HÉRÉDITÉ ET CIVILISATION

HÉRÉDITÉ ET CIVILISATION

C’est l’hérédité collective d’une aristocratie recueillant la succession du Sénat de Rome qui donna la durée et la force à l’Empire romain. Des trois races de nos Rois, celle qui fit la France fut précisément celle qui évolua dans les meilleures conditions d’hérédité monarchique, lesquelles ont permis la régulière transmission, la continuité rigoureuse de leurs desseins.

La valeur de tout effort personnel est dominée par l’immense principe historique en vertu duquel les vivants sont « de plus en plus, et nécessairement, gouvernés par les morts », et chaque vivant par ses morts particuliers. Cette nécessité bienfaisante est la source de la civilisation. Mais il y a longtemps que la démocratie s’est insurgée contre cette condition d’un ordre civilisé ; elle a choisi la barbarie, elle veut se recommencer tout entière à chaque individu qui vient au monde, sauvage et nu. C’est à l’humanité des cavernes que la démocratie veut nous ramener.

Charles Maurras, Sans la muraille des cyprès (J. Gibert, 1941)

Le Sénat romain n’était pas élu, ses membres étaient, en quelque sorte, cooptés parmi les magistrats issus des grandes familles aristocratiques, et du sang neuf, les « hommes nouveaux », s’y introduisait au compte-goutte. Un ambassadeur reçu par le Sénat dit qu’il avait cru être introduit devant une assemblée de rois !

L’Empire romain semble, à première vue, ne pas avoir connu l’hérédité. Il l’a connue, en réalité, mais de manière cachée : la plupart des empereurs n’ont pu avoir de successeurs directs parce qu’ils n’eurent pas de fils ou que ces derniers moururent en bas âge ; mais une étude généalogique prouve que, dans l’ensemble, l’empire fut transmis par les femmes. Si les féministes apprenaient cela, le latin reviendrait à la mode !

Carolingiens, Mérovingiens, Capétiens, des trois races de nos Rois la dernière connut une hérédité heureuse qui fit la France. Après cette constatation, Maurras cite Auguste Comte qui n’a cessé de répéter : « les morts gouvernent les vivants ». Culte des ancêtres, coutumes des ancêtres, mos majorum, tous les peuples civilisés, et même la plupart des autres, ont vécu sur ces principes, et plus l’aventure humaine avance, plus, « nécessairement » l’expérience du passé a enrichi la civilisation.

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Mais Rousseau vint. Alors que toutes les sociétés, des primitives aux plus élaborées, avaient postulé que la civilisation était un capital transmis et augmenté, le citoyen de Genève piétina la plus belle réalisation du génie humain, la France d’Ancien Régime, et les privilégiés s’enthousiasmèrent pour ce faune, comme les bourgeois d’aujourd’hui, gavés et repus, accompagnent leur digestion d’un militantisme en faveur de la faim dans le monde. Rousseau chantait déjà la chanson impie : « du passé faisons table rase. »

La démocratie a choisi la barbarie. Rousseau ne disait-il-pas dans son Discours sur l’inégalité que l’homme qui médite est un animal dépravé ? Oui, la démocratie est une barbarie : le citoyen électeur ne cesse de dire, ouvertement ou in petto « moi, je pense que… », sans expérience ni compétence. Dès la prime jeunesse, le malheureux enfant de démocrate, futur électeur et futur fossoyeur de la civilisation, apprend à l’école rousseauiste à étaler, à exhiber, son petit moi barbare et inorganique : son barbouillage de gouache ou d’aquarellepassera pour une œuvre digne de Michel-Ange, et les premiers mots qu’il jettera sur un papier relègueront Homère au musée des vieilleries. Ne connaissons-nous pas, quand nous visitons certains musées subventionnés, « l’humanité des cavernes » ?

Né de parents inconnus et mort célibataire, l’homme dénoncé par Renan restait encore un malheureux instruit. L’école moderne a fait de son successeur un sauvage. Saluons une fois de plus la qualité d’analyse d’un Maurras. Il est tellement intelligent, son esprit de déduction est tellement puissant qu’il nous semble un prophète.

Rangés derrière son autorité, formons-nous à sa méthode.

Gérard Baudin

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Doctrine : science politique et morale

Doctrine : science politique et morale

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Certains catholiques ont reproché à Maurras de substituer aux lois de la morale les lois purement physiques de la politique.

Le grief ne résiste pas à une étude impartiale de la philosophie de Maurras qui, loin de supprimer les valeurs orales, les remet à leur juste place.« L’infaillible moyen d’égarer quiconque s’aventure dans l’activité politique, c’est d’évoquer inopinément le concept de la pure morale, au moment où il doit étudier les rapports des faits et leurs combinaisons. Telle est, du reste, la raison pour laquelle l’insidieux esprit révolutionnaire ne manque jamais d’introduire le concept moral à ce point précis où l’on a que faire de la morale. Il a toujours vécu de ce mélange et de cette confusion qui nuisent à la vraie morale autant qu’à la vraie politique. La morale se superpose aux volontés ; or, la société ne sort pas d’un contrat de volontés, mais d’un fait de nature ». (Démocratie religieuse, p. 246)

Maurras précise encore cette idée dans un texte moins connu : « Pour savoir ce que le sujet doit faire, il faut savoir ce que sa nature le rend capable de faire, comment il est constitué. Avant d’aborder le devoir social, discipline des volontés sociales, il fait connaître la structure de la société… L’étude de la structure politique des États ou des Sociétés ne peut se confondre avec celle de l’action politique, l’action est un fait volontaire, donc sujet à la morale, la structure sociale participe de la nature des choses. Ceci subit des lois, objet de pure connaissance, cela reconnaît des règles qui, une fois définies, sont objet de confiance et d’obéissance ». (Préface du livre de J.L. Lagor, La Philosophie politique de saint Thomas d’Aquin, Paris, 1948)

Politique et Morale sont donc choses distinctes. La confusion est cependant régulièrement faite par les démocrates-chrétiens et les progressistes, qui en profitent pour recouvrir du manteau d’une morale abstraite leurs partis pris idéologiques. Un des plus grandes thomistes de notre temps, le R.P. de Tonquédec S.J. a rétabli les distinctions nécessaires :

