Entretien avec Pierre Hillard 

Entretien avec Pierre Hillard 

Né en 1966, Pierre Hillard est essayiste, docteur en science politique. Ancien collaborateur à l’Action Française 2000 il est spécialiste du « mondialisme ». Ll critique ce qu’il interprète comme un processus technocratique de décomposition des nations et d’unification du monde. Nous l’interrogeons sur don dernier ouvrage qui fait débat dans le milieu nationaliste. 

L’AF – Après vos nombreux ouvrages sur le mondialisme : La Décomposition des nations européennes : de l’union euro-atlantique à l’État mondial (2004), La Marche irrésistible du nouvel ordre mondial (2007), La Fondation Bertelsmann et la gouvernance mondiale (2009) et Chroniques du mondialisme(2014), pourquoi ce nouvel ouvrage, « Comprendre l’Empire loubavitch » ? 

Pierre Hillard : En fait, j’ai voulu connaître le rôle et les ambitions des Loubavitch largement inconnus du public français. Depuis de nombreuses années, je me suis intéressé à l’histoire du monde rabbinique. La non-reconnaissance de la messianité du Christ a conduit ce milieu à élaborer un corpus qui n’est plus le mosaïsme préparant l’arrivée du Christ via les annonces faites par de nombreux prophètes comme Isaïe, Zacharie, Ézechiel, Michée etc., mais le Talmud, corps de doctrine religieux, civil et politique élaboré de 100 à 500 ap. J-C. Violemment anti-chrétien car châtiant le Christ dans des excréments bouillants, le Talmud se doit d’être relié à la kabbale qui est l’interprétation ésotérique du judaïsme. En raison de ces caractéristiques, on ne peut absolument pas utiliser l’expression civilisation « judéo-chrétienne ». Le mosaïsme a été parachevé par le Christ et, désormais, l’Église est le nouvel Israël au sens spirituel du terme. Le judaïsme mosaïque n’existe plus. En raison de cette évolution, l’Église utilise l’expression la « synagogue aveugle » pour désigner le monde rabbinique resté fidèle à l’idée d’un « messie » venant uniquement pour la gloire d’Israël aux dépens des nations. En raison de cette espérance, on peut observer l’apparition de nombreux « messies » cherchant à capter l’attention des masses juives, ces dernières attendant leur « libérateur ». Or, il existe une faction de ce milieu qui a développé l’idée d’un « messie » libérateur sur fond de bouleversement apocalyptique. Cette tendance qui fut visible avec les « messies » Sabbataï Tsevi (1626-1678) et Jacob Frank (1726-1791) a conduit une part du monde rabbinique à s’opposer violemment à ces personnages cherchant à favoriser le mal en tout genre (guerres, famines, génocides, etc.). L’échec de ces « messies » a engendré au cours du XVIIIème siècle le hassidisme dont la finalité est de combiner le caractère intellectuel du Talmud à celui de la kabbale tout en atténuant son aspect apocalyptique. C’est à partir de ce milieu qu’apparaît le monde loubavitch, héritier de cette pensée en y mêlant un idéal messianique ne pouvant aboutir que sur le temps long et sous une forme de chaos. Le but de cet ouvrage est d’expliquer les origines profondes de cette mouvance, ses caractéristiques et son ascension extraordinaire aux États-Unis puis dans le monde entier au lendemain de la Seconde guerre mondiale.

L’AF – Peut-on considérer votre ouvrage comme un aboutissement ? 

Pierre Hillard : Disons que mon livre est la présentation d’un milieu très puissant et influent qui peut être considéré comme un moteur essentiel dans la propagation du mondialisme qui est un messianisme. J’invite les lecteurs de l’Action Française à prendre conscience de la puissance du monde loubavitch qui a su, entre autres, convaincre Donald Trump de déplacer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem en 2017. D’autres surprises attendent le lecteur…

L’AF – Le mondialisme peut-il clore l’histoire ? Quelle espérance ?

Pierre Hillard : Comme il a été précisé dans la question précédente, le mondialisme est un messianisme. Cela signifie que pour les tenants de cet « idéal », il faut détruire le monde issu de la Révélation ; c’est-à-dire l’Église et les États s’inspirant de son enseignement. La Révolution de 1789 et Vatican II ont été les parfaits instruments pour les tenants de cette doctrine. Je renvoie les lecteurs à mes ouvrages, en particulier l’Atlas du mondialisme. Cependant, malgré le caractère humainement désespéré de la situation, l’espérance chrétienne doit nous soutenir. On ne peut comprendre la situation du monde dans lequel nous vivons qu’en raison d’un arrière-fond d’essence satanique. Si ce dernier a pu progresser, c’est en raison d’une effroyable ignorance de la part des patriotes français qui ne connaissent pas la pensée de nos adversaires, leur vocabulaire et la finalité de leurs ambitions. J’espère que mon livre Comprendre l’Empire loubavitch aidera à combler ces lacunes. 

Pour information, Comprendre l’Empire loubavitch est disponible uniquement sur BookEditions. Deux versions sont proposées. La première version est à 26 euros avec 26 annexes en noir et blanc. La seconde version est à 37 euros avec 19 annexes sur 26 en couleur.

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Mésaventure d’un petit livre

Mésaventure d’un petit livre

Chaque livre a une histoire insignifiante, baroque ou cocasse. Je pense que celle de mon ouvrage Vraie et fausse laïcitéressort de cette dernière catégorie comme on pourra en juger.

