HÉRÉDITÉ ET CIVILISATION

HÉRÉDITÉ ET CIVILISATION

C’est l’hérédité collective d’une aristocratie recueillant la succession du Sénat de Rome qui donna la durée et la force à l’Empire romain. Des trois races de nos Rois, celle qui fit la France fut précisément celle qui évolua dans les meilleures conditions d’hérédité monarchique, lesquelles ont permis la régulière transmission, la continuité rigoureuse de leurs desseins.

La valeur de tout effort personnel est dominée par l’immense principe historique en vertu duquel les vivants sont « de plus en plus, et nécessairement, gouvernés par les morts », et chaque vivant par ses morts particuliers. Cette nécessité bienfaisante est la source de la civilisation. Mais il y a longtemps que la démocratie s’est insurgée contre cette condition d’un ordre civilisé ; elle a choisi la barbarie, elle veut se recommencer tout entière à chaque individu qui vient au monde, sauvage et nu. C’est à l’humanité des cavernes que la démocratie veut nous ramener.

Charles Maurras, Sans la muraille des cyprès (J. Gibert, 1941)

Le Sénat romain n’était pas élu, ses membres étaient, en quelque sorte, cooptés parmi les magistrats issus des grandes familles aristocratiques, et du sang neuf, les « hommes nouveaux », s’y introduisait au compte-goutte. Un ambassadeur reçu par le Sénat dit qu’il avait cru être introduit devant une assemblée de rois !

L’Empire romain semble, à première vue, ne pas avoir connu l’hérédité. Il l’a connue, en réalité, mais de manière cachée : la plupart des empereurs n’ont pu avoir de successeurs directs parce qu’ils n’eurent pas de fils ou que ces derniers moururent en bas âge ; mais une étude généalogique prouve que, dans l’ensemble, l’empire fut transmis par les femmes. Si les féministes apprenaient cela, le latin reviendrait à la mode !

Carolingiens, Mérovingiens, Capétiens, des trois races de nos Rois la dernière connut une hérédité heureuse qui fit la France. Après cette constatation, Maurras cite Auguste Comte qui n’a cessé de répéter : « les morts gouvernent les vivants ». Culte des ancêtres, coutumes des ancêtres, mos majorum, tous les peuples civilisés, et même la plupart des autres, ont vécu sur ces principes, et plus l’aventure humaine avance, plus, « nécessairement » l’expérience du passé a enrichi la civilisation.

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Mais Rousseau vint. Alors que toutes les sociétés, des primitives aux plus élaborées, avaient postulé que la civilisation était un capital transmis et augmenté, le citoyen de Genève piétina la plus belle réalisation du génie humain, la France d’Ancien Régime, et les privilégiés s’enthousiasmèrent pour ce faune, comme les bourgeois d’aujourd’hui, gavés et repus, accompagnent leur digestion d’un militantisme en faveur de la faim dans le monde. Rousseau chantait déjà la chanson impie : « du passé faisons table rase. »

La démocratie a choisi la barbarie. Rousseau ne disait-il-pas dans son Discours sur l’inégalité que l’homme qui médite est un animal dépravé ? Oui, la démocratie est une barbarie : le citoyen électeur ne cesse de dire, ouvertement ou in petto « moi, je pense que… », sans expérience ni compétence. Dès la prime jeunesse, le malheureux enfant de démocrate, futur électeur et futur fossoyeur de la civilisation, apprend à l’école rousseauiste à étaler, à exhiber, son petit moi barbare et inorganique : son barbouillage de gouache ou d’aquarellepassera pour une œuvre digne de Michel-Ange, et les premiers mots qu’il jettera sur un papier relègueront Homère au musée des vieilleries. Ne connaissons-nous pas, quand nous visitons certains musées subventionnés, « l’humanité des cavernes » ?

Né de parents inconnus et mort célibataire, l’homme dénoncé par Renan restait encore un malheureux instruit. L’école moderne a fait de son successeur un sauvage. Saluons une fois de plus la qualité d’analyse d’un Maurras. Il est tellement intelligent, son esprit de déduction est tellement puissant qu’il nous semble un prophète.

Rangés derrière son autorité, formons-nous à sa méthode.

Gérard Baudin

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ÉGALITÉ

ÉGALITÉ

Sauville, M. Illustrateur. La Gueuse. Impression photomécanique en couleurs. 1903. Bibliothèque historique de la Ville de Paris.