Toute sociologie correctement bâtie et complète enferme plusieurs parties bien distinctes, irréductibles les unes aux autres. D’abord une partie purement spéculative, toute d’observation et d’expérience, où la morale n’a encore rien à voir, qui fournit au sociologue les matériaux, l’objet même de son étude ; les phénomènes sociaux, tels qu’ils se déroulent en faits ; « c’est ainsi que les choses se passent ». Puis, une seconde partie, où le sociologue, s’il est chrétien, ou simplementhonnête homme, appréciera et jugera lesdites phénomènes selon le bien et le mal qu’ils comportent ; et alors il dira le droit, formulera les principes qui doivent régler la conduite humaine dans le domaine social comme dans tous les autres : « il faut faire le bien évitele mal ». Cette intuition, est d’un tout autre ordre que ce qui la précède. Ce n’est pas la perception sensible, la collection des renseignementsextérieurs qui la fournit, mais une lumière intérieure ; celle qui luit dans une conscience droite. Avec elle se dessine une frontière qu’on ne peut absolument pas effacer. Prenons un exemple vulgaire. Un homme en frappe un autre. C’est là un fait patent qui s’impose à tous les spectateurs et sur lequel aucun dissentiment n’est possible. Mais celui qui frappe a-t-il raison ? a-t-il tort ? Est-il dans son droit ? Cela ne se voit pas avec les yeux, ne se décide point par la description de l’incident. Et là-dessus es avis pourront se partager (bien qu’un seul d’entre eux soit juste). En tout cas, il s’agit maintenant d’un jugement de valeur, d’une qualification morale du fait qui n’a rien de commun avec sa simple constatation.

Quant à la cause d’où proviennent en suprême ressortla bonté, la justice des actions humaines, quant à la Fin vers laquelle toute vie morale se trouve, de ce chef, orientée, ce n’est plus l’observation pure ni même cette intuition du bien et du mal, commune à toutes les consciences droites, qui peuvent la découvrir, mais le raisonnement métaphysique ou la foi religieuse. Si, dans sa partie préceptive, une sociologie complète doit tenir compte de ces vérités transcendantes, cela ne suffit pas à les assimiler à son objet propre. Elles lui sontextérieures et supérieures. Subordination n’est pas identité. À partir de l’idée du bien et du mal humains, on peut s’élever jusqu’à l’idée d’un Bien absolu, et d’un Législateur suprême, déduire l’une de l’autre, mais toute déduction suppose des termes divers et le passage de l’un à l’autre. 

De ces trois parties, la second e seule appartient à la morale. C’est là son domaine propre, située entre les deux autres. Elle reçoit de plus bas qu’elle, de l’observation des faits sociaux, la matière à quoi elle devra s’appliquer. Elle ne la crée pas : une autre l’a préparée pour elle et la lui offre. A l’inverse, c’est au-dessus d’elle qu’elle trouverasa source, son fondement et les titres de sa légitimité.

La morale ne recouvre donc pas le champ entier des sciences sociales. Affirmer une identité absolue, une coïncidence rigoureuse entre elles, c’est brouiller les espèces.

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Le dogme de l’antiracisme – entretien avec Pierre de Meuse

Le dogme de l’antiracisme – entretien avec Pierre de Meuse

           

 

 

 

Pierre de Meuse

Les éditions DMM viennent d’éditer un livre qui fera certainement date – il ne peut en être autrement ! -, Le dogme de l’antiracisme. Origine, développement et conséquences écrit par Pierre de Meuse, lequel s’est déjà remarquablement illustré lors de précédents ouvrages à l’instar de son Idées et doctrines de la Contre-Révolution (DMM) ou encore de son petit opuscule consacré à la famille, La famille en question. Ancrage personnel et résistance communautaire (Editions de La Nouvelle librairie). Pierre de Meuse a cette formidable capacité de s’attaquer frontalement à tous les sujets importants qui agitent notre société en y apportant des réponses, certes, inattendues, mais salutaires. La pensée contre-révolutionnaire revenant sur le devant de la scène, il nous permettra aussitôt d’avancer la question centrale : celle de l’holisme et du personnalisme, celle de la place de la doctrine chrétienne. La famille est attaquée et les conservateurs la défendent, certes, mais est-ce que le christianisme ne porta pas le premier coup à cette institution ? A l’heure où le racialisme revient dans les discours des indigénistes en même temps que l’antiracisme est érigé en dogme inattaquable – à la fois par la gauche et par la droite qui hurle au racisme anti-blanc -, il saisit le sujet à bras-le-corps et ne cède rien au politiquement correct. Pierre de Meuse a cette vertu rare de traiter des sujets les plus brûlants en ne cédant rien, ni à la pensée dominante, ni aux dogmatismes de nos écoles de pensée. Un livre à mettre entre toutes les mains.

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L’Action Française : Cher monsieur, merci infiniment de nous accorder cet entretien. La première partie de votre ouvrage traite du chemin parcouru. J’aimerais que nous commencions par une question simple : peut-on tracer en quelques lignes une histoire de l’antiracisme et du racisme ? Il semble aujourd’hui extrêmement difficile de définir ce qu’est réellement la race, le racisme et l’antiracisme. Est-ce que cette histoire permettrait de mieux définir ces termes ?

 

Pierre de Meuse : Il y a deux interrogations dans votre question. J’y réponds donc successivement.

Sur l’histoire du racisme. Si la discrimination est aussi vieille que l’être humain, parce qu’elle est une attitude propre à tous les groupes naturels et leur permettant de survivre, le racisme posé comme une science est un pur produit de la modernité. Il est en effet la conséquence directe de la propension de l’esprit postcartésien à vouloir fonder le monde en raison. Les anciennes sociétés étaient hiérarchiques et connaissaient une multitude de déterminations et de barrières acceptées sans que quiconque les discutât, prenant en compte la puissance, la place dans le système des rangs, la richesse, la confiance en soi (la grande mine), l’ancienneté, l’éthique, le degré de dépendance aux autres. Et, bien entendu, le phénotype, mais la race biologique n’était qu’un marqueur parmi bien d’autres. Cependant lorsque l’économie de traite se met en place et que les cultures coloniales emploient des milliers d’esclaves désocialisés, les philosophes des Lumières comme Kant, Locke ou Voltaire considèrent leur infériorité comme une évidence et leur servitude comme la suite inévitable de cette place au bas de l’« échelle humaine ». C’est de là que procède l’anthropologie raciale qui, dans sa forme la plus affirmée, aboutit à faire de la race biologique le moteur de l’histoire. Pourtant, l’esclavage n’est pas l’application de ces théories : les traitants qui achètent les esclaves aux roitelets islamisés d’Afrique ne voient que la disponibilité de cette main-d’œuvre et les revenus que leur apporte le trafic du « bois d’ébène » et ne cherchent pas à justifier leur commerce. La traite négrière va être interdite dès le début du XIX° siècle, puis progressivement l’esclavage lui-même. C’est alors que vont prendre naissance les attitudes racistes, qui sont, selon l’expression du Pr Dupuy, un réflexe émanant des classes de Blancs pauvres face à l’égalité imposée ressentie comme une agression. Surtout que ces populations ne voyaient dans les masses négro-africaines que des concurrents, car elles n’avaient jamais possédé d’esclaves. Ces attitudes sont donc une réaction de défense des « petits Blancs », dans une société où l’argent devient la seule source de discrimination sociale. Ici, je voudrais signaler que, dès le XVIII° siècle, on constate la présence dans l’administration coloniale française, aux Antilles et aux Mascareignes d’une méfiance pour l’extension de l’esclavage, avec la présence d’une population servile devenue largement majoritaire ; une situation propice aux insurrections sanglantes qui ne manqueront pas d’arriver à Saint-Domingue et à la Guadeloupe, à partir de 1791.