Ce livre est issu d’une conférence tenue en 2022 au Centre d’études et de prospection sur la science. Après l’avoir retranscrite, j’ai soumis mon texte à la Diffusion de la pensée française (DPF). Les patrons de cette librairie en ligne, réputée auprès des gens de chez nous, me donnèrent leur accord pour une publication. Pour lui donner plus d’impact, ils cherchèrent et trouvèrent un préfacier. Tout ceci en plein accord avec moi. Après avoir pris connaissance du texte non seulement la personne contactée refusa de rédiger une préface, ce qui était son droit le plus absolu, mais elle déconseilla à la DPF de publier un ouvrage en désaccord avec la foi selon son appréciation. Pour en avoir le cœur net, DPF soumit mon livre à un théologien qui confirma ce jugement. La société DPF me fit donc savoir qu’à son grand regret, elle ne pouvait éditer mon ouvrage. Fin du premier acte.

C’est alors que je me suis tourné vers les éditions d’Action française qui me donnèrent rapidement leur accord. Un premier tirage eut lieu. À ma grande surprise, ce fut dans les abbayes et les couvents que le livre se vendit le mieux. Dans un endroit que je ne citerais pas, il fut même lu aux moines durant leur repas pour leur édification personnelle. Je n’en demandais pas tant : vous avouerez que pour un livre qui contredit la foi, c’était quand même assez cocasse. Fin du deuxième acte.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Après une première édition, il y en eut une seconde qui bénéficia d’une splendide préface de monsieur l’abbé de Tanouarn que je remercie ici. Chacun aura pu la lire dans le dernier Echo d’Action française et constater qu’il ne m’adresse aucune critique que ce soit sur le plan historique ou sur le plan théologique, bien au contraire.

Loin de moi de prétendre que ce petit livre est parfait. La preuve en est, c’est que la deuxième édition a été revue et augmentée. Mais s’il y a une leçon à tirer de tout cela c’est que l’on a trop tendance chez nous à confondre les vérités dogmatiques qui sont peu nombreuses mais indiscutables avec nos idées personnelles qui, elles sont contestables. C’est le cas de la laïcité. En effet, à qui fera t-on croire que ce concept n’a pas varié, même dans l’Église ? Que cette notion était entendue de la même façon par saint Augustin et par saint Thomas d’Aquin, par exemple ? Que les idées de Pie IX étaient celles de Grégoire VII ? Et que l’application de ces idées n’a jamais variée à travers ces deux millénaires ? Tout cela est absurde. Il y a donc plusieurs manières d’entendre la laïcité fondée par le Christ.

Le rôle de l’historien n’est pas de juger et de condamner, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui mais d’expliquer autant que faire se peut les raisons de ces différences, ce qui est beaucoup plus difficile que de distribuer des bons et des mauvais points. Cela permet le dialogue. Cela permet aussi d’avancer, alors que l’inverse ne mène à rien de constructif.

Certains pourront m’objecter que je suis mal placé pour me plaindre puisqu’en toute logique je devrais commencer par défendre chez les autres cette liberté de critique que je revendique pour moi-même. C’est vrai, mais, à cela je répondrais : qu’un théologien plus compétent que moi dans son domaine, ait présenté des objections à la lecture de mon texte, me semble parfaitement normal. Ce qui l’est moins, à mon avis, c’est qu’il n’ait pas cru utile de me les faire connaître ni de m’en exposer les raisons. Il ne suffit pas de dire qu’un livre est dangereux pour la foi pour qu’il le soit,même lorsque l’on est théologien. Il faut argumenter. Il ne l’a pas fait. Je n’ai donc rien changé, pour l’essentiel, au premier texte que les éditions d’Action française ont eu la courtoisie d’éditer et qu’elles viennent de rééditer… et je ne m’en repends pas. 

Fin du troisième et dernier acte de cette petite histoire qui, pour ma part, je dois l’avouer, m’a plutôt amusée.

Ouvrage à commander sur notre  boutique en ligne :  https://editionsdactionfrancaise.fr/

                                                  Philippe Prévost 

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Le dogme de l’antiracisme : Entretien avec Pierre de Meuse.

Le dogme de l’antiracisme : Entretien avec Pierre de Meuse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les éditions DMM viennent d’éditer un livre qui fera certainement date – il ne peut en être autrement ! -, Le dogme de l’antiracisme. Origine, développement et conséquences écrit par Pierre de Meuse, lequel s’est déjà remarquablement illustré lors de précédents ouvrages à l’instar de son Idées et doctrines de la Contre-Révolution (DMM) ou encore de son petit opuscule consacré à la famille, La famille en question. Ancrage personnel et résistance communautaire (Editions de La Nouvelle librairie)Pierre de Meuse a cette formidable capacité de s’attaquer frontalement à tous les sujets importants qui agitent notre société en y apportant des réponses, certes, inattendues, mais salutaires. La pensée contre-révolutionnaire revenant sur le devant de la scène, il nous permettra aussitôt d’avancer la question centrale : celle de l’holisme et du personnalisme, celle de la place de la doctrine chrétienne. La famille est attaquée et les conservateurs la défendent, certes, mais est-ce que le christianisme ne porta pas le premier coup à cette institution ? A l’heure où le racialisme revient dans les discours des indigénistes en même temps que l’antiracisme est érigé en dogme inattaquable – à la fois par la gauche et par la droite qui hurle au racisme anti-blanc -, il saisit le sujet à bras-le-corps et ne cède rien au politiquement correct. Pierre de Meuse a cette vertu rare de traiter des sujets les plus brûlants en ne cédant rien, ni à la pensée dominante, ni aux dogmatismes de nos écoles de pensée. Un livre à mettre entre toutes les mains. 

