Henri Vaugeois, Père de l’Action Française

Henri Vaugeois, Père de l’Action Française

Dès 1899-1900, le pouvoir de séduction idéologique exercé par le génie de Maurras paraît irrésistible. L’expérience boulangiste conjuguée à l’Affaire Dreyfus qui n’en finit pas incitent les patriotes sincères à chercher la solution nationaliste apte à les faire sortir de cette brume épaisse qui les empêche de voir où ils vont réellement. La belle littérature, la fougue, l’héroïsme, le panache, l’honneur, voilà des éléments formels qui étaient, enfin, considérés comme tels à l’aube du vingtième siècle en France. Les patriotes ont désigné l’ennemi, ont analysé l’écosystème dans lequel il prolifère et ont compris (pour une large fraction d’entre eux) que le problème était global et que seule une solution globale était en mesure de soigner le pays, de le sauver de la mort. On comprend à cette aune l’importance de la théorie du nationalisme intégral et en premier lieu de sa dénomination qui en dit long sur cete volonté de résoudre en profondeur et à tous les niveaux l’inadmissible crise de régime qui compromet l’avenir de la nation millénaire. Et les patriotes conséquents le comprennent de plus en plus et de mieux en mieux (le paysage devient limpide), la crise du régime est incessante parce que le régime lui-même est inapproprié, impropre, est impossible ! La volonté de faire le bien sous un tel régime est stérile. Il ne suffit plus d’être patriote en 1900, il faut s’opposer à angle droit à la démocratie, à la république. L’entreprise de Déroulède ne pouvait donc plus être spontanément appuyés par tous les patriotes comme si le remède politique allait sortir par magie de cette agitation populiste, nonobstant sympathique à leurs yeux.

Henri Vaugeois pré-maurrassien ou premier maurrassien ?

On doit à Henri Vaugeois la création de l’Action Française qui se présente à ses débuts comme une sorte de rassemblement d’hommes nationalistes anti-dreyfusards aux tendances antidémocratiques non théorisées. Mais il faut insister sur le fait que Vaugeois s’était éloigné de La Ligue de la Patrie française au nom d’un désaccord idéologique fondamental et non parce qu’on ne lui aurait pas donné les responsabilités qu’il espérait obtenir dans l’organisation cornaquée par l’agrégé Gabriel Syveton (Vaugeois aurait échoué à de multiples reprises à cet examen ce qui expliquerait selon l’historien du CNRS Laurent Joly une jalousie maladive chez lui et ses choix politiques vengeurs, calculés et fruits de ses ressentiments…). Le premier août 1900, dans un article de la Revue grise qui fera date, le professeur Vaugeois, dresse une critique politique du combat de Déroulède et de sa sclérose dogmatique. « On s’explique fort bien, écrit-il, que l’espoir soit venu à beaucoup de nos amis de voir Paul Déroulède sauver, en l’incarnant, l’idée d’une république qui serait française au lieu d’être cosmopolite ». Mais, ajoute-t-il d’emblée, « nous ne partageons pas cet espoir ; nous le respectons. » Encore faut-il ajouter qu’il le respecte parce qu’il est a priori sincère, absolument désintéressé, qu’il ne serait que le fruit d’un amour patriotique. Mais, en vérité, un homme intelligent ne peut justement pardonner à un homme fidèle à sa patrie de s’empêtrer ainsi dans l’erreur, dans l’erreur française pour parler comme le Marquis de Roux. Diplomate, en 1900, séducteur, militant de la cause maurrassienne avant les autres (et sur ce point nous sommes d’accord avec Laurent Joly : il semble en effet que Vaugeois a volontairement retardé l’annonce de sa conversion au monarchisme à des fins didactiques, ses différents articles des années 1898-1900 montrant une volonté toute rationnelle de témoigner en faveur des principes antilibéraux, antidémocratiques et catholiques loin de toute charge affective à l’endroit de la royauté), Henri Vaugeois prend garde de ne point heurter le public qu’il convoite. Même s’il est sûr que sa conversion est récente (il fut membre de l’Union pour l’action morale qui défendait Dreyfus!), il est légitime de penser qu’il fut convaincu par le maître de Martigues plusieurs mois avant de se déclarer officiellement monarchiste. L’on peut penser que sa première lecture de l‘Enquête sur la Monarchie (terminée en 1900) fut persuasive et décisive quant à sa rupture avec le spinozisme et le kantisme.

Les lois du patriotisme ou l’exigence maurrassienne

L’influence maurrassienne est perceptible dans les premiers articles du fondateur de l’AF. Des textes certes radicaux, rudement antisémites, violents, mais aussi et surtout empreints de rationalité, en tout cas construits autour d’une démonstration. Pour Maurras, en effet, un nationaliste républicain, fut-il le mieux intentionné, ne peut éviter de « manquer aux engagements pris envers l’idée de patrie », car la France n’est jamais pour lui que « la France mais… ». Finalement, un tel Patriote n’est peut-être pas digne d’en porter le nom. A moins qu’il ne soit profondément idiot, car l’homme pusillanime qui se détourne de la vérité politique en craignant qu’elle ne soit pas conforme à la mode ou à la religion démocratique qui a pourri la raison des Français n’est pas digne d’être suivi. Si l’erreur est humaine, il est cependant criminel de s’y accrocher et plus encore de mystifier les gens du peuple sans grande instruction qui ont souvent une confiance aveugle en ce Patriote élu ou candidat. Des étapes politiques ont été gravies, il faut respecter cette expérience et en tirer des leçons. Au lendemain du décès brutal de Vaugeois en 1916, Maurras, bouleversé, mit sa plume au service de la mémoire du grand homme. D’autant plus grand qu’il savait écouter sa raison pour servir sa passion (elle-même raisonnable), la Nation (le N majuscule était utilisé par Vaugeois).
« La Ligue de la Patrie française ? Oui, certainement, il la fondait ; avec Lemaitre, avec Léon de Montesquiou, avec Amouretti, avec Syveton, avec Barrès, avec Dausset, avec Jacques Bainville, avec moi. Mais ce n’était pas ça. Les partis et leurs idées électorales bourdonnaient déjà dans les comités et son instinct le plus profond, le plus personnel l’avertissait de l’inertie toute matérielle propre à cette politique démocratique. Il voulait une action politique reconnaissable à deux caractères : 1° une haute liberté de l’esprit ; 2° la foi française. Il voulait faire quelque chose d’intelligent et de national, d’absolument intelligent, d’essentiellement national. Mais quoi ? Et comment ? » Vaugeois n’a pas abandonné le chantier intellectuel qu’il avait commencé pour se vautrer dans un imaginaire patriotard d’images d’Epinal. Malgré les difficultés, malgré les lourds préjugés qui hypothéquaient la démarche scientifique en politique, il a été au bout du raisonnement, il a accepté le théorème maurrassien non par confort intellectuel mais parce qu’il était persuadé de sa véracité. Et pourtant rien n’est plus faux que la critique de Maurice Barrès qu’il adressa à Vaugeois et à Maurras pour justifier son immobilisme politique puis son inéluctable glissement vers le centre mou ; idée selon laquelle les deux hommes ne se nourriraient que d’abstractions, d’idées, certes vraies sur le papier comme les mathématiques sur un tableau noir, mais inadaptées au monde de leur temps. La critique est absurde et Henri Vaugeois sut la renverser sans attendre. Les idées peuvent bien décrire la réalité ou les conditions du « mieux », les idées sont nécessaires, elles sont indispensables au Politique s’il ne veut pas se perdre en même temps que la nation qu’il dirige.

