Mes idées politiques de Charles Maurras: entretien avec Pierre de Meuse

Mes idées politiques de Charles Maurras: entretien avec Pierre de Meuse

Pierre de Meuse

Chers amis, nous nous retrouvons pour un nouvel entretien avec Pierre de Meuse, préfacier d’une récente édition de Mes idées politiques de Charles Maurras aux éditions de la Nouvelle Librairie. L’auteur des Idées et doctrines de la Contre-Révolution (DMM, 2019), de La famille en question. Ancrage personnel et résistance communautaire (éditions de la Nouvelle Librairie, 2021), et de bien d’autres ouvrages d’une qualité remarquable a bien voulu répondre à nos questions et nous l’en remercions chaleureusement.

 

             Action Française : cher monsieur, merci de nous accorder cet entretien pour l’Action Française. Pourriez-vous, dans un premier temps, nous raconter la genèse de ce célèbre ouvrage de Charles Maurras ? Quelle place tient-il dans l’œuvre du maître de Martigues ?

 

            Pierre de Meuse : ce livre est d’une facture inhabituelle chez Maurras, qui a souvent composé des ouvrages avec des recueils d’articles publiés antérieurement dans l’AF ou la Gazette de France. Il faut dire que lorsque ce résumé de sa doctrine fut rédigé, son auteur était en prison pour avoir prétendument menacé de mort Léon Blum et avoir tenté de l’assassiner ; il était donc disponible pour une écriture au calme. L’idée d’un compendium logique de sa doctrine vient d’une de ses collaboratrices, Rachel Legras, qui signait sous le pseudonyme de Pierre Chardon et qui rédigea d’ailleurs le « Dictionnaire politique et critique », si précieux pour les chercheurs et les personnes intéressées par les écrits du maître de Martigues. Maurras se mit immédiatement à l’ouvrage et en quelques mois le livre fut terminé. Cela dit, à mon sens si cette œuvre est pleine de rigueur et de mesure, elle ne fut pas la préférée de l’auteur. Car le martégal n’était pas un homme de système. En tant qu’esthète, il aimait plutôt les travaux formant un tout plutôt que les démonstrations entassées chapitre après chapitre.

En revanche, pour nous, c’est un outil irremplaçable, parce que chaque idée est à sa place dans le raisonnement sans qu’on puisse contester cette place.

            Action Française : quelle fut la raison d’être de cette nouvelle édition ? Mes idées politiques ne manquent pas d’éditions récentes – pensons à celle des éditions de Flore (2022), à celle de Kontre Kulture (2019) ou même à celle de l’Âge d’Homme (2002). Est-ce que ces dernières n’utilisaient pas la première édition de Fayard de 1937 ? Fondamentalement, quelles différences y a-t-il entre la première édition de 1937 et celle de La politique naturelle que nous retrouvons dans les Œuvres capitales de Charles Maurras ? Pourquoi ces différences ?

 

            Pierre de Meuse : pour le texte de l’ouvrage, la plupart des rééditions ont choisi de reprendre le texte de 1937, sans faire les coupures et les ajouts réalisés ultérieurement, notamment ce qui concerne le fascisme italien. La Librairie de Flore, elle, a choisi de respecter les modifications, tout en citant en note les textes originaux. La préface de Gaxotte n’a été reproduite, ni par Soral, ni par la Nouvelle librairie pour des questions essentiellement juridiques. Le texte de la Politique Naturelle reproduit dans les œuvres capitales développe l’introduction de Mes idées politiques, mais non tout le reste du livre. Cela dit, les modifications ne touchent en rien à l’essentiel de l’ouvrage.

En ce qui concerne la multiplication des rééditions, vous touchez là à une situation qui ne peut laisser indifférent aucun Français attaché à l’héritage intellectuel de Maurras. Bien sûr je pourrais vous répondre en vous disant que, plus il y a de gens qui rééditent Maurras et le commentent, mieux c’est ; cependant cela ne prend en compte qu’une partie de la question. Si on l’élargit, on peut voir que de nombreuses écoles de pensée s’intéressent à Maurras, et donc qu’il est impossible de limiter l’exégèse maurrassienne à une seule chapelle. D’autant plus que, les observations faites par un penseur né il y a plus d’un siècle et demi doivent être confrontées à une réalité qui était totalement impensable à l’époque où Maurras écrivait. Dès lors, chaque fois que l’on veut accommoder (au sens optique du terme) la pensée maurrassienne avec le réel, on est tenté souvent de la trahir, même involontairement. Il est donc utile qu’il y ait plusieurs points de vue sur le Martégal, car cela permet d’éviter les contresens.

Mes idées politiques

          Action Française : permettez-nous de nous arrêter sur quelques points essentiels de la pensée de Charles Maurras, magnifiquement illustrés dans cet ouvrage, qui sont aujourd’hui discutés par ceux qui se prétendent héritier de notre auteur. La première partie concerne l’Homme : la faiblesse naturelle de l’Homme rend nécessaire sa vie en société. En quoi peut-on dire que Charles Maurras développe une pensée holiste de la société ?

 

          Pierre de Meuse : vous touchez là un point important. Que désigne-t-on sous ce terme d’holisme ? Certains maurrassiens rejettent aujourd’hui cette notion en se référant à l’inventeur du mot : l’homme politique sud-africain pro-britannique Jan Christiaan Smuts qui écrivit en 1926 un livre intitulé Holism and evolution. Dans cet ouvrage, l’auteur définit ainsi son terme de recherche : « la tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l’évolution créatrice ». Smuts en déduit une théorie philosophique de la science et même une para-métaphysique darwiniste. Cependant, il est abusif, me semble-t-il, de limiter le sens du mot au système de Smuts. Car si c’est lui qui a forgé le vocable, la chose est bien antérieure. Le nationalisme de Barrès et Maurras correspond bien à cette définition, puisque tous les participants aux séances de formation d’AF ont appris depuis cinq ou six générations la formule de Barrès : « La patrie est une association, sur le même sol, des vivants avec les morts et ceux qui naîtront. » Et Maurras, précisément dans le livre que j’ai eu l’honneur de préfacer : « La patrie est une société naturelle, ou, ce qui revient absolument au même, historique. Son caractère décisif est la naissance. On ne choisit pas plus sa patrie, la terre de ses pères, que l’on ne choisit son père et sa mère. (…) C’est avant tout un phénomène d’hérédité. » En fait, le terme d’holisme est très voisin de l’organicisme d’Aristote, par exemple, qui désigne la forme, organisatrice et conservatrice, de l’être vivant. Un autre mot est employé par le stagirite : celui d’entéléchie (qui porte sa finalité en lui-même). Mais alors, pourquoi ces maurrassiens rejettent-ils cette notion ? Une explication pourrait être qu’au lieu de partir de la société comme Bonald et Burke, ces philosophes préfèrent prendre la personne comme base de leur raisonnement. Après tout, pourquoi pas ? À la condition qu’un raisonnement personnaliste ne conduise pas à des conclusions différentes de celles de l’holisme. Sinon, c’est toute la base du projet maurrassien qui est perturbé. Encore une fois, le raisonnement de Maurras ne prétend pas établir une ontologie, c’est-à-dire une certitude de foi sur l’être des choses, mais une analogie féconde, qui réponde à nos besoins vitaux.

         Action Française : Michaël Sutton (Charles Maurras et les catholiques français) parle de la synthèse subjective de Charles Maurras appliqué à la France comme Auguste Comte l’appliqua à l’humanité. Charles Maurras créa-t-il une déesse France en capacité de dévorer ses enfants pour subsister ?