« La seconde des idées révolutionnaires, le principe d’Égalité, constitutif du régime démocratique, livra le pouvoir au plus grand nombre, aux éléments inférieurs de la nation, producteurs moins énergiques et plus voraces consommateurs, qui font le moins et mangent le plus. Découragé, s’il est entreprenant, par les tracasseries de l’Administration, représentante légale du plus grand nombre, mais, s’il est faible ou routinier, encouragé par les faveurs dont la même administration fait bénéficier sa paresse, notre Français se résigna à devenir un parasite des bureaux, de sorte que se ralentit et faillit s’éteindre une activité nationale où les individus ne sont pas aidés à devenir des personnes et les personnes étant plutôt rétrogradées jusqu’à la condition des individus en troupeaux. »

(Charles Maurras, Romantisme et Révolution, Préface Lorigine commune)

Contradiction apparente

Nous abordons le deuxième volet du désordre social, en contradiction apparente avec le premier. En effet, à première vue, liberté absolue et égalité sont des termes antinomiques. La liberté sans bornes offre aux membres de la société la loi de la jungle où le fort écrase le faible. Sous la Révolution, la loi Le Chapelier, mère du problème ouvrier en fut un exemple illustre. La destruction des corporations au nom de la Liberté livra l’ouvrier à l’arbitraire patronal.

Mais, contraires selon les règles de la logique classique, les deux éléments de la doctrine républicaine, le libéralisme et l’égalitarisme, sont complémentaires dans la mystique démocratique en cela qu’ils ressortent tous deux du même principe erroné ; l’autonomie de l’individu.

Il existe certes une égalité spécifique entre tous les hommes, mais cette égalité par essence n’empêche pas l’inégalité individuelle des conditions, l’inégalité accidentelle qui fonde les droits relatifs des membres d’une société saine et raisonnable.

Les conséquences de l’Egalité

Le pouvoir, en République, va donc être en apparence livré à la masse, et, reprenant les analyses que saint Thomas a tirées d’Aristote et de Cicéron, Maurras évoque la foule de ceux qui coûtent au corps social plus qu’ils ne lui rapportent, le grand nombre de ceux qui, poussés par les démagogues, voteront les dépenses que le petit nombre règlera. La foule gaspillera, les créateurs de richesses s’épuiseront, et la société sombrera dans l’appauvrissement.

La liberté sans frein ayant engendré l’administration, car il faut bien que l’élu tienne son électeur, cette dernière va se mettre naturellement au service de l’égalité socialisante. Le Français actif et indépendant connaîtra d’abord les freins et les brimades des bureaux mis au service de l’envie égalitaire, et bientôt le citoyen qui pouvait contribuer à la prospérité générale, qui était une personne, c’est-à-dire un être conscient et responsable, conscient de ses droits, de ses devoirs et de ses possibilités, se dégradera en simple individu, consommateur assisté de l’Etat-Providence.

En prétendant concilier des principes frères, dangereux séparément, mortels quand ils sont associés, la démocratie désagrège la société et ravale les personnes au rang d’individus soumis.

« Les libertés, cette énonciation est un non-sens. La Liberté est. Elle a cela de commun avec Dieu, qu’elle exclut le pluriel. Elle aussi dit : sum qui sum. » le lecteur aura reconnu les accents inimitables de Victor Hugo quand il se prend pour un penseur. Leconte de Lisle a dit qu’il était bête comme l’Himalaya. C’est pourtant à l’ombre de l’inégalité reconnue, protectrice, que peuvent fleurir les libertés qui assurent l’épanouissement de la personne, sa réalisation pour le Bien commun.

Gérard Baudin

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Jeanne d’Arc par Maurras

Jeanne d’Arc par Maurras

Les privilégiés qui disposent du Dictionnaire politique et critique de Charles Maurras pourront y relire les pages émouvantes et pertinentes consacrées dans le tome deuxième à la sainte de la Patrie :

– Jeanne d’Arc et les Républicains (Action Française du 5 juin 1913, Pp.347-349).

– Sainte Jeanne d’Arc (Action Française du 7 avril 1919, pp. 349-351 )

– La figure de la Patrie (Action Française du 8 mai 1927, pp. 35 1-354)

– Autres leçons de Jeanne d’Arc (Action Française du 13 mai 1928, pp. 354-355 ). Nous en donnons ici un bref extrait.