            J’en viens maintenant à la définition de la race, du racisme et de l’antiracisme, qui est l’essentiel de la question. Car il n’y en a pas ou plutôt il y en a beaucoup, qui sont toutes incompatibles les unes avec les autres. Race dérive de ratio, qui signifie catégorie, c’est pourquoi elle peut désigner les subdivisions animales au sein de la même espèce, un certain type d’homme (la race des entrepreneurs), ou une famille identifiable, par exemple une dynastie, une caractéristique culturelle (la race latine). Et bien entendu, la même variabilité se retrouve dans le « racisme », compliquée en plus par le degré et la nature de l’affect qu’on y imprime. Ainsi se trouvent taxées de racisme aussi bien l’hostilité que la simple reconnaissance d’une altérité ou même l’affirmation d’une simple identité collective dont on se sent dépositaire. Cette imprécision est extrêmement grave, et elle est à l’origine, nous le verrons, du caractère mortel du piège qui nous est tendu.

 

L’Action Française : Permettez une petite digression, quelle fut dans cette histoire la position de l’Action Française ? Comment assuma-t-elle la notion de race ?

 

Pierre de Meuse : Je crois que là, il faut formuler la chose de façon plus directe, car la réflexion personnelle de Maurras est essentielle et directive pour le mouvement. Maurras emploie sans cesse dans ses écrits le mot « race », ainsi que le mot « sang », et toujours de façon laudative ; mais il exprime aussi sa méfiance pour les théories sur les races humaines lorsqu’elles se présentent comme des sciences et qu’elles prétendent avoir inventé la pierre philosophale : le moteur de l’histoire. Toute sa vie, il suivra cette ligne de crête en justifiant sa position par deux arguments : celui de l’incertitude (les savants ne donnent pas d’éléments probants pour étayer leur hiérarchie des races) ; et aussi celui de la piété filiale : on ne peut pas suivre des gens qui mettent les Français à un niveau inférieur aux Scandinaves, aux Anglais, aux Allemands. Le premier argument est de l’ordre de la connaissance, le second de la volonté. La pensée de Maurras est toujours très structurée.

L’Action française : Selon vous, quel élément déterminant instaura l’antiracisme comme un dogme inattaquable dans nos sociétés ? Il semble bien, en effet, que si une seule chose paraît inconcevable dans l’esprit des peuples, c’est de toucher à cette vérité première : « je ne suis pas raciste, je ne reconnais pas l’existence des races ». Et, de fait, si l’extension des  lois antiracistes peut gêner ou agacer nos concitoyens, ils ne remettent jamais en question le fondement de ces lois. Qu’est-ce qui fonde si solidement cette doctrine ? Allons plus loin : il semble que ce soit même l’antiracisme qui fonde le principe plus général de l’anti-discrimination et non l’inverse. En effet, la plupart de nos concitoyens, s’ils ne sont guère à l’aise avec le principe de non-discrimination, ne s’élèvent pas contre certaines de ses applications mais ce, tant qu’il ne s’agit pas de discriminations racistes !

 

Pierre de Meuse : Je réponds à vos deux questions successivement. L’antiracisme existe depuis fort longtemps, mais il a pris sa forme inquisitrice et dogmatique avec l’effondrement du III° Reich. Ce que je dis est un peu enfoncer une porte ouverte, car François Furet a développé ce thème avec plus de talent que moi. Sur le plan de la pensée normative on assiste alors à la polarisation quasi-religieuse entre les idées du Bien (celles des vainqueurs) et les idées du Mal (celles des vaincus). Or la doctrine hitlérienne est fondée sur un bricolage racialiste issu d’un digest des anthropologues anglais et allemands. Donc plus on s’éloigne du pôle du Mal, plus on va vers le Bien. Tel est le réflexe conditionné que la pensée de Gauche a favorisé, puis exploité. C’est absurde, mais cela fonctionne. Et l’antiracisme fut alors inventé comme une machine rhétorique au service des idées de la révolution. En s’appuyant sur le fait qu’aucune définition rigoureuse n’était donnée (et ne devait l’être) du racisme, les ennemis de la France et de l’héritage européen reprirent le schéma de l’antifascisme, qui avait fait ses preuves, lorsque la loi Pleven fut adoptée, en 1972.

Il avait pour but de mobiliser le Droit pénal au service d’une ingénierie sociale qui permettait de déclencher une accusation redoutable à laquelle aucune réponse ne pouvait être faite, parce que cette accusation ne connaissait aucune limite. C’est pourquoi ceux qui croient qu’il est possible de se disculper en prouvant que, non, croyez-nous, nous ne sommes pas racistes, sont conduits à des reniements sans fin.

Je rappellerai un souvenir déjà ancien. Après la publication d’une petite Lettre ouverte que j’avais commise il y a vingt ans, Pierre Pujo m’avait admonesté en me faisant remarquer que Maurras et Mistral, lorsqu’ils employaient le mot race, ne lui donnaient pas le même sens que celui que nous entendons aujourd’hui. Ce à quoi je lui avais répondu : « Tu as parfaitement raison, sauf que l’antiracisme criminalise tous les sens du mot, sans exception. »

            Alors vous me demandez ce qui fonde cette « doctrine ». Eh bien c’est la terreur, tout simplement, et tout l’enchaînement de concessions qu’elle nous conduit à faire, sans aucun espoir de nous glisser hors de la troupe des vaincus. Tout soupçon d’hérésie sera férocement sanctionné, et à ce titre, l’antiracisme s’est approprié le dogmatisme et l’universalisme des grandes religions messianiques.

            Vous constatez que le principe de non-discrimination est moins efficace que l’antiracisme et vous avez raison, mais c’est parce qu’ils n’ont pas la même origine : celui-là est issu du libéralisme anglo-saxon alors que la matrice de l’antiracisme, c’est tout simplement le terrorisme humaniste révolutionnaire et sa machine à écraser toute résistance.

 

L’Action Française : In fine, quel est le projet antiraciste ? Pourquoi s’impose-t-il et quelles sont les volontés de ceux qui le portent ?

 

Pierre de Meuse :

Le projet antiraciste, c’est l’indifférenciation. C’est-à-dire une société où toutes les différences humaines auront disparu, et où il sera même interdit de les voir. Personne n’aura plus le droit de nous demander de qui nous sommes les fils.