 

          Pierre de Meuse : votre question est une suite logique de la précédente. Il faut bien comprendre que Maurras rejette catégoriquement le messianisme humanitaire de Comte, pour ne retenir de lui que son éloge de l’ordre et sa méthode empirique. Le Pr. Sutton considère que l’auteur d’Anthinéa a remplacé l’humanité par la France ; mais c’est à mon avis un contresens. Maurras, sans dénier toute existence à l’humain, considère que sur le plan social et politique, la nation (donc pour lui la France) recueille l’ensemble des devoirs des Français. Dans Le soliloque du prisonnier, il écrit que la France c’est l’humanité. Il ne dit pas que l’humain n’existe pas, car l’ensemble des hommes connaissent des pensées, des émotions et des doutes communs, mais que la Nation est le dernier cercle qui réunit les hommes. Car, à la différence des « républicains » comme Taguieff, Maurras pense que les nations existent vraiment en tant qu’essences. De là provient cette image de la déesse France. « À la beauté la plus parfaite, au droit le plus sacré, Rome savait préférer le salut de Rome, la gloire des armes romaines et, non content de l’en absoudre, le monde ne cesse de lui en témoigner de la reconnaissance. L’Angleterre contemporaine a donné des exemples de la même implacable vertu antique. Le nationalisme français tend à susciter parmi nous une égale religion de la déesse France ». Mais pourquoi cette déesse devrait-elle dévorer ses enfants alors qu’elle est au contraire pour eux la dernière des protections communautaires ?

 

         Action Française : le septième chapitre se nomme « Retour aux choses vivantes » et un de ses points concerne le nationalisme. Quelle différence fait Charles Maurras entre le patriotisme et le nationalisme et, in fine, entre la Patrie française et la Nation française ? Pensez-vous que cette différence lexicale subsiste encore de nos jours ou les termes sont maintenant trop dévoyés pour être retenus- il semble, par exemple, que le patriotisme soit toléré, contrairement au nationalisme ?

 

          Pierre de Meuse : vous savez, je suis un peu gêné pour vous répondre parce que ce que je vais vous dire est d’une banalité presque triviale pour tous ceux qui ont suivi les cercles de l’Action Française. La patrie est une réalité dont la définition découle de son nom même : Terra patrum

La Patrie, terre des pères, cela dit tout ! Le sol, le sang, leur âme commune, le génie divin qui les assembla.

Charles Maurras

Les lumières de la patrie

Assumer cet héritage, c’est être patriote. La nation, elle, est une réalité collective définie dans une abstraction. Elle désigne une communauté de destin qui se réalise dans l’histoire. Et le nationalisme, c’est la participation par l’esprit et la volonté à sa perduration et sa persévérance. Au cœur de tout nationalisme, il y a une angoisse – l’angor patriae – de voir s’étioler ou se dévoyer cet héritage. Je ne crois pas que le patriotisme soit plus toléré que le nationalisme. L’esprit du temps méprise le patriotisme, qu’il considère comme l’expression d’une sentimentalité ridicule, car rien n’est plus chic pour lui que le cosmopolitisme de l’oligarchie. Il déteste et craint le nationalisme, parce qu’il soupçonne qu’il recèle des forces dangereuses pour ses dogmes. Mais attention ! N’est pour lui illégitime que le nationalisme des Français, des Européens, des Blancs. S’il s’agit d’un nationalisme congolais, arabe ou indien, alors c’est tout différent, là c’est une opinion qui mérite d’avoir sa place au concert des expressions. Pourquoi cette attitude étrange ? Elle s’explique parfaitement par la notion schmittienne de l’Ennemi. Pour l’idéologie progressiste, l’ennemi est intérieur, il vient du passé de l’Europe, il puise dans sa tradition que le progressiste déteste plus que tout au monde. En revanche, la tradition de l’étranger le gêne moins, puisqu’il ne peut pas renforcer le « Vieil homme », que le progressisme a cru éradiquer pour toujours.

 

         Action Française : concernant l’Homme, vous évoquez dans votre préface une dimension très disputée de l’héritage maurrassien, celle de la notion de race. Qu’entend exactement Maurras quand il parle de race ? Quelle forme de « racisme » développe-t-il ?

 

            Pierre de Meuse : décidément, vous aimez parler des sujets épineux.

Cela fait au moins cinquante ans que des dirigeants de l’Action Française s’enferrent régulièrement dans des déclarations antiracistes, qui montrent qu’ils n’ont pas vu le piège qui leur était tendu. Quand on nous somme de nous déclarer antiracistes, exige-t-on seulement de nous que nous rejetions solennellement les théories de Houston Chamberlain que tout le monde a oublié ? Certainement pas. Se déclarer antiraciste, c’est déclarer que seule la condition humaine est significative car le propre de toutes les différences collectives entre les hommes est de n’être pas voulues mais imposées. Le postulat antiraciste repose sur le caractère non-signifiant des différences humaines. Ce qui, évidemment, est radicalement aux antipodes de la pensée maurrassienne. Ce n’est pas que les trotskystes et les humanistes révolutionnaires qui forment les bataillons de l’antiracisme soient prêts à croire à la sincérité de nos protestations ; mais ils nous ont obligés à nous agenouiller et cela, c’est une victoire. Et si, d’aventure, comme cela arrive hélas quelquefois, nous en profitons pour dénoncer un autre mouvement nationaliste, en le traitant de raciste, alors là, c’est pour eux une savoureuse réussite : nous avons fléchi le genou devant leurs dogmes, nous avons reconnu leur qualité de juge en leur donnant des armes pour intensifier l’oppression, nous nous sommes déshonorés (nous ne sommes pas comme Untel, Monsieur l’officier de la Kommandantur, lui il est raciste, nous non), nous nous sommes fait des ennemis, et nous n’avons gagné que du mépris des uns et des autres. Quand on est vaudois, on ne dénonce pas les cathares à l’Inquisition !

Cela dit, si nous voulons, en dehors de l’impact des lois antiracistes, faire l’inventaire de la pensée du maître au sujet de la race, nous nous apercevons que c’est une pensée nuancée et traditionnelle. Maurras emploie sans cesse ce mot, et, nous disent certains : « il emploie ce terme simplement comme un synonyme de nation. » C’est vrai et c’est faux. Il est exact que pour Maurras, les deux concepts se recouvrent en grande partie. Mais il emploie sans cesse en même temps le mot de sang. C’est que pour lui, la nation est essentiellement un fait de naissance et d’hérédité. Il emploie le mot race au sens du français classique, celui du Moyen âge et du XVII° siècle. « Vive la race de nos rois » ou encore dans le rite du sacre royal : « Reçois cette couronne, héritier de la noble race des Francs. » Cela dit, Maurras n’aime pas les théorisations « scientifiques » de la race biologique, essentiellement pour deux raisons : d’abord parce qu’elles ne sont pas vraiment convaincantes, ensuite et surtout parce que leurs partisans se servent de leurs raisonnements pour établir une hiérarchie des races dans laquelle la France se situe au second rang. Mais il ne nie absolument pas la parenté des Français et le caractère fécond de sa visibilité. Je conseille aux lecteurs qui voudraient approfondir ce sujet de lire un article d’un professeur, Carole Raynaud-Paligot de l’université de Dijon (https://books.openedition.org/septentrion/44400?lang=fr#text). Cette universitaire est naturellement de Gauche, voire d’extrême Gauche, et férocement antiraciste, ce qui la conduit à une sympathie pour le Woke. Elle décrit, textes à l’appui, comment Maurras concevait l’identité originelle de la France, à savoir comme « la fusion des races des Gaulois et des Romains », bien que la vision que les penseurs de l’AF avaient des Gaulois soit aujourd’hui totalement dépassée. Et elle en conclut que, puisqu’il y a bien une filiation biologique, c’est que Maurras était partisan d’une France ethnique et non pas seulement culturelle. Donc, pour elle, Maurras était « raciste ». En réalité, c’est qu’elle donne un sens maximaliste au mot de racisme et considère qu’on est raciste dès lors que l’on prend en compte le moins du monde la dimension filiale naturelle. En cela, elle suit la tendance générale de la législation, qui ne justifie la nation française que comme contractuelle et instantanée. En conclusion, Maurras se méfiait des dogmes de la raciologie de son temps, mais considérait cependant qu’un peuple historique n’était rien d’autre qu’une famille naturelle très élargie. Selon la définition que l’on donne au mot, Maurras est ou n’est pas « raciste », mais il ne peut en aucun cas être appelé « antiraciste ».