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“Un autre trait doit être observé par toute la vie tragique de Jeanne d’Arc. Trait non de classe, mais de race historique, particulier à tout ce qui s’inspire un peu largement des traditions orales ou écrites de la France : c’est la florissante vigueur, la jeune hardiesse, la souplesse de sa raison. Les amateurs de poésie pure croient que la raison sèche l’âme ou opprime le cœur. Mais ont-ils apporté une once de critique à la lecture de l’interrogatoire de Jeanne ? Face aux arguties captieuses, une logique ailée s’allie au jugement le plus délicat. Il est de Jeanne d’Arc, le grand mot par lequel est jugée éternellement la méthode de diffamation assassine et qu’elle a dû jeter à quelque valet de greffier qui lui reprochait de n’avoir servi ni l’Eglise ni la Patrie : – Ah! Vous écrivez bien ce qui est contre moi, mais vous ne voulez pas écrire ce qui est pour moi! “

Ainsi la reine vierge des bons guerriers d’Action française pourrait aussi servir de protectrice et d’intercesseur à ceux de leurs amis qui ont été conduits à faire un usage public des puissances de la persuasion et de la raison. Elle en prêche l’exemple, et elle en donne les leçons, qu’il s’agisse de distinguer ou de réfuter, de conclure ou de rectifier. Ce jeune chef de guerre dont les inventions stratégiques sur le champ de bataille frappent les hommes de métier d’une stupeur pleine d’admiration, la voilà sans arme et sans compagnon dans la geôle, dans le prétoire. Réduite à elle seule, sans avocat ni conseiller, elle invente cette défense qui répand des nappes de lumières égales, traversées de soudaines brusqueries comparables aux divines fulgurations. L’amalgame inouï du sublime avec le bon sens !

C’est contre cette enfant unique de la France, contre cet abrégé de tout ce que la chrétienté médiévale a produit et peut-être a rêvé de plus pur, que l’envahisseur étranger avait suscité toutes les autorités qu’il avait pu réunir, suborner, soudoyer. Je lis dans un discours, prononcé à la Cathédrale d’Orléans, par un évêque français, ce jugement terrible porté sur les juges ecclésiastiques par qui le bûcher de Jeanne fut allumé : Quels juges! Des hommes, a-t-on dit, dont la science théologique n’était qu’un moyen de faire leur carrière ; un Pierre Cauchon, devenu évêque et qui aspire au siège archiépiscopal de Rouen ; un Jean Beaupère, qui, lui, bien que manchot de la main droite, a su de la gauche faire râfle de riches prébendes ; un Nicolas Midy qui cumulait « tout, les titres et les bénéfices, les violences et les hontes » ; et d’autres personnages qui, quelques mois plus tard, au Concile de Bâle, feront figure de schismatiques.

“C’est devant un pareil tribunal que Jeanne subira d’interminables interrogatoires où par l’imprévu, la multiplicité et l’incohérence voulue des questions, on essaiera de la troubler et de la déconcerter. Quel drame! D’un mot, d’un geste, quand il semble qu’elle est perdue, elle écarte les subtilités dont on cherche à l’embarrasser, repousse les accusations mensongères, démasque les perfidies cachées et s’élève dans une atmosphère de pureté et de vérité”.

“Elle s’élève, c’est cela! Au-dessus des douleurs de la sentence. Au-dessus de la honte du tribunal. Dans cette vérité qu’elle sert et qui la défend. Une vérité qui la garde intacte, comme un cristal, comme un diamant, comme les pures flammes arrondies en bouquet autour de la martyre, au-dessus de la corruption et que rien ne saurait corrompre. Ce qui est, est. Ce qui a été, a été. Il n’y a rien de plus inviolable que les mérites et l’honneur d’un noble passé. Heureux qui appuie là-dessus les forces, les espoirs, les desseins du noble avenir !”

N. B. Charles Maurras est encore l’auteur d’un petit livre introuvable Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc, illustré par Maxime Real de Sarte. 

 

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Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc

Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc

Cet extrait de la Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc , écrit par Charles Maurras en 1929 semble avoir été écrit pour notre temps. Maurras y développe la nécessité du “Politique d’abord”, mis en pratique par la sainte de la Patrie. Si les remparts de Syracuse tombent, Archimède est égorgé… Le texte de Maurras porte la dédicace suivante : À l’association des jeunes filles royalistes devant laquelle furent pensées tout haut quelques-unes des ces incomplètes méditations, au nom de l’Action française reconnaissante, hommage très respectueux de l’auteur.”

