Notes de lectures sur le Tome I de l’Examen de la philosophie de Bacon
Rien de plus instructif, au sujet de ce qu’on appelle la philosophie moderne, que l’Examen de la philosophie de Bacon.
Cet ouvrage posthume de Joseph de Maistre est un commentaire du fameux Novum Organum ainsi que de plusieurs autres œuvres anglaises et latines de Francis Bacon. Maistre y discute également la traduction française et ses notes, de sorte que le traducteur français est aussi l’un des personnages du livre.
Ce qui rend cette lecture intéressante, c’est qu’à mesure qu’on découvre la philosophie de Bacon, on y reconnaît une certaine philosophie qui a encore cours de nos jours. La philosophie de Bacon, dit Maistre, est « l’énumération des erreurs humaines ».
Maistre examine, d’une part, la méthode proposée par Bacon pour chercher la vérité dans les sciences ; et d’autre part, ce que Bacon a écrit sur des questions particulières touchant au système du monde, à l’histoire naturelle, à l’optique ou encore à la météorologie.
Il apparaît que ni cette méthode ni ces écrits n’ont de valeur. Le traducteur français en est impatienté et ne peut s’empêcher d’insérer dans ses notes des remarques mordantes contre l’auteur.
À quoi Bacon doit sa réputation.
La contribution réelle de Bacon aux sciences physiques est inexistante et sa méthode tant et si ridiculement exaltée n’a jamais été suivie par aucun physicien. En réalité, le fameux Novum Organum « n’est dans son objet et dans sa totalité qu’un long accès de délire ».
Si le XVIIIe siècle a tant fait (et si on continue de tant faire) l’éloge de Bacon, c’est pour son athéisme déguisé. « La gloire factice accordée à Bacon n’est que le loyer de sa métaphysique pestilentielle ».
La science réduite à la physique.
Car il y a bien une métaphysique de Bacon. Étrange métaphysique en vérité, qui affirme qu’il n’y a de science que dans la physique. En effet : « pour Bacon, il n’y a qu’une science, la physique expérimentale ; les autres ne sont pas proprement des sciences, vu qu’elles ne résident que dans l’opinion ». Autrement dit, « la certitude n’appartient qu’aux sciences physiques ». On reconnaît là l’idée principale d’un autre livre célèbre (d’ailleurs dédié à Bacon), à savoir la Critique de la raison pure. Ce qui fait dire à Maistre que « tout le venin de Kant appartient à Bacon ».
Pourquoi parler de venin ? Parce que cette réduction de la science à la physique conduit nécessairement au matérialisme. Si « la certitude n’appartient qu’aux sciences physiques », il n’y a de vérité certaine ni dans la métaphysique, ni dans la morale, ni dans la théologie naturelle…
Quoi qu’il en soit, cette affirmation est absurde, car la question de savoir ce qui est science et ce qui ne l’est pas, n’est pas une question à laquelle on puisse répondre par les moyens de la physique expérimentale. C’est, qu’on le veuille ou non, une question métaphysique. A travers cette affirmation, Bacon se condamne donc lui-même ; il tombe dans la même contradiction que ceux qui disent que la vérité n’existe pas tout en prétendant dire quelque chose de vrai.
De plus, nous fait savoir de Maistre, cette affirmation est dangereuse. « Il faut bien se garder de croire que ce système ne soit que ridicule ; il est éminemment dangereux et tend directement à l’avilissement de l’homme. Les sciences naturelles ont leur prix sans doute ; mais elles ne doivent point être exclusivement cultivées, ni jamais mises à la première place. Toute nation qui commettra cette faute tombera bientôt au-dessous d’elle-même. »
Le but de la physique.
Autre point remarquable de la métaphysique de Bacon, le but que ce dernier assigne aux sciences naturelles, à ces sciences en dehors desquelles il n’y aurait pas, selon lui, de certitude.
C’est l’objet d’un chapitre dont nous reproduisons, ci-dessous, un passage intéressant et représentatif du style enjoué de Joseph de Maistre. On découvre dans cet extrait que la philosophie de Bacon a pour but de conférer à l’homme des pouvoirs surnaturels et chimériques. Cette physique expérimentale qui, si l’on en croit Bacon, mérite exclusivement le nom de science, a pour but, comme l’alchimie, de conférer à une puissance infinie sur les choses matérielles. Voici :
Bacon « a pris la peine lui-même de nous dire ce qu’il attendait des sciences naturelles. Sous le titre burlesque de magnificence de la nature pour l’usage de l’homme il a réuni les différents objets de recherche que devait se proposer tout sage physicien et ce qu’il devait tenter « pour l’usage de l’homme ». Voici quelques échantillons de ces petits essais.
Faire vivre un homme trois ou quatre siècles ; ramener un octogénaire à l’âge de quarante ou cinquante ans ; faire qu’un homme n’ait que vingt ans pendant soixante ans ; guérir l’apoplexie, la goutte, la paralysie, en un mot, toutes les maladies réputées incurables ; inventer des purgations qui aient le goût de la pêche et de l’ananas ; rendre un homme capable de porter une pièce de trente-six ; faire qu’on puisse le tenailler ou lui briser les os sans qu’il en perde contenance ; engraisser un homme maigre ; amaigrir un homme gras, ou changer ses traits ; changer un géant en nain, un nain en géant ; ou, ce qui revient au même, un sot en un homme d’esprit ; changer de la boue en coulis de gélinottes, et un crapaud en rossignol ; créer de nouvelles espèces d’animaux ; transplanter celle des loups dans celle des moutons, inventer de nouveaux instruments de mort et de nouveaux poisons (toujours QUOAD usus humanos) ; transporter son corps ou celui d’un autre par la seule force de l’imagination ; mûrir des nèfles en vingt-quatre heures ; tirer d’une cuve en fermentation du vin parfaitement clair ; putréfier un éléphant en dix minutes ; produire une belle moisson de froment au mois de mars ; changer l’eau des fontaines ou le jus des fruits en huile et en saindoux ; faire avec des feuilles d’arbre une salade qui le dispute à la laitue romaine, et d’une racine d’arbre un rôti succulent , inventer de nouveaux fils pour les tailleurs et les couturières, et des moyens physiques de lire dans l’avenir ; inventer enfin de plus grands plaisirs des sens, des minéraux artificiels et des ciments.
En traduisant très fidèlement ces extravagances, je ne fais pas d’autre malice à Bacon que celle de développer ses idées, de réduire ses généralités à la pratique et à l’individualité, de changer pour ainsi dire son algèbre en arithmétique ; ce qui est de toute justice, puisque toute algèbre doit être traduite sous peine d’être inutile.
Tel est cependant le but général de cette fameuse philosophie de Bacon et tel est nommément le but particulier du Novum Organum tant et si ridiculement exalté. « Le but du chancelier Bacon dans cet ouvrage, nous dit son traducteur lui-même, est extrêmement élevé ; car il n’aspire à rien moins qu’à produire nouvelles espèces de corps et à transformer les espèces déjà existantes. »
En effet, l’entreprise est fort belle, et je ne crois pas qu’il soit possible de lui comparer rien dans l’histoire de l’esprit humain.
Pour sentir le caractère enjoué de cette page et la malice de l’auteur, il faut la comparer la version française aux expressions anglaises originales, que Maistre a reproduites dans la note suivante :
« Magnalia naturæ QUOAD USUS HUMANOS. Quand je n’aurais appris le latin que pour sentir la force et la sagesse de ce QUOAD, je ne pourrais regretter ma peine. — Je cite l’original de ces magnificences.
The prolongation of life : the restitution of youth is some degreee : the retardation of age : the curing of diseases counted incurable : the mitigation of pain : more easy and less loathsome purging : the increasing of abiity for suffer torture or pain : the alterings of complexions and fatness and leanness : the alterings of statures : the altering of features : the increasing and exalting of intellectual parts : versions of bodies into other bodies : making new species : transplanting of one species into another : instruments of destruction, of war and poison :… force of the imagination, either upon another body, or upon the body itself : acceleration of time in maturation : acceleration of time in clarifications : acceleration of putrefaction :… acceleration of germination :… turning crude and watry substances into oily and unctuous substances : drawing of new foods out of substances not now in use :… greater pleasures of the senses (Ah ! monsieur le chancelier, à quoi pensez-vous ?) : artificial minerals and cements.