          Action Française : dans un autre registre, pourriez-vous nous dire ce que signifie réellement le Politique d’abord ? Cette position fut très régulièrement la cause de tensions avec certains catholiques qui y voyaient une relégation au second plan des droits de Dieu. Aujourd’hui encore, il s’agit d’une pierre d’achoppement.

 

          Pierre de Meuse : j’avoue être surpris en vous entendant me dire que cette vieille lune est encore aujourd’hui une pierre d’achoppement. Oui, il est vrai que ce mot d’ordre a été violemment critiqué par de très nombreux acteurs politiques ou écrivains. Citons Georges Bidault, Georges Bernanos, François Mauriac, Charles Péguy, Lucien Febvre, François de La Rocque et même Henri VI comte de Paris. 

Ils disaient : moral d’abord, social d’abord, spirituel d’abord, mystique d’abord, religieux d’abord, économique d’abord, militaire d’abord, esthétique d’abord, littéraire d’abord. En fait tout cela est le résultat d’une incompréhension, quelquefois consciente. Il est vraisemblable aussi que ces arguties soient un symptôme d’une maladie intellectuelle de la Droite française : le refus de la volonté.

 Pourtant, il est patent que la Gauche n’a pas de ces humeurs. Et qu’elle met en pratique son programme de destruction de l’État et de la société par la politique, structurée par un esprit de parti dépourvu de toute pudeur.

 

          Action Française : nous connaissons naturellement les positions de l’Action Française concernant la démocratie, mais, pour nos lecteurs, pourriez-vous nous exposer quel type de démocratie dénonce Charles Maurras ? En quoi celle-ci était fondamentalement provocatrice de chaos et incapable de répondre aux besoins de l’instant ? L’actualité semble, en effet, hurler ce constat : la démocratie ne règle aucun problème, elle embourbe la nation.

 

        Pierre de Meuse : là, nous abordons un sujet sur lequel le vocabulaire classique de la science politique ne correspond plus à l’image que le public visualise chaque fois que l’on parle de démocratie, et il me semble que nous devons en tenir compte afin d’être compris et suivis. Il est de fait que nous assistons depuis trente ans à un retournement de situation qui était imprévisible à l’époque de Maurras. En effet, quel était le tableau politico-social au tout début du XX° siècle ? La France était encore une société, avec une élite nationale qui cultivait les vertus. En ce temps-là, Maurras proposait de reconstruire les superstructures politiques sur ce qui existait ; et il disait que le pays légal, avec ses règles juridiques fondées sur la loi du nombre, méconnaissait la valeur de cette société. Or, aujourd’hui, les élites de notre pays sont totalement désolidarisées de la France et méprisent le peuple français, qui est de plus en plus asservi et appauvri. En conséquence, celui-ci reproche de plus en plus au pouvoir « démocratique »…de ne pas être démocratique et de fonctionner comme une oligarchie étrangère ! Donc, si nous voulons être compris, il faut faire une distinction sémantique entre la démocratie conçue comme le fait pour les gouvernants d’être en phase avec les aspirations des gouvernés, et la démocratie idéologique, qui veut changer le peuple pour le rendre conforme à un modèle préétabli, qui est celui de la société déracinée et atomisée. La première est l’expression du bon sens et la seconde est un rêve fumeux et mortel. Si nous n’adaptons pas notre vocabulaire à la nécessité, notre discours n’aura pas de prise sur la conscience française.

 

          Action Française : la pensée économique et sociale de Charles Maurras est assez mal connue du plus grand nombre. Était-il un défenseur de la propriété, des riches familles et du capitalisme ou était-il un précurseur d’un royalisme qui penchait vers le socialisme et le syndicalisme ? En réalité, qu’est-ce qui fondait sa pensée sociale ? 

 

          Pierre de Meuse :

Charles Maurras, ce n’est pas un secret, n’était pas un spécialiste de l’économie. Sa formation est principalement littéraire et philosophique. En revanche, sa pensée intègre l’économie comme une science dédiée, une science du bon sens plutôt que comme le terrain d’exercice de l’utopie.

En fait, il exècre toute idée préconçue dans ce domaine. Il considère, nous l’avons vu, la société comme un tout organique et considère que l’économie ne doit pas avoir d’autre but final que le bien commun du groupe. Il rejette donc les dogmes libéraux, conduits par l’individualisme, ainsi que l’idéologie égalitaire, ce qui ne signifie pas qu’il justifie l’inégalité sociale comme un idéal sans limites. Cette notion de bien commun n’accepte pas que les objectifs à court terme, mais au contraire prend en compte la longue durée. Était-il socialiste ? L’adjectif ne l’effarouchait pas, mais à la condition d’y inclure le respect des hiérarchies salutaires. Il était en tout cas favorable au syndicalisme, dans la mesure où la défense des catégories sociales respecte le bien commun de l’entreprise. Bien entendu, il affirme l’utilité de la propriété privée mais à la condition de lui imposer des limites qui sont celles, encore une fois, du salut public. Il détestait le fanatisme libre-échangiste, mais n’était pas systématiquement partisan du protectionnisme dont il disait qu’il ne faisait pas partie du paquetage du militant d’AF. Tout, selon lui, était affaire de circonstances. Était-il animé comme le prétend Charles Gave, par la haine du capitalisme ? Tout dépend de ce que l’on entend par là. Ce qui est sûr, c’est qu’il aurait été hostile à la financiarisation totale de l’économie, qui dépossède notre pays de sa souveraineté et de son industrie.

         

          Action Française : ceci étant dit, vous évoquez dans votre préface le soutien qu’apporta sans cesse Charles Maurras au régime de Vichy et au maréchal Pétain. Quelles sont les raisons intellectuelles qui poussèrent le maître de Martigues à agir ainsi ? Est-ce que certaines réformes du régime reflétaient des idées développées dans cet ouvrage écrit seulement trois ans avant l’année 1940 ?