 

 

 

 

 

 

L’Action Française : Cher monsieur, merci infiniment de nous accorder cet entretien. La première partie de votre ouvrage traite du chemin parcouru. J’aimerais que nous commencions par une question simple : peut-on tracer en quelques lignes une histoire de l’antiracisme et du racisme ? Il semble aujourd’hui extrêmement difficile de définir ce qu’est réellement la race, le racisme et l’antiracisme. Est-ce que cette histoire permettrait de mieux définir ces termes ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre de Meuse : Il y a deux interrogations dans votre question. J’y réponds donc successivement.

 

Sur l’histoire du racisme. Si la discrimination est aussi vieille que l’être humain, parce qu’elle est une attitude propre à tous les groupes naturels et leur permettant de survivre, le racisme posé comme une science est un pur produit de la modernité. Il est en effet la conséquence directe de la propension de l’esprit postcartésien à vouloir fonder le monde en raison. Les anciennes sociétés étaient hiérarchiques et connaissaient une multitude de déterminations et de barrières acceptées sans que quiconque les discutât, prenant en compte la puissance, la place dans le système des rangs, la richesse, la confiance en soi (la grande mine), l’ancienneté, l’éthique, le degré de dépendance aux autres. Et, bien entendu, le phénotype, mais la race biologique n’était qu’un marqueur parmi bien d’autres. Cependant lorsque l’économie de traite se met en place et que les cultures coloniales emploient des milliers d’esclaves désocialisés, les philosophes des Lumières comme Kant, Locke ou Voltaire considèrent leur infériorité comme une évidence et leur servitude comme la suite inévitable de cette place au bas de l’« échelle humaine ». C’est de là que procède l’anthropologie raciale qui, dans sa forme la plus affirmée, aboutit à faire de la race biologique le moteur de l’histoire. Pourtant, l’esclavage n’est pas l’application de ces théories : les traitants qui achètent les esclaves aux roitelets islamisés d’Afrique ne voient que la disponibilité de cette main-d’œuvre et les revenus que leur apporte le trafic du « bois d’ébène » et ne cherchent pas à justifier leur commerce. La traite négrière va être interdite dès le début du XIX° siècle, puis progressivement l’esclavage lui-même. C’est alors que vont prendre naissance les attitudes racistes, qui sont, selon l’expression du Pr Dupuy, un réflexe émanant des classes de Blancs pauvres face à l’égalité imposée ressentie comme une agression. Surtout que ces populations ne voyaient dans les masses négro-africaines que des concurrents, car elles n’avaient jamais possédé d’esclaves. Ces attitudes sont donc une réaction de défense des « petits Blancs », dans une société où l’argent devient la seule source de discrimination sociale. Ici, je voudrais signaler que, dès le XVIII° siècle, on constate la présence dans l’administration coloniale française, aux Antilles et aux Mascareignes d’une méfiance pour l’extension de l’esclavage, avec la présence d’une population servile devenue largement majoritaire ; une situation propice aux insurrections sanglantes qui ne manqueront pas d’arriver à Saint-Domingue et à la Guadeloupe, à partir de 1791.

 

 

 

 

 

J’en viens maintenant à la définition de la race, du racisme et de l’antiracisme, qui est l’essentiel de la question. Car il n’y en a pas ou plutôt il y en a beaucoup, qui sont toutes incompatibles les unes avec les autres. Race dérive de ratio, qui signifie catégorie, c’est pourquoi elle peut désigner les subdivisions animales au sein de la même espèce, un certain type d’homme (la race des entrepreneurs), ou une famille identifiable, par exemple une dynastie, une caractéristique culturelle (la race latine). Et bien entendu, la même variabilité se retrouve dans le « racisme », compliquée en plus par le degré et la nature de l’affect qu’on y imprime. Ainsi se trouvent taxées de racisme aussi bien l’hostilité que la simple reconnaissance d’une altérité ou même l’affirmation d’une simple identité collective dont on se sent dépositaire. Cette imprécision est extrêmement grave, et elle est à l’origine, nous le verrons, du caractère mortel du piège qui nous est tendu.

 

 

 

 

L’Action Française : Permettez une petite digression, quelle fut dans cette histoire la position de l’Action Française ? Comment assuma-t-elle la notion de race ?

 