“Rien ne se fait dans la cité des hommes sans une règle d’ordre étendue à toutes les fonctions. Il en est de plus hautes que cette fonction de police, mais elle est la première, elle l’emporte, dans la suite du temps, même sur le religieux, le moral et le militaire, politique d’abord.

Dans un pays sujet au déchirement des partis, si surtout ce pays est envahi et démembré par les ennemis du dehors, il n’y a rien de plus nécessaire que la monarchie, c’est presque un pléonasme : le gouvernement de l’Un met fin aux divisions et aux compétitions. C’est par lui qu’il faut commencer : Roi d’abord.

Les puissances morales et religieuses, au premier rang de toutes, la religion catholique, représentent un bienfait de première valeur, et l’un des devoirs capitaux de la Monarchie est de les servir. Mais l’organisation religieuse ne suffit pas à tout : sainte Jeanne d’Arc elle-même constitue ou plutôt reconnaît le Roi de la terre de France régnant au nom du Roi du Ciel.

Enfin, si les lois civiles sont saintes, si la consultation des sujets, la représentation méthodique des intéressés sont des choses utiles, si l’opinion est bonne à interroger pour savoir et entendre la vérité, tout cela, si précieux soit-il, reste néanmoins secondaire ; le devoir de l’autorité est d’abord de conduire : une décision prompte fait, les trois quarts du temps, ce qu’il y a de plus propre à entraîner et à réconcilier tous les cœurs ; à l’exemple de Jeanne d’Arc, l’Action française a toujours demandé un roi qui règne et qui gouverne dans le droit fil des traditions et des intérêts du pays.

Les hauteurs du noble sujet qui n’a été abordé ici qu’en tremblant nous accuseront-elles d’une sorte d’irrévérence pour en détacher et en isoler ainsi le détail ? On s’en console en se disant que l’analyse ne sera pas inutile si elle contribue, en quelque mesure, à montrer comment, à cinq siècles de distance, les mêmes sentiments, les mêmes méthodes, les mêmes doctrines peuvent avoir la même part à l’action fructueuse pour le salut de la même patrie. De fortes et durables valeurs morales, supérieures aux personnes mortelles, font les nations. Les grands peuples vivent par l’immortel. On observe qu’ils durent par leurs dynasties. Mais ils ont les dynasties qu’ils ont méritées. Le solide honneur de la France est de se prévaloir de la plus belle des races de rois. À son lit de mort, face à l’éternité, dans une agonie imprégnée du sentiment religieux le plus sincère, et le plus profond, comme il faisait son examen de conscience tout haut devant sa cour, Louis XIV dit gravement :

— Je m’en vais, mais l’État demeure toujours. Continuez à le servir, Messieurs.

Telles sont les paroles de l’espérance terrestre. Est-elle impie ? Il ne me semble pas qu’il puisse être interdit de saluer en Jeanne d’Arc sa fidélité à ce qu’il y a de plus solide et de plus vivace, l’État, le Roi, dans la structure de son ouvrage, Notre Patrie”.

Charles Maurras

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Nationalisme et catholicité

Nationalisme et catholicité

Pour bien des chrétiens qui ne réfléchissent guère au sens des mots, le nationalisme est un péché ou  ne serait que « la forme dégradée du patriotisme ». Et, de fait, il y a toujours eu des hommes vertueux pour considérer les frontières nationales comme une insulte à l’amour dû à tous les hommes de la terre.

Évidemment, si nous vivions dans un monde de saints, il n’y aurait pas plus besoin d’être nationaliste que de fermer à clef la porte de son appartement… Seulement voilà : les hommes ne sont pas naturellement bons, et ils ont besoin de se grouper dans des communautés qui les protègent contre les autres autant qu’elles les aident à contenir leurs propres appétits.

Nier cette évidence revient tout simplement à nier le péché originel : c’est le tort des cosmopolites et de leurs complices démocrates chrétiens qui, jetant le discrédit sur les traditions, les institutions coutumières, les corps sociaux ancestraux, croient porter l’homme aux « franchises de l’esprit » (Marc Sangnier dixit), mais, en fait, le dépouillent de toute identité sans pour autant servir la paix.

Faut-il donc être nationaliste ? Hélas oui ! Et plus que jamais quand ceux qui veulent détruire les nations n’ont d’autres ambitions que mercantiles. La supranationalité selon Maastricht, comme le « Nouvel ordre mondial » dont elle est le premier jalon, est celle de l’Argent, au nom duquel on rationalise, déracine et asservit. On veut inviter les hommes à fuir tout ce qui mérite d’être gardé et défendu et à se massifier dans la vulgarité du fast-food, dans le culte du gadget et, pour les plus « initiés », sous le vernis gnostique et vaguement spiritualiste du « New Age ». S’il y a un ordre là-dedans, c’est celui de la décharge publique.