 

          Pierre de Meuse : Maurras se rallia au Régime de Vichy et surtout au maréchal Pétain exactement pour les mêmes raisons qui le poussèrent à accepter l’Union Sacrée en 1914 : la recherche de l’unité dans un moment où le territoire français était attaqué et occupé. Du reste, les confidences du chanoine Cormier nous apprennent que, de 1940 à 1944, Maurras cessa d’utiliser le terme « politique d’abord » pour lui substituer « unité des Français ». Or, la postérité n’a pas appliqué le même jugement aux deux attitudes. Dans un cas comme dans l’autre, il était très difficile à Maurras de suivre une autre voie. Mon opinion personnelle est que la soumission totale à un gouvernement tenu par l’ennemi idéologique est toujours lourde de conséquences. C’était le cas pour Clemenceau. Était-ce aussi le cas pour le Gouvernement de l’État Français ? Pas tout-à-fait. Cela dit le Maréchal était sincèrement républicain, mais avec une teinte corporatiste qui se traduisit par la Charte du travail, promulguée le 4 octobre 1941 et dont Alain Cotta parle avec respect. Mais le vainqueur de Verdun était loin d’avoir les mêmes convictions que Maurras, notamment à l’égard des USA, envers lesquels il avait une confiance excessive. Je ne pense pas que, du reste, il ait lu cet ouvrage. Il y avait effectivement à Vichy une certaine influence des maurrassiens, mais Olivier Dard a nuancé son rôle dans la Révolution Nationale de Vichy. Son influence n’était pas la seule, loin de là.

 

Propos recueillis par Guillaume Staub

Charles Maurras, Mes idées politiques, Paris, Éditions de la Nouvelle Librairie, 2023, 320 pages, 20 euros.

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70 ans de la mort de Maurras

70 ans de la mort de Maurras

Notre maître Charles Maurras est un monument de la pensée française et sa pensée politique est supérieure aux autres en ce qu’elle proclame le Vrai, le Beau et le Bien. Nous ne répondrons pas, ici, à ceux qui l’ont vilipendé, et tout particulièrement à ceux qui aujourd’hui comme hier essaient de glisser le venin d’une soi-disant incompatibilité essentielle entre la doctrine de Maurras et l’orthodoxie catholique (aussi bien chez les démocrates-chrétiens qu’à la FSSPX). L’objet est ici de donner le goût au lecteur de revenir aux sources : nous vous proposons quelques citations symboliques du Maître de Martigues, sur quelques sujets d’éminente actualité.

Sur la question fondamentale de la laïcité, des rapports entre Dieu et César.

« Il faut définir les lois de la conscience pour poser la question des rapports de l’homme et de la société ; pour la résoudre, il faut constituer des autorités vivantes chargées d’interpréter les cas conformément aux lois. Ces deux conditions ne se trouvent réunies que dans le catholicisme. Là et là seulement, l’homme obtient ses garanties, mais la société conserve les siennes : l’homme n’ignore pas à quel tribunal ouvrir son cœur sur un scrupule ou se plaindre d’un froissement, et la société trouve devant elle un grand corps, une société complète avec qui régler les litiges survenus entre deux juridictions semblablement quoique inégalement compétentes. L’Église incarne, représente l’homme intérieur tout entier ; l’unité des personnes est rassemblée magiquement dans son unité organique. L’État, un lui aussi, peut conférer, traiter, discuter et négocier avec elle. Que peut-il contre une poussière de consciences individuelles, que les asservir à ses lois ou flotter à la merci de leur tourbillon ? » (La démocratie religieuse, 1921)

Sur la lutte de la culture de vie contre la culture de mort, et finalement du Bien contre l’absence de Bien qu’on appelle Mal.

« Tout désormais s’explique par une différence, la plus claire du monde et la plus sensible : un oui, un non. Ceux-là ne veulent pas, ceux-ci veulent, désirent. Quoi donc ? Que quelque chose soit, avec les conditions nécessaires de l’Être. Les uns conspirent à la vie et à la durée : les autres souhaitent, plus ou moins nettement, que ce qui est ne soit bientôt plus, que ce qui se produit avorte, enfin que ce qui tend à être ne parvienne jamais au jourCes derniers constituent la vivante armée de la mort : ils sont l’inimitié jurée, directe, méthodique, de ce qui est, agit, recrute, peuple : on peut les définir une contradiction, une critique pure, formule humaine du néant. (…) Le positif est catholique et le négatif ne l’est pas. Le négatif tend à nier le genre humain comme la France et le toit domestique comme l’obscure enceinte de la conscience privée ; ne le croyez pas s’il soutient qu’il nie uniquement le frein, la chaîne, la délimitation, le lien : il s’attaque à ce que ces négations apparentes ont de positif. Comme il ne saurait exister de figure sans le trait qui la cerne et la ligne qui la contient, dès que l’Être commence à s’éloigner de son contraire, dès que l’Être est, il a sa forme, il a son ordre, et c’est cela même dont il est borné qui le constitue. Quelle existence est sans essence ? Qu’est-ce que l’Être sans la loi ? À tous les degrés de l’échelle, l’Être faiblit quand mollit l’ordre ; il se dissout pour peu que l’ordre ne le tienne plus. Les déclamateurs qui s’élèvent contre la règle ou la contrainte au nom de la liberté ou du droit, sont les avocats plus ou moins dissimulés du néant. Inconscients, ils veulent l’Être sans la condition de l’Être et, conscients, leur misanthropie naturelle, ou leur perversité d’imagination, ou quelque idéalisme héréditaire transformé en folie furieuse les a déterminés à rêver, à vouloir le rien. » (La démocratie religieuse, 1921)

Sur le nationalisme, pour éviter précisément toute confusion du nationalisme intégral de Maurras, de l’Action Française et de toute l’école monarchiste française avec les expressions dévoyées du nationalisme venues de la Gauche et habilement cataloguées par le Système comme étant de droite : fascisme, nazisme, Etat tout puissant, centralisateur, JACOBIN et liberticide.

 « Caractère distinctif du nationalisme français : il est fort éloigné de présenter la nécessité pratique et moderne du cadre national rigide comme un progrès dans l’histoire du monde ou comme un postulat philosophique et juridique absolu : il voit au contraire dans la nation une très fâcheuse dégradation de l’unité médiévale, il ne cesse pas d’exprimer un regret profond de l’unité humaine représentée par la république chrétienne (…) ». (L’Action Française, 25 mars 1937)

« Un nationalisme n’est pas un nationalisme exagéré ni mal compris quand il exclut naturellement l’étatisme (…). Quand l’autorité de l’Etat est substituée à celle du foyer, à l’autorité domestique, quand elle usurpe sur les autorités qui président naturellement à la vie locale, quand elle envahit les régulateurs autonomes de la vie des métiers et des professions, quand l’Etat tue ou blesse, ou paralyse les fonctions provinciales indispensables à la vie et au bon ordre des pays, quand il se mêle des affaires de la conscience religieuse et qu’il empiète sur l’Eglise, alors ce débordement d’un Etat centralisé et centralisateur nous inspire une horreur véritable : nous ne concevons pas de pire ennemi. » (L’Action Française, du 19 juillet 1938)

Et au soir de sa vie, prisonnier de la République rétablie dans toutes ses prérogatives de destruction, il écrivait à Pierre Boutang cette exhortation testamentaire magnifique.