Les idées contre les mots !

Le problème, ce ne sont donc pas les idées, mais les idées fausses, et pire encore les mots seuls. Les mots qui ne recouvrent rien, les mots qui postulent l’impossible ou l’inexistant, les mots qui fabriquent (pour parler comme Maurras) les nuées et les coquecigrues. Le langage peut être un poison non les idées vraies qui constituent au contraire leurs antidotes. Vaugeois réplique le 15 octobre 1900 dans le fameux bimensuel : « N’oublions pas que, légalement, c’est, sinon par les mots, du moins au nom des mots que la république démocratique est gouvernée, de même que c’est par les mots qu’elle a été constituée, par ces mots généraux que des niais veulent bien qualifier idées. La seule Majesté que nos révolutions aient laissé subsister est celle du Verbe, et les éléments derniers dont se compose ce monstre où nous cherchons en vain à reconnaître le type idéal de la société française, ce sont les lettres de l’alphabet, rien de plus. » Contre le fanatisme des mots qui sert avant tout les intérêts des étrangers organisés en oligarchie dans les coulisses, les idées qui éclairent, les idées qui éveillent, les idées qui construisent, enfin les idées qui sanctuarisent la déesse (encore un terme emprunté à Maurras qui parlait bel et bien de déesse et non de Dieu) nation. Au cours d’une conférence (qui a marqué l’histoire de l’AF) faite à Paris le 16 février 1900, Vaugeois a mis en garde les patriotes sincères contre les bons sentiments, les griseries patriotiques dépourvues d’un axe, l’amour sans colonne vertébrale. Rien n’est plus éphémère que cette exaltation, fruit de la colère ou d’une montée d’hormones qui s’évaporent dans les airs comme la fumée. Vaugeois répète souvent, comme Maurras du reste, cet axiome nationaliste qui expose les principes au-dessus de tout. L’on voit encore, à travers ce discours, cette volonté de trouver les ressources qui permettraient de rendre pérenne cette France poignarde née des scandales, de l’humiliation de 70 et de l’Affaire. « Le nationalisme, je le sais bien, n’a pu et dû être d’abord qu’instinctif : ç’a été une protestation, une colère, un mépris légitime. Vous vous rappelez de quels griefs il est né, ce mépris, et à qui surtout il s’adresse. (…) Mais une protestation, si vive qu’elle soit, fût-ce celle de l’honneur national blessé, et réveillé par la blessure même ; une passion, si ardente qu’elle paraisse, fût-ce l’amour de la patrie et le désir de la voir glorieuse ; une flamme, comme celle de l’enthousiasme qui court sur un peuple aux heures où ce peuple se sent vivre, c’est chose courte, trompeuse, et qui ne laisse après elle que froideur et que cendres stériles, quand on ne l’a point nourrie de réalités observées, de principes déduits, de raisons, enfin. Léonard de Vinci pensait que l’intelligence augmente l’amour, c’est-à-dire que plus on voit, plus on pénètre, plus on connaît ce que l’on aime, et plus on l’aime. Essayons donc de bien voir cette France d’aujourd’hui, cette France « nationaliste », qui se lève toute saisie, toute tremblante, à l’idée de sa propre essence, méconnue et menacée. Il faut que nous sachions ce qu’elle est, en fait, et puis ce qu’elle veut, ou mieux : ce que nous sommes, nous-mêmes, pour que notre pays survive. » Vaugeois voit très bien où vont se déverser la colère, la révolte et l’abnégation des patriotes chauffés à blanc : dans l’urne !

Présence de Vaugeois

Vaugeois qui tient alors un discours devant Maurice Barrès (invité d’honneur de la conférence du 16 février, un Maurice Barrès qui fut député de Nancy du 12 novembre 1889 au 14 octobre 1893), ne peut critiquer sans prendre de pincettes le parlementarisme, et précisément la fonction de député. C’est une gageure pour Vaugeois qu’il relève cependant avec brio. Assurément, dit-il, existe-t-il des députés très patriotes, des députés honnêtes et au grand cœur, des hommes résolus à défendre leurs idées. Certains auraient même fière allure. Mais Vaugeois ne peut éluder les raisons pour lesquelles ce système est vicieux. Il n’en a pas le droit, il n’en a plus le droit, il est devenu un passeur de vérité. Il a été précautionneux mais il dit, à la fin, ce qu’il pense, sans circonvolution : le député défend sa position, ses avantages, commence-t-il. Au lieu de détruire le régime dit le député patriote lambda, « pourquoi n’élirions-nous pas des députés honnêtes et sensés, qui pratiqueraient sincèrement, au lieu de le supprimer, ce régime de la libre discussion, qui donne tant de précieuses garanties aux droits des citoyens, et qui offre tant de ressources à leur bonne volonté, à leur patriotisme, à leur dévouement au salut commun ? » Mais ce qui sort d’une assemblée délibérante, ce n’est pas une pensée plus saine, répond Vaugeois, ce n’est même pas une formule précise, mais une bouillie dangereuse. « Ce qui sort, c’est un bruissement, le plus confus, le plus dénué de sens, le plus matériel qu’il nous soit donné d’entendre en ce monde. Mieux vaudrait, poursuit un Vaugeois survolté, pour une nation fière, demander le secret de sa destinée aux feuilles de la forêt, aux vagues de la mer, qu’à cet innommable rumeur de sottises, de vanités, d’ignominies entre-croisées, qui s’élève d’un troupeau de « représentants », même et surtout lorsqu’ils sont d’accord ! » Le professeur de philosophie se ressaisit : « Si vous étiez tentés de me trouver trop pessimiste, et de m’accuser de malveillance à l’égard des parlementaires, je vous prierais de réfléchir que c’est à l’institution même et au principe sur lequel elle repose, que s’adresse ma critique, nullement aux individus, souvent remarquables, qui essaient de tirer parti de cette institution dans nos assemblées actuelles ».

