perdu dans un trou à rats), c’est son essence qui est bafouée : elle est là la caractéristique première de la tyrannie.
Nous pouvons dire avec les sociologues Max Weber, Ferdinand Tönnies, et Hermann Schmalenbach, qu’il existe trois grands types de société : la société traditionnelle (qui repose principalement sur la religion et l’amour du pays), la société mue par un pouvoir charismatique (révolutionnaire ou conquérant. Là encore, on invite d’une certaine manière l’individu à la transcendance), et la société bureaucratique, individualiste et « rationnelle ».
Nous pensons que la tyrannie s’exerce quand le pouvoir censé représenter la société qu’elle protège et qu’elle « jardine » (pour qu’elle donne le meilleur d’elle-même) agit contre ce que les citoyens sont en droit et en mesure d’attendre de l’Etat.
Dans une société traditionnelle, devient tyrannique un Etat qui intervient dans la société pour tenter de réformer à sa guise sa religion et ses institutions, ou simplement qui piétine le sacré pour contraindre, à l’instar de Créon, des adversaires.
Dans une société dite démocratique, rationnelle et bureaucratique organisée autour de l’individu, mais où ce dernier ne jouit plus d’aucune solidarité communautaire, le citoyen esseulé, par définition, attend de l’Etat (qui possède le monopole de la violence) qu’il lui garantisse toute sa liberté sur le territoire qu’il administre. La liberté de se mouvoir, la liberté de se rassembler, la liberté de pensée (et de penser), la liberté de s’exprimer. Dans cette société qui se veut humaniste et qui se glorifie elle-même, pour elle-même par son État (le guidon de la révolution en marche), le foyer où le feu de la conscience collective brûle, n’a de flamme que pour la liberté de l’individu, car tel est le cœur de sa dignité. Paradoxalement, c’est dans cette société-là, dans ce parc à attractions sur le thème de l’individu triomphant, que la tyrannie s’exerce avec le plus d’intensité, et évidemment le plus hypocritement du monde.
En effet, plus notre société promeut la liberté des individus, jusqu’à inciter les gens déboussolés à modifier leur genre en espérant changer de sexe, plus elle doit s’employer à canaliser tous ceux croyant pouvoir profiter à plein de cette liberté (garantie officiellement par l’Etat) en matière politique, et plus généralement, dans le domaine du savoir. Or, cette garantie est un mensonge car elle est ontologiquement impossible. Et l’oxymoron révolutionnaire, le slogan de Saint-Just « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » annonçait le programme, le logiciel de l’enfer dans lequel les chercheurs de vérité allaient devoir dorénavant vivre. Dans cette société où les choses sérieuses se font, sinon aux dépens du peuple, du moins sans son consentement, l’individu est invité à s’abrutir, comme Baudelaire l’invitait à s’enivrer. De drogue, d’alcool, de sexe, de jeu, de sport, de toutou-risme, de travail, de cinéma, de musique, ou de « vertus » républicaines. Mais sus au renégat ! Mort au citoyen qui cherche ! Que la tyrannie le frappe ! Qu’on le bâillonne si on n’a pu lui crever préventivement les yeux ! Qu’on le moque, qu’on le raille, qu’on le couvre de ridicule ! Qu’on le revêt des habits du lépreux ! Celui-là est le démon de notre temps. C’est un énergumène, madame ! Qui n’entend pas profiter de la liberté qu’on lui octroie pour jouir des excitants autorisés (et loués sournoisement derrière un faux hygiénisme), mais pour s’en servir comme d’un paravent dans le seul but de propager la haine !
Saint-Just était finalement un petit joueur à côté des commissaires politiques et de la police de la pensée de notre époque. Lui, considérait-il les « rétrogrades » (comme l’on dit plus tard pour désigner les contre-révolutionnaires) comme les membres d’une engeance fidèle au passé n’ayant pas fait allégeance au nouveau pouvoir des Lumières. Aujourd’hui, l’opposant radical, celui qui fait le procès du cosmopolitisme, de l’antiracisme doctrinal, de la théorie des genres, du sionisme, de l’athéisme obligatoire, de l’avortement massif et de tant d’autres choses, n’est plus présenté par l’Etat comme un simple ennemi de la liberté, mais comme la haine incarnée qui ne mériterait que ce qu’il n’ose énoncer. On ne peut, je crois, trouver actuellement meilleure illustration du phénomène tyrannique, maladie accidentelle de tout organisme politique, mais maladie congénitale de la République.
François-Xavier Rochette.