Les États-Unis d’Europe sont derrière nous

Toutefois, s’il convient de s’accrocher à la défense de la nation, c’est parce que le monde est en pleine régression. L’Histoire nous apprend qu’au temporel, Rome seule réussit à unir un grand nombre de peuples européens, les aidant à dépasser leurs querelles intestines. Après la débâcle de l’Empire, les évêques et les moines sauvèrent l’acquis de la civilisation et, sous le signe de l’universalité chrétienne, révélèrent aux chefs barbares eux-mêmes les bienfaits de l’ordre établi par Dieu dans sa création. Fils aînés de l’Église, les Mérovingiens, puis les Carolingiens tentèrent de prolonger Rome, mais leurs succès ne purent s’inscrire dans la durée. Ce fut alors l’émiettement féodal, tandis que l’Église assurait la maintenance du savoir et de la charité.

Puis les Capétiens eurent la sagesse de rassembler peu à peu les régions, les peuples qui avaient entre eux les plus solides affinités. Ainsi, autour du roi, lieutenant de Dieu sur terre, se forma la France au rythme de l’hérédité. Ce royaume allait-il vivre replié sur lui-même ? Sûrement pas ! Au-dessus des couronnes, rayonnait alors la Chrétienté, cette grande fraternité des peuples baptisés. Les hommes n’étaient certes pas tendres les uns envers les autres, mais tous possédaient le même sens de la parole donnée, respectaient le même code de l’honneur et savaient qu’ils auraient des comptes à rendre devant Dieu. La Chrétienté c’était aussi la soumission à l’ordre naturel, à la sagesse ancestrale reconnue comme le reflet de la sagesse de Dieu. Tout empêchait l’individu de se prendre pour le centre du monde.

L’exemple de sainte Jeanne d’Arc

Bien sûr, rien n’est parfait ici-bas. Dès 1054, l’Église d’Europe orientale, préférant ses disputes byzantines à la rigueur latine, se sépara de Rome, au risque de se mettre au service des puissances étatiques. En Occident même, dès le XIVe siècle, le nominalisme de Guillaume d’Occam renvoyait l’homme aux lumières de sa conscience individuelle. Puis des théologiens sorbonnards, laïcistes avant la lettre, voulurent tenter de séparer les fins spirituelles des hommes, des fins temporelles des États, tandis que d’autres soutenaient la primauté des conciles sur la papauté. Climat d’impatience face aux cadres traditionnels, donc profitable – déjà ! – aux hommes d’affaires qui se mirent à rêver d’une Europe réorganisée selon des visées marchandes. En envahissant la France, en lui arrachant même sa dynastie par l’odieux traité de Troyes (1 420), donc en mettant hors-jeu le royaume capétien, l’Angleterre servit fort bien les intérêts des marchands anglo-saxons, mais aussi allemands et bourguignons, qui pourraient ainsi se livrer aux démons de la démesure. La crise était aussi dans l’Église où la hiérarchie se compromettait bien souvent avec ceux qui fabriquaient l’opinion dans un sens hostile à la catholicité romaine. Et pendant ce temps, à l’est, l’islam progressait…

C’est alors que Dieu envoya sainte Jeanne d’Arc, une humble jeune fille ignorant les sophistes de son temps, obéissant d’un même élan à l’ordre divin et aux lois permanentes de la Création. Elle fit tout de suite sacrer à Reims le roi légitime Charles VII, sachant bien qu’en l’absence d’autorité royale, tout effort militaire, social, intellectuel et même religieux risquait de demeurer éphémère. Ce faisant, elle affirma devant toute l’Europe que la légitimité et la souveraineté françaises étaient inaliénables. Et tandis qu’elle restituait aux Français l’héritage qui les faisait être ce qu’ils étaient, elle montrait aux Anglais, fermement mais sans haine, qu’ils avaient intérêt à retourner vivre là où ils pouvaient vivre en paix. Et du même coup, elle donnait le coup de grâce à la supranationalité matérialiste, brandissant contre le cosmopolitisme le véritable universalisme : celui de la Croix, qui ne brise jamais les liens naturels et historiques entre les hommes, mais appelle au contraire les communautés à concourir au bien commun universel.