Les hommes en foule, les hommes en tas, les hommes pourris

Mais c’est peine perdue. Ils peuvent bien y prodiguer des trésors d’intelligence et d’honnêteté, ils se heurteront toujours à une difficulté insurmontable, à la nature même des choses qui « veut que les hommes, mis en tas, se pourrissent comme les fruits, et qu’une Chambre des députés s’emplisse nécessairement des miasmes de la bêtise et de la méchanceté humaines. » Avec cette critique du parlementarisme, c’est toute la démocratie d’une manière générale qui est visée par Vaugeois. Néanmoins, si le mal est initialement présent dans les institutions républicaines, si le régime est vicié à la base, la France, en 1900, a franchi une nouvelle étape, un nouveau pallier dans sa décomposition morale qui rend plus impérieux encore l’entreprise de restauration nationale qu’il appelle de ses vœux. Pour Vaugeois, comme pour Drumont, plus que pour Maurras qui voit davantage dans l’évènement un effet terrible de la république en marche, l’affaire Dreyfus a provoqué une véritable révolution individualiste. La révolution dreyfusienne, comme on l’appelle déjà, aurait donné naissance à une nouvelle conscience collective en France. Il s’agit d’une révolution d’origine médiatique, une révolution orchestrée par les nouveaux faiseurs d’opinion qui ont fabriqué un électorat à leur mesure, un électorat abruti d’individualisme, de philosémitisme, au mieux qui restera bloqué au stade premier du péguyisme. « L’affaire Dreyfus l’a révélé ou n’a servi à rien : nous sommes une société où l’opinion, qui est faite par la presse, qui est faite par l’argent, suscite et précède les actes du pouvoir, alors qu’elle ne devrait, tout au moins, que les juger et, par conséquent, les suivre. » Indécis, trompés, l’électeur est neutralisé. Aussi n’est-ce pas seulement le parlementarisme bavard et emberlificoteur qui est une pierre d’achoppement au redressement de la nation, c’est bien la démocratie et l’électoralisme qui dupe, toujours, le citoyen obnubilé par la croyance qu’il détient la capacité de choisir ce qui est bon et de contribuer de la sorte au bien public. La république est dirigée par une oligarchie qui se sert des élections pour tromper les masses et elle s’en sert uniquement à cet effet. Son objectif est double : sucer les richesses du pays, exploiter le travail des individus inoffensifs car ignorants quant à la réalité des forces qui contrôlent la France, et dissoudre tous les principes et toutes les conditions d’une possible résurrection française. Plus le temps passe, plus la renaissance semble compromise. Il faut le dire aujourd’hui, plus fort, et le répéter davantage qu’en 1900 : la démocratie pourrit les âmes.

C’est ce constat sans appel qui permet à Vaugeois de condamner toutes les formes de démocratie, y compris celle défendue par l’illustre Déroulède, la fameuse république plébiscitaire. « Je vous avouerai tout de suite que cette solution ne me satisfait guère. » Après avoir mis en avant les avantages de cette formule qui permet le groupement des nationalistes dans certaines conditions, Vaugeois montre qu’elle est une machine à décevoir. « Je prétends que l’objet des revendications nationalistes, si populaires, n’est point tout à fait celui qu’on est tenté de leur prêter : je crois que ce que veut le « peuple », ce n’est rien moins que la démocratie. Le peuple français ne peut plus être séduit désormais, ni soulevé ainsi, par l’espoir de se gouverner lui-même  (…) Le peuple n’est pas, quoi qu’on en dise, travaillé par un besoin de liberté, mais par une inquiétude sur sa sécurité. » Mais, plus que tout, c’est cette horrible façon avec laquelle la démocratie plonge les citoyens dans une brume anesthésiante les empêchant de se relever scrutin après scrutin qui est soulignée par Vaugeois. C’est que le peuple a la fibre épaisse mais est capable de s’émouvoir pour des fadaises et de tomber dans tous les panneaux dressés par le pouvoir. L’émotion est éphémère.

 L’antisémitisme, qui avait permis l’union de nombreux patriotes, notamment à Paris, qui avait connu de nouveaux succès au début de l’affaire Dreyfus, s’étiole au sein des masses avec les charges successives du camp dreyfusard qui possède 90% de la presse. Ce qui initialement illustrait la question juive devint par la grâce d’une propagande proprement phénoménale l’illustration d’un phénomène inverse : la prétendue persécution de la communauté juive par tous ces chauvins enracinés et antilibéraux, obtus et anti-individualistes selon, bien sûr, la doxa qui est née de la révolution dreyfusienne. L’émotion suscitée par l’épouvantable trahison du capitaine israélite ne dura « démocratiquement » qu’un temps. En revanche, l’oligarchie en place poursuivit ses campagnes anticléricales, obstinément, et ses campagnes antipatriotiques, sauf bien entendu, plus tard, lorsque le petit François et le père Martin seront conviés à aller faire la guerre contre le boche pour les intérêts de celle-là.

 

Jean CHARLEUX

 

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Charles Maurras

Charles Maurras

Maurras est le seul grand cœur et très grand esprit, poète, critique littéraire et philosophique, journaliste, polémiste, penseur politique et militant, qui ait dominé de son génie supérieur soixante ans de notre histoire, accompagné, entouré, suivi d’une incomparable phalange d’amis, de disciples, de ligueurs et d’étudiants passionnément fidèles et généreux. Une immense vie, tôt commencée, remplie sans repos, tard achevée, qui d’un bout à l’autre enseigne et prouve une immense doctrine. Car Maurras est absolument le seul de sa génération qui, ayant formulé l’ensemble de ses certitudes neuves, en a vu, vérifié l’exactitude durant cinquante ans, ne s’étant à vrai dire jamais trompé dans sa prévision des événements ni dans son analyse des causes et des effets, des désordres et de leurs remèdes.

Le plus naturellement du monde, mais c’est une réussite rare dans l’histoire, cet homme seul, sourd, sans aucune puissance matérielle, sans élévation sociale, parce qu’il disait la vérité toute fraîche chaque matin et de quel cœur ! est devenu le centre d’une amitié et chef d’école, âme d’une Ligue, l’Action Française, donnant à tous l’impulsion, veillant à l’unité dans la vérité, à la discipline dans les combats, envers et contre toute déviation et toute division, tant qu’il vécut.

Charles Maurras est né le 20 avril 1868 à Martigues, de parents catholiques ; sa mère était très pieuse et son père, s’il ne pratiquait pas, manifestait un attachement inaltérable aux institutions de l’ancienne France et à l’Église catholique. Il connut une enfance heureuse, riche de tous les biens, les bonheurs, les beautés de la plus aimable Provence. Il évoquera toujours avec le même inlassable émerveillement le trésor du patrimoine biologique, moral et mental reçu dès le berceau comme un don gracieux et qui distingue le civilisé du barbare.

À six ans, la mort de son père l’arrache à ce paradis de l’enfance. Sa mère s’installe à Aix pour mettre ses deux fils au collège. Charles est d’une vive intelligence. Il veut être officier de marine ! Mais en 1882, à l’âge de quatorze ans, événement soudain, trop lourde épreuve, il s’aperçoit qu’il est devenu sourd. L’infirmité fera-t-elle de lui un raté, un reclus ? Il le croit et se débat. Il se révolte et commence de perdre la foi. Pourquoi le mal, et la mort ? C’est l’immense question qui hantera toute sa vie. (CRC n° 81)

L’ADOLESCENT PAÏEN

DE L’ANARCHIE JUVÉNILE À LA CONQUÊTE DE L’ORDRE

Cet enfant perd la foi, sous les yeux des prêtres ses maîtres, douloureusement impuissants, en particulier du cher abbé Penon qui se dévoue sans mesure à la formation littéraire et philosophique du petit infirme et lui apprend à dominer son épreuve.