 Pierre de Meuse : Je crois que là, il faut formuler la chose de façon plus directe, car la réflexion personnelle de Maurras est essentielle et directive pour le mouvement. Maurras emploie sans cesse dans ses écrits le mot « race », ainsi que le mot « sang », et toujours de façon laudative ; mais il exprime aussi sa méfiance pour les théories sur les races humaines lorsqu’elles se présentent comme des sciences et qu’elles prétendent avoir inventé la pierre philosophale : le moteur de l’histoire. Toute sa vie, il suivra cette ligne de crête en justifiant sa position par deux arguments : celui de l’incertitude (les savants ne donnent pas d’éléments probants pour étayer leur hiérarchie des races) ; et aussi celui de la piété filiale : on ne peut pas suivre des gens qui mettent les Français à un niveau inférieur aux Scandinaves, aux Anglais, aux Allemands. Le premier argument est de l’ordre de la connaissance, le second de la volonté. La pensée de Maurras est toujours très structurée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Action française : Selon vous, quel élément déterminant instaura l’antiracisme comme un dogme inattaquable dans nos sociétés ? Il semble bien, en effet, que si une seule chose paraît inconcevable dans l’esprit des peuples, c’est de toucher à cette vérité première : « je ne suis pas raciste, je ne reconnais pas l’existence des races ». Et, de fait, si l’extension des  lois antiracistes peut gêner ou agacer nos concitoyens, ils ne remettent jamais en question le fondement de ces lois. Qu’est-ce qui fonde si solidement cette doctrine ? Allons plus loin : il semble que ce soit même l’antiracisme qui fonde le principe plus général de l’anti-discrimination et non l’inverse. En effet, la plupart de nos concitoyens, s’ils ne sont guère à l’aise avec le principe de non-discrimination, ne s’élèvent pas contre certaines de ses applications mais ce, tant qu’il ne s’agit pas de discriminations racistes !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre de Meuse : Je réponds à vos deux questions successivement. L’antiracisme existe depuis fort longtemps, mais il a pris sa forme inquisitrice et dogmatique avec l’effondrement du III° Reich. Ce que je dis est un peu enfoncer une porte ouverte, car François Furet a développé ce thème avec plus de talent que moi. Sur le plan de la pensée normative on assiste alors à la polarisation quasi-religieuse entre les idées du Bien (celles des vainqueurs) et les idées du Mal (celles des vaincus). Or la doctrine hitlérienne est fondée sur un bricolage racialiste issu d’un digest des anthropologues anglais et allemands. Donc plus on s’éloigne du pôle du Mal, plus on va vers le Bien. Tel est le réflexe conditionné que la pensée de Gauche a favorisé, puis exploité. C’est absurde, mais cela fonctionne. Et l’antiracisme fut alors inventé comme une machine rhétorique au service des idées de la révolution. En s’appuyant sur le fait qu’aucune définition rigoureuse n’était donnée (et ne devait l’être) du racisme, les ennemis de la France et de l’héritage européen reprirent le schéma de l’antifascisme, qui avait fait ses preuves, lorsque la loi Pleven fut adoptée, en 1972.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il avait pour but de mobiliser le Droit pénal au service d’une ingénierie sociale qui permettait de déclencher une accusation redoutable à laquelle aucune réponse ne pouvait être faite, parce que cette accusation ne connaissait aucune limite. C’est pourquoi ceux qui croient qu’il est possible de se disculper en prouvant que, non, croyez-nous, nous ne sommes pas racistes, sont conduits à des reniements sans fin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je rappellerai un souvenir déjà ancien. Après la publication d’une petite Lettre ouverte que j’avais commise il y a vingt ans, Pierre Pujo m’avait admonesté en me faisant remarquer que Maurras et Mistral, lorsqu’ils employaient le mot race, ne lui donnaient pas le même sens que celui que nous entendons aujourd’hui. Ce à quoi je lui avais répondu : « Tu as parfaitement raison, sauf que l’antiracisme criminalise tous les sens du mot, sans exception. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Alors vous me demandez ce qui fonde cette « doctrine ». Eh bien c’est la terreur, tout simplement, et tout l’enchaînement de concessions qu’elle nous conduit à faire, sans aucun espoir de nous glisser hors de la troupe des vaincus. Tout soupçon d’hérésie sera férocement sanctionné, et à ce titre, l’antiracisme s’est approprié le dogmatisme et l’universalisme des grandes religions messianiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Vous constatez que le principe de non-discrimination est moins efficace que l’antiracisme et vous avez raison, mais c’est parce qu’ils n’ont pas la même origine : celui-là est issu du libéralisme anglo-saxon alors que la matrice de l’antiracisme, c’est tout simplement le terrorisme humaniste révolutionnaire et sa machine à écraser toute résistance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Action Française : In fine, quel est le projet antiraciste ? Pourquoi s’impose-t-il et quelles sont les volontés de ceux qui le portent ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre de Meuse : Le projet antiraciste, c’est l’indifférenciation. C’est-à-dire une société où toutes les différences humaines auront disparu, et où il sera même interdit de les voir. Personne n’aura plus le droit de nous demander de qui nous sommes les fils.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les sociétés n’auront plus de mémoire spontanée et on ne pourra recourir à l’héritage culturel reçu des ancêtres parce que nous n’aurons plus d’ancêtres et que la filiation sera devenue une obscénité ; d’ailleurs une série de lois est venue depuis 1972 réduire le sens et la portée des patronymes. Toute diversité culturelle aura disparu. S’y rejoindront le rêve libéral d’humains mus par leur seul intérêt totalement standardisé et le rêve babouviste de l’égalité absolue des hommes. Ce projet est bien entendu une utopie, et il est irréalisable, ne fût-ce que par le fait que les Européens – et les Américains du nord – sont les seuls à l’appliquer, mais il a déjà réussi à accomplir de nombreuses destructions. L’antiracisme a bénéficié aussi de la culpabilisation sans limite de nos nations. De surcroît, ce projet, comme toute idéologie déductive, est imperméable à toute perception de la réalité : ses échecs ne sont jamais attribués à l’inexactitude de ses postulats, mais à la duplicité des méchants qui lui sont insuffisamment soumis. Ainsi, alors que les lois antiracistes existent depuis cinquante-trois ans et n’ont pas cessé d’aggraver leurs peines, les partisans du woke affirment que leur échec est la conséquence d’une culture sous-jacente conduisant les Blancs à discriminer les racisés de manière semi-consciente. Autrement dit, on n’a pas assez sanctionné !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Action Française : Votre deuxième partie traite de la réaction que nous pouvons avoir face à l’antiracisme. Ma première question est toute simple, les races existent elles et ont-elles un lien avec la culture d’un peuple ? Autrement dit, existe-t-il un lien entre nature et culture ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre de Meuse : Oui, les races existent, mais la perception en est culturelle. Les anthropologues et les biologistes au service de l’antiracisme passent leur temps à répéter que la notion de race humaine est fausse et discréditée. Ils énumèrent des marqueurs génétiques qui, disent-ils, sont communs à toute l’humanité comme le groupe sanguin, le trou occipital, la forme du crâne etc… Et constatent que ces marqueurs sont présents dans toutes les races. Par conséquent, assènent-ils, « les races n’existent pas. » Mais c’est une acception arbitraire de la race, qui cache en réalité une autre maxime : « les races ne doivent pas exister ». Car s’il existe des humains de race africaine ou asiatique qui ont les yeux clairs, par exemple, ils n’en sont pas moins extrêmement rares. Le résultat est que la race est perçue par celui qui en fait partie comme par celui qui appartient à une autre race et qui va lui attribuer un nom collectif. Ayant vécu douze années en Afrique, travaillant dans une entreprise en bonne entente avec les Noirs, je peux dire que j’étais identifié comme un toubab et qu’à aucun moment cette conscience ne nous a quittés, eux et moi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D’autre part, vous me posez la question de savoir si l’héritage racial détermine la culture des hommes. Eh bien je vous répondrai que je n’en sais rien et que les sciences n’ont pas apporté de preuve acceptable sur ce point, ni d’ailleurs sur le contraire. Ce qui est sûr, c’est que, contrairement à ce que pensaient les biologistes d’il y a cinquante ans, les prédispositions des hommes à l’égard des maladies, la durée de la grossesse, la résistance aux températures extrêmes et bien d’autres choses sont différentes selon les races considérées. Il n’est donc pas déraisonnable de penser que le postulat béhavioriste selon lequel l’esprit humain n’est qu’une table rase ne soit pas exact. En tout état de cause, la prudence devrait être la règle. Et, justement, puisque vous me parlez de nature et culture, ne serait-il pas temps de relativiser cette frontière entre nature et culture. Car enfin la culture étant une production de la société reste un prolongement de l’instinct et ne peut se fixer pour but d’éradiquer cette même société. C’est un peu le problème devant lequel nous sommes placés. Revenons à Aristote qui disait que la société est un fait de nature et nous y verrons plus clair.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Action Française : Ceci étant dit, pourquoi est-il nécessaire que cette question revienne avec toute sa force dans notre débat politique et que les hommes politiques osent s’y attaquer avec courage ? Est-ce une question vitale pour la France ? Est-ce par essence, la seule question irréversible qui nous menace ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre de Meuse : Ne nous le cachons pas, l’antiracisme est une maladie mortelle de nos sociétés, car elle s’attaque à l’existence même des groupes humains. Elle est d’ailleurs une variante des idées fausses qui nous contaminent depuis le XVI° siècle. En combattant l’antiracisme, nous ne faisons que continuer la même guerre que nous menons depuis cinq cents ans, contre le même ennemi qui se cache derrière des masques différents. Et aujourd’hui, c’est la réalité de la France qui est menacée de dissolution imminente. Dans vingt ans, dix peut-être, les français de souche seront minoritaires dans leur propre pays. Et alors l’héritage capétien sera évaporé car nous ne serons plus un peuple. Nous aurons subi le sort de centaines de nations défuntes : Sybaris, la Phrygie, la Lydie, l’empire Inca, et tant d’autres ; et il adviendra des Français ce qui advint aux Caraïbes et aux Arawaks, c’est-à-dire la submersion et l’oubli de soi. Il nous manque deux choses pour nous y opposer efficacement : la mobilisation de notre volonté, qui est une vertu, et la chance. Celle-ci finira bien par tourner en notre faveur. Encore faut-il la saisir !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Action Française : Selon vous, dans ce combat, quelle doit être la place d’un mouvement comme celui de l’Action française ? De quelles armes disposons-nous ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre de Meuse : Nous disposons de notre esprit critique et c’est par là qu’il faut commencer. Car le système actuel repose sur le mensonge. Depuis vingt ans, le mensonge a pris des proportions inouïes dans nos sociétés, et c’est logique, parce que la philosophie qui les sous-tend postule qu’il n’y a pas de vérité, dans les grandes questions comme dans les petites : il n’y a que des « narratifs ». Notre rôle est d’ameuter le peuple contre les menteurs. Et le jour où les explications fournies par les « narrateurs » patentés deviendront invraisemblables aux peuples, nous aurons gagné.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Action française : Merci infiniment pour vos réponses !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre de Meuse, Le dogme de l’antiracisme. Origine, développement et conséquences, Poitiers, DMM, 2024, 278 pages.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Joseph de Maistre et la philosophie de Bacon.