Les sociétés n’auront plus de mémoire spontanée et on ne pourra recourir à l’héritage culturel reçu des ancêtres parce que nous n’aurons plus d’ancêtres et que la filiation sera devenue une obscénité ; d’ailleurs une série de lois est venue depuis 1972 réduire le sens et la portée des patronymes. Toute diversité culturelle aura disparu. S’y rejoindront le rêve libéral d’humains mus par leur seul intérêt totalement standardisé et le rêve babouviste de l’égalité absolue des hommes. Ce projet est bien entendu une utopie, et il est irréalisable, ne fût-ce que par le fait que les Européens – et les Américains du nord – sont les seuls à l’appliquer, mais il a déjà réussi à accomplir de nombreuses destructions. L’antiracisme a bénéficié aussi de la culpabilisation sans limite de nos nations. De surcroît, ce projet, comme toute idéologie déductive, est imperméable à toute perception de la réalité : ses échecs ne sont jamais attribués à l’inexactitude de ses postulats, mais à la duplicité des méchants qui lui sont insuffisamment soumis. Ainsi, alors que les lois antiracistes existent depuis cinquante-trois ans et n’ont pas cessé d’aggraver leurs peines, les partisans du woke affirment que leur échec est la conséquence d’une culture sous-jacente conduisant les Blancs à discriminer les racisés de manière semi-consciente. Autrement dit, on n’a pas assez sanctionné !

dogme antiracisme

L’Action Française : Votre deuxième partie traite de la réaction que nous pouvons avoir face à l’antiracisme. Ma première question est toute simple, les races existent elles et ont-elles un lien avec la culture d’un peuple ? Autrement dit, existe-t-il un lien entre nature et culture ?

 

Pierre de Meuse : Oui, les races existent, mais la perception en est culturelle. Les anthropologues et les biologistes au service de l’antiracisme passent leur temps à répéter que la notion de race humaine est fausse et discréditée. Ils énumèrent des marqueurs génétiques qui, disent-ils, sont communs à toute l’humanité comme le groupe sanguin, le trou occipital, la forme du crâne etc… Et constatent que ces marqueurs sont présents dans toutes les races. Par conséquent, assènent-ils, « les races n’existent pas. » Mais c’est une acception arbitraire de la race, qui cache en réalité une autre maxime : « les races ne doivent pas exister ». Car s’il existe des humains de race africaine ou asiatique qui ont les yeux clairs, par exemple, ils n’en sont pas moins extrêmement rares. Le résultat est que la race est perçue par celui qui en fait partie comme par celui qui appartient à une autre race et qui va lui attribuer un nom collectif. Ayant vécu douze années en Afrique, travaillant dans une entreprise en bonne entente avec les Noirs, je peux dire que j’étais identifié comme un toubab et qu’à aucun moment cette conscience ne nous a quittés, eux et moi.

            D’autre part, vous me posez la question de savoir si l’héritage racial détermine la culture des hommes. Eh bien je vous répondrai que je n’en sais rien et que les sciences n’ont pas apporté de preuve acceptable sur ce point, ni d’ailleurs sur le contraire. Ce qui est sûr, c’est que, contrairement à ce que pensaient les biologistes d’il y a cinquante ans, les prédispositions des hommes à l’égard des maladies, la durée de la grossesse, la résistance aux températures extrêmes et bien d’autres choses sont différentes selon les races considérées. Il n’est donc pas déraisonnable de penser que le postulat béhavioriste selon lequel l’esprit humain n’est qu’une table rase ne soit pas exact. En tout état de cause, la prudence devrait être la règle. Et, justement, puisque vous me parlez de nature et culture,

ne serait-il pas temps de relativiser cette frontière entre nature et culture. Car enfin la culture étant une production de la société reste un prolongement de l’instinct et ne peut se fixer pour but d’éradiquer cette même société. C’est un peu le problème devant lequel nous sommes placés. Revenons à Aristote qui disait que la société est un fait de nature et nous y verrons plus clair.

L’Action Française : Ceci étant dit, pourquoi est-il nécessaire que cette question revienne avec toute sa force dans notre débat politique et que les hommes politiques osent s’y attaquer avec courage ? Est-ce une question vitale pour la France ? Est-ce par essence, la seule question irréversible qui nous menace ?

 

Pierre de Meuse : Ne nous le cachons pas, l’antiracisme est une maladie mortelle de nos sociétés, car elle s’attaque à l’existence même des groupes humains. Elle est d’ailleurs une variante des idées fausses qui nous contaminent depuis le XVI° siècle. En combattant l’antiracisme, nous ne faisons que continuer la même guerre que nous menons depuis cinq cents ans, contre le même ennemi qui se cache derrière des masques différents. Et aujourd’hui, c’est la réalité de la France qui est menacée de dissolution imminente. Dans vingt ans, dix peut-être, les français de souche seront minoritaires dans leur propre pays. Et alors l’héritage capétien sera évaporé car nous ne serons plus un peuple. Nous aurons subi le sort de centaines de nations défuntes : Sybaris, la Phrygie, la Lydie, l’empire Inca, et tant d’autres ; et il adviendra des Français ce qui advint aux Caraïbes et aux Arawaks, c’est-à-dire la submersion et l’oubli de soi. Il nous manque deux choses pour nous y opposer efficacement : la mobilisation de notre volonté, qui est une vertu, et la chance. Celle-ci finira bien par tourner en notre faveur. Encore faut-il la saisir !

 

L’Action Française : Selon vous, dans ce combat, quelle doit être la place d’un mouvement comme celui de l’Action française ? De quelles armes disposons-nous ?

 

Pierre de Meuse : Nous disposons de notre esprit critique et c’est par là qu’il faut commencer. Car le système actuel repose sur le mensonge. Depuis vingt ans, le mensonge a pris des proportions inouïes dans nos sociétés, et c’est logique, parce que la philosophie qui les sous-tend postule qu’il n’y a pas de vérité, dans les grandes questions comme dans les petites : il n’y a que des « narratifs ». Notre rôle est d’ameuter le peuple contre les menteurs. Et le jour où les explications fournies par les « narrateurs » patentés deviendront invraisemblables aux peuples, nous aurons gagné.

 

L’Action française : Merci infiniment pour vos réponses !

 

Pierre de Meuse, Le dogme de l’antiracisme. Origine, développement et conséquences, Poitiers, DMM, 2024, 278 pages.

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Écho d’Action Française renouvelé, édito de l’été 2023 !

Écho d’Action Française renouvelé, édito de l’été 2023 !

Écho d'Action Française 27

Nous maintiendrons !

 

Nous connaissons la chanson : la République gouverne mal mais se défend bien.