L’adolescent que sa surdité retranche du monde, désoriente, prive de ses ambitions et fâche avec Dieu qu’il ne comprend plus, est le même qui vibre à toute beauté et s’enthousiasme au premier choc des grandes passions. Il s’exalte aux sombres prédications révolutionnaires de Lamennais, à treize ans ! Il est blessé par l’ironie et le sarcasme de Pascal. Il s’enivre de Musset, de Verlaine et de « notre mauvais enchanteur » Baudelaire. L’anarchie est dans le trop plein des passions contraires et dans leur jeu épuisant. Cet être exquis qu’emportent son plaisir, sa curiosité, son ambition de tout étreindre, souffre de ce désordre intérieur, comme il s’effraie, à la lecture des philosophes allemands, de songer que peut-être tout est vain et que même le monde visible — si riant, si charmant — n’existe pas ! Ce n’est pas une anarchie aimée et qu’il veuille étendre plus loin, au dehors ! C’est une plaie béante dont il essaie de guérir ou dont il devra mourir. Son goût de la vie l’emporte à la conquête de l’Ordre, à la recherche des raisons et des lois sûres qui puissent régler son action, ou il se condamnera à mourir, ne sachant comment agir et qui servir…

Dans cette peine, Maurras est la plus extraordinaire illustration de ce mal du siècle finissant qui blessera Maurice Barrès et Charles de Foucauld parmi tant d’autres. (…)

Il s’est étonné, comme d’une sorte de mystère, de miracle ou de grâce, inexplicable, que le pire ne l’ait pas emporté. Dans Les quatre Nuits de Provence, il raconte cette sorte de communion sacramentelle à l’ordre du monde qui lui révéla son moi le plus fort. Maurras dut convenir qu’il existait en son être comme au cœur du monde une Loi, une Raison, une Divinité familière et attentive, prompte et miséricordieuse, qui sauve l’être du chaos et impose sa règle, sa limite, son dessein à l’infini primordial.

Cette lente ascension de l’anarchie à l’ordre est exemplaire, non par l’anarchie détestée, désavouée, fuie, mais par l’harmonie retrouvée et déjà le sentiment de la perfection devenu l’attrait souverain, le sens divin « de l’épreuve qui définit et du sacrifice qui régénère » (Nuits, la 3ème).

En novembre 1885, après son baccalauréat de philosophie, sa mère, son frère et lui montent à Paris. Il pense avoir perdu la foi définitivement, il se sent du moins héritier d’un passé magnifique et d’autant plus amoureux de la vie, de toute beauté, resplendissement sensuel de l’ordre. Il pense suivre les cours de licence d’histoire à la Sorbonne mais sa surdité l’oblige à y renoncer aussitôt. Alors il se livre à son double plaisir, « littératurite, philosophite », comme il dira. Des heures dans les bibliothèques, il s’enivre de toute poésie, il se gave de philosophie à la recherche d’une solution au problème de la connaissance, qui le tracasse. Mais très vite il a compris qu’une seule voie lui restait ouverte pour « agir et servir », le journalisme. Il s’y lance.

Dès 1886, alors qu’il n’a pas 18 ans et sort à peine de sa province, ses premiers articles de critique philosophique sont acceptés, remarqués, célébrés comme ceux d’un maître de la sagesse et des lettres. Jamais homme n’aura tant lu, tant retenu, mais surtout si vite et si bien jugé toute lecture.

Dans ces premières années de vie parisienne, il a tenté encore de retrouver la foi. Sa correspondance avec l’abbé Penon en témoigne. N’a-t-il pas rencontré sur son conseil, entre autres prêtres de la capitale, le célèbre abbé Huvelin, dans le même moment où celui-ci convertissait Charles de Foucauld (oct. 1886) ? Las, ces essais infructueux ne firent que durcir son scepticisme en une sorte de négation irritée dont les accents parfois violents révèlent le fond inquiet et douloureux. La foi catholique est la solution totale à l’immense problème de l’ordre, il le reconnaît, mais il faut l’avoir. Et il ne l’a pas…

Ce rôle de journaliste et de critique lui parait un grave magistère qu’il entend exercer avec honneur. Cette autorité sur les esprits de ceux qui le lisent lui fait un devoir de se soumettre lui-même, pour eux, à la règle souveraine du beau et du vrai, en attendant que se révèle à lui davantage la règle du bien.

Un dévouement commence à naître, dans le rayonnement de son meilleur ami, le splendide Amouretti, royaliste et catholique ardent : la défense du pays réel, de ses provinces, de ses libertés, contre la centralisation et l’uniformisme jacobins, donc contre la démocratie.

Le romantisme surmonté, retour au classicisme

Durant ces dix premières années de vie parisienne, pour une bonne part abandonnées aux caprices de l’amour et pour une autre, meilleure, vouées à la recherche du beau en littérature, Charles Maurras se détacha du romantisme auquel paraissaient le livrer toutes ses passions et, sans jamais l’oublier, se voulut et rendit classique.

D’Athènes à Florence, où il voyage ensuite, et au Louvre où les Antiquités grecques le fascinent, Maurras poursuit cette lente conquête et cette victoire de la Raison sur le sentiment, ce triomphe vibrant de l’harmonie qui n’est pas et ne sera jamais la brutale substitution d’un ordre tout abstrait et contraint à la spontanéité des sentiments et au charme de la vie…

Un livre demeure l’antidote de ce mal éternel que toute jeunesse connaît et connaîtra, Les Amants de Venise. Maurras y reconstitue avec un soin de détective, y raconte comme un romancier, le fait vrai, le drame historique, lyrique, sordide, que George Sand et Musset vécurent à Venise en 1834. Et qu’on résume, le plus prosaïquement du monde, en la trahison de celui-ci par celle-là, au profit de l’obèse Docteur Pagello. Mais trahison couverte et recouverte de tous les oripeaux grandioses de l’Amour et du Dieu des romantiques ! En George Sand, cible de choix, il fouaille les invocations hypocrites au Dieu de la conscience et découvre là-dessous les pires passions, les abandons vulgaires, le constant mensonge d’une créature odieuse qui se farde et se voue un culte à elle-même, mais qui se détruit en s’exaltant.

Maurras donc y met à nu ce fameux sentiment de l’amour, son mensonge, son inexistence même quand il n’a point d’autre règle ni d’autre fin que lui-même. C’est la démonstration par l’absurde, par la honte, par l’odieux, que « l’amour n’est pas un dieu », ni le souverain bien ni le plaisir de l’homme mais un désir qui ne vaut que par la perfection de son objet et la vérité de son mouvement.

contre l’anarchie religieuse, catholicisme et positivisme

Parallèlement au beau succès de sa « littératurite », Maurras tentait une autre avancée, de « philosophite », qui échoua, ou du moins qui ne le mena pas au terme désiré. Mettre de l’ordre dans ses sentiments supposait, imposait d’en mettre également dans ses idées. Maurras ambitionna donc, dans la perte de son Catholicisme, d’apprendre des philosophes quel est l’ordre du monde et de l’au-delà du monde.