Joseph de Maistre et la philosophie de Bacon.

Première partie. Le but des sciences physiques.

Notes de lectures sur le Tome I de l’Examen de la philosophie de Bacon

Rien de plus instructif, au sujet de ce qu’on appelle la philosophie moderne, que l’Examen de la philosophie de Bacon.

Cet ouvrage posthume de Joseph de Maistre est un commentaire du fameux Novum Organum ainsi que de plusieurs autres œuvres anglaises et latines de Francis Bacon. Maistre y discute également la traduction française et ses notes, de sorte que le traducteur français est aussi l’un des personnages du livre.

Ce qui rend cette lecture intéressante, c’est qu’à mesure qu’on découvre la philosophie de Bacon, on y reconnaît une certaine philosophie qui a encore cours de nos jours. La philosophie de Bacon, dit Maistre, est « l’énumération des erreurs humaines ».

Maistre examine, d’une part, la méthode proposée par Bacon pour chercher la vérité dans les sciences ; et d’autre part, ce que Bacon a écrit sur des questions particulières touchant au système du monde, à l’histoire naturelle, à l’optique ou encore à la météorologie.

Il apparaît que ni cette méthode ni ces écrits n’ont de valeur. Le traducteur français en est impatienté et ne peut s’empêcher d’insérer dans ses notes des remarques mordantes contre l’auteur.

À quoi Bacon doit sa réputation.

La contribution réelle de Bacon aux sciences physiques est inexistante et sa méthode tant et si ridiculement exaltée n’a jamais été suivie par aucun physicien. En réalité, le fameux Novum Organum « n’est dans son objet et dans sa totalité qu’un long accès de délire ».