(Magnalia naturæ à la tête de l’ouvrage intitulé : Sylva sylvarum, ou Histoire naturelle. Op. tom. I, p. 237, partie anglaise.) Je ne trouve point ce morceau dans la traduction de M. Lasalle. Il lui a paru sans doute passer toutes les bornes du ridicule. Ces sortes de suppressions sont un service qu’il rend de temps en temps à son auteur, et lui-même nous en avertit franchement.
Ce qu’il faut attendre de la science — réduite à la physique expérimentale —, ce n’est donc pas seulement qu’elle nous rende comme maîtres et possesseurs de la nature, selon la formule célèbre de Descartes. Cette science vise, comme l’alchimie, à nous conférer une toute-puissance chimérique sur la matière et sur les êtres vivants.
C’est l’hérédité collective d’une aristocratie recueillant la succession du Sénat de Rome qui donna la durée et la force à l’Empire romain. Des trois races de nos Rois, celle qui fit la France fut précisément celle qui évolua dans les meilleures conditions d’hérédité monarchique, lesquelles ont permis la régulière transmission, la continuité rigoureuse de leurs desseins.
La valeur de tout effort personnel est dominée par l’immense principe historique en vertu duquel les vivants sont « de plus en plus, et nécessairement, gouvernés par les morts », et chaque vivant par ses morts particuliers. Cette nécessité bienfaisante est la source de la civilisation. Mais il y a longtemps que la démocratie s’est insurgée contre cette condition d’un ordre civilisé ; elle a choisi la barbarie, elle veut se recommencer tout entière à chaque individu qui vient au monde, sauvage et nu. C’est à l’humanité des cavernes que la démocratie veut nous ramener.
Charles Maurras, Sans la muraille des cyprès (J. Gibert, 1941)
Le Sénat romain n’était pas élu, ses membres étaient, en quelque sorte, cooptés parmi les magistrats issus des grandes familles aristocratiques, et du sang neuf, les « hommes nouveaux », s’y introduisait au compte-goutte. Un ambassadeur reçu par le Sénat dit qu’il avait cru être introduit devant une assemblée de rois !
L’Empire romain semble, à première vue, ne pas avoir connu l’hérédité. Il l’a connue, en réalité, mais de manière cachée : la plupart des empereurs n’ont pu avoir de successeurs directs parce qu’ils n’eurent pas de fils ou que ces derniers moururent en bas âge ; mais une étude généalogique prouve que, dans l’ensemble, l’empire fut transmis par les femmes. Si les féministes apprenaient cela, le latin reviendrait à la mode !
Carolingiens, Mérovingiens, Capétiens, des trois races de nos Rois la dernière connut une hérédité heureuse qui fit la France. Après cette constatation, Maurras cite Auguste Comte qui n’a cessé de répéter : « les morts gouvernent les vivants ». Culte des ancêtres, coutumes des ancêtres, mos majorum, tous les peuples civilisés, et même la plupart des autres, ont vécu sur ces principes, et plus l’aventure humaine avance, plus, « nécessairement » l’expérience du passé a enrichi la civilisation.
Mais Rousseau vint. Alors que toutes les sociétés, des primitives aux plus élaborées, avaient postulé que la civilisation était un capital transmis et augmenté, le citoyen de Genève piétina la plus belle réalisation du génie humain, la France d’Ancien Régime, et les privilégiés s’enthousiasmèrent pour ce faune, comme les bourgeois d’aujourd’hui, gavés et repus, accompagnent leur digestion d’un militantisme en faveur de la faim dans le monde. Rousseau chantait déjà la chanson impie : « du passé faisons table rase. »
La démocratie a choisi la barbarie. Rousseau ne disait-il-pas dans son Discours sur l’inégalité que l’homme qui médite est un animal dépravé ? Oui, la démocratie est une barbarie : le citoyen électeur ne cesse de dire, ouvertement ou in petto « moi, je pense que… », sans expérience ni compétence. Dès la prime jeunesse, le malheureux enfant de démocrate, futur électeur et futur fossoyeur de la civilisation, apprend à l’école rousseauiste à étaler, à exhiber, son petit moi barbare et inorganique : son barbouillage de gouache ou d’aquarellepassera pour une œuvre digne de Michel-Ange, et les premiers mots qu’il jettera sur un papier relègueront Homère au musée des vieilleries. Ne connaissons-nous pas, quand nous visitons certains musées subventionnés, « l’humanité des cavernes » ?
Né de parents inconnus et mort célibataire, l’homme dénoncé par Renan restait encore un malheureux instruit. L’école moderne a fait de son successeur un sauvage. Saluons une fois de plus la qualité d’analyse d’un Maurras. Il est tellement intelligent, son esprit de déduction est tellement puissant qu’il nous semble un prophète.
Rangés derrière son autorité, formons-nous à sa méthode.
Certains catholiques ont reproché à Maurras de substituer aux lois de la morale les lois purement physiques de la politique.
Le grief ne résiste pas à une étude impartiale de la philosophie de Maurras qui, loin de supprimer les valeurs orales, les remet à leur juste place.« L’infaillible moyen d’égarer quiconque s’aventure dans l’activité politique, c’est d’évoquer inopinément le concept de la pure morale, au moment où il doit étudier les rapports des faits et leurs combinaisons. Telle est, du reste, la raison pour laquelle l’insidieux esprit révolutionnaire ne manque jamais d’introduire le concept moral à ce point précis où l’on a que faire de la morale. Il a toujours vécu de ce mélange et de cette confusion qui nuisent à la vraie morale autant qu’à la vraie politique. La morale se superpose aux volontés ; or, la société ne sort pas d’un contrat de volontés, mais d’un fait de nature ». (Démocratie religieuse, p. 246)
Maurras précise encore cette idée dans un texte moins connu : « Pour savoir ce que le sujet doit faire, il faut savoir ce que sa nature le rend capable de faire, comment il est constitué. Avant d’aborder le devoir social, discipline des volontés sociales, il fait connaître la structure de la société… L’étude de la structure politique des États ou des Sociétés ne peut se confondre avec celle de l’action politique, l’action est un fait volontaire, donc sujet à la morale, la structure sociale participe de la nature des choses. Ceci subit des lois, objet de pure connaissance, cela reconnaît des règles qui, une fois définies, sont objet de confiance et d’obéissance ». (Préface du livre de J.L. Lagor, La Philosophie politique de saint Thomas d’Aquin, Paris, 1948)
Politique et Morale sont donc choses distinctes. La confusion est cependant régulièrement faite par les démocrates-chrétiens et les progressistes, qui en profitent pour recouvrir du manteau d’une morale abstraite leurs partis pris idéologiques. Un des plus grandes thomistes de notre temps, le R.P. de Tonquédec S.J. a rétabli les distinctions nécessaires :
Toute sociologie correctement bâtie et complète enferme plusieurs parties bien distinctes, irréductibles les unes aux autres. D’abord une partie purement spéculative, toute d’observation et d’expérience, où la morale n’a encore rien à voir, qui fournit au sociologue les matériaux, l’objet même de son étude ; les phénomènes sociaux, tels qu’ils se déroulent en faits ; « c’est ainsi que les choses se passent ». Puis, une seconde partie, où le sociologue, s’il est chrétien, ou simplementhonnête homme, appréciera et jugera lesdites phénomènes selon le bien et le mal qu’ils comportent ; et alors il dira le droit, formulera les principes qui doivent régler la conduite humaine dans le domaine social comme dans tous les autres : « il faut faire le bien éviter le mal ». Cette intuition, est d’un tout autre ordre que ce qui la précède. Ce n’est pas la perception sensible, la collection des renseignementsextérieurs qui la fournit, mais une lumière intérieure ; celle qui luit dans une conscience droite. Avec elle se dessine une frontière qu’on ne peut absolument pas effacer. Prenons un exemple vulgaire. Un homme en frappe un autre. C’est là un fait patent qui s’impose à tous les spectateurs et sur lequel aucun dissentiment n’est possible. Mais celui qui frappe a-t-il raison ? a-t-il tort ? Est-il dans son droit ? Cela ne se voit pas avec les yeux, ne se décide point par la description de l’incident. Et là-dessus es avis pourront se partager (bien qu’un seul d’entre eux soit juste). En tout cas, il s’agit maintenant d’un jugement de valeur, d’une qualification morale du fait qui n’a rien de commun avec sa simple constatation.