LA CRITIQUE DU MORALISME KANTIEN

Maurras partit perdant, dès sa jeunesse, dans cette quête de la sagesse suprême. Dès cette époque, il admit malheureusement le criticisme kantien auquel, nolens volens, il demeurera toujours asservi. Il a ratifié, les yeux bandés, la Critique de la Raison Pure. Il en gardera la conviction que la raison humaine ne peut légitimement dépasser les frontières du monde sensible et bâtir une « métaphysique ». L’homme ne peut donc rien connaître de Dieu, de ses perfections, ni de la création du monde ni de la Providence qui le mène, rien ! Kant et ses grands Allemands ont rendu pour la vie Maurras agnostique !

S’il critique Kant, et avec quelle virulence, ce sera de ne pas maintenir son scepticisme transcendantal jusqu’au bout et de lui faire une entorse grossière en accordant à la loi morale émanée de la conscience individuelle le caractère nécessaire et intangible qu’il dénie à la vérité métaphysique que démontre la raison à partir de la nature des choses ! Ce dogmatisme moral, qui fait reposer l’existence de Dieu, de la justice éternelle et de toute grâce, sur les pures affirmations de la conscience, est dérisoire. Le Dieu de la Conscience de Kant n’a pas plus de droit à l’existence que le Premier Moteur d’Aristote ou le Bien de Platon. Or il est cent fois plus dangereux !

Charles Jundzill, dans L’Avenir de l’Intelligence, ce jeune homme qui avoue son « besoin rigoureux de manquer de Dieu », ressemble au Maurras de 1902 comme un frère. Il conclut, provisoirement, à la nécessaire hygiène mentale du refus de toute croyance comme de toute métaphysique pour raison garder, pour servir la civilisation sans obstacle transcendant, ni religieux ni moral, pour défendre tout simplement la vie, qui est bonne, belle, délicieuse, contre toutes les forces de mort conjurées sans cesse à sa souillure et à sa destruction, fût-ce contre un Dieu sophistiqué !

LA CRITIQUE DE LA FOLIE RELIGIEUSE

On connaît son irritation contre « le funeste Pascal », lequel humilie la raison, seule faculté humaine qui conserve un certain contrôle sur son propre exercice, pour exalter la foi, la confiance au témoignage d’autrui, qui est bien de toutes les certitudes la plus inconsistante et la plus pernicieuse. « Pascal lu de bonne heure, avant quinze ans, déposa en moi un germe que je peux appeler pré-kantien et qui fut le principe de mes premières mises en question métaphysiques et religieuses. » Sans parler du « cœur » pascalien dont les intuitions se chargent de tant d’aveuglement et de caprices ! Et Fénelon est aussi pernicieux.

À mesure qu’il se détache du romantisme, c’est Jean-Jacques Rousseau que Maurras en vient à dénoncer comme le plus grand destructeur de la civilisation et le père de toute anarchie politique, avec sa Profession du Vicaire Savoyard. « On prétend que Rousseau ralluma le sentiment religieux ? Il l’affadit, l’amollit, le relâcha, le décomposa. » (L’Allée des Philosophes)

Il accable Rousseau parce qu’il voit dans la Révolution Française la suite naturelle et la mise en application de ses rêves et de ses bons sentiments tout inspirés de la religion huguenote. Remontant à la source de l’anarchie religieuse, Maurras accuse Luther et Calvin, les deux mauvais génies de la Réforme protestante, les inventeurs du plus dissolvant des principes, celui du libre-examen.

Luther souleva la barbarie germanique contre le monde latin, l’Homme Allemand contre Rome, prônant au nom de l’Évangile la pire des révoltes, « la sédition de l’individu contre l’espèce ».

La Raison que Maurras célèbre dans La Naissance de Minerve réplique à la Prière sur l’Acropole de Renan, sait ordonner et composer les êtres divers, leurs appétits, leurs lois.

C’est le sens de la suite de contes aux allures licencieuses ou iconoclastes du Chemin de Paradis. « Religions, Voluptés, Harmonies » forment les trois grâces de la vie humaine qu’il ne faudrait point mutiler sans quelque grave nécessité. Mais la recherche ici-bas du bien absolu, du plaisir parfait, de l’Infini, n’est qu’un leurre qui renvoie le civilisé à la barbarie ! Tout cela dépasse l’homme et demeure hors de ses prises. Il ne saurait se croire un dieu ni tenter de l’être sans périr. [Cf. L’étude du Chemin de Paradis, 1986, où l’abbé de Nantes sut percer le véritable secret de ces contes : la haine de Jésus-Christ, au cours des conférences du camp : Maurras face à Jésus-Christ et de la récollection de la Toussaint.]

Il croit, il feint de croire que le mépris de l’ordre et de la raison, que l’Antiquité païenne adorait, vient du Christ ! Une page frémissante d’Anthinéa, qui date de son voyage d’Athènes en 1896, le proclame avec une déchirante fureur. L’anarchie sociale, qui débride tous les égoïsmes, détruit les hiérarchies protectrices et rompt « cette immense réciprocité de services » en laquelle consiste toute communauté humaine, c’est l’Évangile qui l’a répandue dans le monde ! Tel est le sens du Conte des Serviteurs. Il insulte ce « Christ hébreu » par lequel la civilisation antique a péri ; raccourci détestable qui fait de la Révolution l’héritière directe et exclusive de Jésus ! Il méprise et récuse les « turbulentes Écritures orientales », et ailleurs les « quatre juifs obscurs », auteurs des Évangiles, qu’il rend trop vite, et combien à tort ! responsables de toutes les insurrections modernes et de toutes les frénésies religieuses qui osent se réclamer de nos Livres Saints… « Avec votre religion, lâchera un jour Maurras à Louis Dimier, il faut que l’on vous dise que, depuis dix-huit cents ans, vous avez étrangement sali le monde ! »

L’ÉGLISE CATHOLIQUE SEULE…

L’Église romaine contre le Christ hébreu. Maurras pensait, avec toute sa génération, que la Bible venue d’Orient était un recueil de prédications anarchiques du genre des prophéties apocalyptiques de Lamennais, que l’Évangile était une charte de subversion sociale, comme le dira Sangnier, et que Jésus était le prêtre et le prophète du romantisme et de l’anarchie que décrivait scientifiquement (?) Renan, à l’image d’un Rousseau ou d’un Tolstoï. Il louait l’Église d’avoir étouffé la voix de ce Christ et savamment atténué son message par amour de l’ordre humain. L’Église a trahi Jésus ? Eh, fort heureusement ! répondait-il en substance, sans même songer à en discuter le principe, sans s’attarder à l’examiner de près.

Quoi qu’il en soit des excuses qu’ait eues Maurras à identifier Jésus avec l’image bizarre et subversive qui en régnait alors, et le Dieu de la Bible avec le garant de l’orgueil juif ou allemand, ou musulman, ou démocrate-chrétien, et quoi qu’il en soit des regrets qu’il en ait exprimés plus tard, nous ne pouvons admettre la confusion du vrai Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ avec toutes les créations mensongères de l’orgueil humain. Un Maurras ne devait pas s’y laisser prendre. Il a frappé son Dieu et notre Dieu, ce fut une erreur et une faute dont ses adversaires d’ailleurs, idolâtres de toutes espèces, tireront le meilleur parti contre lui et contre nous.