Si le XVIIIe siècle a tant fait (et si on continue de tant faire) l’éloge de Bacon, c’est pour son athéisme déguisé. « La gloire factice accordée à Bacon n’est que le loyer de sa métaphysique pestilentielle ».

La science réduite à la physique.

Car il y a bien une métaphysique de Bacon. Étrange métaphysique en vérité, qui affirme qu’il n’y a de science que dans la physique. En effet : « pour Bacon, il n’y a qu’une science, la physique expérimentale ; les autres ne sont pas proprement des sciences, vu qu’elles ne résident que dans l’opinion ».  Autrement dit, « la certitude n’appartient qu’aux sciences physiques ». On reconnaît là l’idée principale d’un autre livre célèbre (d’ailleurs dédié à Bacon), à savoir la Critique de la raison pure.  Ce qui fait dire à Maistre que « tout le venin de Kant appartient à Bacon ».

Pourquoi parler de venin ? Parce que cette réduction de la science à la physique conduit nécessairement au matérialisme. Si « la certitude n’appartient qu’aux sciences physiques », il n’y a de vérité certaine ni dans la métaphysique, ni dans la morale, ni dans la théologie naturelle…

Quoi qu’il en soit, cette affirmation est absurde, car la question de savoir ce qui est science et ce qui ne l’est pas, n’est pas une question à laquelle on puisse répondre par les moyens de la physique expérimentale. C’est, qu’on le veuille ou non, une question métaphysique. Par cette affirmation, Bacon se condamne donc lui-même ; il tombe dans la même contradiction que ceux qui disent que la vérité n’existe pas tout en prétendant dire quelque chose de vrai.

De plus, cette affirmation est dangereuse. « Il faut bien se garder de croire que ce système ne soit que ridicule ; il est éminemment dangereux et tend directement à l’avilissement de l’homme. Les sciences naturelles ont leur prix sans doute ; mais elles ne doivent point être exclusivement cultivées, ni jamais mises à la première place. Toute nation qui commettra cette faute tombera bientôt au-dessous d’elle-même. »

Le but de la physique.

Autre point remarquable de la métaphysique de Bacon, le but que ce dernier assigne aux sciences naturelles, à ces sciences en dehors desquelles il n’y aurait pas, selon lui, de certitude.

C’est l’objet d’un chapitre dont nous reproduisons, ci-dessous, un passage intéressant et représentatif du style enjoué de Joseph de Maistre. On découvre dans cet extrait que la philosophie de Bacon a pour but de conférer à l’homme des pouvoirs surnaturels et chimériques. Cette physique expérimentale qui, si l’on en croit Bacon, mérite exclusivement le nom de science, a pour but, comme l’alchimie, de conférer à une puissance infinie sur les choses matérielles. Voici :

Bacon « a pris la peine lui-même de nous dire ce qu’il attendait des sciences naturelles. Sous le titre burlesque de magnificence de la nature pour l’usage de l’homme il a réuni les différents objets de recherche que devait se proposer tout sage physicien et ce qu’il devait tenter « pour l’usage de l’homme ». Voici quelques échantillons de ces petits essais. Faire vivre un homme trois ou quatre siècles ; ramener un octogénaire à l’âge de quarante ou cinquante ans ; faire qu’un homme n’ait que vingt ans pendant soixante ans ; guérir l’apoplexie, la goutte, la paralysie, en un mot, toutes les maladies réputées incurables ; inventer des purgations qui aient le goût de la pêche et de l’ananas ; rendre un homme capable de porter une pièce de trente-six ; faire qu’on puisse le tenailler ou lui briser les os sans qu’il en perde contenance ; engraisser un homme maigre ; amaigrir un homme gras, ou changer ses traits ; changer un géant en nain, un nain en géant ; ou, ce qui revient au même, un sot en un homme d’esprit ; changer de la boue en coulis de gélinottes, et un crapaud en rossignol ; créer de nouvelles espèces d’animaux ; transplanter celle des loups dans celle des moutons, inventer de nouveaux instruments de mort et de nouveaux poisons (toujours QUOAD usus humanos) ; transporter son corps ou celui d’un autre par la seule force de l’imagination ; mûrir des nèfles en vingt-quatre heures ; tirer d’une cuve en fermentation du vin parfaitement clair ; putréfier un éléphant en dix minutes ; produire une belle moisson de froment au mois de mars ; changer l’eau des fontaines ou le jus des fruits en huile et en saindoux ; faire avec des feuilles d’arbre une salade qui le dispute à la laitue romaine, et d’une racine d’arbre un rôti succulent , inventer de nouveaux fils pour les tailleurs et les couturières, et des moyens physiques de lire dans l’avenir ; inventer enfin de plus grands plaisirs des sens, des minéraux artificiels et des ciments. En traduisant très fidèlement ces extravagances, je ne fais pas d’autre malice à Bacon que celle de développer ses idées, de réduire ses généralités à la pratique et à l’individualité, de changer pour ainsi dire son algèbre en arithmétique ; ce qui est de toute justice, puisque toute algèbre doit être traduite sous peine d’être inutile. Tel est cependant le but général de cette fameuse philosophie de Bacon et tel est nommément le but particulier du Novum Organum tant et si ridiculement exalté. « Le but du chancelier Bacon dans cet ouvrage, nous dit son traducteur lui-même, est extrêmement élevé ; car il n’aspire à rien moins qu’à produire nouvelles espèces de corps et à transformer les espèces déjà existantes. » En effet, l’entreprise est fort belle, et je ne crois pas qu’il soit possible de lui comparer rien dans l’histoire de l’esprit humain.