La circulaire de Moussa Darmanin porte un coup sans précédent à nos libertés politiques, les préfets étant tenus d’interdire toute manifestation où serait présent le « risque de slogans ou propos de nature à mettre en cause la cohésion nationale ou les principes consacrés par la Déclaration des droits de l’homme ». Il va de soi que nous entrons dans une véritable tyrannie et que, par conséquent, les choses se compliquent : hommages à Jeanne d’Arc, colloques, banquets interdits… Le procureur de la république réclame même la liste des personnes présentes à notre colloque du 18 mars dernier, organisé au Kremlin Bicêtre à l’occasion des 70 ans de la mort du Maître. Si nous assistons à un véritable raidissement idéologique de la République (en témoigne aussi la vague d’inspections par l’éducation dite nationale des établissements scolaires hors-contrat), nous devons savoir raison garder. Garder, comme le disait feu notre ami Jean-Pierre PAPADACCI, le calme des vieilles troupes et ne tomber ni dans l’activisme stérile ni dans les illusions démocratiques des partis politiques. Cet ancien responsable de l’OAS métro, ce militant exemplaire qui avait été l’un des premiers à condamner l’entreprise de dédiabolisation de l’AF, en co-fondant « Amitié et Action Française », répétait à satiété que nous devions reprendre à notre compte cette belle devise des parachutistes « être et durer ».

Être ce que nous devons être : des Français pensant clair et marchant droit, sachant continuer l’oeuvre de nos maîtres qui nous ont transmis ce trésor d’intelligence politique qu’est l’Action Française. Jean-Pierre (ORSO) ne cessait de nous exhorter au réalisme politique : si nous ne sommes pas en position de force, nous sommes les derniers remparts de la Cité et cette responsabilité est grande. N’y a t’il pas toutefois quelques signes d’espérance ? N’y a-t-il pas de la part des Français un désintérêt croissant pour les partis politiques ? N’avons-nous pas vu près de 25 000 jeunes de France marcher sur les chemins de Chartres (les deux sens confondus) à la recherche du beau, du bon et du vrai ? L’engeance qui prétend nous gouverner peut bien nous persécuter ou nous dissoudre, jamais elle ne pourra supprimer notre état d’esprit.

« Par tous les moyens, même légaux ». Nous avons rejoint l’appel à la reconquête de nos communes lancé par l’institut CIVITAS. La commune, ce « carrefour social », n’est pas un rassemblement momentané de volontés mais une constante historique et sociale. Nous devons, par tous les moyens, tendre à éliminer le pays légal centralisateur et, par voie de conséquence, donner des moyens de lutter au pays réel. Voici de la politique concrète : en réalité, la majorité de nos compatriotes ne font de la politique que cinq minutes tous les six ans en votant pour les seules élections valables, les municipales. Nous encourageons de ce fait nos amis à se préparer et à s’investir en ce sens. C’est vital ! Travaillons sans cesse à politiser les inquiétudes des Français. Sachons aussi durant l’été prendre le temps de nourrir nos intelligences, (re)lisons nos maîtres, travaillons à expliquer à notre entourage la nécessité du politique d’abord, formons les plus jeunes et invitons les anciens à nous aider financièrement. Nous maintenons et nous maintiendrons coûte que coûte !

Clément Gautier

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Mes idées politiques de Charles Maurras: entretien avec Pierre de Meuse

Mes idées politiques de Charles Maurras: entretien avec Pierre de Meuse

Pierre de Meuse

Chers amis, nous nous retrouvons pour un nouvel entretien avec Pierre de Meuse, préfacier d’une récente édition de Mes idées politiques de Charles Maurras aux éditions de la Nouvelle Librairie. L’auteur des Idées et doctrines de la Contre-Révolution (DMM, 2019), de La famille en question. Ancrage personnel et résistance communautaire (éditions de la Nouvelle Librairie, 2021), et de bien d’autres ouvrages d’une qualité remarquable a bien voulu répondre à nos questions et nous l’en remercions chaleureusement.

 

             Action Française : cher monsieur, merci de nous accorder cet entretien pour l’Action Française. Pourriez-vous, dans un premier temps, nous raconter la genèse de ce célèbre ouvrage de Charles Maurras ? Quelle place tient-il dans l’œuvre du maître de Martigues ?

 

            Pierre de Meuse : ce livre est d’une facture inhabituelle chez Maurras, qui a souvent composé des ouvrages avec des recueils d’articles publiés antérieurement dans l’AF ou la Gazette de France. Il faut dire que lorsque ce résumé de sa doctrine fut rédigé, son auteur était en prison pour avoir prétendument menacé de mort Léon Blum et avoir tenté de l’assassiner ; il était donc disponible pour une écriture au calme. L’idée d’un compendium logique de sa doctrine vient d’une de ses collaboratrices, Rachel Legras, qui signait sous le pseudonyme de Pierre Chardon et qui rédigea d’ailleurs le « Dictionnaire politique et critique », si précieux pour les chercheurs et les personnes intéressées par les écrits du maître de Martigues. Maurras se mit immédiatement à l’ouvrage et en quelques mois le livre fut terminé. Cela dit, à mon sens si cette œuvre est pleine de rigueur et de mesure, elle ne fut pas la préférée de l’auteur. Car le martégal n’était pas un homme de système. En tant qu’esthète, il aimait plutôt les travaux formant un tout plutôt que les démonstrations entassées chapitre après chapitre.

En revanche, pour nous, c’est un outil irremplaçable, parce que chaque idée est à sa place dans le raisonnement sans qu’on puisse contester cette place.

            Action Française : quelle fut la raison d’être de cette nouvelle édition ? Mes idées politiques ne manquent pas d’éditions récentes – pensons à celle des éditions de Flore (2022), à celle de Kontre Kulture (2019) ou même à celle de l’Âge d’Homme (2002). Est-ce que ces dernières n’utilisaient pas la première édition de Fayard de 1937 ? Fondamentalement, quelles différences y a-t-il entre la première édition de 1937 et celle de La politique naturelle que nous retrouvons dans les Œuvres capitales de Charles Maurras ? Pourquoi ces différences ?

 

            Pierre de Meuse : pour le texte de l’ouvrage, la plupart des rééditions ont choisi de reprendre le texte de 1937, sans faire les coupures et les ajouts réalisés ultérieurement, notamment ce qui concerne le fascisme italien. La Librairie de Flore, elle, a choisi de respecter les modifications, tout en citant en note les textes originaux. La préface de Gaxotte n’a été reproduite, ni par Soral, ni par la Nouvelle librairie pour des questions essentiellement juridiques. Le texte de la Politique Naturelle reproduit dans les œuvres capitales développe l’introduction de Mes idées politiques, mais non tout le reste du livre. Cela dit, les modifications ne touchent en rien à l’essentiel de l’ouvrage.