Maurras excepte de sa vindicte l’Église catholique, et l’Église catholique romaine seule, parce que dans le Catholicisme seul et le Catholicisme traditionnel, dogmatique, discipliné, autoritaire, l’idée de Dieu est « organisée »… Maurras veut dire par là que cet Absolu ne s’impose pas sans preuve, qu’il n’est pas abandonné sans contrôle à l’imagination individuelle, qu’il n’entre pas n’importe comment dans la réalité humaine pour la faire voler en éclats.

Cette « organisation », en un temps où Romantisme, Individualisme, Libéralisme et charlatanismes en tous genres, la vilipendaient, la détestaient et ne rêvaient que de la détruire, Maurras, lui, l’admire profondément et la déclare seule digne de confiance, sous sa forme la plus serrée, la plus fidèle, d’un catholicisme intégral, celui du Syllabus, surtout pas gallican mais pleinement romain.

… OU L’EMPIRISME ORGANISATEUR

Beaucoup d’hommes aujourd’hui ont perdu la foi catholique ; bien plus, « toute interprétation théologique du monde et de l’homme leur est insupportable ». « Seulement, Dieu éliminé, subsistent les besoins intellectuels, moraux et politiques qui sont naturels à tout homme civilisé, et auxquels l’idée catholique de Dieu a longtemps correspondu avec plénitude ».

Vont-ils sombrer dans l’anarchie ? Les meilleurs y répugnent. « Si vous croyez à l’Absolu, soyez franchement catholiques, criait à ces gens-là Charles Jundzill. Si vous n’y croyez pas, il faut tenter comme nous le tentons, de tout reconstruire sans l’Absolu ». Avec Auguste Comte, il veut dresser Le Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société.

Ce Positivisme est à entendre strictement dans le sens d’une pure observation des phénomènes et d’une induction simple de leurs lois constatées. Ainsi les hommes modernes doivent-ils parvenir modestement à une « synthèse subjective » sur laquelle ils puissent tous se trouver d’accord.

C’est à Sainte-Beuve, dès 1898, en dix pages magistrales de son court traité, Trois Idées Politiques, qu’il demande la parfaite méthode scientifique sur laquelle puissent se réconcilier « les partis de droite, catholiques » et les « gauches, radicaux, anticléricaux », la Vieille France et la France Moderne. Tous, échappant à la guerre franco-française, régleront d’un commun accord « l’immense question de l’ordre ». Car Sainte-Beuve enseigne à pratiquer l’analyse et la recomposition, la découverte objective des conditions de l’ordre humain et des moyens de sa restauration ou de son progrès, de manière toute empirique. Ce sera, au regard de l’histoire, l’empirisme organisateur, méthode maurrassienne par excellence.

Cet empirisme organisateur de Maurras dont la règle d’or consiste à savoir le bien et le mal politiques en analysant le présent à la lumière du passé, pour prévoir où l’on va, afin de pourvoir aux meilleures solutions. Il s’induit de cette méthode une sagesse politique profondément ancrée dans l’histoire nationale, dégagée de tous les a priori idéologiques, comme de toute passion démocratique – c’est un empirisme, et cependant capable de faire des choix clairs et d’en rendre raison – cet empirisme est organisateur. Point 96 de l’ancienne des 150 points de la phalange.

le nationalisme de raison

Charles Maurras a d’abord conquis la maîtrise de son style ; dès 1888 c’est chose faite. Il s’est imposé une maîtrise de ses sentiments suffisante pour vivre et agir dès les années 90-95. Il acquit alors la maîtrise du raisonnement par la fixation de sa méthode, l’empirisme organisateur. Dès 1898, il le propose comme moyen d’union des esprits les plus divers, et de réconciliation des Français. C’est alors qu’il est soudain jeté dans la politique militante et se trouve appelé à étendre sa maîtrise bien au-delà de lui-même et devenir un chef, le plus français des Français.

De son Voyage d’Athènes en 1896 il a rapporté, en même temps que l’impression forte du triomphe de la Raison créatrice d’ordre et de beauté, deux leçons politiques majeures. Celle de la décadence brusque d’Athènes, dont il remarque qu’elle coïncida avec l’avènement de la démocratie. Et celle du réveil des nationalismes dans le monde, brutalement manifesté au jeune reporter parisien dans ces premiers Jeux Olympiques que le baron de Coubertin restaurait précisément dans un sentiment mondialiste !

« UNE AFFAIRE D’ÉTAT »

L’affaire Dreyfus lui révéla bientôt le problème politique dans toute son étendue. « Cette guerre civile sèche décida de notre destin ».

Au dernier jour d’août 1897, rentré précipitamment en France, de Londres où il contemplait les frises du Parthénon, à l’annonce du suicide du Colonel Henry, Charles Maurras, d’un coup d’œil , juge la situation et sauve la bataille. Dans La Gazette de France, le 6 septembre, il écrit un article unique dans la presse, Le Premier Sang, et pour la défense de la Patrie, n’ayant plus en pensée que ces « cinq cent mille jeunes Français couchés, froids et sanglants, sur leur terre mal défendue », il « entre en politique comme on entre en religion ». Il n’en sortira cinquante ans plus tard, en 1945, que pour entrer en prison perpétuelle ; ce sera, comme il le criera à ses juges, « la revanche de Dreyfus ».

Maurras va à l’essentiel : innocent ou non, Dreyfus a été régulièrement jugé et rejugé. Il est intenable et impie de mettre par principe la Patrie d’un côté, la Justice de l’autre. Il est criminel d’appeler l’opinion à trancher souverainement du juste et de l’injuste.

En 1899, dans l’un des premiers numéros de la Revue d’Action française, la fameuse « revue grise », Maurras osa, au scandale de ses amis tous républicains, ces paroles impies : « Je ne suis pas républicain. Je tiens la doctrine républicaine pour absurde et puérile, le fait républicain pour le dernier degré de la décadence française ». Et notre XXe siècle s’est ouvert à l’Action française sur ce cri qu’on y répétera jusqu’à ce jour à l’annonce de tous les épouvantables malheurs français: « La démocratie, c’est le mal, la démocratie, c’est la mort ! »

Maurras retrouve là et fait se retrouver dans leurs disciples par lui redevenus amis, toute une galerie de « positivistes » aussi divers que Renan, Anatole France, Proudhon, Littré, Fustel de Coulanges, d’accord avec les catholiques traditionnels Bonald, Maistre, Le Play, sans compter les nouveaux venus, La Tour du Pin, Barrés, et Vaugeois et Pujo, et Montesquiou. Hier irréconciliables, spinozistes, nietzschéens, kantiens, ou catholiques, les voilà réunis ; « aile droite » et « aile gauche », où Maurras situe modestement son agnosticisme libertin, réconciliés dans la science des faits et dans l’art possible de leur organisation la plus favorable à la Cité des hommes.