Jeanne, incarnation du nationalisme français ? La réponse est oui. Certes on ne parlait guère de nation à cette époque (et pas toujours dans son sens actuel), et pas du tout de nationalisme puisqu’en tenait lieu la simple fidélité à la lignée royale, garante de la continuité et de l’identité de la France. Mais justement, en intervenant pour restaurer au nom du Christ la dynastie légitime, Jeanne revivifia le foyer des vraies ententes humaines, cette communauté de destin, cet héritage auquel convient parfaitement le mot de nation (de natus : né). Ainsi la Sainte a-t-elle montré une bonne fois pour toutes – et jusqu’au sacrifice suprême – que se conformer aux lois gardant une nation incorrompue dans son être historique, c’est appliquer le IVe commandement (« Tes père et mère honoreras ») et c’est servir la paix, car celle-ci se fonde sur la justice entre les nations et non sur leur fusion dans des agrégats informes et manipulables.

Luther contre la Chrétienté

Hélas, au XVIe siècle, survint Luther et, avec lui, selon l’expression d’Auguste Comte, « l’insurrection de l’individu contre l’espèce ». Dès lors plus de référence supérieure reconnue par tous ; la conscience pouvait tout réinterpréter ; l’Europe chrétienne était touchée au plus profond de son âme. Ce ne fut pas un progrès. Les nations durent renforcer leurs frontières autant que leur administration intérieure. Pour ne pas laisser le champ libre aux égoïsmes particuliers ou collectifs, elles durent partout fédérer les forces vives et devenir ainsi les éléments irremplaçables d’équilibre, de mesure et d’ordre. L’unité, devenue difficile sur le plan spirituel, devait subsister sur le plan temporel par les nations, lesquelles, d’ailleurs, réalisant la paix intérieure dans une communauté de destin, pouvaient dès lors amplement contribuer au retour de l’unité spirituelle.

C’est ainsi que la France du Roi Très-Chrétien vit au XVIIe siècle des foules de protestants se convertir (hélas pas tous !), tandis que le rayonnement de sa culture manifestait sa vocation à l’universalité. On put même parler d’une Europe de l’esprit, née de l’influence française.

La caricature révolutionnaire du nationalisme

Le coup fatal fut porté par la Révolution de 1789. Le mot nation lui-même fut dénaturé. Il ne s’agit plus, selon l’idéologie libertaire, de communauté scellée par l’Histoire, mais d’une association nouvelle à laquelle on appartient par un acte de simple volonté individuelle. Dès lors, l’État, création de la volonté générale souveraine, ne put que s’ériger en absolu, confinant la foi dans le for intérieur de chacun et détruisant les florissantes libertés séculaires des métiers et des provinces, afin que chacun pût « librement » faire coïncider sa volonté avec la mythique « volonté générale ». L’on vit aussi apparaître la guerre révolutionnaire, qui n’avait plus grand chose de commun avec les querelles traditionnelles des rois pour agrandir leurs domaines : les masses s’y trouvèrent engagées, au nom d’une idéologie à imposer au reste du monde et qui engendrait la haine obligatoire de l’étranger, considéré comme l’obstacle à la réalisation du Progrès… Ainsi la Révolution, se réclamant de la « nation », mit-elle pour vingt ans, l’Europe à feu et à sang. Plus grave encore : l’idéologie volontariste exportée, suscita partout des « nationalismes » d’un nouveau genre, qu’il serait plus juste d’appeler nationalitarismes puisque nés dans le mépris de l’Histoire, fondés uniquement sur la volonté des individus, sur l’idée des Droits de l’Homme déifiés, sur l’idée de contrat passé entre gens « libres et égaux » voulant vivre ensemble et se suffire à eux-mêmes. Ces « nations » créées artificiellement, disloquant de vastes ensembles aux bienfaits séculaires (pensons à l’empire austro-hongrois), devinrent autant de foyers d’instabilité dans le monde ; les guerres de 1914-18 et 1939-45 en sortirent.

Or il n’y a aucune différence de nature entre cette conception exacerbée de la nation et l’abandon national actuel. Le glissement est même fatal : dès lors que la nation ne repose que sur la volonté des individus, elle est condamnée à tous les ébranlements et n’est rien d’autre que ce que les majorités veulent bien qu’elle soit. D’où l’idée que, pour ne plus revoir les guerres atroces que l’on a connues, il faudrait non point renoncer à l’idéologie de 1789, mais faire de chacun un « citoyen du monde » en imposant partout la « philosophie » des Droits de l’Homme. Ainsi égaliserait-on toutes les sociétés, obligeant les plus enracinées dans l’Histoire à apostasier pour se mouler sur le même type de démocratie et de technocratie que celles qui viennent tout juste de sortir de la barbarie. On croit ainsi servir la paix… En étouffant la civilisation !