En ce qui concerne la multiplication des rééditions, vous touchez là à une situation qui ne peut laisser indifférent aucun Français attaché à l’héritage intellectuel de Maurras. Bien sûr je pourrais vous répondre en vous disant que, plus il y a de gens qui rééditent Maurras et le commentent, mieux c’est ; cependant cela ne prend en compte qu’une partie de la question. Si on l’élargit, on peut voir que de nombreuses écoles de pensée s’intéressent à Maurras, et donc qu’il est impossible de limiter l’exégèse maurrassienne à une seule chapelle. D’autant plus que, les observations faites par un penseur né il y a plus d’un siècle et demi doivent être confrontées à une réalité qui était totalement impensable à l’époque où Maurras écrivait. Dès lors, chaque fois que l’on veut accommoder (au sens optique du terme) la pensée maurrassienne avec le réel, on est tenté souvent de la trahir, même involontairement. Il est donc utile qu’il y ait plusieurs points de vue sur le Martégal, car cela permet d’éviter les contresens.

Mes idées politiques

          Action Française : permettez-nous de nous arrêter sur quelques points essentiels de la pensée de Charles Maurras, magnifiquement illustrés dans cet ouvrage, qui sont aujourd’hui discutés par ceux qui se prétendent héritier de notre auteur. La première partie concerne l’Homme : la faiblesse naturelle de l’Homme rend nécessaire sa vie en société. En quoi peut-on dire que Charles Maurras développe une pensée holiste de la société ?

 

          Pierre de Meuse : vous touchez là un point important. Que désigne-t-on sous ce terme d’holisme ? Certains maurrassiens rejettent aujourd’hui cette notion en se référant à l’inventeur du mot : l’homme politique sud-africain pro-britannique Jan Christiaan Smuts qui écrivit en 1926 un livre intitulé Holism and evolution. Dans cet ouvrage, l’auteur définit ainsi son terme de recherche : « la tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l’évolution créatrice ». Smuts en déduit une théorie philosophique de la science et même une para-métaphysique darwiniste. Cependant, il est abusif, me semble-t-il, de limiter le sens du mot au système de Smuts. Car si c’est lui qui a forgé le vocable, la chose est bien antérieure. Le nationalisme de Barrès et Maurras correspond bien à cette définition, puisque tous les participants aux séances de formation d’AF ont appris depuis cinq ou six générations la formule de Barrès : « La patrie est une association, sur le même sol, des vivants avec les morts et ceux qui naîtront. » Et Maurras, précisément dans le livre que j’ai eu l’honneur de préfacer : « La patrie est une société naturelle, ou, ce qui revient absolument au même, historique. Son caractère décisif est la naissance. On ne choisit pas plus sa patrie, la terre de ses pères, que l’on ne choisit son père et sa mère. (…) C’est avant tout un phénomène d’hérédité. » En fait, le terme d’holisme est très voisin de l’organicisme d’Aristote, par exemple, qui désigne la forme, organisatrice et conservatrice, de l’être vivant. Un autre mot est employé par le stagirite : celui d’entéléchie (qui porte sa finalité en lui-même). Mais alors, pourquoi ces maurrassiens rejettent-ils cette notion ? Une explication pourrait être qu’au lieu de partir de la société comme Bonald et Burke, ces philosophes préfèrent prendre la personne comme base de leur raisonnement. Après tout, pourquoi pas ? À la condition qu’un raisonnement personnaliste ne conduise pas à des conclusions différentes de celles de l’holisme. Sinon, c’est toute la base du projet maurrassien qui est perturbé. Encore une fois, le raisonnement de Maurras ne prétend pas établir une ontologie, c’est-à-dire une certitude de foi sur l’être des choses, mais une analogie féconde, qui réponde à nos besoins vitaux.

         Action Française : Michaël Sutton (Charles Maurras et les catholiques français) parle de la synthèse subjective de Charles Maurras appliqué à la France comme Auguste Comte l’appliqua à l’humanité. Charles Maurras créa-t-il une déesse France en capacité de dévorer ses enfants pour subsister ?

 

          Pierre de Meuse : votre question est une suite logique de la précédente. Il faut bien comprendre que Maurras rejette catégoriquement le messianisme humanitaire de Comte, pour ne retenir de lui que son éloge de l’ordre et sa méthode empirique. Le Pr. Sutton considère que l’auteur d’Anthinéa a remplacé l’humanité par la France ; mais c’est à mon avis un contresens. Maurras, sans dénier toute existence à l’humain, considère que sur le plan social et politique, la nation (donc pour lui la France) recueille l’ensemble des devoirs des Français. Dans Le soliloque du prisonnier, il écrit que la France c’est l’humanité. Il ne dit pas que l’humain n’existe pas, car l’ensemble des hommes connaissent des pensées, des émotions et des doutes communs, mais que la Nation est le dernier cercle qui réunit les hommes. Car, à la différence des « républicains » comme Taguieff, Maurras pense que les nations existent vraiment en tant qu’essences. De là provient cette image de la déesse France. « À la beauté la plus parfaite, au droit le plus sacré, Rome savait préférer le salut de Rome, la gloire des armes romaines et, non content de l’en absoudre, le monde ne cesse de lui en témoigner de la reconnaissance. L’Angleterre contemporaine a donné des exemples de la même implacable vertu antique. Le nationalisme français tend à susciter parmi nous une égale religion de la déesse France ». Mais pourquoi cette déesse devrait-elle dévorer ses enfants alors qu’elle est au contraire pour eux la dernière des protections communautaires ?

 

         Action Française : le septième chapitre se nomme « Retour aux choses vivantes » et un de ses points concerne le nationalisme. Quelle différence fait Charles Maurras entre le patriotisme et le nationalisme et, in fine, entre la Patrie française et la Nation française ? Pensez-vous que cette différence lexicale subsiste encore de nos jours ou les termes sont maintenant trop dévoyés pour être retenus- il semble, par exemple, que le patriotisme soit toléré, contrairement au nationalisme ?

 

          Pierre de Meuse : vous savez, je suis un peu gêné pour vous répondre parce que ce que je vais vous dire est d’une banalité presque triviale pour tous ceux qui ont suivi les cercles de l’Action Française. La patrie est une réalité dont la définition découle de son nom même : Terra patrum

La Patrie, terre des pères, cela dit tout ! Le sol, le sang, leur âme commune, le génie divin qui les assembla.