Pour sentir le caractère enjoué de cette page et la malice de l’auteur, il faut la comparer la version française aux expressions anglaises originales, que Maistre a reproduites dans la note suivante :

« Magnalia naturæ QUOAD USUS HUMANOS. Quand je n’aurais appris le latin que pour sentir la force et la sagesse de ce QUOAD, je ne pourrais regretter ma peine. — Je cite l’original de ces magnificences.

The prolongation of life : the restitution of youth is some degreee : the retardation of age : the curing of diseases counted incurable : the mitigation of pain : more easy and less loathsome purging : the increasing of abiity for suffer torture or pain : the alterings of complexions and fatness and leanness : the alterings of statures : the altering of features : the increasing and exalting of intellectual parts : versions of bodies into other bodies : making new species : transplanting of one species into another : instruments of destruction, of war and poison :… force of the imagination, either upon another body, or upon the body itself : acceleration of time in maturation : acceleration of time in clarifications : acceleration of putrefaction :…  acceleration of germination :… turning crude and watry substances into oily and unctuous substances : drawing of new foods out of substances not now in use :… greater pleasures of the senses (Ah ! monsieur le chancelier, à quoi pensez-vous ?) : artificial minerals and cements. (Magnalia naturæ à la tête de l’ouvrage intitulé : Sylva sylvarum, ou Histoire naturelle. Op. tom. I, p. 237, partie anglaise.) Je ne trouve point ce morceau dans la traduction de M. Lasalle. Il lui a paru sans doute passer toutes les bornes du ridicule. Ces sortes de suppressions sont un service qu’il rend de temps en temps à son auteur, et lui-même nous en avertit franchement.

Ce qu’il faut attendre de la science — réduite à la physique expérimentale —, ce n’est donc pas seulement qu’elle nous rende comme maîtres et possesseurs de la nature, selon la formule célèbre de Descartes. Cette science vise, comme l’alchimie, à nous conférer une toute-puissance chimérique sur la matière et sur les êtres vivants.

Jules Putois

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HÉRÉDITÉ ET CIVILISATION

HÉRÉDITÉ ET CIVILISATION

C’est l’hérédité collective d’une aristocratie recueillant la succession du Sénat de Rome qui donna la durée et la force à l’Empire romain. Des trois races de nos Rois, celle qui fit la France fut précisément celle qui évolua dans les meilleures conditions d’hérédité monarchique, lesquelles ont permis la régulière transmission, la continuité rigoureuse de leurs desseins.

La valeur de tout effort personnel est dominée par l’immense principe historique en vertu duquel les vivants sont « de plus en plus, et nécessairement, gouvernés par les morts », et chaque vivant par ses morts particuliers. Cette nécessité bienfaisante est la source de la civilisation. Mais il y a longtemps que la démocratie s’est insurgée contre cette condition d’un ordre civilisé ; elle a choisi la barbarie, elle veut se recommencer tout entière à chaque individu qui vient au monde, sauvage et nu. C’est à l’humanité des cavernes que la démocratie veut nous ramener.

Charles Maurras, Sans la muraille des cyprès (J. Gibert, 1941)

Le Sénat romain n’était pas élu, ses membres étaient, en quelque sorte, cooptés parmi les magistrats issus des grandes familles aristocratiques, et du sang neuf, les « hommes nouveaux », s’y introduisait au compte-goutte. Un ambassadeur reçu par le Sénat dit qu’il avait cru être introduit devant une assemblée de rois !

L’Empire romain semble, à première vue, ne pas avoir connu l’hérédité. Il l’a connue, en réalité, mais de manière cachée : la plupart des empereurs n’ont pu avoir de successeurs directs parce qu’ils n’eurent pas de fils ou que ces derniers moururent en bas âge ; mais une étude généalogique prouve que, dans l’ensemble, l’empire fut transmis par les femmes. Si les féministes apprenaient cela, le latin reviendrait à la mode !

Carolingiens, Mérovingiens, Capétiens, des trois races de nos Rois la dernière connut une hérédité heureuse qui fit la France. Après cette constatation, Maurras cite Auguste Comte qui n’a cessé de répéter : « les morts gouvernent les vivants ». Culte des ancêtres, coutumes des ancêtres, mos majorum, tous les peuples civilisés, et même la plupart des autres, ont vécu sur ces principes, et plus l’aventure humaine avance, plus, « nécessairement » l’expérience du passé a enrichi la civilisation.

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Mais Rousseau vint. Alors que toutes les sociétés, des primitives aux plus élaborées, avaient postulé que la civilisation était un capital transmis et augmenté, le citoyen de Genève piétina la plus belle réalisation du génie humain, la France d’Ancien Régime, et les privilégiés s’enthousiasmèrent pour ce faune, comme les bourgeois d’aujourd’hui, gavés et repus, accompagnent leur digestion d’un militantisme en faveur de la faim dans le monde. Rousseau chantait déjà la chanson impie : « du passé faisons table rase. »

La démocratie a choisi la barbarie. Rousseau ne disait-il-pas dans son Discours sur l’inégalité que l’homme qui médite est un animal dépravé ? Oui, la démocratie est une barbarie : le citoyen électeur ne cesse de dire, ouvertement ou in petto « moi, je pense que… », sans expérience ni compétence. Dès la prime jeunesse, le malheureux enfant de démocrate, futur électeur et futur fossoyeur de la civilisation, apprend à l’école rousseauiste à étaler, à exhiber, son petit moi barbare et inorganique : son barbouillage de gouache ou d’aquarellepassera pour une œuvre digne de Michel-Ange, et les premiers mots qu’il jettera sur un papier relègueront Homère au musée des vieilleries. Ne connaissons-nous pas, quand nous visitons certains musées subventionnés, « l’humanité des cavernes » ?