Quant à la cause d’où proviennent en suprême ressortla bonté, la justice des actions humaines, quant à la Fin vers laquelle toute vie morale se trouve, de ce chef, orientée, ce n’est plus l’observation pure ni même cette intuition du bien et du mal, commune à toutes les consciences droites, qui peuvent la découvrir, mais le raisonnement métaphysique ou la foi religieuse. Si, dans sa partie préceptive, une sociologie complète doit tenir compte de ces vérités transcendantes, cela ne suffit pas à les assimiler à son objet propre. Elles lui sontextérieures et supérieures. Subordination n’est pas identité. À partir de l’idée du bien et du mal humains, on peut s’élever jusqu’à l’idée d’un Bien absolu, et d’un Législateur suprême, déduire l’une de l’autre, mais toute déduction suppose des termes divers et le passage de l’un à l’autre.
De ces trois parties, la second e seule appartient à la morale. C’est là son domaine propre, située entre les deux autres. Elle reçoit de plus bas qu’elle, de l’observation des faits sociaux, la matière à quoi elle devra s’appliquer. Elle ne la crée pas : une autre l’a préparée pour elle et la lui offre. A l’inverse, c’est au-dessus d’elle qu’elle trouverasa source, son fondement et les titres de sa légitimité.
La morale ne recouvre donc pas le champ entier des sciences sociales. Affirmer une identité absolue, une coïncidence rigoureuse entre elles, c’est brouiller les espèces.
Aux dernières nouvelles, les institutions culturelles de la république française ont décidé de bannir l’usage des chiffres romains. Ils ne sont plus compris, nous dit-on. Simple épiphénomène d’une culture à la dérive ? C’est certain, mais surtout signe d’une destruction politique organisée !
En substituant l’« Education nationale » à l’« Instruction publique » de Jules Ferry, le ministre Anatole de Monzie avait fait effectuer en 1932 un glissement radical en faveur de la main-mise du pouvoir républicain sur la société française. « Instruire », c’est simplement donner des connaissances ; « éduquer » (é-duquer) c’est conduire, conduire au-delà, mener au développement maximum, physique, moral, intellectuel ; la même intention donc qu’« élever », (é-lever), mener plus haut, mettre à un niveau supérieur.
Evidemment, pas plus l’un que l’autre n’incombe en quoi que ce soit au pouvoir politique. Mais si, au terme d’à peine un siècle d’« éducation nationale » républicaine, l’un de ses agents les plus vertueux, J.P. Brighelli, a pu, dès 2005, la dénoncer comme la « fabrique du crétin », ce qui est ainsi posé, c’est d’abord un problème fondamentalement politique. Il relève de la simple constatation que partout, au lieu d’é-duquer, au lieu d’é-lever, l’appareil républicain s’est constamment voué au nivellement par le bas, à l’infantilisation, au déracinement, à la promotion d’une société d’inculture massive, et finalement, au crétinisme généralisé qui fait les dévots électeurs-contribuables. Interdits les échappatoires du passé ! Seule la fange de l’instant convient à leurs soumission.
On a épuré Hugo (raciste) comme en d’autres temps on avait épuré La Fontaine (croyant) ; il est question de réécrire Molière (pensez donc : il n’est plus compris!). Mais, pour les enfants, n’a-t-on pas déjà réécrit Les Six compagnons, ramenés au présent de l’indicatif et qui, le dimanche, ne vont plus à la messe, mais au marché. Au fond, les ennemis de la France connaissent aussi bien que nous la phrase du cardinal Mercier : « La France est une grande nation, mais, pour le demeurer, il faut qu’elle s’en souvienne. »
Les éditions DMM viennent d’éditer un livre qui fera certainement date – il ne peut en être autrement ! -, Le dogme de l’antiracisme. Origine, développement et conséquences écrit par Pierre de Meuse, lequel s’est déjà remarquablement illustré lors de précédents ouvrages à l’instar de son Idées et doctrines de la Contre-Révolution (DMM) ou encore de son petit opuscule consacré à la famille, La famille en question. Ancrage personnel et résistance communautaire (Editions de La Nouvelle librairie). Pierre de Meuse a cette formidable capacité de s’attaquer frontalement à tous les sujets importants qui agitent notre société en y apportant des réponses, certes, inattendues, mais salutaires. La pensée contre-révolutionnaire revenant sur le devant de la scène, il nous permettra aussitôt d’avancer la question centrale : celle de l’holisme et du personnalisme, celle de la place de la doctrine chrétienne. La famille est attaquée et les conservateurs la défendent, certes, mais est-ce que le christianisme ne porta pas le premier coup à cette institution ? A l’heure où le racialisme revient dans les discours des indigénistes en même temps que l’antiracisme est érigé en dogme inattaquable – à la fois par la gauche et par la droite qui hurle au racisme anti-blanc -, il saisit le sujet à bras-le-corps et ne cède rien au politiquement correct. Pierre de Meuse a cette vertu rare de traiter des sujets les plus brûlants en ne cédant rien, ni à la pensée dominante, ni aux dogmatismes de nos écoles de pensée. Un livre à mettre entre toutes les mains.
L’Action Française : Cher monsieur, merci infiniment de nous accorder cet entretien. La première partie de votre ouvrage traite du chemin parcouru. J’aimerais que nous commencions par une question simple : peut-on tracer en quelques lignes une histoire de l’antiracisme et du racisme ? Il semble aujourd’hui extrêmement difficile de définir ce qu’est réellement la race, le racisme et l’antiracisme. Est-ce que cette histoire permettrait de mieux définir ces termes ?
Pierre de Meuse : Il y a deux interrogations dans votre question. J’y réponds donc successivement.
Sur l’histoire du racisme. Si la discrimination est aussi vieille que l’être humain, parce qu’elle est une attitude propre à tous les groupes naturels et leur permettant de survivre, le racisme posé comme une science est un pur produit de la modernité. Il est en effet la conséquence directe de la propension de l’esprit postcartésien à vouloir fonder le monde en raison. Les anciennes sociétés étaient hiérarchiques et connaissaient une multitude de déterminations et de barrières acceptées sans que quiconque les discutât, prenant en compte la puissance, la place dans le système des rangs, la richesse, la confiance en soi (la grande mine), l’ancienneté, l’éthique, le degré de dépendance aux autres. Et, bien entendu, le phénotype, mais la race biologique n’était qu’un marqueur parmi bien d’autres. Cependant lorsque l’économie de traite se met en place et que les cultures coloniales emploient des milliers d’esclaves désocialisés, les philosophes des Lumières comme Kant, Locke ou Voltaire considèrent leur infériorité comme une évidence et leur servitude comme la suite inévitable de cette place au bas de l’« échelle humaine ». C’est de là que procède l’anthropologie raciale qui, dans sa forme la plus affirmée, aboutit à faire de la race biologique le moteur de l’histoire. Pourtant, l’esclavage n’est pas l’application de ces théories : les traitants qui achètent les esclaves aux roitelets islamisés d’Afrique ne voient que la disponibilité de cette main-d’œuvre et les revenus que leur apporte le trafic du « bois d’ébène » et ne cherchent pas à justifier leur commerce. La traite négrière va être interdite dès le début du XIX° siècle, puis progressivement l’esclavage lui-même. C’est alors que vont prendre naissance les attitudes racistes, qui sont, selon l’expression du Pr Dupuy, un réflexe émanant des classes de Blancs pauvres face à l’égalité imposée ressentie comme une agression. Surtout que ces populations ne voyaient dans les masses négro-africaines que des concurrents, car elles n’avaient jamais possédé d’esclaves. Ces attitudes sont donc une réaction de défense des « petits Blancs », dans une société où l’argent devient la seule source de discrimination sociale. Ici, je voudrais signaler que, dès le XVIII° siècle, on constate la présence dans l’administration coloniale française, aux Antilles et aux Mascareignes d’une méfiance pour l’extension de l’esclavage, avec la présence d’une population servile devenue largement majoritaire ; une situation propice aux insurrections sanglantes qui ne manqueront pas d’arriver à Saint-Domingue et à la Guadeloupe, à partir de 1791.