Ce qui était neuf, dans cette Action française, c’était que la politique nationaliste y était d’abord une réflexion intellectuelle, scientifique, sur les conditions du salut de la France, hic et nunc. On se dit peu à peu qu’il doit y avoir en politique une vérité ou une erreur, reconnaissable à leurs gains ou leurs pertes, à peu près comme l’arbre aux bons et aux mauvais fruits dans la parabole de l’Évangile. Telle sera la règle de l’Empirisme Organisateur. (CRC n° 108)

Monarchiste de raison ? Certes, et c’est sa nouveauté. Mais le cœur a suivi ! Quand ils eurent rencontré le duc d’Orléans, en 1902, dans son exil, « le grand et noble Prince » qui avait su prendre dès 1897 dans son Manifeste de San Remo « la position nationaliste », « pour l’armée, pour la patrie, contre les métèques et les juifs », et « pour le peuple de France » contre « la fortune anonyme et vagabonde », Maurras et ses amis devinrent de fervents royalistes.

« LES QUATRE ÉTATS CONFÉDÉRÉS. »

Publiant en 1889-1900 Les Monods peints par eux-mêmes, Maurras étendait, étoffait les dénonciations trop étroites et viscérales de Drumont. Il démontrait que la France était aux mains de quatre états confédérés, juif, protestant, maçon et métèque. C’était d’une criante vérité. Ce le fut moins à certains moments heureux de resserrement de notre Unité nationale, et Maurras sut s’en réjouir le premier, n’ayant aucune haine de peau ni d’idée contre personne.

Les Quatre États Confédérés ont leurs clients, leurs commis et grands commis. Mais ils ont eu soin de domestiquer d’abord la classe des gens de Lettres. Maurras raconte et explique la triste histoire de cette domestication dans L’Avenir de l’Intelligence (1905). Indépendants et occupés d’autre chose que de politique dans l’Ancienne France, les écrivains du XVIIIe siècle, devenus « Philosophes », ont prétendu conseiller et diriger l’État. Ce fut leur perte. Les oligarchies financières devenues maîtresses du Pouvoir sauront leur donner l’illusion de gouverner, en les payant. Maurras analyse avec minutie les mécanismes de l’édition et les montre de plus en plus étroitement agencés par l’or et à son unique profit.

Alors, le Maître du nationalisme français appelle au libre combat des idées une nouvelle génération d’hommes de Lettres, qui consentiraient au sacrifice nécessaire et renonceraient à l’Or, aux promotions et aux honneurs que seul l’Or accorde, pour se faire les professeurs désintéressés du Patriotisme, les libérateurs de l’esprit français.

 

Éloge du catholicisme

LE DILEMME DE MARC SANGNIER

Avec une pugnacité infatigable, jouteur étincelant et profondément bon, il s’en prend à tous les Princes des Nuées, comme il les appelle, à tous ceux qui détruisent comme des frénétiques le réel, la vie tendre et fragile des êtres humains, pour que règnent seules les Idées froides et mortelles dont ils font leur absolu, Moloch auxquels tout doit être sacrifié. Contre leur complot, Maurras rêve d’une Ligue de tous les défenseurs du réel, de l’Ordre, des Patries et des familles, qu’ils soient positivistes comme lui, à défaut de mieux, agnostiques, chrétiens, pourvu qu’ils soient catholiques.

Catholiques ? Oui ! Car en face de ces idéologies monstrueuses, Maurras se sent le cœur catholique, c’est-à-dire « composé de païen et de chrétien », entendons pour ne pas sursauter d’indignation, tout à la fois respectueux de la raison et du mystère, de la nature et de la religion. Ce qui est absolument exclu ici, c’est un christianisme furieux de détruire la civilisation humaine, l’ordre de la création. Ce qui est en revanche accepté et admiré, c’est le catholicisme bien acclimaté sur la terre des hommes, conçu pour tout embrasser sans rien bannir ni rien mépriser, « beauté, raison, vertu, tous les honneurs de l’homme »…

« Je suis Romain », proclamera-t-il avec ferveur tout au long de son admirable Préface au Dilemme de Marc Sangnier, exprimant le plus extraordinaire hommage qui ait jamais été adressé par un incroyant à l’Église Catholique, héritière de la civilisation la plus haute, fondatrice de Chrétientés et mère souveraine du genre humain. Ce n’est pas un hommage à la grâce divine, invisible aux yeux humains. C’est un hommage à ses effets incomparables dans l’histoire.

« Je suis Romain, parce que Rome, la Rome des prêtres et des papes, a donné la solidité éternelle du sentiment, des mœurs, de la langue, du culte, à l’œuvre politique des généraux, des administrateurs et des juges romains… Je suis Romain dès que j’abonde en mon être historique, intellectuel et moral… Par ce trésor dont elle a reçu d’Athènes et transmis à notre Paris le dépôt, Rome signifie sans conteste la civilisation et l’humanité. Je suis Romain, je suis humain ; deux propositions identiques »

L’Action française est apte à la discussion et au combat politiques contre le régime républicain et l’utopie démocratique ; mais elle serait désarmée, incompétente, pour en contester et en détruire les fondements religieux ou métaphysiques. C’est le Catholicisme qui a rendu ce service millénaire à la civilisation latine et qui le rendra encore aujourd’hui. Dans le Dilemme de Marc Sangnier, Maurras démontre au fondateur du Sillon la stupidité de ses rêveries politiques, mais pour ce qui est de ses principes évangéliques, l’agnostique ne peut que se tourner vers l’Église et prédire à l’autre que Rome le condamnera au nom de son Seigneur et Dieu, Jésus-Christ, dont il est certainement hérétique ! Ce qui advint d’ailleurs peu après, par la Lettre sur le Sillon de saint Pie X, le 25 août 1910, comme prévu.

 

“le parti de la France”

Au Congrès de 1910, Maurras pose la question : Si le coup de force est possible ? et il répond par l’affirmative, en spécifiant que ce sera une vraie et décisive « révolution ».

Saint Pie X vient de briser l’audace conquérante du Sillon, où l’Évangile passe pour la Charte de la Démocratie Moderne Universelle.

La contre-attaque évangélique et républicaine fut vive. Bientôt les Modernistes et Progressistes vont jeter des flammes sur ces propos sacrilèges et réclameront les pires peines ecclésiastiques pour cela contre Maurras et les catholiques d’Action française.

Les « blasphèmes » de Maurras interjetaient dans cette lutte une perturbation déplorable. Ils venaient confirmer dans ce camp même du catholicisme intégral la prétention des progressistes de l’autre camp à posséder le vrai Christ. Ainsi les catholiques d’AF paraissaient de mauvais chrétiens, aux dires de leur propre maître, et la haine des révolutionnaires pour Maurras pouvait se justifier par ses propres paroles et paraître inspirée par l’amour de Jésus ! Pie X avait condamné l’immanentisme religieux et l’évangélisme démocratique au nom de l’Église ? Les voici qui s’élevaient contre Pie X et Maurras et l’Église au nom du Christ ! Nous vivons encore en plein dans ce drame.

le lutteur solitaire, le vieux prisonnier

Le complot reprendra sous Pie XI, démocrate et germanophile ; lcondamnation de l’Action Française par Pie XI tomba, le 25 août 1926 et aboutira à l’excommunication des Ligueurs et lecteurs de l’Action Française. Sous prétexte que les catholiques ne peuvent collaborer sans danger avec des agnostiques, blasphémateurs du Christ, contempteurs des Écritures, qui prêchent la violence révolutionnaire et veulent restaurer l’esclavage, etc.