Nous bâtissons l’arche nouvelle, catholique, classique, hiérarchique, humaine, où les idées ne seront plus des mots en l’air, ni les institutions des leurres inconsistants, ni les lois des brigandages, les administrations des pilleries et des gabegies, où revivra ce qui mérite de revivre, en bas les républiques, en haut la royauté et, par-delà tous les espaces, la Papauté ! Même si cet optimisme était en défaut et si, comme je ne crois pas tout à fait absurde de le redouter, si la démocratie était devenue irrésistible, c’est le mal, c’est la mort qui devaient l’emporter, et qu’elle ait eu pour fonction historique de fermer l’histoire et de finir le monde, même en ce cas apocalyptique, il faut que cette arche franco-catholique soit construite et mise à l’eau face au triomphe du Pire et des pires. Elle attestera, dans la corruption universelle, une primauté invincible de l’Ordre et du Bien. Ce qu’il y a de bon et de beau dans l’homme ne se sera pas laissé faire. Cette âme du bien l’aura emporté, tout de même, à sa manière, et, persistant dans la perte générale, elle aura fait son salut moral et peut-être l’autre. Je dis peut-être, parce que je ne fais pas de métaphysique et m’arrête au bord du mythe tentateur, mais non sans foi dans la vraie colombe, comme au vrai brin d’olivier, en avant de tous les déluges.” lettre à Pierre Boutang, 1952

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L’Avenir de l’Intelligence

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XXIV. — L’esprit révolutionnaire et l’argent

Je sais la réponse des anarchistes :

— Eh bien, on le saura et on le dira ; l’Opinion libre fournira des armes contre l’Opinion achetée. L’Intelligence se ressaisira. Elle va flétrir cet Argent qu’elle vient de subir. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la ploutocratie aura tremblé devant les tribuns.

Nouvelle illusion d’une qualité bien facile !

Si des hommes d’esprit ne prévoient aucune autre revanche contre l’Argent que la prédication de quelque Savonarole laïque, les gens d’affaires ont pressenti l’événement et l’ont prévenu. Ils se sont assuré la complicité révolutionnaire. En ouvrant la plupart des feuilles socialistes et anarchistes et nous informant du nom de leurs bailleurs de fonds 28, nous vérifions que les plus violentes tirades contre les riches sont soldées par la ploutocratie des deux mondes. À la littérature officielle, marquée par des timbres et des contre-seings d’un État qui est le prête-nom de l’Argent, répond une autre littérature, qui n’est qu’officieuse encore et que le même Argent commandite et fait circuler. Il préside ainsi aux attaques et peut les diriger. Il les dirige en effet contre ce genre de richesses qui, étant engagé dans le sol ou dans une industrie définie, garde quelque chose de personnel, de national et n’est point la Finance pure. La propriété foncière, le patronat industriel offrent un caractère plus visible et plus offensant pour une masse prolétaire que l’amas invisible de millions et de milliards en papier. Les détenteurs des biens de la dernière sorte en profitent pour détourner contre les premiers les fières impatiences qui tourmentent tant de lettrés.

Mais le principal avantage que trouve l’Argent à subventionner ses ennemis déclarés provient de ce que l’Intelligence révolutionnaire sort merveilleusement avilie de ce marché. Elle y perd sa seule source d’autorité, son honneur ; du même coup, ses vertueuses protestations tombent à plat.

La Presse est devenue une dépendance de la finance. Un révolutionnaire, M. Paul Brulat 29, a parlé récemment de sauver l’indépendance de la Pensée humaine. Il la voyait donc en danger. « La combinaison financière a tué l’idée, la réclame a tué la critique. » Le rédacteur devient un « salarié », « son rôle est de divertir le lecteur pour l’amener jusqu’aux annonces de la quatrième page. » « On n’a que faire de ses convictions. Qu’il se soumette ou se démette. La plupart, dont la plume est l’unique gagne-pain, se résignent, deviennent des valets. » Aussi, partout « le chantage sous toutes ses formes, les éloges vendus, le silence acheté… Les éditeurs traitent ; les théâtres feront bientôt de même. La critique dramatique tombera comme la critique littéraire. »

M. Paul Brulat ne croit pas à la liberté de la Presse, qui n’existe même point pour les bailleurs de fonds des journaux : « Non, même pour ceux-ci, elle est un leurre. Un journal, n’étant entre leurs mains qu’une affaire, ne saurait avoir d’autre soucis que de plaire au public, de retenir l’abonné 30. » Sainte-Beuve, en observant, dès 1839, que la littérature industrielle tuerait la critique, commençait à sentir germer en lui le même scepticisme que M. Paul Brulat. Une même loi « libérale », disait-il, la loi Martignac, allégea la Presse « à l’endroit de la police et de la politique », mais « accrut la charge industrielle des journaux ».

Ce curieux pronostic va plus loin que la pensée de celui qui le formulait. Il explique la triste histoire de la déconsidération de la Presse en ce siècle-ci. En même temps que la liberté politique, chose toute verbale, elle a reçu la servitude économique, dure réalité, en vertu de laquelle toute foi dans son indépendance s’effaça, ou s’effacera avant peu. Cela à droite comme à gauche. On représentait à un personnage important du monde conservateur que le candidat proposé pour la direction d’un grand journal cumulait la réputation de pédéraste, d’escroc et de maître-chanteur : « Oh ! » murmura ce personnage en haussant les épaules, « vous savez bien qu’il ne faut pas être trop difficile en fait de journalistes ! » L’auteur de ce mot n’est cependant pas duc et pair ! Il peignait la situation. On discuta jadis de la conviction et de l’honorabilité des directeurs de journaux. On discute de leur surface, de leur solvabilité et de leur crédit. Une seule réalité énergique importe donc en journalisme : l’Argent, avec l’ensemble des intérêts brutaux qu’il exprime. Le temps paraît nous revenir où l’homme sera livré à la Force pure, et c’est dans le pays où cette force a été tempérée le plus tôt et le plus longtemps, que se rétablit tout d’abord, et le plus rudement, cette domination. #

XXV. — L’âge de fer

Une certaine grossièreté passe dans la vie. La situation morale du lettré français en 1905 n’est plus du tout ce qu’elle était en 1850. La réputation de l’écrivain est perdue. Écrire partout, tout signer, s’appliquer à donner l’impression qu’on n’est pas l’organe d’un journal, mais l’organe de sa propre pensée, cela défend à peine du discrédit commun. Si l’on ne cesse pas d’honorer en particulier quelques personnes, la profession de journaliste est disqualifiée. Journalistes, poètes, romanciers, gens de théâtre font un monde où l’on vit entre soi ; mais c’est un enfer. Les hautes classes, de beaucoup moins fermées qu’elles ne l’étaient autrefois, beaucoup moins difficiles à tous les égards, ouvertes notamment à l’aventurier et à l’enrichi, se montrent froides envers la supériorité de l’esprit. Tout échappe à une influence dont la sincérité et le sérieux font le sujet d’un doute diffamateur. #

Mais l’écrivain est plus diffamé par sa condition réelle que par tous les propos dont il est l’objet. Ou trop haut ou trop bas, c’est le plus déclassé des êtres ; les meilleurs d’entre nous se demandent si le salut ne serait point de ne nous souvenir que de notre origine et de notre rang naturel, sans frayer avec des confrères, ni avoir soucis des mondains. L’expédient n’est pas toujours pratique. Renan disait que les femmes modernes, au lieu de demander aux hommes « de grandes choses, des entreprises hardies, des travaux héroïques », leur demandent « de la richesse, afin de satisfaire un luxe vulgaire ». Luxe vulgaire ou bien désir, plus vulgaire encore, de relations.

L’ancien préjugé favorable au mandarinat intellectuel conserve sa force dans la masse obscure et profonde du public lisant. Il ne peut le garder longtemps. La bourgeoisie, où l’amateur foisonne presque autant que dans l’aristocratie, s’affranchit de toute illusion favorable et de toute vénération préconçue. Son esprit positif observe qu’il y a bien quatre ou cinq mille artistes ou gens de lettres à battre le pavé de Paris en mourant de faim. Elle calcule que, des deux grandes associations professionnelles de journalistes parisiens, l’une comptait en 1896 plus du quart, et l’autre plus du tiers de ses membres sans occupation 31. Elle prévoit un déchet de deux ou trois mille malheureux voués à l’hospice ou au cabanon. Les beaux enthousiasmes des lecteurs de Hugo et de Vacquerie 32 paraissent donc également devoir fléchir dans la classe moyenne.