J’en viens maintenant à la définition de la race, du racisme et de l’antiracisme, qui est l’essentiel de la question. Car il n’y en a pas ou plutôt il y en a beaucoup, qui sont toutes incompatibles les unes avec les autres. Race dérive de ratio, qui signifie catégorie, c’est pourquoi elle peut désigner les subdivisions animales au sein de la même espèce, un certain type d’homme (la race des entrepreneurs), ou une famille identifiable, par exemple une dynastie, une caractéristique culturelle (la race latine). Et bien entendu, la même variabilité se retrouve dans le « racisme », compliquée en plus par le degré et la nature de l’affect qu’on y imprime. Ainsi se trouvent taxées de racisme aussi bien l’hostilité que la simple reconnaissance d’une altérité ou même l’affirmation d’une simple identité collective dont on se sent dépositaire. Cette imprécision est extrêmement grave, et elle est à l’origine, nous le verrons, du caractère mortel du piège qui nous est tendu.
L’Action Française : Permettez une petite digression, quelle fut dans cette histoire la position de l’Action Française ? Comment assuma-t-elle la notion de race ?
Pierre de Meuse : Je crois que là, il faut formuler la chose de façon plus directe, car la réflexion personnelle de Maurras est essentielle et directive pour le mouvement. Maurras emploie sans cesse dans ses écrits le mot « race », ainsi que le mot « sang », et toujours de façon laudative ; mais il exprime aussi sa méfiance pour les théories sur les races humaines lorsqu’elles se présentent comme des sciences et qu’elles prétendent avoir inventé la pierre philosophale : le moteur de l’histoire. Toute sa vie, il suivra cette ligne de crête en justifiant sa position par deux arguments : celui de l’incertitude (les savants ne donnent pas d’éléments probants pour étayer leur hiérarchie des races) ; et aussi celui de la piété filiale : on ne peut pas suivre des gens qui mettent les Français à un niveau inférieur aux Scandinaves, aux Anglais, aux Allemands. Le premier argument est de l’ordre de la connaissance, le second de la volonté. La pensée de Maurras est toujours très structurée.
L’Action française : Selon vous, quel élément déterminant instaura l’antiracisme comme un dogme inattaquable dans nos sociétés ? Il semble bien, en effet, que si une seule chose paraît inconcevable dans l’esprit des peuples, c’est de toucher à cette vérité première : « je ne suis pas raciste, je ne reconnais pas l’existence des races ». Et, de fait, si l’extension des lois antiracistes peut gêner ou agacer nos concitoyens, ils ne remettent jamais en question le fondement de ces lois. Qu’est-ce qui fonde si solidement cette doctrine ? Allons plus loin : il semble que ce soit même l’antiracisme qui fonde le principe plus général de l’anti-discrimination et non l’inverse. En effet, la plupart de nos concitoyens, s’ils ne sont guère à l’aise avec le principe de non-discrimination, ne s’élèvent pas contre certaines de ses applications mais ce, tant qu’il ne s’agit pas de discriminations racistes !
Pierre de Meuse : Je réponds à vos deux questions successivement. L’antiracisme existe depuis fort longtemps, mais il a pris sa forme inquisitrice et dogmatique avec l’effondrement du III° Reich. Ce que je dis est un peu enfoncer une porte ouverte, car François Furet a développé ce thème avec plus de talent que moi. Sur le plan de la pensée normative on assiste alors à la polarisation quasi-religieuse entre les idées du Bien (celles des vainqueurs) et les idées du Mal (celles des vaincus). Or la doctrine hitlérienne est fondée sur un bricolage racialiste issu d’un digest des anthropologues anglais et allemands. Donc plus on s’éloigne du pôle du Mal, plus on va vers le Bien. Tel est le réflexe conditionné que la pensée de Gauche a favorisé, puis exploité. C’est absurde, mais cela fonctionne. Et l’antiracisme fut alors inventé comme une machine rhétorique au service des idées de la révolution. En s’appuyant sur le fait qu’aucune définition rigoureuse n’était donnée (et ne devait l’être) du racisme, les ennemis de la France et de l’héritage européen reprirent le schéma de l’antifascisme, qui avait fait ses preuves, lorsque la loi Pleven fut adoptée, en 1972.
Il avait pour but de mobiliser le Droit pénal au service d’une ingénierie sociale qui permettait de déclencher une accusation redoutable à laquelle aucune réponse ne pouvait être faite, parce que cette accusation ne connaissait aucune limite. C’est pourquoi ceux qui croient qu’il est possible de se disculper en prouvant que, non, croyez-nous, nous ne sommes pas racistes, sont conduits à des reniements sans fin.
Je rappellerai un souvenir déjà ancien. Après la publication d’une petite Lettre ouverte que j’avais commise il y a vingt ans, Pierre Pujo m’avait admonesté en me faisant remarquer que Maurras et Mistral, lorsqu’ils employaient le mot race, ne lui donnaient pas le même sens que celui que nous entendons aujourd’hui. Ce à quoi je lui avais répondu : « Tu as parfaitement raison, sauf que l’antiracisme criminalise tous les sens du mot, sans exception. »
Alors vous me demandez ce qui fonde cette « doctrine ». Eh bien c’est la terreur, tout simplement, et tout l’enchaînement de concessions qu’elle nous conduit à faire, sans aucun espoir de nous glisser hors de la troupe des vaincus. Tout soupçon d’hérésie sera férocement sanctionné, et à ce titre, l’antiracisme s’est approprié le dogmatisme et l’universalisme des grandes religions messianiques.
Vous constatez que le principe de non-discrimination est moins efficace que l’antiracisme et vous avez raison, mais c’est parce qu’ils n’ont pas la même origine : celui-là est issu du libéralisme anglo-saxon alors que la matrice de l’antiracisme, c’est tout simplement le terrorisme humaniste révolutionnaire et sa machine à écraser toute résistance.
L’Action Française : In fine, quel est le projet antiraciste ? Pourquoi s’impose-t-il et quelles sont les volontés de ceux qui le portent ?
Pierre de Meuse :
Le projet antiraciste, c’est l’indifférenciation. C’est-à-dire une société où toutes les différences humaines auront disparu, et où il sera même interdit de les voir. Personne n’aura plus le droit de nous demander de qui nous sommes les fils.
Les sociétés n’auront plus de mémoire spontanée et on ne pourra recourir à l’héritage culturel reçu des ancêtres parce que nous n’aurons plus d’ancêtres et que la filiation sera devenue une obscénité ; d’ailleurs une série de lois est venue depuis 1972 réduire le sens et la portée des patronymes. Toute diversité culturelle aura disparu. S’y rejoindront le rêve libéral d’humains mus par leur seul intérêt totalement standardisé et le rêve babouviste de l’égalité absolue des hommes. Ce projet est bien entendu une utopie, et il est irréalisable, ne fût-ce que par le fait que les Européens – et les Américains du nord – sont les seuls à l’appliquer, mais il a déjà réussi à accomplir de nombreuses destructions. L’antiracisme a bénéficié aussi de la culpabilisation sans limite de nos nations. De surcroît, ce projet, comme toute idéologie déductive, est imperméable à toute perception de la réalité : ses échecs ne sont jamais attribués à l’inexactitude de ses postulats, mais à la duplicité des méchants qui lui sont insuffisamment soumis. Ainsi, alors que les lois antiracistes existent depuis cinquante-trois ans et n’ont pas cessé d’aggraver leurs peines, les partisans du woke affirment que leur échec est la conséquence d’une culture sous-jacente conduisant les Blancs à discriminer les racisés de manière semi-consciente. Autrement dit, on n’a pas assez sanctionné !