Charles Maurras

Les lumières de la patrie

Assumer cet héritage, c’est être patriote. La nation, elle, est une réalité collective définie dans une abstraction. Elle désigne une communauté de destin qui se réalise dans l’histoire. Et le nationalisme, c’est la participation par l’esprit et la volonté à sa perduration et sa persévérance. Au cœur de tout nationalisme, il y a une angoisse – l’angor patriae – de voir s’étioler ou se dévoyer cet héritage. Je ne crois pas que le patriotisme soit plus toléré que le nationalisme. L’esprit du temps méprise le patriotisme, qu’il considère comme l’expression d’une sentimentalité ridicule, car rien n’est plus chic pour lui que le cosmopolitisme de l’oligarchie. Il déteste et craint le nationalisme, parce qu’il soupçonne qu’il recèle des forces dangereuses pour ses dogmes. Mais attention ! N’est pour lui illégitime que le nationalisme des Français, des Européens, des Blancs. S’il s’agit d’un nationalisme congolais, arabe ou indien, alors c’est tout différent, là c’est une opinion qui mérite d’avoir sa place au concert des expressions. Pourquoi cette attitude étrange ? Elle s’explique parfaitement par la notion schmittienne de l’Ennemi. Pour l’idéologie progressiste, l’ennemi est intérieur, il vient du passé de l’Europe, il puise dans sa tradition que le progressiste déteste plus que tout au monde. En revanche, la tradition de l’étranger le gêne moins, puisqu’il ne peut pas renforcer le « Vieil homme », que le progressisme a cru éradiquer pour toujours.

 

         Action Française : concernant l’Homme, vous évoquez dans votre préface une dimension très disputée de l’héritage maurrassien, celle de la notion de race. Qu’entend exactement Maurras quand il parle de race ? Quelle forme de « racisme » développe-t-il ?

 

            Pierre de Meuse : décidément, vous aimez parler des sujets épineux.

Cela fait au moins cinquante ans que des dirigeants de l’Action Française s’enferrent régulièrement dans des déclarations antiracistes, qui montrent qu’ils n’ont pas vu le piège qui leur était tendu. Quand on nous somme de nous déclarer antiracistes, exige-t-on seulement de nous que nous rejetions solennellement les théories de Houston Chamberlain que tout le monde a oublié ? Certainement pas. Se déclarer antiraciste, c’est déclarer que seule la condition humaine est significative car le propre de toutes les différences collectives entre les hommes est de n’être pas voulues mais imposées. Le postulat antiraciste repose sur le caractère non-signifiant des différences humaines. Ce qui, évidemment, est radicalement aux antipodes de la pensée maurrassienne. Ce n’est pas que les trotskystes et les humanistes révolutionnaires qui forment les bataillons de l’antiracisme soient prêts à croire à la sincérité de nos protestations ; mais ils nous ont obligés à nous agenouiller et cela, c’est une victoire. Et si, d’aventure, comme cela arrive hélas quelquefois, nous en profitons pour dénoncer un autre mouvement nationaliste, en le traitant de raciste, alors là, c’est pour eux une savoureuse réussite : nous avons fléchi le genou devant leurs dogmes, nous avons reconnu leur qualité de juge en leur donnant des armes pour intensifier l’oppression, nous nous sommes déshonorés (nous ne sommes pas comme Untel, Monsieur l’officier de la Kommandantur, lui il est raciste, nous non), nous nous sommes fait des ennemis, et nous n’avons gagné que du mépris des uns et des autres. Quand on est vaudois, on ne dénonce pas les cathares à l’Inquisition !

Cela dit, si nous voulons, en dehors de l’impact des lois antiracistes, faire l’inventaire de la pensée du maître au sujet de la race, nous nous apercevons que c’est une pensée nuancée et traditionnelle. Maurras emploie sans cesse ce mot, et, nous disent certains : « il emploie ce terme simplement comme un synonyme de nation. » C’est vrai et c’est faux. Il est exact que pour Maurras, les deux concepts se recouvrent en grande partie. Mais il emploie sans cesse en même temps le mot de sang. C’est que pour lui, la nation est essentiellement un fait de naissance et d’hérédité. Il emploie le mot race au sens du français classique, celui du Moyen âge et du XVII° siècle. « Vive la race de nos rois » ou encore dans le rite du sacre royal : « Reçois cette couronne, héritier de la noble race des Francs. » Cela dit, Maurras n’aime pas les théorisations « scientifiques » de la race biologique, essentiellement pour deux raisons : d’abord parce qu’elles ne sont pas vraiment convaincantes, ensuite et surtout parce que leurs partisans se servent de leurs raisonnements pour établir une hiérarchie des races dans laquelle la France se situe au second rang. Mais il ne nie absolument pas la parenté des Français et le caractère fécond de sa visibilité. Je conseille aux lecteurs qui voudraient approfondir ce sujet de lire un article d’un professeur, Carole Raynaud-Paligot de l’université de Dijon (https://books.openedition.org/septentrion/44400?lang=fr#text). Cette universitaire est naturellement de Gauche, voire d’extrême Gauche, et férocement antiraciste, ce qui la conduit à une sympathie pour le Woke. Elle décrit, textes à l’appui, comment Maurras concevait l’identité originelle de la France, à savoir comme « la fusion des races des Gaulois et des Romains », bien que la vision que les penseurs de l’AF avaient des Gaulois soit aujourd’hui totalement dépassée. Et elle en conclut que, puisqu’il y a bien une filiation biologique, c’est que Maurras était partisan d’une France ethnique et non pas seulement culturelle. Donc, pour elle, Maurras était « raciste ». En réalité, c’est qu’elle donne un sens maximaliste au mot de racisme et considère qu’on est raciste dès lors que l’on prend en compte le moins du monde la dimension filiale naturelle. En cela, elle suit la tendance générale de la législation, qui ne justifie la nation française que comme contractuelle et instantanée. En conclusion, Maurras se méfiait des dogmes de la raciologie de son temps, mais considérait cependant qu’un peuple historique n’était rien d’autre qu’une famille naturelle très élargie. Selon la définition que l’on donne au mot, Maurras est ou n’est pas « raciste », mais il ne peut en aucun cas être appelé « antiraciste ».

          Action Française : dans un autre registre, pourriez-vous nous dire ce que signifie réellement le Politique d’abord ? Cette position fut très régulièrement la cause de tensions avec certains catholiques qui y voyaient une relégation au second plan des droits de Dieu. Aujourd’hui encore, il s’agit d’une pierre d’achoppement.

 

          Pierre de Meuse : j’avoue être surpris en vous entendant me dire que cette vieille lune est encore aujourd’hui une pierre d’achoppement. Oui, il est vrai que ce mot d’ordre a été violemment critiqué par de très nombreux acteurs politiques ou écrivains. Citons Georges Bidault, Georges Bernanos, François Mauriac, Charles Péguy, Lucien Febvre, François de La Rocque et même Henri VI comte de Paris. 