La voix de l’Église

Il faut revenir aujourd’hui au vrai nationalisme, et non à sa caricature jacobine, laïque et agressive – cette caricature que des gens ignorants ou mal intentionnés affectent de confondre avec le vrai. Une précision s’impose ici : les papes Pie XI et Pie XII n’ont jamais condamné le nationalisme en tant que tel, mais seulement les hypertrophies qui le dénaturent. Ainsi, dans l’encyclique Urbi arcano Dei (23 décembre 1922), Pie XI a dénoncé le « nationalisme déréglé ». De même, dans son message de Noël 1954, Pie XII a distingué d’une part « la vie nationale », « droit et honneur d’un peuple », « ensemble de toutes les valeurs de civilisation qui sont propres à un groupe déterminé, constituant le lien de son unité spirituelle », « contribution propre qui enrichit la culture de toute l’humanité » (c’est ce que défend le nationalisme), et d’autre part l’exploitation de la nationalité : « La vie nationale n’est devenue un principe de dissolution de la communauté des peuples que lorsqu’elle a commencé à être employée comme moyen pour des fins politiques, c’est-à-dire quand l’État dominateur et centralisateur fait de la nationalité la base de sa force d’expansion » (voilà le nationalitarisme jacobin).

Le nationalisme français, dont la plus pure expression a été donnée par Charles Maurras, est en parfait accord avec la tradition catholique. Quand en 1939 furent levées par Pie XII, les sanctions ayant frappé l’Action française, aucune rétractation ne fut demandée à Maurras sur la doctrine de son nationalisme. Car celle-ci s’oppose nettement à l’État érigé en absolu. L’État doit être remis à sa place de serviteur du bien commun, de fédérateur des forces vives, de garant de la continuité nationale, et c’est pourquoi sa forme la plus parfaite en France, le « nationalisme intégral » (selon Maurras), est la monarchie, ce fait de paternité et d’autorité, donc d’amour, qui manifeste pleinement que la nation est un héritage.

L’État nationaliste français est inconcevable sans le respect des diversités régionales et des libertés professionnelles, ces « républiques » dont l’harmonisation constitue le « pays réel ».

Enfin cet État résolument décentralisateur rendrait à l’Église entière liberté de culte et d’enseignement ; cela va de soi dans un pays dont l’âme a été façonnée par la foi catholique hors de laquelle il est vain de chercher un ordre véritable des intelligences et des cœurs.

Nationalisme et patriotisme

On peut se demander ici ce qui distingue nationalisme et patriotisme. Lisons Maurras : « Patriotisme s’est toujours dit de la piété envers le sol national, la terre des ancêtres et, par extension naturelle, le territoire historique d’un peuple. » « Nationalisme s’applique, plutôt qu’à la terre des pères, aux pères eux-mêmes, à leur sang, à leurs œuvres, à leur héritage moral et spirituel, plus encore que matériel. Le nationalisme est la sauvegarde due à tous ces trésors qui peuvent être menacés sans qu’une armée étrangère n’ait passé la frontière, sans que le territoire ne soit physiquement envahi. »

Donc le nationalisme ne remplace pas le patriotisme, il le renforce même en le réenracinant dans le terroir familier des provinces à faire revivre, mais il le dépasse. Par exemple, lorsque sainte Jeanne d’Arc boutait les Anglais hors de France, elle agissait par patriotisme ; mais sa mission était bien plus élevée : elle consistait à rendre au pays les moyens de renouer avec le meilleur de ses traditions. Là est le nationalisme.

La « seule internationale qui tienne »

Osons maintenant l’affirmer : les nations historiques – et en premier lieu la France – fidèles à elles-mêmes, ont une mission de paix, parce que, riches d’une expérience millénaire et du sens de la mesure, nourries de l’Antiquité latine, héritières de tant de saints et de martyrs, elles sont porteuses de valeurs universelles, celles de la foi catholique, « la seule internationale qui tienne », disait Maurras.