L’Action Française : Votre deuxième partie traite de la réaction que nous pouvons avoir face à l’antiracisme. Ma première question est toute simple, les races existent elles et ont-elles un lien avec la culture d’un peuple ? Autrement dit, existe-t-il un lien entre nature et culture ?
Pierre de Meuse : Oui, les races existent, mais la perception en est culturelle. Les anthropologues et les biologistes au service de l’antiracisme passent leur temps à répéter que la notion de race humaine est fausse et discréditée. Ils énumèrent des marqueurs génétiques qui, disent-ils, sont communs à toute l’humanité comme le groupe sanguin, le trou occipital, la forme du crâne etc… Et constatent que ces marqueurs sont présents dans toutes les races. Par conséquent, assènent-ils, « les races n’existent pas. » Mais c’est une acception arbitraire de la race, qui cache en réalité une autre maxime : « les races ne doivent pas exister ». Car s’il existe des humains de race africaine ou asiatique qui ont les yeux clairs, par exemple, ils n’en sont pas moins extrêmement rares. Le résultat est que la race est perçue par celui qui en fait partie comme par celui qui appartient à une autre race et qui va lui attribuer un nom collectif. Ayant vécu douze années en Afrique, travaillant dans une entreprise en bonne entente avec les Noirs, je peux dire que j’étais identifié comme un toubab et qu’à aucun moment cette conscience ne nous a quittés, eux et moi.
D’autre part, vous me posez la question de savoir si l’héritage racial détermine la culture des hommes. Eh bien je vous répondrai que je n’en sais rien et que les sciences n’ont pas apporté de preuve acceptable sur ce point, ni d’ailleurs sur le contraire. Ce qui est sûr, c’est que, contrairement à ce que pensaient les biologistes d’il y a cinquante ans, les prédispositions des hommes à l’égard des maladies, la durée de la grossesse, la résistance aux températures extrêmes et bien d’autres choses sont différentes selon les races considérées. Il n’est donc pas déraisonnable de penser que le postulat béhavioriste selon lequel l’esprit humain n’est qu’une table rase ne soit pas exact. En tout état de cause, la prudence devrait être la règle. Et, justement, puisque vous me parlez de nature et culture,
ne serait-il pas temps de relativiser cette frontière entre nature et culture. Car enfin la culture étant une production de la société reste un prolongement de l’instinct et ne peut se fixer pour but d’éradiquer cette même société. C’est un peu le problème devant lequel nous sommes placés. Revenons à Aristote qui disait que la société est un fait de nature et nous y verrons plus clair.
L’Action Française : Ceci étant dit, pourquoi est-il nécessaire que cette question revienne avec toute sa force dans notre débat politique et que les hommes politiques osent s’y attaquer avec courage ? Est-ce une question vitale pour la France ? Est-ce par essence, la seule question irréversible qui nous menace ?
Pierre de Meuse : Ne nous le cachons pas, l’antiracisme est une maladie mortelle de nos sociétés, car elle s’attaque à l’existence même des groupes humains. Elle est d’ailleurs une variante des idées fausses qui nous contaminent depuis le XVI° siècle. En combattant l’antiracisme, nous ne faisons que continuer la même guerre que nous menons depuis cinq cents ans, contre le même ennemi qui se cache derrière des masques différents. Et aujourd’hui, c’est la réalité de la France qui est menacée de dissolution imminente. Dans vingt ans, dix peut-être, les français de souche seront minoritaires dans leur propre pays. Et alors l’héritage capétien sera évaporé car nous ne serons plus un peuple. Nous aurons subi le sort de centaines de nations défuntes : Sybaris, la Phrygie, la Lydie, l’empire Inca, et tant d’autres ; et il adviendra des Français ce qui advint aux Caraïbes et aux Arawaks, c’est-à-dire la submersion et l’oubli de soi. Il nous manque deux choses pour nous y opposer efficacement : la mobilisation de notre volonté, qui est une vertu, et la chance. Celle-ci finira bien par tourner en notre faveur. Encore faut-il la saisir !
L’Action Française : Selon vous, dans ce combat, quelle doit être la place d’un mouvement comme celui de l’Action française ? De quelles armes disposons-nous ?
Pierre de Meuse : Nous disposons de notre esprit critique et c’est par là qu’il faut commencer. Car le système actuel repose sur le mensonge. Depuis vingt ans, le mensonge a pris des proportions inouïes dans nos sociétés, et c’est logique, parce que la philosophie qui les sous-tend postule qu’il n’y a pas de vérité, dans les grandes questions comme dans les petites : il n’y a que des « narratifs ». Notre rôle est d’ameuter le peuple contre les menteurs. Et le jour où les explications fournies par les « narrateurs » patentés deviendront invraisemblables aux peuples, nous aurons gagné.
L’Action française : Merci infiniment pour vos réponses !
Pierre de Meuse, Le dogme de l’antiracisme. Origine, développement et conséquences, Poitiers, DMM, 2024, 278 pages.
Dans le cadre des Jeux Olympiques de Paris 2024 il paraît intéressant de se replonger dans l’origine de cet événement sportif en suivant Maurras qui a réalisé un reportage important en avril 1896. Cette année-là ont eu lieu les premiers Jeux Olympiques modernes, restaurés à l’instigation d’un aristocrate libéral et admirateur de l’éducation anglaise, Pierre de Coubertin (avec qui Maurras eut l’occasion d’échanger courtoisement des points de vue de plus en plus opposés).
Jeune journaliste –il était alors âgé de vingt-huit ans-Maurras fut en effet envoyé en Grèce par Gustave Janicot,directeur du quotidien La Gazette de France pour couvrir les Jeux. Dans une série d’articles envoyés à son journal il décrit son voyage, sa découverte de la Grèce, puis les réflexions que lui inspirent les Jeux . Sur le fond, l’aspect sportif, prétexte du voyage, a été finalement éclipsé par la découverte de la Grèce et par quelques réflexions sur la confrontation des peuples.
Cet ensemble de lettres a été publié au fur et à mesure de leur réception dans le quotidien de Janicot, en 1896. L’ensemble a été complété dès 1896, dans la Gazette, par une étude sur la ville moderne d’Athènes. Par la suite,Maurras, s’aidant notamment de son journal de voyage, a repris et retravaillé ses Lettres pour en faire une partie d’d’Anthinéa, ouvrage paru en 1901 où il revient longuement sur son voyage en Grèce, et en particulier sa découverte d’Athènes, avant de parler de la Toscane et de la Provence(et enfin une simple annexe). Ainsi, dans la version définitive, la cinquième lettre a–t elle été prolongée par une défense de la royauté grecque contre les attirances républicaines, et la sixième par des considérations sur l’Ecole française d’Athènes.
En 2004, les éditions Garnier-Flammarion ont eu la bonne idée de rééditer ces Lettres des Jeux Olympiques comme un ouvrage indépendant. Le travail de l’auteur de la réédition, Monsieur Axel Tisserand, est en tous pointsremarquable. Outre les lettres elles-mêmes, dans leur forme définitive de 1901, éclairées par des introductions substantielles et des notes savantes, il a également réédité ces documents dans leur forme initiale, plus spontanée, que nous avons principalement utilisée. Ce volume, petit par la taille, est un modèle de méthode et peut-être considéré comme définitif. Dans ces conditions, le présent article a pour seule ambition de permettre au lecteur de découvrir l’oeuvre et si possible d’inciter à la lire.
Il y a eu six lettres adressées depuis le bateau et la Grèce Nous les résumerons rapidement.
Dans la première lettre Maurras parle de son voyage etde la croisière en mer qu’il savoure. Il compare le bateau à un « couvent laïque et flottant », parce qu’il oblige à être « tout entier à soi-même. » Trait caractéristique de sa pensée, il rejette l’indéfini. Pour lui, qui rêvait d’être marin avant la survenance de sa surdité pendant l’adolescence, la mer n’est pas une matière informe. Il souligne par exemple que « rien n’est plus fini que la mer. La séparation d’un ciel pâle d’avec cette mer plus foncée donne… la pensée de la plus exacte des figures géométriques qui est, sans doute, le cercle. » Chez Maurras, en effet, ce trait est essentiel. Il n’aime pas l’indétermination et la confusion. aussi bien en littérature qu’en politique.