Ils se perpétuent au-dessous, dans cette partie du gros peuple où la lecture, l’écriture et ce qui y ressemble, paraît un instrument surnaturel d’élévation et de fortune. Par les moyens scolaires qui lui appartiennent, l’État s’applique à prolonger une situation qui maintient le crédit de cette Intelligence, derrière laquelle il se dissimule, pour mieux dissimuler cet Argent par lequel il est gouverné. Mais il provoque le déclassement, par cela même qu’il continue à le revêtir de teintes flatteuses. Encombré de son prolétariat intellectuel, l’État démocratique ne peut en arrêter la crue, il est dans la nécessité de la stimuler 33. Les places manquent, et l’État continue à manœuvrer sa vieille pompe élévatoire. Les finances en souffrent quand il veut tenir parole, et le mal financier aboutit aux révolutions. Mais, s’il retire sa parole, c’est encore à des révolutions qu’il est acculé. La société ploutocratique s’est assurée tant bien que mal contre ce malheur. Elle espère le canaliser, le détourner d’elle. Mais l’État s’effraie pour lui-même, et ses premières inquiétudes se font sentir.

XXVI. — Défaite de l’Intelligence

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Il faut bien se garder de croire que ces turbulences puissent ruiner de fond en comble les intérêts fondamentaux, les forces organiques de la vie civilisée. La Finance, l’activité qu’elle symbolise, doit vaincre, associant peut-être à son triomphe les meilleurs éléments du prolétariat manuel, ces ouvriers d’état qui se forment en véritable aristocratie du travail, sans doute aussi des représentants de l’ancienne aristocratie, dégradée ou régénérée par cette alliance. Le Sang et l’Or seront recombinés dans une proportion inconnue. Mais l’Intelligence, elle, sera avilie pour longtemps ; notre monde lettré, qui paraît si haut aujourd’hui, aura fait la chute complète, et, devant la puissante oligarchie qui syndiquera les énergies de l’ordre matériel, un immense prolétariat intellectuel, une classe de mendiants lettrés comme en a vu le moyen âge, traînera sur les routes de malheureux lambeaux de ce qu’auront été notre pensée, nos littératures, nos arts.

Le peuple en qui l’on met une confiance insensée se sera détaché de tout cela, avec une facilité qu’on ne peut calculer mais qu’il faut prévoir. C’est sur un bruit qui court que le peuple croit à la vertu de l’Intelligence ; ceux qui ont fait cette opinion ne seront pas en peine de la défaire.

Quand on disait aux petites gens qu’un petit homme, simple et d’allures modestes, faisait merveille avec sa plume et obtenait ainsi une gloire immortelle, ce n’était pas toujours compris littéralement, mais le grave son des paroles faisait entendre et concevoir une destinée digne de respect, et ce respect tout instinctif, ce sentiment presque religieux étaient accordés volontiers. L’éloge est devenu plus net quand, par littérature, esthétique ou philosophie, on a signifié gagne-pain, hautes positions, influence, fortune. Ce sens clair a été trouvé admirable, et il est encore admiré. Patience, et attendez la fin. Attendez que Menier et Géraudel aient un jour intérêt à faire entendre au peuple que leur esprit d’invention passe celui de Victor Hugo, puisqu’ils ont l’art d’en retirer de plus abondants bénéfices ! Le peuple ne manquera pas de générosité naturelle. Il n’est pas disposé à « tout évaluer en argent ». Mais lui a-t-on dit de le faire, il compte et compte bien. Vous verrez comme il saura vous évaluer. Le meilleur, le moins bon, et le pire de nos collègues sera classé exactement selon la cote de rapport. Jusqu’où pourra descendre, pour regagner l’estime de la dernière lie du peuple, ce qu’on veut bien nommer « l’aristocratie littéraire », il est aisé de l’imaginer. Le lucre conjugué à la basse ambition donnera ses fruits naturels.

Littérature deviendra synonyme d’ignominie. On entendra par là un jeu qui peut être plaisant, mais dénué de gravité, comme de noblesse. Endurci par la tâche, par la vie au grand air et le mélange de travail mécanique et des exercices physiques, l’homme d’action rencontrera dans cette commune bassesse des lettres et des arts de quoi justifier son dédain, né de l’ignorance. S’il a de la vertu, il nommera aisément des dépravations les raffinements du goût et de la pensée. Il conclura à la grossièreté et à l’impolitesse, sous prétexte d’austérité. Ce sera fait dès lors de la souveraine délicatesse de l’esprit, des recherches du sentiment, des graves soins de la logique et de l’érudition. Un sot moralisme jugera tout. Le bon parti aura ses Vallès, ses Mirbeau 34, hypnotisés sur une idée du bien et du mal conçue sans aucune nuance, appliquée fanatiquement. Des têtes d’iconoclastes à la Tolstoï se dessinent sur cette hypothèse sinistre, plus qu’à demi réalisée autour de nous… Mais, si l’homme d’action brutale qu’il faut prévoir n’est point vertueux, il sera plus grossier encore ; l’art, les artistes se plieront à ses divertissements les plus vils, dont la basse littérature des trente ou quarante dernières années, avec ses priapées sans goût ni passion, éveille l’image précise. Cet homme avilira tous les êtres que l’autre n’aura pas abrutis.

Le patriciat dans l’ordre des faits, mais une barbarie vraiment démocratique dans la pensée, voilà le partage des temps prochains. Le rêveur, le spéculatif pourront s’y maintenir au prix de leur dignité ou de leur bien-être. Les places, le succès ou la gloire récompenseront la souplesse de l’histrion. Plus que jamais, dans une mesure inconnue aux âges de fer, la pauvreté, la solitude, expieront la fierté du héros et du saint : jeûner, les bras croisés au-dessus du banquet, ou, pour ronger les os, se rouler au niveau des chiens.

L’aventure

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À moins que…

Je ne voudrais pas terminer ces analyses un peu lentes, mais, autant qu’il me semble, réelles et utiles, par un conte bleu. Cependant il n’est pas impossible de concevoir un autre tour donné aux mouvements de l’histoire future. Il suffirait de supposer qu’une lucide conscience du péril, unie à quelques actes de volonté sérieuse, suggère à l’Intelligence française, qui, depuis un siècle et demi, a causé beaucoup de désastres, de rendre le service signalé qui sauverait tout.

Elle s’est exilée à l’intérieur, elle s’est pervertie, elle a couru tous les barbares de l’univers ; supposez qu’elle essaye de retrouver son ordre, sa patrie, ses dieux naturels.

Elle a propagé la Révolution ; supposez qu’elle enseigne, au rebours, le Salut public.

Imaginez qu’un heureux déploiement de cette tendance nouvelle lui regagne les sympathies et l’estime, non certes officielles, ni universelles, mais qui émaneraient de sphères respectées et encore puissantes.

Imaginez d’ailleurs que l’Intelligence française comprenne bien deux vérités :

•  ni elle n’est, ni elle ne peut être la première des Forces nationales,

•  et, en rêvant cet impossible, elle se livre pratiquement au plus dur des maîtres, à l’Argent.

Veut-elle fuir ce maître, elle doit conclure alliance avec quelque autre élément du pouvoir matériel, avec d’autres Forces, mais celles-ci personnelles, nominatives et responsables, auxquelles les lumières qu’elle a en propre faciliteraient le moyen de s’affranchir avec elle de la tyrannie de l’Argent.