Comme l’écrivait ce dernier à Pierre Boutang en février 1951 : « Nous bâtissons l’arche nouvelle, catholique, classique, hiérarchique, humaine, où les idées ne seront plus des mots en l’air, ni les institutions des leurres inconsistants, ni les lois des brigandages, les administrations des pilleries et des gabegies, où revivra ce qui mérite de revivre, en bas les républiques, en haut la royauté et, par-delà les espaces, la Papauté. »

Agir autrement, n’est-ce pas bâtir sur le sable ?

Michel Fromentoux, membre du Comité Directeur de l’Action Française

 

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Islam : Maurras prophète

Islam : Maurras prophète

On sait que la décision de construire la Mosquée de Paris, première mosquée construite en France métropolitaine, fut prise après la Première Guerre mondiale pour rendre hommage aux dizaines de milliers de morts de confession musulmane ayant combattu pour la France. Qu’en a dit Charles Maurras le 13 juillet 1926, lors de son inauguration ?

Pas un mot contre l’idée même de rendre un hommage mérité aux combattants musulmans de la Grande Guerre. A leur propos il parle des « nobles races auxquelles nous avons dû un concours si précieux ». Il n’y a pas chez Maurras de haine raciale. Ni de haine religieuse : il ne juge pas de l’Islam en soi.

Mais le maître sait l’antagonisme des religions et des civilisations. Et sa culture historique autant que son jugement et son intuition politique l’amènent à pressentir et signaler un danger pour la France presque nul, alors, mais présent et menaçant aujourd’hui sur notre sol. Avec mesure il écrit : « Nous venons de commettre le crime d’excès ». Son texte explicite en quoi consiste cet excès. Suit le pressentiment d’une menace : la crainte que nous ayons à payer un jour l’imprudence criminelle de la république.

« Quelques rues du centre de Paris sont égayées par de très belles robes de nos visiteurs marocains. Il y en a de vertes, il y en a de roses, il y en a de toutes les nuances. Certains de ces majestueux enfants du désert apparaîtraient « vêtus de probité candide et de lin blanc » si leur visage basané et presque noir ne faisait songer au barbouillage infernal. Que leurs consciences soient couleurs de robe ou couleur de peau, leurs costumes restent enviables : notre ami Eugène Marsan m’est témoin que le plus négligent des hommes serait capable des frais de toilette qui aboutiraient à ces magnifiques cappa magna, à ces manteaux brodés de lune et de soleil. Notre garde républicaine elle-même, si bien casquée, guêtrée et culottée soit-elle, cède, il me semble, à la splendeur diaprée de nos hôtes orientaux. Toute cette couleur dûment reconnue, il n’est pas moins vrai que nous sommes probablement en train de faire une grosse sottise. Cette mosquée en plein Paris ne me dit rien de bon. Il n’y a peut-être pas de réveil de l’Islam, auquel cas tout ce que je dis ne tient pas et tout ce que l’on fait se trouve aussi être la plus vaine des choses. Mais, s’il y a un réveil de l’Islam, et je ne crois pas que l’on en puisse douter, un trophée de cette foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où enseignèrent tous les plus grands docteurs de la chrétienté anti-islamique représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir. On pouvait accorder à l’Islam, chez lui, toutes les garanties et tous les respects. Bonaparte pouvait se déchausser dans la mosquée, et le maréchal Lyautey user des plus éloquentes figures pour affirmer la fraternité de tous les croyants : c’étaient choses lointaines, affaires d’Afrique ou d’Asie. Mais en France, chez les Protecteurs et chez les Vainqueurs, du simple point de vue politique, la construction officielle de la mosquée et surtout son inauguration en grande pompe républicaine, exprime quelque chose qui ressemble à une pénétration de notre pays et à sa prise de possession par nos sujets ou nos protégés. Ceux-ci la tiendront immanquablement pour un obscur aveu de faiblesse.

Quelqu’un me disait hier :

— Qui colonise désormais ? Qui est colonisé ? Eux ou nous ?

J’aperçois, de-ci de-là, tel sourire supérieur. J’entends, je lis telles déclarations sur l’égalité des cultes et des races. On sera sage de ne pas les laisser propager trop loin d’ici par des haut-parleurs trop puissants. Le conquérant trop attentif à la foi du conquis est un conquérant qui ne dure guère. Nous venons de transgresser les justes bornes de la tolérance, du respect et de l’amitié. Nous venons de commettre le crime d’excès. Fasse le ciel que nous n’ayons pas à le payer avant peu et que les nobles races auxquelles nous avons dû un concours si précieux ne soient jamais grisées par leur sentiment de notre faiblesse ».

Charles Maurras

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