Maurras ne dissimule pas son bonheur d’effectuer ce voyage : « Passées les bouches de Bonifacio, nous sommes entrés pleinement dans le cœur du monde classique, patrimoine du genre humain. » La première lettre retrace la vision des Lipari, où il s’intéresse davantage à l’île Panariaqu’au volcan Stromboli, puis, Homère en main, la traversée, au sud de l’Italie, de la dangereuse « mer Ionienne. » Au matin suivant, le journaliste constate que le navire a quasiment fait le tour du Péloponnèse pendant la nuit ;
La deuxième lettre annonce le retour à terre avec l’arrivée au Pirée et l’approche de la merveille, l’Acropole d’Athènes et son Parthénon, dont il fait le tour sans encore oser y entrer. C’est aussi un premier contact avec les Jeux. Maurras fait connaissance avec le Stade et voit s’opposer des athlètes grecs et allemands il signale aussi l’affluence dans la ville et dit qu’à ce moment Athènes ressemble assez bien à Capharnaüm.
La troisième lettre présente le Stade moderne inachevé, censé reproduire le stade antique et pouvant contenirquatre-vingt mille spectateurs lors des épreuves. Maurras parle du roi de Grèce et de sa famille et escompte que cesprinces, souvent d’origine germanique, seront vite hellénisés. Il termine par une note plaisante en regrettant pour des raisons d’esthétique l’abondance des chapeaux noirs chez les spectateurs.
La quatrième lettre commence par des considérations générales qui ne manquent pas d’actualité. Malgré les remontrances de Coubertin, Maurras dit les réserves que lui inspire cette nouvelle « internationale du sport. » Il dit que là où il existait une Grèce il n’y a pas, ou il n’y a plus,d’Europe. Par ailleurs Maurras déplore que les grands bénéficiaires de ce cosmopolitisme soient les Anglo-Saxons dont la langue, se propageant à travers le vocabulaire du sport, infeste la planète. Le contact de la réalité des épreuves n’a pas modifié ces appréciations de départ, mais les a complétées. D’une part les doutes sur le cosmopolitisme ont été renforcés Se référant à Paul Bourget, Maurras affirme que « quand plusieurs races distinctes sont mises en présence, obligées à se fréquenter, bien loin de s’unir par la sympathie, elles se détestent et se combattent au fur et à mesure qu’elles croient se connaître mieux. » D’autre part il observe que les Jeux ont l’avantage de mettre à jour la prépondérance anglo-saxonne, qui s’est jusque-là avancée masquée, ce qui devrait permettre aux peuples latins de s’en défendre.
Maurras relate ensuite quelques épreuves. Il décrit l’ivresse joyeuse des Grecs lors de l’épreuve du marathon. Les sept premiers étaient grecs (et le huitième français). La joie populaire qui entoure le jeune vainqueur lui plaît et lui rappelle l’ambiance de Martigues ou des arènes d’Arles. Il passe rapidement sur les épreuves d’athlétisme et cite les épreuves de lutte qui ont opposé un Grec et un Danois puis un Allemand et un Anglais. Il relève à cette occasion que le nationalisme n’est pas le monopole des plus vieux peuples et que les Américains se montrent particulièrement attachés à leur drapeau. Il conclut en disant « on le voit les patries ne sont pas encore détruites. La guerre non plus n’est pas morte. Jadis les peuples se fréquentaient par ambassadeurs…Maintenant les peuples se vont fréquenter directement, s’injurier de bouche-à-bouche… La vapeur qui les a rapprochés ne fera que rendre plus facile les incidents internationaux. »
La cinquième lettre commence par une dénégation :Maurras dit qu’on lui avait promis des déceptions et qu’il n’est pas déçu. Il annonce aussi la clôture imminente des jeux. Commençant par faire l’éloge de « notre antique Athènes, notre Athènes éternelle» il dit espérer pouvoir conduire ses lecteurs « au pied du Parthénon ou parmi les stèles dorées du Céramique. » En attendant la clôture des Jeux, il fournit quelques témoignages sur des choses vues dans les petits bourgs grecs, leur activité commerciale et maritime et leur agitation qui lui fait penser à sa Provence. Il revient sur le jeune vainqueur du marathon et sa popularité et s appesantit sur un fait divers amusant : une jeune demoiselle de la bourgeoisie athénienne avait fait vœu d’épouser le vainqueur de l’ épreuve, à condition qu’il soit grec. Au vu des candidats, elle pouvait espérer s’unir à un homme de bonne condition ; mais elle se trouve finalement confrontée à un « mauvais petit paysan. »Maurras termine son courrier en parlant de la nouvelle de la mort, en France, de Charilaüs Tricoupis, un politicien grec qui, ayant voulu développer rapidement son pays ; à crééun déficit considérable et entraîné une banqueroute. Dans la version définitive, le passage est plus développé et amène à la critique des politiciens et du régime des partis ;
La sixième lettre est relative à la clôture des Jeux Olympiques. Après quelques considérations sur la pluie qui a causé un changement de date, sur l’attitude du roi et sur les rameaux d’olivier et les lauriers distribués par le monarque, Maurras met le vainqueur du marathon, un peu ivre de son triomphe, en garde contre l’excès, en lui rappelant le sort d’Aristide et de Socrate. Malgré tout, il lui accorde la préférence face aux « athlètes barbares, Anglais, Germains, surtout Yankees. » Enfin l’auteur se fait l’écho d’une proposition faite à l’époque de fixer les Jeux à Athènes (idée qui n’a, nous semble-t-il, pas perdu de son intérêt). Il observe enfin que cette « solennité d’origine cosmopolite » est devenue « le champ de bataille de nos nationalités, des races et des langues» et termine en regrettant la faiblesse de la représentation française.
L’on peut trouver quelques vues politiques dans ces lettres. L’on sent poindre l’intérêt de Maurras pour le royalisme, par exemple à travers la sympathie qu’il exprime pour la royauté grecque. L’on sait que c’est en Grèce qu’il aurait conclu en faveur de la monarchie en constatant la puissance des nations qui bénéficiaient de ce régime. Mais surtout, l’ enseignement le plus net contenudans les Lettres contredit les espoirs de Pierre de Coubertin : les Jeux nouveaux révèlent et renforcent l’affirmation des nationalités concurrentes et l’affrontement des nations. Et cela est toujours vrai. En filigrane, quelques autres thèmes de la pensée maurrassienne affleurent : l’admiration pour l’Antiquité classique, l’amour de la Grèce antique et la méfiance à l’égard des Allemands, etplus encore à celui les Anglo-Saxons (la France a, à cette époque, été confrontée à l’impérialisme britannique ; l’incident de Fachoda aura lieu en 1898 et l’Entente cordiale ne sera conclue qu’en 1904). Enfin l’on relèvera que la sympathie affichée pour la Grèce moderne, nation redevenue indépendante au XIXe siècle, suffit à prouver que le nationalisme maurrassien s’accommode très bien de l’amitié pour d’autres peuples. Ce qui est rejeté, c’est le cosmopolitisme, le « mélange » qui broie les identités légitimes.
Philippe II dit Auguste (1165-1223) fut le septième roi de France de la dynastie des Capétiens directs. Fils du roi Louis VII (1120-1180) et de sa troisième épouse Adèle de Champagne (1140-1206), il reste l’un des monarques les plus admirés et des plus étudiés de notre Histoire, non pour ses aventures conjugales assez turbulentes, mais parce qu’il agrandit considérablement le pré carré de ses pères et parce qu’il donna à la France une administration remarquable. Réduit à l’Île-de-France au début de son règne, le territoire dont il hérita, prit, sous son impulsion, une ampleur saisissante, grâce à une politique fort habile et de nombreuses conquêtes militaires.