Concevez, dis-je, la fédération solide et publique des meilleurs éléments de l’Intelligence avec les plus anciens de la nation ; l’Intelligence s’efforcerait de respecter et d’appuyer nos vieilles traditions philosophiques et religieuses, de servir certaines institutions comme le clergé et l’armée, de défendre certaines classes, de renforcer certains intérêts agricoles, industriels, même financiers, ceux-là qui se distinguent des intérêts d’Argent proprement dits en ce qu’ils correspondent à des situations définies, à des fonctions morales. Le choix d’un tel parti rendrait à l’Intelligence française une certaine autorité. Les ressources afflueraient, avec les dévouements, pour un effort en ce sens. Peut-être qu’une fois de plus la couronne d’or nous serait présentée comme elle le fut à César.

Mais il faudrait la repousser. Et aussi, en repoussant cette dictature, faudrait-il l’exercer provisoirement. Non point certes pour élever un empire reconnu désormais fictif et dérisoire, mais, selon la vraie fonction de l’Intelligence, pour voir et faire voir quel régime serait le meilleur, pour le choisir d’autorité, et, même, pour orienter les autres Forces de ce côté ; pareil chef-d’œuvre une fois réussi, le rang ultérieurement assigné à l’Intelligence dans la hiérarchie naturelle de la nation importerait bien peu, car il serait fatalement très élevé dans l’échelle des valeurs morales. L’Intelligence pourrait dire comme Romée de Villeneuve dans le Paradis :

e ciò gli fece
Romeo, persona umile e peregrina
 35

« et Romée fit cela,
personne humble et errant pèlerin. »

En fait, d’ailleurs, et sur de pareils états de services, le haut rôle consultatif qui lui est propre lui reviendrait fatalement par surcroît.

Les difficultés, on les voit. Il faudrait que l’Intelligence fît le chef-d’œuvre d’obliger l’Opinion à sentir la nullité profonde de ses pouvoirs et à signer l’abdication d’une souveraineté fictive ; il faudrait demander un acte de bon sens à ce qui est privé de sens. Mais n’est-il pas toujours possible de trouver des motifs absurdes pour un acte qui ne l’est point ?

Il faudrait atteindre et gagner quelques-unes des citadelles de l’Argent et les utiliser contre leur propre gré, mais là encore espérer n’est point ridicule, car l’Argent diviseur et divisible à l’infini peut jouer une fois le premier de ces deux rôles contre lui-même.

Il faudrait rassembler de puissants organes matériels de publicité, pour se faire entendre, écouter, malgré les intérêts d’un État résolu à ne rien laisser grandir contre lui ; mais cet État, s’il a un centre, est dépourvu de tête. Son incohérence et son étourderie éclatent à chaque instant. C’est lui qui, par sa politique scolaire, a conservé à l’Intelligence un reste de prestige dans le peuple ; par ses actes de foi dans la raison et dans la science, il nous a coupé quelques-unes des verges dont nous le fouettons.

Les difficultés de cette entreprise, fussent-elles plus fortes encore, seraient encore moindres que la difficulté de faire subsister notre dignité, notre honneur, sous le règne de la ploutocratie qui s’annonce. Cela, n’est pas le plus difficile ; c’est l’impossible. Ainsi exposé à périr sous un nombre victorieux, la qualité intellectuelle ne risque absolument rien à tenter l’effort ; si elle s’aime, si elle aime nos derniers reliquats d’influence et de liberté, si elle a des vues d’avenir et quelque ambition pour la France, il lui appartient de mener la réaction du désespoir. Devant cet horizon sinistre, l’Intelligence nationale doit se lier à ceux qui essayent de faire quelque chose de beau avant de sombrer. Au nom de la raison et de la nature, conformément aux vieilles lois de l’univers, pour le salut de l’ordre, pour la durée et les progrès d’une civilisation menacée, toutes les espérances flottent sur le navire d’une Contre-Révolution.

Charles Maurras
Source : maurras.net

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Maurras prophète 

Maurras prophète 

Nous reproduisons le texte prophétique de Charles Maurras, extrait de son article quotidien dans L’Action française du 13 juillet 1926.

Quelques rues du centre de Paris sont égayées par de très belles robes de nos visiteurs marocains. Il y en a de vertes, il y en a de roses, il y en a de toutes les nuances. Certains de ces majestueux enfants du désert apparaîtraient « vêtus de probité candide et de lin blanc » si leur visage basané et presque noir ne faisait songer au barbouillage infernal. Que leurs consciences soient couleurs de robe ou couleur de peau, leurs costumes restent enviables : notre ami Eugène Marsan m’est témoin que le plus négligent des hommes serait capable des frais de toilette qui aboutiraient à ces magnifiques cappa magna, à ces manteaux brodés de lune et de soleil. Notre garde républicaine elle-même, si bien casquée, guêtrée et culottée soit-elle, cède, il me semble, à la splendeur diaprée de nos hôtes orientaux.

Toute cette couleur dûment reconnue, il n’est pas moins vrai que nous sommes probablement en train de faire une grosse sottise. Cette mosquée en plein Paris ne me dit rien de bon. Il n’y a peut-être pas de réveil de l’Islam, auquel cas tout ce que je dis ne tient pas et tout ce que l’on fait se trouve aussi être la plus vaine des choses. Mais, s’il y a un réveil de l’Islam, et je ne crois pas que l’on en puisse douter, un trophée de cette foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où enseignèrent tous les plus grands docteurs de la chrétienté anti-islamique représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir. On pouvait accorder à l’Islam, chez lui, toutes les garanties et tous les respects. Bonaparte pouvait se déchausser dans la mosquée, et le maréchal Lyautey user des plus éloquentes figures pour affirmer la fraternité de tous les croyants : c’étaient choses lointaines, affaires d’Afrique ou d’Asie. Mais en France, chez les Protecteurs et chez les Vainqueurs, du simple point de vue politique, la construction officielle de la mosquée et surtout son inauguration en grande pompe républicaine, exprime quelque chose qui ressemble à une pénétration de notre pays et à sa prise de possession par nos sujets ou nos protégés. Ceux-ci la tiendront immanquablement pour un obscur aveu de faiblesse.

Quelqu’un me disait hier : — Qui colonise désormais ? Qui est colonisé ? Eux ou nous ?

J’aperçois, de-ci de-là, tel sourire supérieur. J’entends, je lis telles déclarations sur l’égalité des cultes et des races. On sera sage de ne pas les laisser propager trop loin d’ici par des haut-parleurs trop puissants. Le conquérant trop attentif à la foi du conquis est un conquérant qui ne dure guère.

Nous venons de transgresser les justes bornes de la tolérance, du respect et de l’amitié. Nous venons de commettre le crime d’excès. Fasse le ciel que nous n’ayons pas à le payer avant peu et que les nobles races auxquelles nous avons dû un concours si précieux ne soient jamais grisées par leur sentiment de notre faiblesse.

Charles Maurras, L’Action Française du 13 juillet 1926

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Jeanne d’Arc par Maurras

Jeanne d’Arc par Maurras

Les privilégiés qui disposent du Dictionnaire politique et critique de Charles Maurras pourront y relire les pages émouvantes et pertinentes consacrées dans le tome deuxième à la sainte de la Patrie :

– Jeanne d’Arc et les Républicains (Action Française du 5 juin 1913, Pp.347-349).

– Sainte Jeanne d’Arc (Action Française du 7 avril 1919, pp. 349-351 )

– La figure de la Patrie (Action Française du 8 mai 1927, pp. 35 1-354)

– Autres leçons de Jeanne d’Arc (Action Française du 13 mai 1928, pp. 354-355 ). Nous en donnons ici un bref extrait.