Ils disaient : moral d’abord, social d’abord, spirituel d’abord, mystique d’abord, religieux d’abord, économique d’abord, militaire d’abord, esthétique d’abord, littéraire d’abord. En fait tout cela est le résultat d’une incompréhension, quelquefois consciente. Il est vraisemblable aussi que ces arguties soient un symptôme d’une maladie intellectuelle de la Droite française : le refus de la volonté.

 Pourtant, il est patent que la Gauche n’a pas de ces humeurs. Et qu’elle met en pratique son programme de destruction de l’État et de la société par la politique, structurée par un esprit de parti dépourvu de toute pudeur.

 

          Action Française : nous connaissons naturellement les positions de l’Action Française concernant la démocratie, mais, pour nos lecteurs, pourriez-vous nous exposer quel type de démocratie dénonce Charles Maurras ? En quoi celle-ci était fondamentalement provocatrice de chaos et incapable de répondre aux besoins de l’instant ? L’actualité semble, en effet, hurler ce constat : la démocratie ne règle aucun problème, elle embourbe la nation.

 

        Pierre de Meuse : là, nous abordons un sujet sur lequel le vocabulaire classique de la science politique ne correspond plus à l’image que le public visualise chaque fois que l’on parle de démocratie, et il me semble que nous devons en tenir compte afin d’être compris et suivis. Il est de fait que nous assistons depuis trente ans à un retournement de situation qui était imprévisible à l’époque de Maurras. En effet, quel était le tableau politico-social au tout début du XX° siècle ? La France était encore une société, avec une élite nationale qui cultivait les vertus. En ce temps-là, Maurras proposait de reconstruire les superstructures politiques sur ce qui existait ; et il disait que le pays légal, avec ses règles juridiques fondées sur la loi du nombre, méconnaissait la valeur de cette société. Or, aujourd’hui, les élites de notre pays sont totalement désolidarisées de la France et méprisent le peuple français, qui est de plus en plus asservi et appauvri. En conséquence, celui-ci reproche de plus en plus au pouvoir « démocratique »…de ne pas être démocratique et de fonctionner comme une oligarchie étrangère ! Donc, si nous voulons être compris, il faut faire une distinction sémantique entre la démocratie conçue comme le fait pour les gouvernants d’être en phase avec les aspirations des gouvernés, et la démocratie idéologique, qui veut changer le peuple pour le rendre conforme à un modèle préétabli, qui est celui de la société déracinée et atomisée. La première est l’expression du bon sens et la seconde est un rêve fumeux et mortel. Si nous n’adaptons pas notre vocabulaire à la nécessité, notre discours n’aura pas de prise sur la conscience française.

 

          Action Française : la pensée économique et sociale de Charles Maurras est assez mal connue du plus grand nombre. Était-il un défenseur de la propriété, des riches familles et du capitalisme ou était-il un précurseur d’un royalisme qui penchait vers le socialisme et le syndicalisme ? En réalité, qu’est-ce qui fondait sa pensée sociale ? 

 

          Pierre de Meuse :

Charles Maurras, ce n’est pas un secret, n’était pas un spécialiste de l’économie. Sa formation est principalement littéraire et philosophique. En revanche, sa pensée intègre l’économie comme une science dédiée, une science du bon sens plutôt que comme le terrain d’exercice de l’utopie.

En fait, il exècre toute idée préconçue dans ce domaine. Il considère, nous l’avons vu, la société comme un tout organique et considère que l’économie ne doit pas avoir d’autre but final que le bien commun du groupe. Il rejette donc les dogmes libéraux, conduits par l’individualisme, ainsi que l’idéologie égalitaire, ce qui ne signifie pas qu’il justifie l’inégalité sociale comme un idéal sans limites. Cette notion de bien commun n’accepte pas que les objectifs à court terme, mais au contraire prend en compte la longue durée. Était-il socialiste ? L’adjectif ne l’effarouchait pas, mais à la condition d’y inclure le respect des hiérarchies salutaires. Il était en tout cas favorable au syndicalisme, dans la mesure où la défense des catégories sociales respecte le bien commun de l’entreprise. Bien entendu, il affirme l’utilité de la propriété privée mais à la condition de lui imposer des limites qui sont celles, encore une fois, du salut public. Il détestait le fanatisme libre-échangiste, mais n’était pas systématiquement partisan du protectionnisme dont il disait qu’il ne faisait pas partie du paquetage du militant d’AF. Tout, selon lui, était affaire de circonstances. Était-il animé comme le prétend Charles Gave, par la haine du capitalisme ? Tout dépend de ce que l’on entend par là. Ce qui est sûr, c’est qu’il aurait été hostile à la financiarisation totale de l’économie, qui dépossède notre pays de sa souveraineté et de son industrie.

         

          Action Française : ceci étant dit, vous évoquez dans votre préface le soutien qu’apporta sans cesse Charles Maurras au régime de Vichy et au maréchal Pétain. Quelles sont les raisons intellectuelles qui poussèrent le maître de Martigues à agir ainsi ? Est-ce que certaines réformes du régime reflétaient des idées développées dans cet ouvrage écrit seulement trois ans avant l’année 1940 ?

 

          Pierre de Meuse : Maurras se rallia au Régime de Vichy et surtout au maréchal Pétain exactement pour les mêmes raisons qui le poussèrent à accepter l’Union Sacrée en 1914 : la recherche de l’unité dans un moment où le territoire français était attaqué et occupé. Du reste, les confidences du chanoine Cormier nous apprennent que, de 1940 à 1944, Maurras cessa d’utiliser le terme « politique d’abord » pour lui substituer « unité des Français ». Or, la postérité n’a pas appliqué le même jugement aux deux attitudes. Dans un cas comme dans l’autre, il était très difficile à Maurras de suivre une autre voie. Mon opinion personnelle est que la soumission totale à un gouvernement tenu par l’ennemi idéologique est toujours lourde de conséquences. C’était le cas pour Clemenceau. Était-ce aussi le cas pour le Gouvernement de l’État Français ? Pas tout-à-fait. Cela dit le Maréchal était sincèrement républicain, mais avec une teinte corporatiste qui se traduisit par la Charte du travail, promulguée le 4 octobre 1941 et dont Alain Cotta parle avec respect. Mais le vainqueur de Verdun était loin d’avoir les mêmes convictions que Maurras, notamment à l’égard des USA, envers lesquels il avait une confiance excessive. Je ne pense pas que, du reste, il ait lu cet ouvrage. Il y avait effectivement à Vichy une certaine influence des maurrassiens, mais Olivier Dard a nuancé son rôle dans la Révolution Nationale de Vichy. Son influence n’était pas la seule, loin de là.

 

Propos recueillis par Guillaume Staub

Charles Maurras, Mes idées politiques, Paris, Éditions de la Nouvelle Librairie, 2023, 320 pages, 20 euros.

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