Dernier des Capétiens à avoir été sacré du vivant de son père, roi à quinze ans, Philippe II Auguste passa la plus grande partie de son règne à lutter, par la ruse et malgré une grande fragilité nerveuse, contre les Plantagenêt, lesquels régnaient sur l’Angleterre et sur une trop grande partie de nos provinces françaises : le comté d’Anjou, le comté du Maine, le duché de Normandie, le comté de Bretagne, le comté de Poitou et le duché d’Aquitaine. Le vieux roi d’Angleterre Henri II (1133-1189) avait raflé tout cela en épousant l’épouse répudiée de Louis VII, Aliénor d’Aquitaine (1122-1204). Puis, leurs fils, Henri Court Mantel (1155-1183), Richard Cœur de Lion (1157-1199), Jean Sans Terre (1166-1216), se querellant sans cesse entre eux, facilitèrent, tout en la compliquant, la tâche à Philippe-Auguste qui savait que, pour éviter l’écrasement de l’hexagone, il fallait tenir les Plantagenêt divisés… Il avait, dès son premier mariage, avec Isabelle de Hainaut, acquis en dot, l’Artois, Arras et Saint-Omer. Il lui restait à conquérir tout le reste du royaume de son père.
Il commença, en 1173, par soutenir la révolte encouragée par leur mère, de Richard Cœur de Lion et de ses frères : Henri II le Jeune, Geoffroy et Jean Sans Terre, contre leur père, puis, après la mort de celui-ci, les intrigues de Jean Sans Terre contre Richard. Participant à la troisième croisade contre le sultan Saladin (1137-1193) avec Richard, Philippe, après la prise de Saint-Jean d’Acre, tomba malade de la suète. Il fut tout le temps en désaccord avec Richard, cet ami très équivoque, qu’il abandonna pour rentrer sans se presser en France et pour, profitant peut-être de son absence, lui reprendre ses possessions de ce côté-ci de la Manche. Il fut servi par Jean Sans Terre qui ratait tout ce qu’il entreprenait et trahit effrontément Richard, son frère aîné.
Philippe-Auguste, premier monarque d’Europe
C’est ainsi, par la ruse et la manipulation, que Philippe parvint à récupérer la Champagne, la Bretagne et l’Auvergne, et à y asseoir son pouvoir. Mais, en 1214, le royaume de France était gravement menacé, car Jean sans Terre, nouveau roi d’Angleterre, avait décidé de s’en emparer. Il avait réussi, dans sa terrible vengeance, à monter, contre Philippe Auguste, une vaste coalition avec Renaud de Dammartin (1165-1227), comte de Boulogne, Guillaume Ier, comte de Hollande, le fils cadet du roi du Portugal, Ferrand (1188-1233), comte de Flandre, Henri Ier , duc de Brabant, Henri III, duc de Limbourg, Thiébaud 1er, duc de Lorraine, et surtout l’empereur Othon IV (1175-1218), fils de Mathilde d’Angleterre, donc neveu de Jean Sans Terre.
Pour Philippe-Auguste, dont les adversaires projetaient de partager tout l’héritage, il s’agissait de défendre le sort de la France. Après la messe célébrée le matin du 27 juillet, dans l’église de Bouvines, on dit qu’il aurait placé sa couronne sur l’autel en déclarant qu’elle restait offerte au plus digne d’engager la bataille. Se présentant devant ses guerriers il aurait dit : « Seigneurs, je ne suis qu’un homme, mais roi de France est cet homme. » Le mot d’ordre de ses adversaires était de courir sus à sa personne et de le frapper à mort. En fait, il allait être renversé de son cheval et sauvé de peu.
Cette journée où il fut contraint de mener bataille un dimanche par ses adversaires impies, le roi la voulut celle de tous les Français. Chevaliers, paysans à cheval, milices communales que, depuis longtemps, il encourageait et armait, tous ceux qui devaient construire ensemble la France dans la paix étaient là. Pourquoi le roi courut-il, ce jour-là, tant de risques personnels ? Comme l’écrivait le duc de Lévis-Mirepoix, « il fallait que sa poitrine parût physiquement le rempart de la France et que la dynastie partageât entièrement le risque du pays. Pour la première fois chez nous, tous ceux qui combattaient et tous ceux des villes et des campagnes qui attendaient des nouvelles communiaient dans la pensée du chef. »
Tandis qu’Othon, vaincu, abandonnait ses ornements impériaux et, bientôt, son empire sous un déguisement, que Renaud, comte de Boulogne, et Ferrand, comte de Flandre (« Ferrand bien enferré… »), étaient ramenés à Paris enchaînés, Philippe-Auguste, tête nue au soleil et au vent, parcourait la France à travers un chemin triomphal jonché d’herbes et de fleurs, bordé de visages heureux. Car c’était le 27 juillet, le temps des moissons ! Les bourgeois pour leur part, allèrent avec toute l’Université au-devant du roi et firent fête sans discontinuer durant sept jours et sept nuits… Et cette multitude de gens, d’écoliers, de prêtres !
La vraie joie française
Bouvines avait fait du roi le premier monarque d’Europe et le véritable continuateur de Charlemagne. La joie française fut plénière, sans la moindre arrière-pensée fratricide (puisque Philippe pardonna au comte Ferrand et que les captifs de Bouvines se libérèrent en versant quelques rançons). Les hymnes de triomphe, les danses des peuples, les sons harmonieux des instruments guerriers dans les églises, les solennels ornements des églises, les rues des villes et les chemins tendus d’herbes, de tapisseries et de branches d’arbres verts : tout cela crépitait, rutilait et éblouissait !… Les habitants de Paris, le clergé, le peuple allèrent au- devant du roi. Une joie comme nous n’avons guère d’occasions de vivre sous la république !…
De sa retraite-prison, Ingeburge de Danemark entendit le passage de l’armée de son mari et pria pour lui ; cette sainte femme savait qu’elle avait presque gagné la partie, puisque Philippe-Auguste allait la reprendre (sans toutefois lui donner son lit !).
Le roi Jean Sans Terre (1166-1216), qui avait voulu ouvrir un nouveau front pour prendre la France en tenailles, fut vaincu à La Roche-aux-Moines, en Maine-et-Loire, le 2 juillet 1214, quelques heures avant Bouvines, par le prince Louis, héritier du trône de France. Il ne fut nullement acclamé quand il rentra en Angleterre. Ses sujets lui imposèrent laGrande Charte, moyen pour les habitants d’Outre-Manche de se protéger de rois trop souvent importés de l’étranger ; ce fondement des libertés anglaises, Jean n’entendait point du tout le respecter, si bien qu’une partie d’entre eux, exaspérés, offrit la couronne anglaise à Louis de France, du droit de sa femme née d’une princesse anglaise.
En effet, Louis avait épousé, le 23 mai 1 200, Blanche de Castille (1188-1252), fille d’Alphonse VIII de Castille (1155-1214) et d’Aliénor d’Angleterre (1161-1214). Elle était donc la petite-fille d’Aliénor d’Aquitaine (1122-1204), cette diablesse qui allait vivre jusqu’à quatre-vingt-deux ans, conduire elle-même Blanche à Bordeaux et se réjouir de voir une de ses petites-filles épouser le prince héritier de France. Elle souhaitait vivement une nouvelle union du sang des Plantagenêt-Aquitaine et du sang des Capétiens. C’est ainsi que saint Louis allait descendre d’Aliénor et de ses deux maris successifs, Louis VII de France et Henri II d’Angleterre
Philippe-Auguste, au soir d’une vie toute donnée à la France, était bien décidé à terminer ses jours dans la sérénité et voulut rester neutre dans cette affaire du trône anglais. Louis entra solennellement dans Londres où il fut reçu en sauveur. Mais découragé, Jean présenta à la foule son fils, Henri, de dix ans, le futur Henri III (1207-1272) d’Angleterre, et le loyalisme dynastique fut réveillé par cette faiblesse innocente. Alors, Louis retourna à son véritable royaume et renonça sagement à cette entreprise démesurée.