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“Un autre trait doit être observé par toute la vie tragique de Jeanne d’Arc. Trait non de classe, mais de race historique, particulier à tout ce qui s’inspire un peu largement des traditions orales ou écrites de la France : c’est la florissante vigueur, la jeune hardiesse, la souplesse de sa raison. Les amateurs de poésie pure croient que la raison sèche l’âme ou opprime le cœur. Mais ont-ils apporté une once de critique à la lecture de l’interrogatoire de Jeanne ? Face aux arguties captieuses, une logique ailée s’allie au jugement le plus délicat. Il est de Jeanne d’Arc, le grand mot par lequel est jugée éternellement la méthode de diffamation assassine et qu’elle a dû jeter à quelque valet de greffier qui lui reprochait de n’avoir servi ni l’Eglise ni la Patrie : – Ah! Vous écrivez bien ce qui est contre moi, mais vous ne voulez pas écrire ce qui est pour moi! “

Ainsi la reine vierge des bons guerriers d’Action française pourrait aussi servir de protectrice et d’intercesseur à ceux de leurs amis qui ont été conduits à faire un usage public des puissances de la persuasion et de la raison. Elle en prêche l’exemple, et elle en donne les leçons, qu’il s’agisse de distinguer ou de réfuter, de conclure ou de rectifier. Ce jeune chef de guerre dont les inventions stratégiques sur le champ de bataille frappent les hommes de métier d’une stupeur pleine d’admiration, la voilà sans arme et sans compagnon dans la geôle, dans le prétoire. Réduite à elle seule, sans avocat ni conseiller, elle invente cette défense qui répand des nappes de lumières égales, traversées de soudaines brusqueries comparables aux divines fulgurations. L’amalgame inouï du sublime avec le bon sens !

C’est contre cette enfant unique de la France, contre cet abrégé de tout ce que la chrétienté médiévale a produit et peut-être a rêvé de plus pur, que l’envahisseur étranger avait suscité toutes les autorités qu’il avait pu réunir, suborner, soudoyer. Je lis dans un discours, prononcé à la Cathédrale d’Orléans, par un évêque français, ce jugement terrible porté sur les juges ecclésiastiques par qui le bûcher de Jeanne fut allumé : Quels juges! Des hommes, a-t-on dit, dont la science théologique n’était qu’un moyen de faire leur carrière ; un Pierre Cauchon, devenu évêque et qui aspire au siège archiépiscopal de Rouen ; un Jean Beaupère, qui, lui, bien que manchot de la main droite, a su de la gauche faire râfle de riches prébendes ; un Nicolas Midy qui cumulait « tout, les titres et les bénéfices, les violences et les hontes » ; et d’autres personnages qui, quelques mois plus tard, au Concile de Bâle, feront figure de schismatiques.

“C’est devant un pareil tribunal que Jeanne subira d’interminables interrogatoires où par l’imprévu, la multiplicité et l’incohérence voulue des questions, on essaiera de la troubler et de la déconcerter. Quel drame! D’un mot, d’un geste, quand il semble qu’elle est perdue, elle écarte les subtilités dont on cherche à l’embarrasser, repousse les accusations mensongères, démasque les perfidies cachées et s’élève dans une atmosphère de pureté et de vérité”.

“Elle s’élève, c’est cela! Au-dessus des douleurs de la sentence. Au-dessus de la honte du tribunal. Dans cette vérité qu’elle sert et qui la défend. Une vérité qui la garde intacte, comme un cristal, comme un diamant, comme les pures flammes arrondies en bouquet autour de la martyre, au-dessus de la corruption et que rien ne saurait corrompre. Ce qui est, est. Ce qui a été, a été. Il n’y a rien de plus inviolable que les mérites et l’honneur d’un noble passé. Heureux qui appuie là-dessus les forces, les espoirs, les desseins du noble avenir !”

N. B. Charles Maurras est encore l’auteur d’un petit livre introuvable Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc, illustré par Maxime Real de Sarte. 

 

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Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc

Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc

Cet extrait de la Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc , écrit par Charles Maurras en 1929 semble avoir été écrit pour notre temps. Maurras y développe la nécessité du “Politique d’abord”, mis en pratique par la sainte de la Patrie. Si les remparts de Syracuse tombent, Archimède est égorgé… Le texte de Maurras porte la dédicace suivante : À l’association des jeunes filles royalistes devant laquelle furent pensées tout haut quelques-unes des ces incomplètes méditations, au nom de l’Action française reconnaissante, hommage très respectueux de l’auteur.”

“Rien ne se fait dans la cité des hommes sans une règle d’ordre étendue à toutes les fonctions. Il en est de plus hautes que cette fonction de police, mais elle est la première, elle l’emporte, dans la suite du temps, même sur le religieux, le moral et le militaire, politique d’abord.

Dans un pays sujet au déchirement des partis, si surtout ce pays est envahi et démembré par les ennemis du dehors, il n’y a rien de plus nécessaire que la monarchie, c’est presque un pléonasme : le gouvernement de l’Un met fin aux divisions et aux compétitions. C’est par lui qu’il faut commencer : Roi d’abord.

Les puissances morales et religieuses, au premier rang de toutes, la religion catholique, représentent un bienfait de première valeur, et l’un des devoirs capitaux de la Monarchie est de les servir. Mais l’organisation religieuse ne suffit pas à tout : sainte Jeanne d’Arc elle-même constitue ou plutôt reconnaît le Roi de la terre de France régnant au nom du Roi du Ciel.

Enfin, si les lois civiles sont saintes, si la consultation des sujets, la représentation méthodique des intéressés sont des choses utiles, si l’opinion est bonne à interroger pour savoir et entendre la vérité, tout cela, si précieux soit-il, reste néanmoins secondaire ; le devoir de l’autorité est d’abord de conduire : une décision prompte fait, les trois quarts du temps, ce qu’il y a de plus propre à entraîner et à réconcilier tous les cœurs ; à l’exemple de Jeanne d’Arc, l’Action française a toujours demandé un roi qui règne et qui gouverne dans le droit fil des traditions et des intérêts du pays.

Les hauteurs du noble sujet qui n’a été abordé ici qu’en tremblant nous accuseront-elles d’une sorte d’irrévérence pour en détacher et en isoler ainsi le détail ? On s’en console en se disant que l’analyse ne sera pas inutile si elle contribue, en quelque mesure, à montrer comment, à cinq siècles de distance, les mêmes sentiments, les mêmes méthodes, les mêmes doctrines peuvent avoir la même part à l’action fructueuse pour le salut de la même patrie. De fortes et durables valeurs morales, supérieures aux personnes mortelles, font les nations. Les grands peuples vivent par l’immortel. On observe qu’ils durent par leurs dynasties. Mais ils ont les dynasties qu’ils ont méritées. Le solide honneur de la France est de se prévaloir de la plus belle des races de rois. À son lit de mort, face à l’éternité, dans une agonie imprégnée du sentiment religieux le plus sincère, et le plus profond, comme il faisait son examen de conscience tout haut devant sa cour, Louis XIV dit gravement :

— Je m’en vais, mais l’État demeure toujours. Continuez à le servir, Messieurs.

Telles sont les paroles de l’espérance terrestre. Est-elle impie ? Il ne me semble pas qu’il puisse être interdit de saluer en Jeanne d’Arc sa fidélité à ce qu’il y a de plus solide et de plus vivace, l’État, le Roi, dans la structure de son ouvrage, Notre Patrie”.

Charles Maurras

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