Né de parents inconnus et mort célibataire, l’homme dénoncé par Renan restait encore un malheureux instruit. L’école moderne a fait de son successeur un sauvage. Saluons une fois de plus la qualité d’analyse d’un Maurras. Il est tellement intelligent, son esprit de déduction est tellement puissant qu’il nous semble un prophète.

Rangés derrière son autorité, formons-nous à sa méthode.

Gérard Baudin

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Bonald et l’indissolubilité du lien conjugal. La philosophie moderne contre la raison

Bonald et l’indissolubilité du lien conjugal. La philosophie moderne contre la raison

Il fut un temps où la loi, en France, n’autorisait pas le divorce. Le divorce, c’est-à-dire la prétendue dissolution du
lien conjugal, fut autorisé une première fois par une loi de 1792 ; puis aboli, sous la Restauration, par la loi Bonald ;
et de nouveau autorisé sous la Troisième République, par la loi Naquet.


Le livre que Bonald a écrit contre le divorce n’a rien perdu de son actualité. Combat d’arrière-garde, diront certains.
Mais qu’importe ? Une loi « contraire à la nature de la société (1) » ne doit jamais être regardée comme définitive.
Le livre de Bonald est un résumé et une réfutation de ce qu’on peut appeler la philosophie moderne. Car la
question du divorce est « le champ de bataille où cette philosophie combat depuis si longtemps contre la raison (2)».


La philosophie moderne balance entre l’athéisme et le déisme, qui n’est qu’un « athéisme déguisé (3) », disait
Bossuet. D’une manière ou d’une autre, elle ôte Dieu de l’univers : « La philosophie moderne, née en Grèce de ce
peuple éternellement enfant, qui chercha toujours la sagesse hors des voies de la raison, commence par ôter Dieu
de l’univers, soit qu’avec les athées elle refuse à Dieu toute volonté, en lui refusant même l’existence, soit qu’avec
les déistes elle admette la volonté créatrice, et rejette l’action conservatrice ou la Providence ; et pour expliquer la
société, elle ne remonte pas plus haut que l’homme : car je fais grâce au lecteur de tout ce qu’elle a imaginé pour
rendre raison de l’univers physique, et même de l’homme, sans recourir à un être intelligent supérieur à l’homme et
à l’univers. (4) »


Ayant ôté Dieu de l’univers, la philosophie moderne est incapable de concevoir les devoirs de l’homme ; elle ne
songe qu’au bonheur de l’homme, c’est-à-dire au fond à son plaisir. Or, « la fin du mariage n’est pas le bonheur des
époux, si par bonheur on entend, comme dans une idylle, le plaisir du cœur et des sens, que l’homme amoureux de
l’indépendance trouve bien plutôt dans des unions sans engagement. (5) »


Le mariage est un engagement, et de cet engagement naissent des devoirs. « L’homme, la femme, les enfants sont
indissolublement unis, non parce que leur cœur doit leur faire un plaisir de cette union ; car que répondre à celui
d’entre eux pour qui cette union est un supplice ? Mais parce qu’une loi naturelle leur en fait un devoir, et que la
raison universelle, dont elle émane, a fondé la société sur une base moins fragile que les affections de l’homme. (6)»


Bonald se dit persuadé « que le divorce, décrété en France, ferait son malheur et celui de l’Europe, parce que la
France a reçu de mille circonstances natives ou acquises le pouvoir de gouverner l’Europe par sa force et par ses
lumières, et par conséquent le devoir de l’édifier par ses exemples (7) ».


La question du divorce « remue à elle seule toutes les questions fondamentales de la société sur le pouvoir et sur
les devoirs (8) ». L’intention de Bonald est de « faire voir que de la dissolubilité du lien conjugal ou de son
indissolubilité, dépend en France et partout le sort de la famille, de la religion et de l’État (9) ».


Le divorce, « faculté cruelle qui ôte toute autorité au père, toute dignité à la mère, toute protection à l’enfant, (10) »
n’est pas seulement l’affaire des époux : c’est aussi l’affaire des enfants. « L’engagement conjugal est réellement
formé entre trois personnes présentes ou représentées ; car le pouvoir public, qui précède la famille et qui lui survit,
représente toujours, dans la famille, la personne absente, soit l’enfant avant sa naissance, soit le père après sa
mort. »


Dans le divorce, les droits de l’enfant sont piétinés. « Le père et la mère qui font divorce, sont réellement deux forts
qui s’arrangent pour dépouiller un faible ; et l’État qui y consent est complice de leur brigandage. (11) »
Par le divorce, la femme devient une marchandise. « Si la dissolution du lien conjugal est permise, même pour
cause d’adultère, toutes les femmes qui voudront divorcer se rendront coupables d’adultère. Les femmes seront
une marchandise en circulation, et l’accusation d’adultère sera la monnaie courante et le moyen convenu de tous
les échanges. (12) »


Cette prédiction n’est-elle pas réalisée sous nos yeux ?

Jules Putois

  • (1) Bonald, Du divorce, Chapitre XII.
  • (2) Bonald, Du divorce, Discours préliminaire.
  • (3) Bossuet, Histoire des variations, Livre V.
  • (4) Bonald, Du divorce, Discours préliminaire.
  • (5) Bonald, Du divorce, Chapitre IV.
  • (6) Bonald, Du divorce, Chapitre premier.
  • (7) Bonald, Du divorce, Discours préliminaire.
  • (8) Bonald, Du divorce, Chapitre premier.
  • (9) Bonald, Du divorce, Chapitre premier.
  • (10) Bonald, Du divorce, Chapitre premier.
  • (11) Bonald, Du divorce, Chapitre IV.
  • (12) Bonald, Du divorce, Chapitre XI.

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