Condamné de Rome, désavoué de son Roi, lutteur solitaire, Maurras ne voyait dans ce déni de justice qu’« une petite affaire en regard du bienfait séculaire du catholicisme ».

Maurras fit 200 jours de prison en 1937 pour avoir menacé de mort les députés qui allaient voter la guerre à l’Italie, et cette année-là du moins la guerre fut évitée. Les désarmeurs-bellicistes enfin l’emportèrent ; ce fut 39-40, la guerre, l’exode, l’invasion. « La divine surprise », au fond de l’abîme où nous tombions d’une chute verticale, ce fut la restauration d’un État national par le Maréchal Pétain.

Dans son Bienheureux Pie X Sauveur de la France, livre dont il disait qu’il était son testament spirituel, Maurras a dressé un saisissant diptyque. Pie X, en sanctionnant le Sillon et bénissant la contre-révolution d’Action française, contribua puissamment à la victoire de 1918, qui fut celle du monde latin et catholique contre le monde germanique et luthérien. À l’inverse Pie XI, en condamnant l’Action Française et livrant l’Église aux penseurs modernistes et démocrates, a corrompu le mental et le moral de notre pays. C’est par lui qu’enfin, et malgré ses ultimes efforts de redressement, l’Europe se trouvera livrée au nazisme puis au communisme.

Puis vint la Libération, nouvelle invasion, nouvelles ruines, et la satanique surprise du retour des naufrageurs. L’AF disparaît le 24 août 1944, Maurras est arrêté, jugé en janvier 45, et condamné comme collaborateur de l’Allemagne nazie, lui ! à la prison perpétuelle. La plupart des cadres de l’AF connaissent les horreurs de l’Épuration ou l’état de morts vivants de l’Indignité Nationale. De sa prison de Clairvaux Maurras lutte, pour la Vérité, pour la Justice. Ses lettres, articles, livres, sont la source d’énergie qui appelle la résurrection de l’Action française dans ces années terribles où le monde chavire et sombre sous l’oppression des nouveaux barbares judéo-communistes.

Pie X avait confié à sa mère, en 1911 : « Je bénis son œuvre… Elle aboutira » et en secret : « Votre fils a rendu trop de services à l’Église pour qu’il ne recouvre pas la foi ». J’ai sous les yeux la lettre du 26 mars 1952 où il me rappelle la prophétie, dans un graphisme plein de sérénité, de force, d’allégresse : « Oui Pie X l’a vu, promis, prédit, l’AF aboutira ». Cette promesse faite à sa mère par le plus humble et le plus sage, le plus saint des Papes, il la tint, quand il la connut, en 1922, pour infaillible. C’était l’Église, qui détenait donc les clés de l’avenir, qui communiquait par la voix du Pontife quelque chose de son indéfectibilité triomphante à l’œuvre de restauration nationale du « plus français des Français » !

Maurras n’a pas réussi à cause de ses blasphèmes, de son manque de foi ; il se convertira mais ne sera plus de ce monde. Son œuvre aboutira par une Action Française vraiment catholique. (Frère Bruno, camp 1986 et notre Père, Congrès 1986)

Ses disciples se convertissent. Et lui ? Qu’il soit resté longtemps sur le seuil du sanctuaire, timide, hésitant, bouleversé, trop de confidences le donnent à penser. Réticent devant « le mythe tentateur », il trouvait ce monde invisible trop beau, trop merveilleux pour une âme lourde, obscure, indigne. On le croyait rebelle à la grâce par orgueil, tout au moins indifférent ou trop passionné par d’autres soins.

L’étape où je l’ai connu et approché, fut celle de l’anarchie dans l’Église même, livrée à ce que Maurras détestait le plus. Eh ! bien, jamais il ne prit son parti de cette décadence, jamais il ne crut à la désintégration de l’Église. Lorsque je le rencontrai à la clinique Saint-Grégoire de Tours, je constatai chez lui un respect, une vénération pour l’Église et sa hiérarchie qui firent la stupéfaction du jeune prêtre que j’étais. On sentait qu’il n’y avait pour lui rien de plus élevé, de plus précieux ni de plus solide, encore aujourd’hui et demain, que l’Église Catholique !

Reste le problème du mal qui l’a hanté, qui a labouré sa chair et son esprit. C’est cela qu’il dira au prêtre chargé de s’occuper de son âme à la clinique de Tours, c’est cela dont il gémira jusqu’à la dernière fin. Et puis, la splendeur élevée et inattendue de nos mystères, trop contraires à une certaine harmonie de la nature païenne, à la limite rassurante de l’humanisme grec. L’abjection du Christ, l’ignominie de la croix, la mystique de l’échec et de la souffrance lui étaient des obstacles. Il attendait « gisant dans les ténèbres » selon sa traduction à lui, qui étonna Pie XI, du « qui in tenebris sedent » de notre Benedictus, et il enviait ceux qui avaient trouvé la lumière, avec une sympathie quelque peu jalouse, une respectueuse familiarité, bien proches de la Foi.

Enfin, « il entendit quelqu’un venir ». C’était le 16 novembre 1952. Il avait quatre-vingt quatre ans.

Il avait composé en prison à Clairvaux, en 1950, cette Prière de la Fin, où il réussit à enclore tout le drame religieux de son existence, tout son combat, toute sa mission terrestre. Prière qu’il dédie à la génération future, celle qui retrouvera la foi perdue dans la suite logique et providentielle de son retour à l’ordre humain politique, celle qui, choisissant Charles Maurras pour son premier maître humain, se laissera conduire par lui jusqu’au seuil du sanctuaire, jusqu’à l’Église Catholique Romaine :

PRIÈRE DE LA FIN

Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.
Ce vieux cœur de soldat n’a point connu la haine
Et pour vos seuls vrais biens a battu sans retour.

Le combat qu’il soutint fut pour une Patrie,
Pour un Roi, les plus beaux qu’on ait vus sous le ciel,
La France des Bourbons, de Mesdames Marie,
Jeanne d’Arc et Thérèse et Monsieur Saint Michel.

Notre Paris jamais ne rompit avec Rome.
Rome d’Athènes en fleur a récolté le fruit,
Beauté, raison, vertu, tous les honneurs de l’homme,
Les visages divins qui sortent de ma nuit :

Car, Seigneur, je ne sais qui vous êtes.
J’ignore Quel est cet artisan du vivre et du mourir,
Au cœur appelé mien quelles ondes sonores
Ont dit ou contredit son éternel désir

Et je ne comprends rien à l’être de mon être,
Tant de Dieux ennemis se le sont disputé !
Mes os vont soulever la dalle des ancêtres,
Je cherche en y tombant la même vérité.

Écoutez ce besoin de comprendre pour croire !
Est-il un sens aux mots que je profère ? Est-il,
Outre leur labyrinthe, une porte de gloire ?
Ariane me manque et je n’ai pas son fil.

Comment croire, Seigneur, pour une âme que traîne
Son obscur appétit des lumières du jour ?
Seigneur, endormez-la dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.

Abbé Georges de Nantes

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