Un règne de quarante-trois ans
Au cours de ses quarante-trois ans de règne, avec les moyens dont il disposait au départ, et ceux dont il se dota progressivement, Philippe-Auguste jeta les bases d’un véritable État, cerna et imposa le concept d’un pouvoir central. Il suscita également, par son autorité personnelle et par la fascination qu’il exerçait, un sens national, celui d’un intérêt commun. Sous son règne, traversé pourtant par bien des tumultes, la Doulce France commença à devenir une réalité ! Tous ceux qui, parmi les Grands, changeaient de parti à leur gré et tiraient profit de leurs trahisons, comprirent, alors, que leur temps était dépassé.
Philippe décida très tôt de faire de Paris (quarante mille habitants) la capitale de la France. Pour assurer la sécurité, il fit bâtir des murailles au Nord et au Sud percées de six portes flanquées de tourelles. L’ensemble de ce rempart affectait la forme d’un cœur, avec, à l’intérieur, la puissante forteresse du Louvre et son donjon de 31 mètres.
L’université fut l’objet de tous les soins du roi : son ordonnance de 1200 équivalait à une reconnaissance légale : elle prescrivait que, désormais, les étudiants seraient assimilés aux clercs et, comme tels, relèveraient des tribunaux ecclésiastiques ; elle offrait à la corporation des étudiants et à leurs maîtres la possibilité de s’organiser eux-mêmes, ce qui fut le signe d’une impulsion nouvelle et d’un développement extraordinaire. Ne pas oublier que le siècle de Philippe Auguste fut celui d’un brusque essor dans le domaine des sciences et des lettres. Les travaux, commencés en 1163, de la façade et des tours de Notre-Dame de Paris, s’achevaient, et les étrangers pouvaient déjà admirer en pensée cette future cathédrale, trait d’union entre terre et ciel, vaisseau de prières, qui se mirait dans la Seine.
Philippe II Auguste ne fut pas seulement un rassembleur de terres françaises, mais il fut aussi un rassembleur de tous les éléments sociaux du pays, clergé, seigneurie, paysannerie, communes, soit dans le travail quotidien, soit dans l’affirmation de la nationalité devant l’Europe. Il n’inventa pas, mais il élargit et précisa en même temps, la pensée capétienne qui n’était point, comme on l’a trop dit, délibérément hostile aux libertés féodales, mais se mesurait à elles pour les contenir dans un juste rythme, comme un mouvement d’horlogerie, les coordonner, les faire concourir à l’unité dans la variété.
Enfin, il sut garder, comme disait le duc de Lévis Mirepoix, « sans rompre son élan royal, ce qui fait l’autorité durable, la mesure dans la grandeur »!
L’Action Française avait appelé à mettre tout en œuvre pour éviter, « par tous les moyens, même légaux », le péril rouge, écologiste, immigrationniste.
L’Union nationale a échoué et pourtant, les résultats de cette tambouille démontrent, si l’on s’en tient au nombre de voix, que les Français de bon sens se sont véritablement fait voler la victoire par les manipulations et les bricolages.
Maurras disait que la démocratie c’était le mal, c’était la mort. Jamais autant que nous nos yeux ne se sont vérifiées les vérités enseignées par l’Action Française. Depuis 125 ans nous répétons à satiété qu’en démocratie française, domine le nombre des ignorants. Il s’agit en réalité d’une vaste entreprise de démoralisation du peuple de France qui, à force d’y croire, finit par ne plus croire en rien.
Nous le disons aux Français déçus : n’espérez plus dans le jeu démocratique, il ne sert qu’à vous faire saliver pour mieux vous écraser. Ne baissez pas les bras pour une histoire de scrutin mais battez-vous pour ne plus laisser la patrie aux politiciens.
Tous les républicains sont en réalité coupables, rejoignez l’Action Française : nous avons le courage et les idées claires et avec vous nous ferons Sécession.
Si le score du Rassemblement National et de ses alliés peut légitimement réjouir le cœur des patriotes français, il ne doit pas pour autant faire oublier que la victoire de la gauche la plus radicale est plus que jamais possible.
Face au péril rouge, l’Action Française appelle à la plus grande vigilance : tout doit être fait pour faire obstacle à l’élection de ceux qui souhaitent un plus grand chaos national.
« Votez, je vote, votons tous. La devise de notre Action française est d’agir, d’avancer, de manifester “par tous les moyens”, même légaux. » Charles Maurras
Avec le rituel solennel, intervenu le 8 mars dernier, du scellement dans sa loi fondamentale du droit à l’avortement, la République achève en France son cycle sanglant. Non pas que de nouvelles lois ou même de nouvelles « constitutionnalisations » ne puissent venir encore pour l’ensanglanter davantage ‒ et d’ailleurs, d’autres lois criminelles sont imminentes‒ mais il y a là un acte symbolique qui n’a pas besoin d’être dépassé.
Car nous ne sommes pas qu’en présence de la fébrilité morbide d’un pouvoir toujours prodigue de sang français ; et il n’est pas suffisant d’invoquer le mythe implacable de notre Racine :
« Quelque crime toujours précède les grands crimes ;
Quiconque a pu franchir les bornes légitimes
Peut violer enfin les droits les plus sacrés ».
Non ! l’acte républicain odieusement sanguinaire du 8 mars a une dimension fondatrice qui le rattache à l’événement historique par lequel s’ouvre le cycle de sang du « régime abject » qui s’est imposé à la France : le « meurtre du roi prêtre », selon l’expression d’Albert Camus, intervenu le 21 janvier 1793. « C’est un répugnant scandale ‒écrit-il‒ d’avoir présenté, comme un grand moment de notre histoire, l’assassinat public d’un homme faible et bon. Cet échafaud ne marque pas un sommet, il s’en faut. (…) Il symbolise la désacralisation de cette histoire et la désincarnation du Dieu Chrétien. (…) Ce n’est pas Capet qui meurt mais Louis de droit divin, et avec lui, d’une certaine manière, la Chrétienté temporelle ».
Et ici, on pense invinciblement à René Girard, pour qui, histoire et légende confondues, toute culture ne peut s’établir que sur le vieux rite humain sacrificiel fondateur : originellement, le sacrifice sanglant destiné à se rendre les dieux favorables, ou, s’il s’agit du Dieu unique, le sacrifice suprême de l’innocent suprême, qui peut seul désarmer le courroux divin.
Mais là ? Si Louis XVI est innocent, comme le Christ dont il est le représentant au temporel, combien innocentes aussi sont les millions de victimes que la République a décidé d’immoler sur l’autel de son culte propitiatoire inversé ; un sacrifice sanglant, certes, mais qui s’accomplit cette fois par la transgression des lois de la nature, lois divines par essence. Aussi est-ce bien à la mort voulue de cette « Chrétienté temporelle », avec toutes ses valeurs dont la monarchie française était l’image ici-bas, qu’il faut se référer pour lier entre eux les deux actes profanateurs de 1793 et de 2024.
La consécration sacrilège de l’avortement comme l’une des « valeur de la République », joue un rôle identique à celui de l’exécution du roi, et témoigne tragiquement que la France est bien entrée dans une autre culture, que les Français sont devenus les sectateurs d’une autre religion ; le choix de la mort de l’homme le plus innocent qui soit, offert en sacrifice au nouveau dieu, comme expression suprême de ce qu’ils osent appeler la liberté de l’homme.
Combien Maurras a raison de voir dans la démocratie le régime même de la démesure, cet hubris effrayant, le péché mortel et irrémissible selon l’antique sagesse humaine, dont le déferlement de liesse populaire à l’annonce de la canonisation du crime est une manifestation. Car si c’est l’homme qui est le maître de la vie et de la mort, comme c’est lui maintenant qui décide du bien et du mal, si ce n’est plus à la nature, c’est-à-dire aux lois de la création divine, maîtresse de vie et organisatrice de l’ordre, que la Cité se confie humblement, alors, tous les excès, toute les folies, tous les délires peuvent s’attribuer les privilèges de la sagesse. Age de chaos, et âge de tyrannie perversement compensatrice, comme on les voit s’installer sous nos yeux ! Mais en même temps âge d’espérance car la vie, serait-ce celle de l’éternité bienheureuse, est inéluctablement victorieuse de la mort.
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